L’Ère Des Anges – science, éthique, progrès : un livre étrange !

L’Ère Des Anges – science, éthique, progrès : un livre étrange !

Un livre qui en tout cas pose des questions dont les réponses restent, au fil des pages, ambigües…

copyright delcourt

La collection dans laquelle paraît cet album s’intitule : Les futurs de Liu Cixin. Quinze nouvelles de cet auteur adaptées en bandes dessinées… Quinze regards, donc, sur ce que pourrait devenir notre monde dans un futur plus ou moins proche.

On me dit qu’’il s’agit là de l’écrivain de science-fiction le plus célèbre en Chine. Je vois que certains de ses livres, de ses nouvelles, ont été traduits en français, chez Acte Sud entre autres. Je me dois d’avouer que je n’ai rien lu de lui, que cet écrivain, jusqu’à aujourd’hui, m’était inconnu.

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Par contre, Sylvain Runberg fait partie de ces scénaristes dont j’apprécie le travail… Il aime les ambiances sombres, souvent, il aime la science-fiction, surtout quand elle se mâtine de fantastique, voire même d’horreur, il aime l’aventure débridée aussi. C’est un conteur, un vrai, qui construit ses récits en dialogues, certes, mais aussi en collaborations étroites avec ses dessinateurs.

Le dessinateur de cette ère des anges, Ma Yi, est chinois, lui, et il est entré totalement dans l’univers de Runberg.

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Je disais, en préambule, que je trouvais ce livre étrange. Je peux même dire dérangeant…

Le récit se révèle, finalement, assez classique. Un scientifique africain, le docteur Ita, a construit toute sa carrière dans le monde de la génétique, loin de son pays d’origine, la Xambie. Un pays, comme tant de pays africains, pillé sans vergogne par le monde occidental, un pays dans lequel la corruption tue autant que la misère, un pays qui vit au rythme de famines sans fin.

Ce professeur, un jour, abandonne les Etats-Unis et leurs richesses pour retourner chez lui, et tenter d’y trouver une solution à cet état de fait de pauvreté et de dépendance…

Une solution génétique…

Une solution qui, au fil des années, parvient à créer des humains capables de digérer n’importe quoi… De vaincre, ainsi, la faim, ce fléau que les nantis de la terre n’ont jamais su, ou voulu, éradiquer.

Seulement, voilà… Dans le monde de demain imaginé par les auteurs de ce livre, un organisme de l’ONU existe qui gère tout ce qui touche à l’éthique, donc aux manipulations génétiques. Et c’est ainsi que, sa découverte présentée au monde, le docteur Ita se trouve au ban de la société scientifique et son pays attaqué par l’omniprésente et omnipuissante armée américaine.

Seulement aussi, ce savant a gardé des atouts… Et les guerres peuvent changer de rythme lorsque des humains génétiquement modifiés peuvent se faire anges de la mort…

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Et c’est là que ce livre me semble étrange… Parce qu’il pose des questions, certes, mais que les réponses qu’il y apporte tendent à dépasser la seule science-fiction, pour nous donner des jugements et des avis dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont sujets à réflexions, à polémiques, à sombres souvenances historiques aussi…

Pour les auteurs, « créer du vivant n’est finalement qu’une simple affaire de programmation » (sic)… Pour eux aussi, seule l’ignorance est source de haine…

Tout le contenu « moral » de ce livre est extrêmement dérangeant… Bien sûr, il s’agit de fiction pure… Mais il s’agit aussi de nous parler de surhommes à créer pour sauver l’humanité… On se trouve vraiment, dans ce message-là, très proches d’une forme modernisée de l’eugénisme… De ces philosophies qui ont influencé le régime nazi, par exemple… Et je ne vois, dans tout cet album, aucune distanciation entre un discours rassurant et une réalité possible ou pensable qui n’a strictement, elle, rien pour rassurer… Que du contraire ! Puisque la dernière phrase de cet album donne des frissons dans le dos : « Ce sera un âge sublime où les humains voleront au-dessus de nos cités, de nos pays, de nos continents. Et ils profiteront de tout cela pendant une vie qui durera un millier d’années » ! « Tout cela » me remet en mémoire le vœu d’Hitler de voir perdurer le troisième Reich pendant des millénaires, si je ne m’abuse…

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Donc, pour résumer, l’aspect « philosophique » de la science se faisant maîtresse de l’univers est abordé… Mais je dirais qu’il l’est de manière frontale, sans vraie mise en doute… Et cela, oui, me gène aux entournures, terriblement…

J’imagine que l’adaptation de Sylvain Runberg a respecté totalement l’approche de Liu Cixin… Et je ne peux, d’ailleurs, que saluer le travail qui est le sien pour nous offrir une histoire qui tient la route, dans laquelle il n’y a aucun temps mort, dans laquelle les personnages axiaux ont une vraie présence.

Je ne peux aussi que saluer le dessin, d’un réalisme exacerbé, avec un vrai boulot sur la couleur et la construction par séquences, avec une présence très personnelle entre manga et comics américains.

Mais je reste mitigé…

J’aurais aimé autre chose qu’une sorte de revendication sacralisée d’une science qui devrait avoir tous les pouvoirs…

Cela dit, ne boudons pas notre plaisir. J’ai aimé cet album, j’ai aimé être dérangé. Et même en se faisant le chantre de manipulations que j’estime inacceptables, cet album a la qualité de nous faire penser à ce que, demain, nous serons sans doute obligés de refuser… En nous battant, à l’inverse de la lutte du docteur Ita…

Jacques et Josiane Schraûwen

L’ère des anges (dessin : Ma Yi – scénario : Sylvain Runberg d’après Liu Cixin – éditeur : Delcourt – 77 pages)

L’Enfer De Dante

L’Enfer De Dante

Quand deux frères au graphisme somptueux décident de se lancer dans un hommage à une des œuvres essentielles de la littérature mondiale !

copyright Maghen

A partir d’un degré normal de culture, chacun connaît, au moins de titre, « La Divine Comédie », de Dante Alighieri. Une œuvre monumentale dans lequel l’auteur, avec le poète latin Virgile comme guide et mentor, s’enfouit dans les méandres de l’enfer d’abord, dans ceux du purgatoire ensuite, avant de pouvoir retrouver sa bien-aimée, la belle Béatrice, en un paradis, reflet inversé de l’enfer du départ.

L’enfer comme le paradis, en effet, comprend neuf cercles. Alors que le purgatoire, lui, se compose de sept cercles très précis, dans lesquels sont punis les coupables d’orgueil, de luxure, que sais-je encore, tous ces « péchés » empêchant l’homme d’être bon comme il fut cependant créé…

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Ce texte, premier officiellement répertorié en langue Italienne, long poème qu’on peut qualifier d’épique et de tragique, il faut reconnaître que bien peu de gens l’ont lu ! Je ne l’ai, quant à moi, que découvert, il y a des années, partiellement, et sans grande passion littéraire. Mais ce que j’y ai aimé, ce sont les images qui se créaient en moi de tout ce que décrivait Dante… C’est d’ailleurs à la suite de cette (résumée) lecture en adolescence que j’ai aimé, à l’époque, me plonger dans un autre enfer, celui de Jérôme Bosch.

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Et voici donc que deux artistes un peu fous, aux talents conjugués exceptionnels, ont décidé de se lancer, graphiquement, dans une adaptation de ce qui est reconnu comme un des grands chefs d’œuvre universels.

Les frères Brizzi, Gaétan et Paul, sont jumeaux… Totalement complémentaires dans la vie comme dans le travail, sans doute… Même si l’un habite en France et l’autre aux Etats-Unis !

Après avoir, ensemble, travaillé pour l’animation, chez Disney mais aussi en réalisant « Astérix et la surprise de César » en 1985, ils se sont lancés dans des œuvres de bande dessinée, comme l’excellent « La cavale du docteur Destouches » chez Futuropolis, ou des adaptations d’œuvres de Boris Vian. Des albums dans lesquels leur expérience de l’animation permet des envolées graphiques mouvementées, osons le dire…

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Mais avec Dante, l’aventure était osée, osons aussi le dire !

Je pense que, très vite, ils ont compris que créer une narration à partir de l’œuvre originelle était une gageure impossible à gagner. Ils ont alors emprunté une voie que d’aucuns vont peut-être leur reprocher : celle de choisir ce qu’ils avaient envie de raconter en images, celle de laisser des lacunes dans la linéarité du récit, celle de faire des raccourcis rapides… La voie, surtout, de laisser quelques mots de Dante, ici et là, illustrer leurs dessins, alors qu’on aurait pu s’attendre au contraire…

Certes, les extraits écrits de l’œuvre d’Alighieri ont leur importance, ils sont en quelque sorte le fil d’Ariane qui permet au lecteur d’accompagner les frères Brizzi dans les étranges labyrinthes de chairs en souffrance et de décors de pierre, de boue, de fange qu’ils parcourent en compagnie de Dante et de Virgile… Ils rythment, ainsi, à leur manière, ce qui est, en étant montré, raconté, et deviennent également les endroits où l’histoire originelle oublie quelques péripéties, quelques pages, quelques dizaines de pages même, pour laisser la place, en fait, à deux imaginations parallèles et en même temps confondues, celle des idées de Dante, celle du dessin des frères Brizzi.

Mais l’essentiel dans ce livre, ce sont les dessins, ce sont ces noirs et blancs extraordinairement fouillés qui réussissent à créer des univers, au pluriel, dans lesquels l’imaginaire de Dante prend vie avec une évidence étonnante !

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Est-ce de la bande dessinée ?…

Oui, parce qu’il y a un récit, ce besoin qu’a Dante de traverser les Enfers pour retrouver Béarice, et redonner vie à son amour, à l’Amour, en fait, cette œuvre étant une longue fable, chrétienne bien sûr, de la mort prenant son sens par la fusion qu’elle crée entre l’Amour majuscule et le majuscule d’un Dieu qui sans amour n’existe pas…

Non, parce les frères Brizzi ont voulu casser le rythme du simple récit.

Et donc, cet « Enfer » est aussi LEUR interprétation… Un livre d’illustration autour d’un thème précis…

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Et quand je parle d’illustration, les dessins qui peuplent et hantent les pages de cet album méritent assurément de se retrouver à la proximité immédiate des plus grands de tous les illustrateurs !

L’enfer des Brizzi peut tenir la comparaison, au niveau de l’imagination dans le trait, avec l’enfer de Jérôme Bosch, c’est une certitude: autant de vulgarité dans la souffrance, d’innommable dans ce qui est révélé…

Mais l’art des Brizzi appartient aussi à cette famille dans laquelle se côtoient, au-delà des dérives de la Mort, des gens comme Rops, Doré, Cardon, Gourmelin… Voire même, avec ici un trait infiniment plus fouillé, Topor…

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Ce livre, « L’Enfer De Dante » est ainsi, à mon très humble avis, une non-adaptation, mais le résultat d’une véritable inspiration…

Je ne pense pas que je vais essayer de lire l’œuvre originelle…

Les frères Brizzi, en fait, ont réussi avec ce superbe livre, à créer un univers qui devient le leur ! Un livre à ne pas rater!

Jacques et Josiane Schraûwen

L’Enfer De Dante (auteurs : Gaétan et Paul Brizzi – éditeur : Daniel Maghen – janvier 2023 – 160 pages)

Carnet de dames – regards malicieux sur la féminité

Carnet de dames – regards malicieux sur la féminité

Marc Wasterlain, un dessinateur pour jeune public ?… Pas seulement !

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Reconnaissons-le : le Docteur Poche vivait dans un univers fantastique, magique, farfelu, poétique, mais dans lequel la gent féminine n’avait qu’une toute petite place.

Reconnaissons-le aussi : Jeannette Pointu, accorte certes, n’en est pas moins, d’abord et avant tout, une aventurière. Mais une aventurière aux vêtements révélateurs, déjà, de tout l’intérêt graphique que son créateur porte à la morphologie féminine. Que Marc Wasterlain porte à la féminité !

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Et il le prouve, dans ce carnet de dessins qui ne s’intéressent qu’aux dames.

Ne vous attendez pas, cependant, à un livre au réalisme torride, à l’érotisme sournois ! Il n’y a rien de sournois ni de vulgaire dans l’approche que fait Wasterlain des femmes qu’il a croisées, rencontrées, imaginées. Il n’y a que l’envie de leur rendre, à toutes, un véritable hommage tranquille.

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Ce sont des dessins tranquilles, oui, souriants souvent, sexy mais jamais exclusivement. Ce sont des portraits, rapides comme des instantanés, qui nous donnent à voir des femmes au quotidien de leurs gestes. À nous amener, lecteurs, à aller au-delà des seuls miroirs de l’apparence.

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Ces femmes croisées, ici dans leur intimité, là dans la gestuelle la plus naturelle de la vie sociale, réussissent toutes à attirer nos regards, à se révéler, dans leur normalité, tout simplement, sans effets… J’ai beaucoup aimé, par exemple, cette page où, entre deux tableaux de Picasso, une femme en sous-vêtements affriolants, l’air à la fois serein et ennuyé, nous prouve qu’il y a mille manières de considérer la beauté, l’érotisme, le désir.

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C’est bien de cela qu’il s’agit, finalement ; la Beauté ! Mais pas celle que les modes cherchent à imposer plus qu’à magnifier, non ! La beauté sans fards, la beauté de la nudité, la beauté tantôt gracile tantôt ronde, la beauté des regards et des sourires… La beauté, oui, dans toute sa vérité…

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Avec un style reconnaissable entre tous, avec sérieux ou avec humour, Wasterlain nous dresse, à sa façon, un panorama de la féminité, toujours multiple, toujours essentielle, n’en déplaise aux tristes moralisateurs qui, de nos jours, pullulent de plus en plus !

Un livre, donc, à feuilleter avec plaisir, simplement, et pour le plaisir…

Jacques et Josiane Schraûwen

Carnet de dames (dessin : Marc Wasterlain – couleur : Oriana Esposito – éditeur : éditions du tiroir – 2022 – 50 pages)