« L’illustratrice et autrice de BD Anouk Ricard a reçu ce mercredi 29 janvier la récompense suprême du 9e Art: le Grand Prix du Festival International de la BD d’Angoulême.
Une consécration pour une artiste discrète dont le travail est pourtant connu de tous sur les réseaux sociaux. » (sic)
copyright anouk ricard
Et donc, c’est à une extraordinaire dessinatrice, à la technique sans faille, que ce prix, censé récompenser un(e) artiste pour l’ensemble de son oeuvre, pour l’apport, donc, que cette oeuvre a offert au neuvième art! Mon avis personnel est aussi simpliste que l’art de cette gagnante: Angoulème est vraiment descendu(e) bien bas! A force de suivre les modes, on finit par précéder une mort annoncée… Tel est en tout cas mon désir, et devrait, je pense, être celui de bien des vrais auteurs, femmes et hommes de la bande dessinée!
Les images sont, bien évidemment, copyright Anouk Ricard…
Des milliers de dessins, des techniques très différentes les unes des autres, du réalisme puissant et de l’humour léger, de la poésie et de l’observation… C’est tout cela qui fait de Pierre Joubert un illustrateur qui a marqué de son talent le vingtième siècle !
copyright pleinvent
Un jour, il y a bien longtemps, je devais avoir onze ans… J’étais louveteau et, dans la bibliothèque de mon unité scoute, un livre a attiré mes regards, par sa couverture… Je l’ai emprunté… Il s’appelait « La mort d’Eric », était signé par Serge Dalens, et illustré par Pierre Joubert.
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En quelques pages à peine, je suis devenu accroché du cœur et du rêve à cette collection, « Signe de Piste », et à ce dessinateur qui, pour le gosse déraciné un peu paumé que j’étais, réussissait à créer des rêves d’aventure et d’amitié… Des rêves qui ne m’ont jamais abandonné, comme ne m’a jamais abandonné la passion que j’ai pour ce dessinateur exceptionnel !
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Et si j’ai lu, ensuite, les aventures de Bob Morane, c’était parce que les couvertures étaient dessinées par Joubert… Je me suis laissé dire qu’Henri Vernes, parfois, changeait un peu son texte pour qu’il corresponde au dessin de Joubert… Lorsque j’ai rencontré ce prolifique écrivain, il ne m’a pas contredit, il s’est contenté de sourire…
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Un jour, la commune d’habitation d’Henri Vernes, Saint-Gilles à Bruxelles, a annoncé en grandes pompes et en petits fours la décision de créer une fresque rendant hommage à cet écrivain au travers d’un dessin… Un dessin que les intellectuels fatigués de cette commune avaient attribué à Forton, chose imbécile que j’ai corrigée pendant ce petit pince-fesses, puisque c’était de Joubert qu’il s’agissait… Cette fresque murale et citadine n’a bien évidemment jamais vu le jour, la politique démontrant sa richesse par le nombre de ses promesses non tenues !
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J’ai, quelques années plus tard, passé une journée avec Pierre Joubert, pour la préparation, sous la houlette du journaliste Gérard Valet, d’un film documentaire qui aurait dû lui être consacré, ce que la triste frilosité des penseurs des médias télévisés n’a pas permis. J’ai rencontré là un homme souriant, intègre, humble aussi… Presque étonné du nombre de ses dessins mis en banc-titre par Gérard Valet…
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Vous me direz que Pierre Joubert n’a rien à voir avec la bande dessinée… Je lui avais demandé, d’ailleurs, à l’occasion de cette journée, pourquoi il n’avait jamais fait de bd… Il m’a répondu, simplement, le sourire au coin de l’œil : parce qu’on ne me l’a jamais demandé… Sans doute n’a-t-il jamais, en effet, dessiné une vraie bd, avec bulles, etc., mais, par contre, l’influence qu’il a eue auprès de bédéistes essentiels est indéniable ! Des artistes qui lui ont rendu hommage, en 1987, dans un superbe livre intitulé « Les Chemins De L’Aventure ».. Pleyers, De Moor, Mitacq, Juilliard, Piroton, Follet, Vandersteen : rien que du beau monde ! Auquel on peut rajouter Hermann, Lepage, Pellerin… Et d’autres encore! Jusqu’à Levis!
copyright pleinvent
Pierre Joubert a accompagné mon existence… Je partageais avec Josiane cette passion pour un artiste dont le talent était de parvenir, en un dessin, à raconter une histoire… Joubert ne se contentait pas d’illustrer un propos, un extrait… Il résumait en une couverture tout ce que le livre allait pouvoir offrir à ses lecteurs… Il exprimait, en une illustration intérieure des livres de la collection Signe de Piste, un moment du récit, certes, mais en y ajoutant, comme si de rien n’était, l’intensité des sentiments que ce moment racontait… Les illustrations de Joubert, à ce titre, n’ont jamais été un complément pour les livres qu’il a illustrés, mais bien plus une continuité, une envolée de l’imaginaire de Joubert face à l’imaginaire d’un écrivain…
copyright schrauwen
Et donc, voici, après bien des livres qui lui ont été consacrés, deux nouveaux albums à ne pas rater par tous les amoureux du dessin ! Deux volumes, pour une rétrospective chronologique de toutes les aventures éditoriales, mais surtout graphiques, de Pierre Joubert… Une rétrospective qui, en deux opus donc, nous conduit de l’année 1927 à l’année 2000. 73 années pendant lesquelles un homme a passionné des générations de lecteurs, en leur faisant partager ses propres passions! Et ces deux livres nous font ainsi entrer dans tous les univers de Joubert…
copyright pleinvent
Bien sûr, le scoutisme occupe une place prépondérante dans l’œuvre, et la vie, de Pierre Joubert. Le scoutisme, oui, et ses valeurs d’aventure, mais de solidarité, d’amitié, de résistance aussi à des normes sociétales et parentales trop pesantes parfois… Ce scoutisme qui évolue au fil du temps, parfois bien, parfois mal, mais qui reste accroché à l’âme de tous ceux qui y ont trouvé, non pas un idéal, mais une forme fondamentale de tolérance…
copyright pleinvent
Mais Pierre Joubert, c’est aussi de la publicité… Des couvertures de chez Marabout, du western extraordinaire de Pierre Pelot, Dylan Stark, entre autres… Des couvertures et des illustrations pour des tas de revues… Des calendriers scouts de Belgique… Des croquis de voyage… Des livres sur l’héraldique et sur la marine… Des couvertures pour des éditeurs comme « Presses de la Cité »… Oui, Pierre Joubert a même illustré des couvertures de romans de Konsalik ! Et c’est tout cela qu’on retrouve dans ses deux livres somptueux ! Avec, en point d’orgue, l’extraordinaire livre que Joubert a consacré aux ivresses de Rimbaud!
copyright joubert/pleinvent
J’ai adoré me perdre dans cette chronologie artistique… J’ai adoré sentir se réveiller bien de mes souvenirs qui m’ont permis, aujourd’hui, d’avoir la certitude de ne pas avoir trahi le gamin ébloui par Joubert que j’ai été. J’ai été heureux de ne pas trouver (mais peut-être est-ce une erreur de ma part) dans ce diptyque, deux « œuvres » de Joubert qui trônent sur une de mes bibliothèques : « Badge D’Or » et « Le Jeu des Ayacks » !
copyright joubert/schrauwen
J’ai adoré ces deux livres… Et j’ai la certitude que vous ne pourrez que faire de même ! En découvrant, par exemple, au détour d’une page, une couverture que Joubert, à la demande de Fromental, a un jour dessinée pour une revue qui, pourtant, n’appartenait vraiment pas à son univers, Metal Hurlant…
copyright joubert/pleinvent
Ne ratez pas ces livres… Ils rendent hommage, avec une iconographie impeccable, à un artiste complet, dont les chemins continuent et continueront pendant longtemps à s’offrir aux pas des amoureux du dessin !
Un tel titre ne cache pas, en effet, que le récit dans lequel on va se plonger se fiche totalement de la bienséance, détournant sans détours la fameuse annonce de l’élection d’un nouveau pape.
copyright dargaud
Oui, avec ce diptyque, vous allez pouvoir vous plonger dans un récit pour le moins iconoclaste ! Ce n’est pas d’un pape qu’il s’agit dans cette histoire, dont le deuxième et dernier volume s’intitule « un cœur sous une soutane ». Ce n’est d’ailleurs nullement d’un homme de Dieu qu’il s’agit ! Mais d’un homme de main qui débarque dans une petite cité, sous le nom de Père Philippe… Et au début de l’histoire, tout ce qu’on sait, c’est qu’il fuit quelque chose… Quelqu’un… Et que ce tueur à gages pense trouver, en jouant le rôle d’un prêtre, un abri sûr…
copyright dargaud
Disons-le tout de suite : ce mélange entre deux mondes, celui de la religion et celui des truands, ce n’est pas une nouveauté. Le cinéma, par exemple, a utilisé bien des fois cette thématique faite d’opposition de réalités, d’idéologies, d’univers même. Les exemples ne manquent pas : La Main gauche du seigneur, par exemple, avec Humphrey Bogaert… Ou Pale Rider de et avec Clint Eastwood… Ou encore la nuit du chasseur avec Robert Mitchum… Mêler ainsi la religion et la violence n’est, c’est vrai, pas chose nouvelle, ni dans le cinéma, ni dans la littérature… La série Soda ne nous montre-t-elle pas, avec talent, depuis des années, les aventures d’un policier qui se fait passer pour un prêtre?
copyright dargaud
Et donc, qui dit thème connu, impose, pour qu’un album nouveau mérite le détour, d’indubitables qualités. Et c’est le cas ici, avec le dessin de Sylvain Vallée, le scénario de Jacky Schwartzmann et les superbes couleurs d’Elvire De Cock. Ce livre, résolument, se veut totalement amoral, immoral même… Ce n’est pas de sabre et de goupillon qu’on parle, mais de flingue et de crucifix. Le scénario est touffu, semble filer dans tas de sens différents, dans des tas d’histoires qui paraissent n’avoir aucun rapport entre elles et s’entremêlent jusqu’à une fin en apocalypse encore plus iconoclaste que tout le reste de cette mini-série en deux albums ! Il y a des morts, de la drogue, des jeunes pas du tout paumés, des entrepreneurs véreux, des truands avides de vengeance, des paroissiens étonnés… Il y a un dialogue à la Audiard, l’humour des mots en moins mais le réalisme sanglant en plus… Cela aurait pu être une histoire très noire, et ce l’est en partie, mais en lorgnant vers Tarentino et son ami Rodriguez…
copyright dargaud
Avec des planches éclatées comme l’est l’action, avec des jeux de perspective nombreux, avec un graphisme au plus près des expressions des personnages, ce livre est enthousiasmant ! Une belle réussite, sans aucun doute possible ! Endiablée, l’histoire qu’il nous raconte nous emporte de bout en bout sans temps mort. Tous les personnages créés au fil des pages, truands notoires, gitans, croyants, athées, profiteurs, même les plus humbles, les plus éphémères dans la trame du récit, ont une vie propre, un langage personnel, une manière de bouger qui fait qu’ils ne sont jamais uniquement des silhouettes ! Et le travail du scénario comme celui du dessin, parvient à créer plusieurs univers côte à côte sans que le lecteur, jamais, ne s’y perde.
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Une excellente histoire en deux tomes, donc, qui vous fera passer, j’en ai la certitude, d’excellents moments !
Jacques et Josiane Schraûwen
Habemus Bastard (dessin : Sylvain Vallée – scénario : Jacky Schwartzmann – couleurs : Elvire De Cock – éditeur : Dargaud – deux tomes – octobre 2024)