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Les filles du dessous – de l’érotisme léger ?… Pas seulement !!!

Un immeuble, une ancienne maison de maître, transformée en appartements. Au rez-de-chaussée, deux sœurs, Cindy la délurée et Sylvia la sage… Jusqu’à ce que !…

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Cindy travaille dans un bar et, ma foi, rien ne l’arrête dans sa quête de plaisir… Plaisir des chairs, évidemment, des étreintes sans lendemain, de l’assouvissement des sens sans penser à l’Amour majuscule.

Une belle rousse libre et libérée…

Sylvia, elle, est sérieuse… Comptable chez « Sensualingerie », une société qui fabrique et vend de la lingerie féminine, seuls les chiffres de cette entreprise l’intéressent, des chiffres dramatiquement en baisse.

Une jolie blonde aux pieds bien ancrés dans la réalité…

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Très différentes l’une de l’autre, mais complices malgré tout, elles vivent au jour le jour, observant le monde, les gens qui y passent, et les locataires des autres appartements, comme le beau Daniel, le propriétaire. Une vie banale, somme toute…

Mais un jour, parce qu’une mannequin, trop maigre, a un grave malaise pendant la préparation du nouveau catalogue, la sage Sylvia se voit pratiquement obligée de prendre sa place et de poser, en toute petite tenue, pour une campagne de publicité qui va voir s’exhiber ses courbes partout dans la ville. Jusque devant la maison de ses parents ! Des parents « vieille France », pudibonds bien évidemment !

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A partir de cela, l’histoire peut commencer… Sylvia, poussée par sa sœur qui, de son côté, continue à collectionner les expériences amoureuses, va accepter la proposition qui lui est faite de ne plus être comptable mais directrice de collection, en quelque sorte.

L’histoire peut commencer, oui… Mais l’intérêt de ce livre, au-delà de l’érotisme omniprésent, dans le dessin comme dans le texte, réside aussi dans l’espèce de portrait de notre société qu’il trace de page en page, de péripétie en péripétie.

D’abord, il y a cette demeure, et ses locataires, qu’on découvre peu à peu, au travers de leurs quotidiens qui ne ressemblent pas toujours à ce dont ils ont l’air…

Il y a cette dictature du corps dans la publicité, dans la rue, cette espèce de totalitarisme de la perfection, ou d’une certaine idée de la perfection plutôt, qui fait vivre autant la mode que les médias de toutes sortes.

Il y a la différence de vision de l’existence entre des êtres proches… Le conflit des générations, en partie, mais pas uniquement, loin s’en faut !

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Il y a aussi, et surtout peut-être, le portrait d’une routine qui, au jour le jour, devient comme un carcan autour des sentiments, des sensations, des émotions. A travers le microcosme créé autour de ces deux héroïnes, les auteurs construisent en effet un univers qui est le nôtre… Un monde dans lequel l’érotisme se révèle être la seule opposition à la grisaille des quotidiens.

Parce que, oui, finalement, c’est l’érotisme qui est au centre de cet album…

Mais un érotisme à la « Cindy », pas à la « Sylvia », un érotisme qui ne cherche pas d’alibi culturel pour exister et s’épanouir, un érotisme qui fait la nique (jeu de mots ?…) à la morale…

Oui, les filles du dessous nous disent que la chair, finalement, est bien plus importante dans les joies de l’existence que l’esprit ! Et elles le font en nous montrant des séances de pose, des étreintes rapides, des soirées à trois, des moments torrides dans des clubs échangistes ! Ces filles, à leur manière, nous offrent ainsi un recueil de fantasmes sur fond de réalisme, ou, plutôt, de réalité. Parce que cet érotisme-là, qu’on le veuille ou non, fat aussi partie de ce qu’est notre société. Et parfois de façon très, très inattendue, comme vous le découvrirez dans les dernières pages de cet album.

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Est-ce de la pornographie ?…

Je laisse répondre Cindy : « c’est pas parce que c’est sexy que c’est porno ».

C’est osé, c’est « bon enfant » aussi (expression mal choisie, je le sais, mais je n’en trouve pas d’autre…), c’est humoristique, et imaginatif tout en réussissant, quand même, à ne pas inventer mais à seulement surfer sur le fantasme et certaines réalités…

Ce n’est pas vulgaire… Impudique, oui, sans aucun doute, mais sans vulgarité gratuite, ni dans le propos ni dans le texte.

Un texte dû à Jean-Charles Gaudin, très éclectique dans ses scénarios depuis toujours, et maîtrisant la narration…

Un dessin que l’on doit à Siteb, un dessin non réaliste, qui aime jouer avec les jeux de lumière, qui aime aussi s’attarder sur les visages, les regards et, surtout, les sourires… Et qui s’amuse à dessiner des décors qui, comme au cinéma, mettent en évidence les personnages qui y bougent !…

Des jeux de lumière que l’excellente couleur de Manon Duverdon accentue, de bout en bout…

C’est de la bonne bande dessinée légère, de délassement, qui fait plaisir, simplement… Et de nos jours, n’est-il pas important que le plaisir ait encore sa place dans nos existences à toutes et tous ?

Une bande dessinée que l’on peut presque résumer avec un seul verbe, un joli néologisme découvert dans cet album : « coquiner » !

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Un deuxième tome est attendu, espéré, et, en tout cas, je serai heureux de le découvrir pour savoir comment Cindy et ses parents vont se sortir d’une situation pour le moins délicate !

Jacques et Josiane Schraûwen

Les filles du dessous (dessin : Siteb – scénario : Jean-Charles Gaudin – couleurs : Manon Duverdon – éditeur : Kennes – août 2022 – 32 pages)

Après La Rafle : un livre et une exposition à Bruxelles

Après La Rafle : un livre et une exposition à Bruxelles

Avec un dessin puissant, un livre qui nous parle de l’inacceptable… A découvrir jusqu’au 22 octobre dans La Galerie de la Bande Dessinée – Chaussée de Wavre 237 – 1050 Bruxelles !

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1942. A Paris a lieu une « rafle », l’arrestation de milliers de Juifs, par la police française. Des Juifs enfermés au « Vel d’hiv » avant d’être envoyés vers d’autres camps, antichambres d’une mort annoncée.

Dans la foule de ces humains, des hommes, des femmes, des enfants. Parmi ces enfants, Joseph Weismann.

C’est lui qu’on rencontre dans ce livre qui nous raconte la grande Histoire à hauteur d’enfance meurtrie à tout jamais.

Après la rafle… Un album inspiré donc par les souvenirs de ce gamin qui a vécu l’horreur de la rafle à Paris, l’horreur de l’enfermement, ensuite, dans un camp en France, à Beaune-la-Rolande, la folie de son évasion, enfin…

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Ce livre, bien plus que le triste film « La Rafle », avec Jean Reno, est une réussite, à tous les niveaux.

Adaptation des souvenirs de Weismann, cet album est surtout un hommage à une mémoire brisée, à un être humain qui, au brasier de ses années, n’a jamais pu oublier et veut porter témoignage du besoin, essentiel, élémentaire même, de résister à l’inacceptable.

Avec un scénario qui n’a rien de linéaire, qui, même, se révèle éclaté, comme l’est toute mémoire humaine, finalement, cet album plonge les lecteurs dans la grande Histoire, celle d’une France oublieuse pendant des dizaines d’années de ce que fut réellement la collaboration : des camps de détention qui n’avaient rien à envier à ceux qui se multipliaient dans le Reich d’Hitler, dans le Loiret, en Alsace aussi, où un four crématoire a même « fonctionné » !

Laurent Bidot: le scénario

Deux enfants, perdus dans une guerre à laquelle ils ne peuvent rien comprendre, sont les axes centraux de ce livre de mémoire…

Laurent Bidot: l’Histoire

Mémoire historique, oui, mémoire émotionnelle surtout. Et pour en faire les héros tangibles de ce livre, pour être fidèles aux souvenances de l’enfant Joseph Weismann, Laurent Bidot et Arnaud Delalande ont décidé de tout raconter, par les mots et le graphisme, à hauteur de l’enfance… Une enfance dessinée, ainsi, portant sur le monde qui les entoure, le monde des adultes, le monde des grands, un regard extrêmement attachant.

Laurent Bidot: la mémoire

Et à Bruxelles, donc, c’est ce livre important qui se révèle et s’expose. Un livre que tout monde devrait avoir lu, et faire lire… Un livre qui se montre au travers des dessins de Laurent Bidot, un dessinateur qui a choisi un travail sur le noir et blanc proche de l’expressionnisme allemand pour rendre compte et souvenance d’un « inacceptable » répugnant.

copyright les arènes bd
Laurent Bidot: le dessin

Pour nous donner à voir l’horreur d’un quotidien français que l’Histoire officielle ne remet en lumière que depuis très peu de temps, Bidot choisit la voie de la pudeur et de l’émotion. Totalement dessiné de manière très classique, pour rendre clair et lisible le scénario éclaté, ce livre n’a rien d’un travail de seul délassement, et on sent, face aux cimaises où sont accrochées les planches originales, tout l’engagement qui a été celui de l’artiste.

Laurent Bidot: la pudeur

Ce livre, en fait, c’est un regard… Et même si l’album est paru en couleurs, des couleurs d’ailleurs parfaitement réussies, on ne peut qu’être éblouis par la technique du noir et blanc de ce dessinateur habité véritablement par son sujet. Et éblouis aussi par la fusion tangible entre le témoin, Weismann, le scénariste Arnaud Delalande, et le dessinateur Laurent Bidot… Le tout orchestré, dans le livre, par la couleur de Clémence Jollois.

Laurent Bidot: la couleur

Un livre et une exposition à ne pas rater, donc…

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Jacques et Josiane Schraûwen

Après La Rafle (dessin : Laurent Bidot – scénario : Arnaud Delalande – couleur : Clémence Jollois – éditeur : Les Arènes BD – janvier 2022 – 124 pages)

 Exposition jusqu’au 22 octobre des dessins de Laurent Bidot – La Galerie de la Bande Dessinée – Chaussée de Wavre 237 – 1050 Bruxelles

Alamänder : 1. Mystère A La Tour De L’Horloge

Alamänder : 1. Mystère A La Tour De L’Horloge

Un romancier, un scénariste, un dessinateur et deux coloristes : de la fantasy qui décoiffe !

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Résumer ce premier album n’est pas compliqué.

D’une part, nous avons un mage, Jonas Alamänder, chassé de sa maison, voulant plaider sa cause, et confronté à un mystère digne de Rouletabille. Sa sagesse de mage liée à ses compétences de détective, avec l’aide étrange de Retzel, un horrifiant petit animal de compagnie, tout cela va-t-il suffire à résoudre les énigmes criminelles qu’il découvre ?

D’autre part, nous avons un gamin, Maek, que l’on voit vieillir au gré d’une quête horrifique dans laquelle la mort est omniprésente.

Entre Alamänder et Maek, aucun lien, sans doute. Et 800 années de différences, dans deux mondes qui ne se ressemblent que très peu…

Deux lieux, deux temps, et le TEMPS qui se fait, au fil du récit, un personnage presque palpable…

Tous les albums d’héroic-fantasy se ressemblent souvent. Très souvent. Trop souvent… Et voici qu’en peu de temps, deux séries de ce genre réussissent à leur manière à casser des codes que je trouve, personnellement, très étroits. SOW, inspiré, si je ne m’abuse, d’un jeu vidéo… Et ALAMÄNDER, inspiré d’un roman…

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Alamänder… Personnage qu’on a l’habitude de rencontrer dans le monde de la fantasy : beau, jeune, aventurier, charmant et, bien évidemment, charmeur. Mais voilà… Il est plein d’illusions, ce garçon, et, comme Spirou, il a un compagnon que bien des gens prennent pour un écureuil. Mais Retzel et Spip n’ont strictement rien à voir ! Sinon dans leur propension à manger, dans celle de râler… Pour le reste, vous découvrirez vite que cet hommage à une bd mythique se fait quelque peu gore au fil des pages !

Retzel est le contrepoint d’Alamänder. Un contrepoint total… Aucune sagesse chez lui, aucune utilité non plus, semble-t-il, et de la vulgarité, de la provocation!

Maek… Personnage qu’on a plus l’occasion de rencontrer dans les comics américains les plus sombres qui soient, ceux qui s’intéressent aux tueurs psychopathes. Il semble sorti tout droit des pages d’un « ça » de Stephen King, mais un « ça » dans lequel le clown serait la proie d’un enfant assassin, un enfant, d’ailleurs, qui ne rêve que de cela, une école des assassins !

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Atypique, incontestablement, cette série l’est, qui donne parfois l’impression de se perdre dans sa propre évolution. Il y a des zones d’ombre qui ressemblent à des oublis. Maek est le premier des Hempé, mais qu’est-ce qu’un Hempé ?… Alamänder, au cours de son enquête, parle de bruits que des gardes ont entendus, alors qu’à aucun moment, dans le déroulé de l’action, le scénario n’en parle…

Les auteurs m’ont dit, le sourire aux lèvres, qu’il allait falloir attendre le deuxième tome pour avoir quelques réponses à mes légitimes questions !…

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Cela dit, ce livre m’a bien plu.

Certes, il file un peu dans tous les sens, il pratique à la fois l’humour glauque et la plaisanterie vulgaire, le gore et une certaine forme de tendresse, l’aventure la plus convenue avec des soldats, leurs étranges montures et des monstres hideux, et le meurtre dans un lieu clos cher à Christie comme à Leroux.

Il multiplie aussi les références, avec Spip, comme je l’ai dit, mais avec les folies agricoles que notre univers connaît déjà (des céréales belliqueuses…), il mêle dieux, humains, magie et quotidiens… Il nous parle d’amitiés viriles et d’émois amoureux. Il mélange des mythologies que nous connaissons, grecque et catholique, entre autres, pour en créer une nouvelle…

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Et c’est tout cela qui fait la richesse et la réussite de ce livre. On ne s’ennuie à aucun moment, on a l’impression de se trouver dans une sorte de micmac brumeux qui finit plus par ressembler à un univers ésotérique qu’à de la fantasy, avec un rappel, discret, au Petit Albert…

C’est cette imagination, littéraire d’abord, scénaristique ensuite, graphique enfin, qui lie tout cela en y ajoutant le travail de la couleur…

J’attends donc la suite de cet album, en espérant y trouver les réponses aux « blancs » volontaires de ce premier tome !

les auteurs et leur éditeur

Alexis Flamand et Gihef

Jacques et Josiane Schraûwen

Alamänder : 1. Mystère A La Tour De L’Horloge (dessin : Marco Dominici – scénario : Gihef, d’après le roman d’Alexis Flamand – couleurs : Andrea Celestini et Alessandro Russotto – éditeur : Kamiti – septembre 2022 – 64 pages)