Destiné aux enfants de 6 à 12 ans, ce petit album est simple, sans être simpliste, et véritablement construit à hauteur d’enfance…
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Le Moyen-Âge est une époque qui, depuis toujours, fait rêver… A ce qu’on appelait l’amour courtois, aux légendes et contes de nos jeunes âges, à la chevalerie et à ses valeurs qui ne sont peut-être, sans doute, que légendaires, elles aussi !…
Mais ce livre-ci choisit un tout autre axe d’approche, un tout autre point de vue.
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Nous sommes en 1205. Mathurin, neuf ans, quitte sa campagne pour essayer de gagner un peu sa vie dans le château de Fiercastel. Et cet album va nous montrer ce gamin découvrir le monde d’un château, l’organisation des gens qui y vivent, nobles et manants, les différents métiers qu’on y trouve. Tout cela en compagnie d’une gamine délurée, Perrine.
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Et puis, évidemment, il va y avoir un traître, qu’ils vont démasquer, ils vont devoir assurer la protection de ce château en danger. L’aventure va être au rendez-vous, bien sûr! Mais elle va l’être, de bout en bout, à hauteur des deux petits héros de ce récit dans lequel l’humour n’est jamais absent.
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A hauteur d’enfance, oui… Dans le texte comme dans le dessin, qui s’amuse à modifier les perspectives pour que le lecteur se sente, véritablement, « petit »… C’est aussi une bd d’aventure didactique grâce à un dossier simple (et ludique) qui, en fin d’ouvrage, nous parle de la vie quotidienne au Moyen-Age. C’est une bande dessinée à hauteur d’enfant, dessinée avec simplicité par Pierre Frampas, et scénarisée par Dominique Joly, historienne, et Fanny Joly, écrivaine pour la jeunesse. Une bd de belle qualité pour jeune public ! Et je vous invite à écouter Fanny Joly, que j’ai eu le plaisir de rencontrer…
Jacques et Josiane Schraûwen
Château Fort En Danger (dessin : Pierre Frampas – scénario : Dominique et Fanny Joly – éditeur : Casterman – août 2023)
Un petit bonhomme, tout en rondeur, balade son air sage et serein dans un univers, le nôtre, pour y détruire toutes les apparences !
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Depuis 2000, Dickie (Boerke en néérlandais) fait le plaisir (iconoclaste) de bien des lecteurs, en Flandre bien sûr, mais au-delà des frontières étriquées de la petite Belgique également.
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On peut pourtant, sans aucun doute, dire de son auteur, Pieter de Poortere, que cette bande dessinée prend totalement sa place dans la culture belge. Certes, il s’agit d’un humour souvent bête et méchant, mais infiniment plus fin que ce que Charlie hebdo nous impose régulièrement.
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L’humour de Pieter de Poortere s’inscrit en fait, à mon humble avis, dans une démarche que le surréalisme belge aimait par-dessus tout : prendre dans le quotidien banal les éléments capables de devenir des détonateurs de la réflexion, donc de l’intelligence.
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Mais avec Dickie, le langage est exclusivement graphique. Utilisant la technique du gag en une seule page, Pieter de Poortere construit en douze cases le plus souvent des histoires totalement muettes. Pratiquement toujours provocatrices, d’abord et avant tout. Dickie est de ces anti-héros qui, sans expression, sans morale, sans politesse, avec simplicité en même temps, décortiquent notre société pour nous faire rire, oui, mais aussi pour nous choquer… Parce que c’est dans ses démesures amorales que l’humour, finalement, est le plus efficace !
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Et, donc, Dickie s’expose jusqu’au 30 décembre (vernissage le 15) dans la galerie Champaka… On peut y voir bien des originaux, mais aussi quelques tableaux sans beaucoup d’intérêt, mais corrigés par Pieter de Poortere… Là aussi, il s’agit d’une technique que le magazine Hara Kiri, en son temps, pratiquait… Et qui, avec Dickie, revêt une ironie parfaitement et jouissivement impolie.
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J’ai eu le plaisir de rencontrer Pieter de Poortere… En voici l’interview :
Jacques et Josiane Schraûwen
Dickie : humour noir en ligne claire – une exposition dans la galerie Champaka, à Bruxelles, jusqu’au 30 décembre – 27, rue Ernest Allard, 1000 Bruxelles
Albums parus chez Glénat, dont le dernier en date, « Super Dickie »
Un héros atypique pour un western démesuré : Bouncer nous revient après cinq ans d’absence !
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Je n’ai jamais été très fan, je l’avoue, des scénarios d’Alejandro Jodorowsky. Sauf pour cette série dessinée par François Boucq et s’enfouissant dans tout ce que le western peut avoir de dramatique… De tragique, même. Ce cow-boy manchot, qui n’a rien de solitaire, qui tue pour laisser vivre, qui cultive d’étranges amitiés, qui se meut dans un monde à la fois sauvage et terriblement humain, qui affronte à la fois les démons de l’invisible, voire de la superstition, et ceux de l’enfer régnant sur terre, cet anti-héros est, à mon humble avis, un de ces personnages de bd qui ont réussi à révolutionner le genre.
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D’abord, bien évidemment, parce qu’il est manchot, ce qui ne l’empêche nullement d’être redoutable l’arme à la main.
Ensuite, parce qu’il est loin, très loin même, d’être monolithique. C’est un homme perdu dans une existence qu’il ne veut pas mais qu’il doit assumer, c’est un homme pétri de convictions et qui est obligé de les renier, c’est un homme qui se veut samaritain et qui voit tout le monde mourir à ses côtés ou fuir… C’est, tout simplement, un homme qui a des failles, qui les montre, qui ne les renie pas, ce qui fait de lui une sorte de tueur humaniste aux amours désespérées.
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Dans cet épisode-ci, sachez qu’il y a des lingots d’or bien enfermés dans une banque. Qu’il y a, face à face, deux établissements dans lesquels les femmes accortes et peu farouches se donnent sans sentiment. Il y a les proches de Bouncer, rencontrés dans l’épisode précédent. Il y a des militaires venus surveiller l’or. Il y a d’autres militaires, des noirs cette fois, qui arrivent. Il y a un remarquable magicien et son assistante. Il y a la pluie, la boue, et, bien évidemment, la disparition des lingots d’or. Il ne peut donc y avoir, finalement, qu’une suite ininterrompue de violence, de morts, d’horreurs, une vraie hécatombe qui va faire de la petite ville de Barro City presque un cimetière à ciel ouvert !
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François Boucq est un orfèvre… Sa façon de dessiner cette boue omniprésente est d’une redoutable efficacité, tout comme la façon qu’il a d’aborder de front, sans aucune humanité, les scènes des violences les plus extrêmes. Son dessin et ses couleurs, je ne vais pas dire que cela magnifie le propos, mais cela parvient à créer, au-delà du récit, bien plus qu’une ambiance. Il nous plonge, presque violemment, dans ce qu’il nous raconte, il nous immerge dans une narration qui, pourtant, pourrait ne pas être facile à suivre, tant il y a de personnages, de rebondissements, de volte-face.
Pour ce faire, Boucq multiplie les angles de vue, les perspectives, aussi, et cela créé un rythme pictural qui complète et simplifie le touffu du scénario.
Je disais que François Boucq dessine avec force l’horreur… Mais son dessin se révèle aussi, de ci de là, infiniment plus calme… Il est, avec Hermann sans doute, un des rares dessinateurs capables de faire ressentir, dans un dessin, dans une planche, le poids tranquille de l’attente !
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Je disais, en début de chronique, que je n’avais jamais été fan de Jodorowsky. Ou, plutôt, de ses dérives chamaniques, de la plupart de ses scénarios alambiqués. Ici, avec Bouncer, il n’en est rien. Les thèmes qu’il met en scène, pour nombreux qu’ils soient, sont ceux qui continuent, aujourd’hui chez nous comme hier dans l’ouest américain, à revêtir une importance dans laquelle la liberté occupe le premier plan. Liberté d’être, de décider, de vivre et/ou de mourir… Dans cette hécatombe grandiose, on parle de haine, mais aussi d’amitié et d’amour, de trahison, de violence et de justice, de racisme et d’empathie, de guerre et de rédemption.
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Mais tout cela se fait, profondément, selon des codes mélangés, ceux du western et ceux de la tragédie…
Parce, qu’est-ce qui caractérise une tragédie ?
D’abord, il faut sans doute que les sentiments qui y sont présents se fassent exacerbés, de façon à ce que les lecteurs puissent s’y balader en terrain connu. Il faut qu’il y ait des affrontements entre personnes proches les unes des autres. Il faut que la mort joue le rôle central tout en devenant l’ultime sursaut de l’intrigue. Il faut que la famille, au sens large du terme, se déchire. Et puis, il faut qu’il y ait un chœur…
Dans ce Bouncer, il y en a plusieurs, de ces cercles d’observateurs, de commentateurs, qui apparaissent à chaque fois que Bouncer est absent du mouvement de l’histoire racontée… Et qui imposent, le temps d’une intervention, leur regard, leur compréhension, leur incompréhension aussi…
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Livre de souffrance et de sang, livre qui illustre l’inéluctable de toute destinée humaine, livre dans lequel les mots, ciselés, appartiennent totalement au rythme du récit, cette « Hécatombe » tragique est, pour moi, le meilleur volume de cette série par ailleurs exceptionnelle !
Jacques et Josiane Schraûwen
Bouncer : tome 12 – Hécatombe (dessin : François Boucq – scénario : Alejandro Jodorowsky – éditeur : Glénat – octobre 2023 – 140 pages)