Dessins D’Humeur – Johan De Moor, potache, lucide, provocateur, observateur !

Dessins D’Humeur – Johan De Moor, potache, lucide, provocateur, observateur !

Johan De Moor a été baigné, dès ses premiers vagissements, dans le monde de la bande dessinée. Mais ce cadre étroit ne convient pas vraiment à son envie de dessiner tous azimuts ! Et dans ce livre-ci, on peut dire qu’il y va, à fond la caisse !

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Le mot « humeur », choisi comme titre à ce livre, est un des mots étranges de la langue française… Etrange, oui, parce qu’il revêt bien des définitions différentes ! De prime abord, l’humeur se définit par une forme de sentiment dominant… Mais cela peut être de manière générale, ou très temporaire. On peut avoir l’humeur égale, mais on peut aussi passer de la bonne humeur à la mauvaise humeur.

En d‘autres temps, la médecine chère à Molière ne jurait que par l’analyse des humeurs du corps.

Et, de nos jours, d’ailleurs, l’humeur, c’est aussi le liquide que contient l’œil.

Un dessin d’humeur, ce n’est donc pas quelque chose de gratuit. C’est le résultat d’un sentiment, d’une colère, d’un amusement. C’est aussi et surtout la continuation graphique d’un regard posé sur le monde, le regard de Johan De Moor, ici, trublion de la bande dessinée belgo-française proche, à la fois, de l’esprit d’une bd flamande outrancière, celle de Kamagurka par exemple, et de l’esprit français à la « Hara Kiri » !

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Donc, vous l’aurez compris, ne vous attendez pas ici à du « politiquement correct », mais, tout au contraire, à des réactions souvent épidermiques d’un artiste face à l’universelle connerie !

Parce que, osons le dire, la cible de Johan De Moor, ce sont les cons… Tous les cons, ceux qui plaisaient à Audiard, ceux qui pérorent dans les salons de la renommée, ceux qui se targuent de culture et n’aiment qu’eux-mêmes !

Mais comme le disait le « philosophe inconnu », nous sommes tous le con de quelqu’un ! Et donc, De Moor ne s’en prend pas qu’à des personnages bien en vue, même s’ils occupent une place de choix dans ce livre, de Trump à Johnson, de Bachar El Assad à Bolsonaro.

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Et le premier « con » qu’il croque dans ce livre, et plus d’une fois, c’est lui-même… Avec un sens de l’autodérision, bien entendu, mais aussi avec une certaine poésie faite de désespérance… Comme dans les toutes premières pages où il se montre, en quelque sorte, face au néant de la beauté, de la sérénité…

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Mais ce qui lui plaît, ce qui l’amuse, c’est de n’oublier personne, et certainement pas celles et ceux qui se croient « bien établis » ! Les amateurs d’art, par exemple… Les « amateurs » d’artistes qui, pour différentes raisons, ont vu leurs œuvres se faire produits mercantiles. Magritte, Peyo, Van Gogh, Giacometti, Mondrian et bien d’autres « grands » sont donc présents dans ce livre. Pas pour souligner leurs propres errances, loin s’en faut, mais, tout au contraire, pour souligner, avec humour, la tristesse d’un monde qui réussit à faire de la pub pour bagnole avec Picasso, un monde dans lequel la société libertaire des Schtroumpfs elle-même devient le symbole d’une morale aseptisée.

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Et c’est cela qui me semble jouissif en une époque où l’interdit et la pensée unique font un ménage (politique) de plus en plus efficace, c’est cela qui me fait sourire tout au long des centaines des dessins de cet album !

Ce que j’aime également, c’est que Johan De Moor nous offre aussi un paysage très étendu de ses talents graphiques… Si certains de ses dessins donnent l’impression d’avoir été réalisés à la va-vite, l’ensemble de ce livre nous permet, surtout, de découvrir un dessinateur qui peut prendre plaisir à un classicisme que son paternel n’aurait pas rejeté, à une construction graphique extrêmement fluide aussi. Et, en même temps, à de la provocation, dans le trait comme dans les mots, qui fait de De Moor un adolescent adorant donner de grands coups de pied dans la fourmilière du quotidien. De nos quotidiens !

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Du climat à la religion, des djihadistes aux journalistes, personne n’est épargné, et c’est tant mieux ! Parce que tout cela est fait avec une humeur qui se révèle être un humour souvent ravageur !

Jacques et Josiane Schraûwen

Dessins D’Humeur (auteur : Johan De Moor – éditeur : Casterman – 256 pages – mars 2022)

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Amy Pour la vie

Amy Pour la vie

Un livre intelligent et tolérant ! Un livre, tout simplement, tous publics, qui fait du bien.

copyright Bamboo

Dans cet album, on découvre une petite fille de 12ans, la brune Amy. On peut dire d’elle qu’elle pratique au quotidien la joie de vivre. Et pourtant, cela ne devrait pas être chose facile, puisqu’Amy est non-voyante. Et c’est son existence au jour le jour qu’on découvre dans ce livre qui, même s’il est destiné à un jeune public, se doit d’être lu par toute une chacune, par tout un chacun !

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Il est vrai que tout cela pourrait donner lieu à un livre mélo, et cela ne l‘est nullement !

L’éditeur Bamboo a l’habitude de proposer des livres pour jeunes, en surfant sur la mode des gags en une page : les blagues de Toto, les Profs, les joueurs de foot, ou de rugby, que sais-je encore… Et j’avoue que ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, comme on dit, même si certaines de ces séries à succès sont réussies, dans le genre.

Mais Bamboo, c’est aussi l’éditeur d’une série exceptionnelle qui parle d’une adolescente qui vit en hôpital, avec d’autres enfants, pour soigner son cancer : « Boule à Zéro », de Ernst et Zidrou. Là aussi, on se retrouve face à un sujet qui aurait pu être larmoyant et qui est, tout au contraire, d’une tendresse fabuleuse.

copyright bamboo

Tout comme ce livre-ci !

On y suit, de page en page, Amy et son chien guide dans la rue, à l’école, avec ses copains, faisant du sport… Plus que des gags, je dirais que ce sont des petites tranches de vie souriantes. Amy va à l’école avec son chien, ce qui provoque un intérêt de la part des profs et de la direction, mais aussi de la part des autres élèves qui font, soudain, de la salle de classe une ménagerie…

Je le disais, rien de larmoyant, même quand Amy et son chien Kita participent à des classes vertes et que l’adolescente se sent « hors-jeu » à cause de son handicap. Mais ses amis lui rendent le sourire en transformant cette classe verte en une classe noire, toutes lumières éteintes le soir, pour que chacun puisse découvrir, réellement, ce que c’est que de ne pas voir… Ce livre, c’est vraiment un ami pour la vie, un ami pour la vue… Et des amitiés qui, pour utopiques qu’elles soient dans la réalité, malheureusement, font réfléchir et donnent l’espoir d’un monde qui peut devenir meilleur.

copyright bamboo

Il n’y a finalement rien d’enfantin, dans ce livre…

Et le côté bande dessinée se complète par des fiches pédagogiques sérieuses, mais traitées avec simplicité… Au sujet des chiens guides, bien sûr, mais pas uniquement. Comment, par exemple parler à une personne aveugle… Il faut lui dire quand on sourit, quand on s’en va…

Et ce qui est à souligner, vraiment, c’est l’humour simple et gentil. Dans le scénario, d’abord, avec un sens très « parlé » de l’écriture et des dialogues. Dans le dessin, évidemment, qui n’est jamais caricatural et qui, non réaliste, réussit de ce fait à faire passer des messages importants.

Je dirais que, à sa manière, ce livre fait l’éloge de la différence… Nous pose la question de savoir ce qu’est la normalité. Au travers, par exemple, de cette réflexion de la part de Louka, un ami d’Amy : « on n’est jamais obligé de faire comme tout le monde »…

copyright bamboo

Oui, c’est un livre agréable, qui fait du bien, qui nous fait croire que nous pouvons rendre notre monde plus habitable qu’il ne l’est…

Jacques et Josiane Schraûwen

Amy pour la vie (dessin, Cécile – scénario : Derache et Cazenove – (très jolies) couleurs : Annelise Sauvêtre – éditeur : Bamboo – 56 pages – avril 2022)

Des Animaux et des Hommes

Des Animaux et des Hommes

Un livre plus particulièrement destiné aux jeunes, mais qui ne pourra que plaire à tous les amoureux de la nature et de la bande dessinée !

copyright Petit à Petit

C’est ce qu’on peut appeler un livre didactique. Mais, surtout, que cela ne fasse peur à personne ! On peut être didactique et amusant, on peut apprendre en découvrant, on peut lire de la bande dessinée en se plongeant dans des univers qui n’ont rien d’imaginaire ! Et c’est bien le cas avec cet album qui réunit dix-huit chapitres… Chacun de ces chapitres étant consacré à un projet de réintroduction d’une espèce animale (ou de recherche sur cette espèce), chaque projet étant présenté par une petite bande dessinée de quelques pages et un dossier illustré de deux pages.

copyright Petit à Petit

A l’origine de ce bouquin, un endroit, en France, le Bioparc de Doué-la-Fontaine. Un endroit qui se veut plus qu’un zoo… Et, de ce fait, il y a toujours une certaine ambiguïté dans ce genre de démarche, que Pairi Daisa, en Belgique, a connue et connait encore : pour pouvoir participer à des programmes résolument axés sur la sauvegarde du monde animal, il faut de l’argent, pour avoir de l’argent il faut fonctionner comme un zoo, et être rentable… Avec tout ce qu’une telle gestion peut avoir de contraignant et de peu respectueux de la condition animale.

Mais, dans ce livre, on ne sent pas cette ambiguïté. Cet album est d’abord et avant tout une aventure humaine et multiple. Le scénariste principal, Pierre Gay, patron du Bioparc, est un individu passionné, qui devient encore plus passionnant par le choix qu’il a fait de laisser à des dessinateurs la liberté de construire leurs récits comme de vrais récits de voyage.

Dès la couverture, comment ne pas être séduit par Frank Pé, Le plus fabuleux des dessinateurs animaliers de nos jours ! Et, d’histoire en histoire, comment ne pas aimer ce que nous racontent, avec des graphismes et des constructions très variés, des auteurs comme Alessandra, Olivier Martin, Geneviève Marot, Titwane, et leurs complices ?

Il n’y a pas d’ambiguïté dans ce livre, il n’y a qu’une passion partagée par plusieurs auteurs, celle d’être les « gardiens de la forêt », en sachant que pour sauver les animaux, il faut d’abord aider les hommes…

copyright Petit à Petit

Mais c’est bien de sauvegarde animale qu’il s’agit. Avec des dessinateurs qui savent de quoi ils parlent, ce qu’ils dessinent. Avec une approche des quatre horizons de notre petite planète, et de toutes les familles, ou presque, du règne animal, de la girafe à la panthère des neiges, des lémuriens aux vautours, des pandas roux aux okapis.

Ce qui est remarquable dans le « message » de ce livre, c’est qu’il est profondément humaniste : grâce aux animaux, il s’agit d’accepter les différences…

Et en défendant la cause animale, les sept dessinateurs de ce livre nous parlent de sujets à la mode sans pour autant sacrifier à l’intransigeance que ces modes peuvent avoir.

Ce qu’ils nous montrent et nous racontent, ce sont des tranches de vie, ce sont aussi des rencontres, des interviews qui n’ont rien de formel, des échanges entre des individus différents les uns des autres. Et à chaque sujet abordé, au-delà de la biodiversité, de l’éducation, de l’humain, il y a un élargissement des points de vue, et une approche, de ce fait, qui offre au lecteur des points de référence auxquels il ne s’attendait pas.

copyright Petit à Petit

Ce livre nous parle de l’homme, de l’animal, de leurs présences face à face, de leurs vies parallèles, et il le fait avec simplicité, sans intransigeance. Et en combattant deux des fléaux de notre époque : les superstitions scientifiques, celles qui attachent des vertus impossibles aux cornes des rhinocéros par exemple, et le mercantilisme, qui utilise la bêtise humaine dans un seul but, un enrichissement inacceptable…

Un livre intelligent, donc, pour les jeunes, et les moins jeunes… Un album didactique extrêmement réussi !

Jacques et Josiane Schraûwen

Des Animaux et des Hommes (album collectif et didactique, aux éditions Petit à Petit… 128 pages – mars 2022)