L’Alibi – une plongée, en dix histoires, dans l’univers du mensonge

L’Alibi – une plongée, en dix histoires, dans l’univers du mensonge

Bien des circonstances de la vie nous poussent, parfois, souvent, à nous trouver des excuses, à nous inventer des alibis… En voici dix qui, eux, n’ont pas grand-chose à voir, heureusement, avec nos petits quotidiens !

copyright philéas

Parce qu’ici, avec ce livre construit comme un recueil de nouvelles dessinées, l’alibi dépasse les simples aléas d’une vie « normale ». Ils sont bien plus ce que le besoin de survie est à la construction d’un polar, d’un récit sombre comme la mort ! Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : la mort, sous dix formes différentes, et les efforts insensés que des coupables font pour ne pas avoir à la subir eux-mêmes !

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14 auteurs, scénaristes et/ou dessinateurs, ont donc été choisis par l’éditeur Philéas pour nous livrer une sorte de tranche de vie dans laquelle l’invention d’un alibi est l’axe central. Dix récits, très différents les uns des autres, mais qui construisent un album dont la construction narrative, cependant, est bien réelle. On part des contes de l’enfance, avec Richard Guérineau, dont le dessin, fort différent de son superbe « L’ombre des lumières », actualise, triture, détruit et détourne un chaperon rouge sans aucune naïveté… Et on arrive, en dernière « nouvelle » dessinée, à l’ailleurs, à ce jugement que l’on dit dernier, dessiné par l’excellente Jeanne Puchol, dont le dessin, d’un froid réalisme, nous plonge, pudiquement pourtant, dans les affres d’une enfance meurtrière…

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Entre ces deux récits, ces deux alibis, huit autres petites histoires nous sont contées, dans des narrations très différentes, je l’ai dit, les unes des autres. Jack Manini détourne à sa manière le mythe de l’alibi parfait. Laurent Astier et son complice Xavier Bétaucourt revisitent froidement la thématique de l’adultère, tout comme Olivier Berlion. Jimmy Beaulieu s’emberlificote dans un récit plus traditionnellement policier, avec un dessin et un scénario qui, pour moi, sont malheureusement le maillon faible de cet album.

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Il y a ensuite Thierry Robin qui remet la qualité à l’honneur, en nous parlant de mort, d’erreur judiciaire, et de football, le tout dans une ambiance à la fois morbide et d’un humour désespéré. Benoît Blary et Laurent Galandon, eux, inspirés quelque peu par Simenon, nous parlent des détails quotidiens de la haine. Vincent Froissard et Etienne Le Roux prennent le relais avec un récit qui nous montre les horreurs derrière le rêve, donc derrière l’enfance, dans un cirque où chacun, finalement, veut aimer et n’arrive qu’à haïr. Et puis, il y a Séverine Lambour et Benoît Springer qui semblent nous parler de folie humaine, mais qui, plus profondément, nous décrivent avec émotion un amour qui refuse de s’effacer…

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Parce que, en définitive, au-delà même de l’alibi sous toutes ses formes, au-delà aussi de l’illustration réussie du mensonge sous plusieurs de ses aspects, c’est un livre qui nous parle d’amour… De haine, également, bien évidemment, l’un et l’autre se révélant les deux faces d’un miroir qui nous renvoie toujours nos propres reflets ! A ce titre, les dix nouvelles dessinées de cet album en font un livre étonnant… Par ses différentes ambiances… Par cette certitude que les dix histoires racontées nous imposent de l’inéluctable finalité des tout alibi, de tout mensonge, donc de toute existence…

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Je le redis : ce livre est une vraie réussite. Il se lit avec plaisir, d’une traite, il frémit de mille existences que nous croisons, qui auraient peut-être pu, qui sait, être les nôtres… Graphiquement, scénaristiquement, il n’y a pratiquement rien à jeter dans ce livre. Au contraire ! Il nous permet aussi de voir évoluer des auteurs dans des univers qui ne sont pas vraiment les leurs. Le talent n’a pas besoin d’alibi, et ce sont les talents conjugués de 14 artistes qui font de ce livre une superbe réussite !…

Jacques et Josiane Schraûwen

L’Alibi (14 auteurs – éditeur : Philéas – novembre 2023 – 121 pages)

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Brigantus – 1. Banni

Brigantus – 1. Banni

Hermann, depuis longtemps maintenant, aime se plonger dans les méandres les plus sombres de l’humain, de l’humanité. Et le voici nous plongeant dans un premier siècle de notre ère… Sans âme…

copyright lombard

Je ne redirai pas tout ce que Hermann a apporté à la bande dessinée.

Je ne parlerai pas de son trajet absolument époustouflant qui l’a conduit de récits historiques de quelques planches à Bernard Prince, de Comanche à Jeremiah, des Tours de Bois-Maury à des « one-shot » somptueux…

Je ne parlerai pas des scénaristes desquels, au fil des années, il s’est éloigné pour devenir un auteur complet.

Je ne parlerai pas de cette manière qu’il a créée et qui n’appartient qu’à lui, de raconter des histoires en choisissant la couleur comme vecteur essentiel d’une narration qui, pour lente qu’elle ait l’air d’être, s’enfouit au plus profond des personnages qu’il fait vivre et mourir pour nous.

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Dans cette histoire-ci, Hermann refait équipe avec Yves H., son fils, auteur du scénario… Un auteur qui, au fil du temps, s’est affiné et réussit, ici, à nous raconter une histoire totalement fusionnelle avec les centres d’intérêt de son père… Une belle réussite, une belle complicité…

copyright Lombard

Cette histoire, c’est celle d’un légionnaire romain aux origines incertaines, en une fresque prévue en deux tomes, cette histoire, c’est le portrait d’un homme, en une époque aux bases historiques réelles, mais n’étant présentes que comme toile de fond d’un tableau que Hermann nous dresse des sentiments humains les plus effroyables.

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Des sentiments humains déshumanisés, et totalement universels, de ces sentiments de haine, de mort, de peur, d’horreur, de violence, qui, de nos jours, emplissent, avec une subjectivité indigne souvent, les unes de nos journaux et les informations télévisées…

Hermann s’écarte, comme il le fait toujours, de la bonne pensée, de la philosophie tellement d’actualité et tellement facile du blanc et du noir, du juste et de l’injuste. On pourrait croire de cet auteur qu’il est manichéen… Mais il n’en est rien, loin s’en faut ! Il n’y a pas chez lui de super-héros, de bons et de méchants ! Que ce soit Jeremiah ou Brigantus, ceux qui deviennent les pivots de ses récits sont toujours ambigus, toujours malades des failles que la vie leur a imposées.

copyright lombard

Cet album nous mène en Ecosse, dans les années 80 après Jésus-Christ. En territoire Picte, une colonne de légionnaires en route vers un camp retranché se retrouve attaquée par les tribus locales qui, cruelles autant que violentes, autant que les envahisseurs romains d’ailleurs, les attaquent sans cesse… Dans cette colonne, un homme, Brigantus, que ses collègues militaires romains harcèlent… Un homme puissant, un homme que la vie a taillé pour combattre, pour tuer, sans réfléchir, pour être fidèle aussi. Un homme qui pourtant, rêve de lumière… Celle de l’Amour, peut-être, celle de l’enfance, aussi, certainement…

copyright lombard

Le scénario est linéaire… Et, pour lui donner vie, Hermann joue, comme toujours, mieux encore même, avec les couleurs, somptueuses, les flous brumeux des paysages comme des sentiments… Il jour avec les perspectives… Avec les trognes, ce qu’expriment comme vilénies les sourires de ses « seconds rôles ».

Hermann est dessinateur… Il est, ce faisant, peintre de réalités qui semblent inhérentes à l’âme humaine…

A moins, qui sait, qu’arrive cette lumière qu’attend Brigantus, que jaillisse des ombres d’une île, symbolique de toute existence, la lueur d’un espoir…

Qui sait ?…

Jacques et Josiane Schraûwen

Brigantus – 1. Banni (dessin : Hermann – scénario : Yves H. – éditeur : Le Lombard – 56 pages – janvier 2024)

Bidouille et Violette – Une romance adolescente qui n’a attrapé aucune ride !

Bidouille et Violette – Une romance adolescente qui n’a attrapé aucune ride !

Nous avons toutes et tous des lectures qui nous ont marqués, qui restent ancrées à nos mémoires… J’en ai plusieurs… Parmi elles, cette bande dessinée que j’ai lue jeune et que j’ai fait découvrir à un ami, et à sa fille…

copyright van eeckhaut

Lire, c’est vivre un peu plus… Ce n’est pas s’échapper du quotidien, c’est réussir à le regarder autrement, en acceptant que d’autres regards puissent avoir autant de valeur que les nôtres.

Lire, c’est aussi se retrouver soi-même en des lignes qui, étrangement, nous décrivent et nous racontent mille fois mieux que ce que nous pourrions faire nous-mêmes.

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Ainsi, ce sont des livres de toutes sortes qui ponctuent nos âges et nous restent présents au fil des années.

Je ne vais pas m’amuser à tous les citer, de Léautaud à Baudelaire, de Vian à Alain-Fournier, de Gérard Prévot à Léo Malet.

Du côté de la bande dessinée, je l’ai déjà dit ici, j’ai été marqué, dès la prime enfance, par les Aventures de Thierry de Royaumont.

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A la fin des années 70, je me suis reconnu, terriblement, dans une série dessinée par Bernard Hislaire: Bidouille et Violette, une série poétique, souriante, intelligente qui était -et reste- l’image de la fin de l’adolescence et l’image de l’Amour.

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Hislaire, depuis, a changé légèrement de nom… Je me souviens qu’il m’a dit un jour que Bidouille et Violette était une œuvre de jeunesse… L’air de dire que c’était une histoire dépassée…

Il n’en est rien, loin s’en faut, et je le lui ai dit… En lui disant combien ce livre avait marqué ma jeunesse, et celle de bien d’autres garçons et filles, dont mon épouse.

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En voulant faire découvrir Bidouille et Violette à un ami, j’ai eu la preuve de ce que j’avançais il y a des années. Cette histoire d’amour improbable et poétique touche encore de nos jours, et pas seulement par nostalgie ! Cette preuve, je vous l’offre aujourd’hui, simplement, en mot nés de la plume d’une jeune fille, Aleksandra… Du haut de ses neuf ans, voici ce qu’elle en dit, tout simplement…

« Bidouille est un garçon grassouillet qui est amoureux d’une fille, Violette. Bidouille se demande ce que cette fille lui trouve, parce qu’il n’est quand même pas très beau, et qu’il est timide. Mais il fait des poésies incroyables que Violette adore ! Et Bidouille ne se concentre plus sur ses maths, mais plutôt sur ses écrits pour Violette.

Comment tout cela est-il arrivé ?

A l’école, dix garçons de 15-16 ans sont amoureux de Violette, et la retrouvent à la fin des cours, ce que Violette trouve vraiment fatigant. Bidouille, lui, la rencontre par hasard à la friterie de son père. Et c’est le coup de foudre !

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J’ai beaucoup aimé Bidouille et Violette, car j’aime bien les personnes timides, et j’aime tous les efforts que Bidouille fait pour se rapprocher de Violette. Rien ni personne ne les séparera, pas même leurs parents !

C’est une belle histoire d’amour, même si elle finit mal. J’aurais aimé qu’il y ait un cinquième tome. »

Il n’y a rien à ajouter à ces mots d’Aleksandra !

Il y a simplement à vous conseiller de lire et de faire lire cette série d’il y a quelque quarante ans et qui ne vieillit absolument pas !

Aleksandra Van Eeckhaut (avec Jacques et Josiane Schraûwen, amoureux, eux aussi, de Bidouille et Violette)

Bidouille et Violette (auteur : Bernard Hislaire – éditeur : Dupuis – Les premiers mots, les jours sombres, la reine des glaces, la ville de tous les jours, parutions de 1981 à 1986 – intégrale chez Glénat en 1996)