Faune : Contes grivois et autres diableries

Faune : Contes grivois et autres diableries

Du charme, de l’érotisme, de la sensualité, de l’humour à chaque page !

De Boccace à Maupassant, de Rimbaud à Apollinaire, de Sternberg à Seignolle, la littérature a toujours aimé qu’aux mots se mêlent des réalités aux amoralités réjouissantes et jouissives. Maryse et Jean-François Charles renouent ici avec une tradition paillarde dans laquelle s’enfouir avec bien des plaisirs !

Faune : Contes grivois et autres diableries © Kennes

Nous vivons depuis quelques années, il faut bien le reconnaître, dans les arts comme dans le quotidien, une mainmise moralisatrice de plus en plus lourde. La fin des années 60 avait pourtant créé une lame de fond qui avait ouvert la porte, largement, à la liberté individuelle, à la reconnaissance du droit au plaisir, à la sexualité qui n’était plus, enfin, un péché !

Cette marée avait, en même temps, permis à la bande dessinée de se libérer des carcans puissants qui la cantonnaient dans l’espace culturel réservé aux enfants sages.

Faune : Contes grivois et autres diableries © Kennes

Bien sûr, la bd érotique, voire pornographique, existait depuis ses premières créations !

Mais c’était sous les comptoirs que ces livres pouvaient se trouver… Forest et Barbarella n’avaient-ils pas été censurés ? Losfeld n’était-il pas poursuivi pour outrage aux bonnes mœurs, pour ses éditions qui ruaient dans les brancards de la bonne morale et qui remettaient en lumière, aussi, les plus grands des écrivains érotiques depuis des siècles ?

Ah !… Les découvertes de nos jeunesses, lorsque, sur les rayons les plus hauts de certaines bibliothèques se laissait découvrir l’enfer de la littérature ! Des livres sulfureux, souvent illustrés d’estampes : Audrey Beardsley, Félicien Rops, Achille Devéria, Gus Bofa, des noms dont on aimait trouver la signature sous des dessins qui ne se contentaient que rarement de n’être que suggestifs.

Faune : Contes grivois et autres diableries © Kennes

Lorsqu’on y plongeait les regards et les rêves, on ne pensait pas à faire la distinction entre érotisme et pornographie. On se laissait entraîner tout simplement dans des voyages qui nous faisaient comprendre que toute littérature peut se révéler merveilleusement charnelle ! Ce sont ces livres-là que l’après mai 68 a osé rééditer en affrontant une censure de moins en moins hypocrite.

Ce furent des années étonnantes, où prirent de l’expansion le cinéma érotique, d’abord, le cinéma pornographique ensuite, la photo légère et vulgaire, la bande dessinée sensuelle et profondément triviale. Rappelons que, pendant ces années qui, d’ailleurs, sont celles aussi de l’âge d’or d’une nouvelle bande dessinée résolument adulte dans tous les sens du terme, souvenons-nous, oui, que pendant deux décennies la télévision elle-même osa des émissions plus que légères !

Je parlais, en préambule, de quelques écrivains dont, incontestablement, se sont inspirés les auteurs de ce réjouissant « Faune »…

Faune : Contes grivois et autres diableries © Kennes

Maryse et Jean-François Charles renouent, ici, avec cette tradition de rassemblements de personnes qui, pour passer le temps, se racontent des histoires… Des histoires de marins chez Jean Ray, des histoires de chasseurs qui dérivent souvent chez Maupassant, des histoires résolument charnelles chez Boccace ou Chaucer.

Le fil conducteur de cet album, Faune, c’est un pèlerinage… « Nobles ou manants, pauvres ou puissants, le baluchon sur l’épaule et le bourdon orné d’une coquille, nous étions tous pèlerins à nous rendre à la chapelle Saint Aimable. »

Et à chaque arrêt sur la route de cet hommage à un saint qui peut préserver des maux de tête et de gorge, il faut bien que passe le temps… Chaque veillée permet ainsi à l’un des pèlerins de raconter une histoire… Mais ce ne sont pas des récits moralisateurs, loin de là, ce sont des récits faits pour amuser et titiller en chaque chair le désir de sournois plaisirs ! Des aventures qui mettent à chaque fois en scène un faune et son influence active sur les ébats humains !

Je ne vais pas vous résumer chaque historiette, afin de vous laisser le plaisir de les découvrir par vous-mêmes !

Parce que plaisir il y a, c’est évident !

Faune : Contes grivois et autres diableries © Kennes

Le plaisir des mots, d’abord, de l’écriture ai-je envie de dire : sans pour autant être d’une fidélité à toute épreuve au style du langage d’un Moyen-Age plus grivois que courtois, Maryse Charles s’est amusée à en retrouver le rythme, la construction aussi, et, ce faisant, toute la poésie…Une poésie sensuelle, bien évidemment !

Il y a aussi le plaisir des yeux face à un mélange de pages bd et d’illustrations en pleines pages… Jean-François Charles y fait étalage de tout son talent de coloriste, mais aussi d’observateur artistique de l’amour sous toutes ses formes, surtout celles de la nudité et de ses plaisirs en partage !

C’est sensuel, c’est érotique, cela ne cache rien des anatomies du plaisir, c’est souriant, c’est irrévérencieux, c’est amoureux, c’est amusant, c’est réjouissant…

« Faune », c’est une bd qui trouvera sa place dans l’enfer de votre bibliothèque… Ou plus bas, dans les rayonnages, de manière à le feuilleter souvent, bien souvent…

Faune : Contes grivois et autres diableries © Kennes

Le refeuilleter, le relire, oui… C’est d’ailleurs la volonté de Jean-François Charles qui, en toute dernière page, pose une question au lecteur, une question qui ne peut que le pousser à tout relire, à regarder à nouveau longuement chaque dessin !

Jacques Schraûwen

Faune : Contes grivois et autres diableries (auteurs : Maryse et Jean-François Charles – éditeur : Kennes – novembre 2021 – 132 pages)

Elise Et Les Nouveaux Partisans

Elise Et Les Nouveaux Partisans

Un livre « engagé » qui éveille questions et consciences…

Dominique Grange et Jacques Tardi forment un couple dans lequel les fidélités à leurs idéaux de jeunesse restent intacts. C’est chose assez rare, reconnaissons-le, et ce livre-ci en est une preuve éclatante !

Elise Et Les Nouveaux Partisans © Delcourt

En ouvrant mon dictionnaire de référence, en y cherchant la définition du mot « Partisan », voici ce que je trouve : « Personne qui est attachée à une cause, à un parti, à une doctrine, etc., dont elle prend la défense ».

Une cause : celle de la révolte à un ordre établi qui fait preuve d’absolutisme…

Un parti : celui de la revendication d’une forme de liberté, d’un rejet de toute discrimination…

Une doctrine : celle d’une gauche prolétarienne ne se contentant pas de ronronner dans le politiquement correct et s’exprimant avec la volonté, parfois violente, d’être entendue…

L’héroïne de ce livre est une partisane évidente… Une jeune femme qui, à la fin des années 50, découvre Paris, le théâtre, la chanson, et la lutte des classes.

Elise Et Les Nouveaux Partisans © Delcourt

Les réalités qu’elle rencontre ainsi, au fil de ses quotidiens, la poussent, le plus naturellement du monde, le plus simplement aussi, à s’engager.

La guerre d’Algérie, en France, met en avant des haines qui ne font que s’attiser les unes les autres avec la frénésie de la fuite en avant. Et c’est dans ce climat délétère, dans cette ambiance de déraison, dans cet environnement aux violences exacerbées, que la jeune Elise devient militante, quitte le confort quelque peu douillet de son éducation pour se placer aux côtés de ceux qu’elle découvre opprimés par un système politique…

Et voilà comment une existence, de rencontre en rencontre, de manif en manif, devient un combat partisan qui dure et se renouvelle, de la guerre d’Algérie jusqu’à l’espérance de mai 68, jusqu’aux combats plus centrés sur l’ultralibéralisme des années 70 et 80.

Elise Et Les Nouveaux Partisans © Delcourt

Et ce livre, que d’aucuns appellent roman graphique et qui est bien plus une biographie romancée et dessinée, nous parle d’une femme et de son trajet de vie de plus de 60 ans.

Même si le personnage central et omniprésent de ce livre se prénomme Elise, on comprend vite, bien évidemment, que c’est la vie mouvementée de sa compagne Dominique Grange que Tardi a mise en dessin, en scène…

Cela dit, même s’il ne s’agit pas d’un acte narratif volontaire, le prénom d’Elise remet en mémoire un film qui, justement, parlait de cette guerre d’Algérie, des manifestations à Paris pendant lesquelles la police, sur ordre évidemment, a tiré sur la foule, a assassiné en toute impunité des militants qui revendiquaient des droits inscrits normalement dans toute démocratie. Dans ce film de Michel Drach avec Marie-Josée Nat, une jeune femme refuse de vivre la vie bien rangée qui lui est promise, va travailler en usine, se lie d’amour avec un Algérien…

Le canevas du destin de cette Elise imaginée par l’écrivaine Claire Etcherelli est le même, dans son initiale en tout cas, que celui de Dominique Grange…

Elise Et Les Nouveaux Partisans © Delcourt

Prendre le parti de la classe ouvrière, le faire sur base d’une idéologie politique plus maoïste que marxiste, ce n’était possible, pour Dominique-Elise, qu’en vivant réellement aux côtés des ouvriers… Avec son travail, mais aussi sa guitare, ses mots, sa culture, pour mettre le feu à des consciences trop embrigadées dans des compromis syndicaux.

Dominique Grange se raconte… Ou, plutôt, elle a voulu scénariser son existence pour la rendre emblématique d’une époque, certes révolue pour d’aucuns, mais qui lui reste d’une importance capitale, bien plus humaine, finalement, qu’humaniste.

On sait, de l’aveu de Dominique Grange, combien ce travail de mémoire débouchant sur un livre susceptible de rappeler qu’aucune lutte n’est jamais totalement terminée, combien ce livre est le résultat d’une complicité entre elle et Jacques Tardi, qui lui fit bien souvent, m’a-t-elle dit, élaguer son propos initial.

Elise Et Les Nouveaux Partisans © Delcourt

La mémoire est un lieu… Un endroit dans lequel renaissent, de temps en temps, des images oubliées… Des portraits… Un Guy Béart, par exemple, chantant avec Dominique-Elise… D’un Sartre quelque peu opportuniste… Des souvenances aussi de déceptions, de ruptures avec une idéologie de plus en plus doctrinaire, de moins en moins en lutte « pour », de plus en plus en lutte « contre »…

Ce livre, je le disais, est un ouvrage engagé… Très à gauche, dans une gauche de combat qui, de nos jours, laisse de plus en plus la place à une gauche rose bonbon…

Ce livre nous dit, ou nous rappelle pour les plus lucides d’entre nous, que le premier terreau de toute dictature, c’est une démocratie qui perd le contact avec les « gens ».

Ce livre, donc, ne peut que déplaire à pas mal de monde, c’est évident. Les bobos d’aujourd’hui, les bourgeois d’hier ne s’y retrouveront pas.

Elise Et Les Nouveaux Partisans © Delcourt

Mais ce livre est un document… Un regard sur une époque toute proche… Une époque qui n’a pas laissé comme héritage que des tristes sires comme Cohn Bendit…

Cela dit, je me dois de dire que certaines des péripéties, certains des engagements racontés dans ce livre ne correspondent pas à ma propre vision de la société, celle qu’il nous faut encore et encore construire. L’idéologie, quelle qu’elle soit, m’a toujours hérissé, et Elise-Dominique en est parfois, au cours de sa vie, dépendante, aveuglée par des idées qui, finalement, ne sont que des principes. Les dogmes qui l’ont fait évoluer, je pense, profondément, qu’ils ne sont pas moins dangereux que ceux contre lesquels elle s’est battue.

Mais, je le répète, ce livre est important de par le témoignage qu’il apporte. Sur un combat, toujours pluriel… Sur la possibilité qu’on peut envers et contre tout rester fidèle à sa jeunesse, à ses vingt ans…

Elise Et Les Nouveaux Partisans © Delcourt

Qui donc disait, il y a quelques années à peine, qu’il fallait aux jeunes retrouver la force de l’indignation ? Ah oui, Stéphane Hessel ! Un vieux monsieur, totalement oublié de nos jours, dont les indignations ont laissé la place à d’autres indignations parfaitement (et politiquement, au sens large du terme) formatées…

Jacques Schraûwen

Elise Et Les Nouveaux Partisans (dessin : Jacques Tardi – scénario : Dominique Grange – éditeur : Delcourt – 176 pages – novembre 2021)

A écouter : https://www.youtube.com/watch?v=ofwI7yfjvUw

Ballade pour Sophie

Ballade pour Sophie

Un livre à offrir, à s’offrir, une réédition bienvenue! 

Un souffle d’air pur, d’émotion et de poésie

Il y a des livres qui méritent une existence plus longue que celle que les libraires réservent aux nouveautés… C’est le cas avec cette « Ballade » qui se révèle être un superbe petit bijou d’intelligence…

Ballade pour Sophie © Paquet

A Cressy-la-Valoise, petit bourg tranquille, vit un certain Julien Dubois, plus connu dans les médias sous le nom d’Eric Bonjour, star de la musique sirupeuse et passe-partout.

Mais ce pianiste ne fut pas toujours cet histrion parvenu à la notoriété et à la richesse en caressant dans le sens du poil un public sans culture. Jeune, il rêvait à la musique, la vraie, celle qui parle à l’âme plus qu’au portefeuille, celle qui n’apporte de notoriété que lorsqu’elle se révèle jouée avec passion et sincérité.

Ballade pour Sophie © Paquet

Pianiste débutant, il y a plus de 60 ans, Julien a gagné un concours dans cette même bourgade. Mais il l’a gagné par tricherie, de la part de ses parents. Il l’a gagné, ce concours, face à un jeune garçon de son âge, Frédéric Simon. Un génie de la musique, de l’interprétation…

Et pendant toute son existence, Julien Dubois va être déchiré entre deux sensations. L’admiration pour ce garçon qui va devenir une étoile de la musique classique, et une terrible jalousie à son égard.

Et c’est cela que va découvrir une jeune femme qui, se déclarant journaliste, vient interviewer le « maestro » vieillissant.

Ballade pour Sophie © Paquet

Et tout le contenu de ce livre se trouve dans cette rencontre.

Une jeune femme dont on devine très vite qu’elle cherche autre chose qu’une interview…

Un vieil homme qui s’est retiré du monde et de ses gloires imméritées…

Ballade pour Sophie © Paquet

Une gouvernante qui supporte en souriant les mauvaises humeurs de ce vieil homme dont la vie, inéluctablement, se prépareau néant…

Le pianiste génial, et ses courages qui ont toujours manqué à la star romantico-médiatique dont la mort est proche…

On découvre ainsi plusieurs destins, en parallèle, racontés au présent, racontés au passé, aussi, grâce à des flash-backs qui s’intègrent sans heurt à la narration.

C’est donc un livre qui parle de la souvenance. Mais là où, souvent, le souvenir est montré comme infidèle, il s’avère ici extrêmement accroché à la réalité, à la vérité.

C’est également un livre qui parle de la musique, de toutes les musiques, et de la magie éternelle qui naît, d’une part, de l’agencement de quelque sept notes, et, d’autre part, de l’interprétation d’un homme seul à son instrument.

Ballade pour Sophie © Paquet

C’est un livre qui parle de la gloire qui ne doit rien au mérite, au plaisir qui ne doit rien à la reconnaissance.

C’est aussi un livre qui parle de l’âge, de tous les âges, de désirs à accomplir en rêves déchus, de courages tranquilles en tristes lâchetés quotidiennes.

C’est un livre qui parle de la richesse, de l’ingratitude, du pouvoir, de la pauvreté, des rencontres humaines dont on ne découvre l’importance que bien plus tard, quand il est trop tard…

Ballade pour Sophie © Paquet

Et puis, surtout, c’est un livre qui parle, au sens le plus large possible, de l’amour, de la reconnaissance des âmes entre elles. C’est un livre qui nous raconte plusieurs vies au travers d’une seule existence qui ose se dévoiler.

Et, à ce titre, c’est un long poème, littéraire, graphique, musical, même. Un album qui se découvre comme une bd normale et au long duquel, au cours de la lecture, on se laisse entraîner par un rythme très personnel, parfois lancinant, s’ouvrant ici à des envolées lyriques violentes, là à des engourdissements souriants.

Le dessin de Juan Cavia ne cherche aucun effet spécial. Il s’attache, du plus près, aux visages des personnages qu’il dessine. Et ses couleurs, presque tramées à certains moments, donnent de la chair, en quelque sorte, à la musique qui reste le fil conducteur de cet album.

Cette « Ballade pour Sophie » est un poème symphonique et littéraire qui, tel un navire perdu sur l’océan de l’habitude, emporte à son bord toutes les émotions qui font de nous des êtres capables de sentiment, de regards, de mains tendues, de rages et de désespérances.

Mais n’allez surtout pas croire qu’il s’agit ici d’une œuvre sombre… C’est tout au contraire, par le talent du scénariste Filipe Melo, un livre souriant, sans temps mort, passionnant parce que passionné.

Ballade pour Sophie © Paquet

N’hésitez pas à fouiller dans les rayonnages de votre libraire préféré pour dénicher ce petit joyau du neuvième art. Et à le commander, si vous ne le trouvez pas…

« Ballade pour Sophie » fait partie, croyez-moi, de ces livres qu’il faut remettre au premier plan, et qui n’attendent que votre bon plaisir pour vous faire découvrir un récit savoureux et merveilleusement humain !

Jacques Schraûwen

Ballade pour Sophie (dessin : Juan Cavia – scénario : Filipe Melo – éditeur : Paquet – décembre 2021)