Amours Fragiles : 9. Crépuscule – l’épilogue d’une série historique passionnante

Amours Fragiles : 9. Crépuscule – l’épilogue d’une série historique passionnante

Cela fait bien des années que nous suivons les aventures humaines, quotidiennes, d’une série de personnages perdus dans les méandres de la guerre… Voici le moment de les quitter !

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La guerre se termine… La guerre est finie… Et voici que commencent d’autres horreurs, celles de l’après… Avec un talent et une passion inchangés, Jean-Michel Beuriot et Philippe Richelle nous font entrer, spectateurs immobiles, dans d’autres dérives que celles du nazisme et de la résistance, dans des quotidiens nouveaux pour des personnages, jamais manichéens, qu’ils nous ont fait découvrir et aimer ou détester depuis bien des années…

On pourrait presque croire que cette « fin de série » est comme un abandon de la part de leurs auteurs. Mais il n’en est rien… C’est un peu comme si les auteurs, justement, laissaient enfin leurs partenaires de papier vivre les bonheurs qu’ils méritent.

Jean-Michel Beuriot : la fin d’une aventure

Neuf albums, oui, pour nous parler, bien autrement que dans les livres d’Histoire, d’une époque de qui semble toujours prête à renaître.

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Neuf albums, oui, pour nous plonger, loin de toute caricature, loin même de l’héroïsme dont nous parlent tellement souvent les tristes et inutiles successeurs du pompeux Déroulède !… C’est cela qui fait de cette série, de cette saga plutôt, une œuvre importante : elle s’intéresse à des vraies personnes, elle nous permet d’assister à des quotidiens qui devraient être aujourd’hui inacceptables (mais qui, malheureusement, ne le sont pas), elle nous plonge dans un univers où rien, jamais, n’est tout à fait blanc ou noir…

Jean-Michel Beuriot : les personnages

Je ne vais pas tenter, ici, de vous résumer ce neuvième et ultime tome. Sachez qu’on y recroise bien des êtres qu’on a rencontrés dans les albums précédents. Sachez que des surprises y sont nombreuses et que s’y conjuguent des trahisons, des rencontres, des convictions, des utopies aussi…

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Mais, en même temps, c’est un portrait sans faux-semblant qui nous est montré : celui d’une société qui se cherche, et qui, pour ce faire, tombe dans des dérives aussi répugnantes que celles qui furent subies pendant cinq ans de guerre. Ce tome 9 ne résume rien, il nous montre un nouveau marché noir, une justice encore et toujours injuste, des amitiés déçues, des amours impossibles. Le tout sur fond de ruines omniprésentes, celles des bombardements, celles aussi des illusions perdues.

Jean-Michel Beuriot : le tome 9

Après l’horreur, la destruction et la mort, le vrai pouvoir revient : celui de l’argent…

Cette série nous parle, en fait, de nous… Tout en réveillant nos mémoires ou, mieux encore, en permettant à des générations différentes de pouvoir, justement, avoir la mémoire, celle qui est essentielle, celle de nos passés, quels qu’ils soient.

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Et l’héroïsme n’est jamais que le fruit du hasard, quoi qu’on puisse essayer de nous faire croire aujourd’hui dans tous les médias, dans tous les discours politicards… Ce neuvième tome, plus encore que les huit précédents, est un livre sur ce que j’ai presque envie d’appeler « l’anti-héroïsme », ou le « non-héroïsme » ! C’est un livre qui s’est écrit et dessiné à taille humaine, tout simplement… C’est un album qui ponctue parfaitement la thématique globale de cette saga : vivre sans amour, sans amitié, sans l’enfance qui est promesse de futurs, ce n’est pas vivre… Oui, c’est une série sur l’amour… L’amour et la mort, thèmes éternels de toute existence, au-delà de n’importe quelle idéologie… Et c’est ce qui rend cette série lumineuse !

Jean-Michel Beuriot : amour et amitié

Le dessin de Jean-Michel Beuriot est, sans aucun doute, classique… Mais il possède une vraie personnalité qui lui permet d’apporter un contrepoint lumineux à l’indicible de la terreur qui est racontée par son complice Philippe Richelle.

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Son sens du découpage est essentiel, également, pour la lisibilité sans efforts d’un récit dans lequel, pourtant, se multiplient énormément de personnages qui ne sont jamais uniquement des silhouettes. Et il faut aussi insister sur l’importance de la couleur dans la construction-même de la narration… Dominique Osuch, ainsi, participe pleinement à l’aventure de cette série…

Jean-Michel Beuriot : le dessin et la couleur

Jacques et Josiane Schraûwen

Amours Fragiles : 9. Crépuscule (dessin : Jean-Michel Beuriot – scénario : Philippe Richelle – couleur : Dominique Osuch – éditeur : Casterman – septembre 2023 – 76 pages)

Et n’hésitez pas à vous rendre, à Bruxelles, dans une très belle exposition, tout en simplicité, des œuvres de cette série !…

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109 Rue Des Soupirs : 5. Fantômes de soirée

109 Rue Des Soupirs : 5. Fantômes de soirée

Cinquième volume déjà pour une série jeunesse pleine de surprises, de sourires, de rictus et de fantastique bon enfant !

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MR Tan, le scénariste de cette série que l’éditeur qualifie, à juste titre, de gothique et désopilante, est par ailleurs l’auteur de « Mortelle Adèle »… Et je me dois d’avouer que je n’ai jamais lu un seul de ces livres dont le succès, auprès des jeunes, est immense !…

Par contre, je suis totalement conquis par cette série-ci, qui nous emmène dans une maison hantée dans laquelle les spectres, jaloux de leur indépendance et de leur liberté de mouvement, acceptent cependant de devenir les compagnons d’un humain, un gamin trop souvent seul… Les compagnons de bêtises, bien évidemment…

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Dans ce cinquième opus, Elliot, le gamin en question, se retrouve seul, encore une fois, dans cette grande demeure semblant jaillie d’un dix-neuvième siècle décadent… Seul, sans ses parents, en tout cas, mais avec ses quatre fantômes, la tonitruante diva Eva, le raffiné Angus, le costaud Walter, et l’efficace Amédée. Et voilà qu’en face de chez eux arrivent de nouveaux voisins…

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Des voisins particulièrement envahissants… De manière sonore, en tout cas ! Des jeunes fêtards qui font de chaque soirée un agglomérat de sons discordants empêchant Elliot et ses amis fantômes de profiter d’un sommeil réparateur… Elliot peaufine alors un plan pour faire s’arrêter ce vacarme pourrissant ses nuits… Un plan simple : pénétrer chez ces voisins, et, en unissant leurs cinq forces, démolir les enceintes musicales et éteindre définitivement leurs intempestifs décibels.

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Mais voilà, trois des quatre fantômes se laissent happer par l’ambiance de cette fête… Pars un monde qu’ils ne connaissaient pas, celui des réseaux sociaux et de leurs modes autant « virales » qu’éphémères. Walter et son look de brute épaisse fait merveille dans de folles chorégraphies. Eva devient influençeuse de « feel-good », et Angus devient créateur de sandwiches époustouflants… Seule Amédée reste active dans l’accomplissement de leur mission…

Cela dit, tout va finir quand même par s’arranger, malgré l’arrivée d’une horrible chasseuse de fantômes… Et dans un fracas qui démolit totalement la maison des voisins d’Elliot. Enfin, quand je dis que cela s’arrange, il faut y mettre un bémol que vous découvrirez en lisant cette excellente bd!

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Ce que je trouve particulièrement réussi dans cette série, et dans ce cinquième tome plus spécifiquement encore, c’est le talent d’écriture de Mr Tan, et cet humour noir omniprésent et terriblement jouissif… Avec, grâce à une voix off, une sorte de mise en abyme, de la part de l’auteur, très réjouissante ! Et j’aime cet humour qui reste bon enfant, tout en utilisant pleinement, pourtant, les codes des livres et des films d’horreur…

Et c’est au travers de cette trame horrifique que le scénario s’ouvre, aussi, sur une espèce de portrait critique de notre monde… Des parents absents, par exemple, dont Elliot, le gamin, dit que, s’ils avaient été là : « pour une fois, ils auraient servi à quelque chose » ! Portrait de notre société accrochée à la virtualité des téléphones portables… Des « like »… De cet univers étrange que découvrent les fantômes et dont Eva dit : « à force de regarder le monde à travers leurs écrans, ils en oublient de le vivre ».

Je pourrais multiplier les citations qui font de ce livre un « lieu » hanté par une intelligence qui n’a rien d’artificiel… En voici encore deux pour vous mettre l’eau à la bouche !

A propos des réseaux sociaux : « c’est un endroit si vide qu’un rien prend une ampleur hallucinante »…

Ou encore ce dialogue :

« – C’est horrible, il y a comme des voix dans ma tête.

– Ça s’appelle des pensées ! »

C’est une fable, à sa manière, comme en écrivait La Fontaine, avec une morale qui n’a rien de moralisateur…

Le dessin de Yomgui Dumont est vif, pleine de mouvements, de trouvailles typographiques, aussi… Il file dans tous les sens mais reste de bout en bout parfaitement lisible. Et les couleurs de Drac en font véritablement un objet que le jeune public ne peut qu’aimer…

Avec cette série, je pense vraiment que la bande dessinée « jeunesse » trouve pleinement sa raison d’être… Et je suis certain, aussi, que les « parents », les « vieux » y trouveront bien du plaisir, y retrouveront, qui sait, une part de leur enfance, de leurs enfances…

Jacques et Josiane Schraûwen

109 Rue Des Soupirs : 5. Fantômes de soirée (dessin : Yomgui Dumont – scénario : Mr Tan – couleurs : Drac – Casterman – 127 pages – septembre 2023)

Ceux qui me touchent: chronique radio sur La Première RTBF

Ceux qui me touchent: chronique radio sur La Première RTBF

Il y a eu ma chronique écrite, avec interview de Laurent Bonneau. Voici, à regarder et à écouter, mon intervention sur l’antenne de la RTBF, ce samedi 16 septembre à 07h37… « Ceux qui nous touchent« : Un livre, réellement, à ne pas rater, un livre super et superbement intelligent, un livre à contre-courant de toutes les modes imbéciles…

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Jacques Schraûwen