Hitler

Hitler

L’humour et l’horreur peuvent-ils cohabiter?… La réponse est » oui », mille fois oui, avec ce livre qui raconte et prévient: ne reproduisons pas les horreurs d’hier!

Hitler © Dupuis

Bernard Swysen et Ptiluc nous racontent la véritable histoire vraie de Hitler, dans une collection consacrée aux méchants de l’histoire (et de la littérature…), avec Caligula, Dracula, Attila, déjà parus.

Ce livre s’inscrit dans une vraie filiation avec deux autres albums qui, de la même manière, avaient parlé du nazisme en transformant les humains en animaux… Il y a l’extraordinaire et extraordinairement « dur » Maus, de Spiegelman… Il y a eu, largement avant, le formidable « La Bête est morte », de Calvo, paru en 1944…

Le but de ces livres est de raconter, certes… Avec un dessin souriant, l’horreur ne devient pas acceptable, mais accessible… Donc capable de faire réfléchir… Et de dire haut et fort que l’Historie devrait ne jamais se répéter! A la fin de l’album, d’ailleurs, il y a un dossier historique qui complète la réflexion… Et, il faut le souligner, ce livre est historiquement sans failles… C’est la véritable histoire vraie d’un monstre qu’il nous raconte, oui !

Pour Bernard Swysen, le directeur de cette collection et le scénariste de ce Hitler, le but de ce livre n’est pas de créer la polémique… Mais, plus essentiellement, de servir de sonnette d’alarme, en une époque où se démocratisent, en quelque sorte, tous les intégrismes, tous les racismes, toutes les haines… On l’écoute…

Bernard Swysen: le scénario

Bernard Swysen: sonnette d’alarme
Hitler © Dupuis

Ce livre, sans aucun doute possible, est le résultat d’un travail “historien” sérieux… De par son aspect historique sans lacunes, ce livre fait également découvrir au lecteur quelques personnages oubliés de l’Histoire… Comme ce fameux Gerstein, dont le cinema de Polanski s’est souvenu… Un personnage dont l’ambiguïté, soulignée par Swysen et Ptiluc, est extrêmement symbolique de tout ce que cette époque pas tellement lointaine avait, justement, d’ambigu…

Hitler © Dupuis

Bernard Swysen et Ptiluc: Gerstein

Nous sommes donc ici en présence d’une biographie au dessin qui se refuse totalement au réalisme… Qui se décale, en quelque sorte, du propos qu’il illustre…

C’est un dessin humoristique, oui. Et parler d’Hitler avec un tel dessin aurait pu se révéler casse-gueule…

Mais le dessin de Ptiluc accompagne à la perfection le scénario de Bernard Swysen… Il s’agit moins, tout compte fait, de mettre en évidence un des grands « méchants » de l’Histoire, que de montrer le trajet qui l’a conduit à le devenir ! Et cet album s’attarde moins, finalement, sur l’apogée de la folie d’Hitler, la seconde guerre mondiale, que sur les années d’enfance, de jeunesse, sur les failles d’Hitler, sur ses rêves de peintre qui n’ont jamais abouti, sur le côté ridicule de ce personnage qui, un peu à son corps défendant, est devenu l’icône de son peuple, son führer… Il y a donc de l’humour, oui, mais un humour qui ne dénature en aucune manière la folie furieuse de cet individu qui, de nos jours encore, a ses émules ! Et c’est grâce au dessin de Ptiluc, aussi, que ce portrait biographique reste pudique, à sa manière, reste aussi et surtout ouvert et offert à tout le monde, à tous les lecteurs, à tous les âges !

C’est du dessin « animalier »… Pour adoucir la dureté du récit ?… Pas seulement, bien entendu… Le trait de Ptiluc ne cache rien… Il insiste plus sur les personnages, leurs regards, leurs émotions, que sur le décor, à peine esquissé, parfois. Et, ce faisant, choisissant la voie de la simplicité, d’une certaine manière, ce graphisme, et le travail sur la couleur également, se font formidablement efficaces.

Hitler © Dupuis
Ptiluc: l’animalier
Ptiluc: les décors

Et, comme je le disais, le dossier qui complète cet album, un dossier superbement illustré, parvient, avec simplicité, à remettre tout en perspective, à redonner à la mémoire son pouvoir et sa nécessité.

L’Histoire, de nos jours, semble de plus en plus prête à répéter ce qu’elle fut hier… La planète qui est nôtre se voit de plus en plus livrées à des pouvoirs qui n’ont comme finalité que leur seule puissance. Et qui, donc, sous l’alibi d’une démocratie aveugle et sourde, renient à l’humain de plus en plus la liberté de se vouloir humaniste.

A ce titre, vous l’aurez compris, les liens entre Hitler et le monde d’aujourd’hui, tel qu’il est en train de devenir, ces liens sont d’une évidence totale. Et ce livre, donc, est un donneur d’alerte que les jeunes et les moins jeunes se doivent de lire et de faire lire !

Hitler © Dupuis

Bernard Swysen: aujourd’hui

Bernard Swysen: le dossier

N’oublions pas nos passés, faisons tout, surtout, pour qu’ils ne reprennent pas vie, à peine modifiés… Et ce livre, oui, est à lire par tout le monde, par toutes les générations !

Jacques Schraûwen

Hitler (dessin et couleurs : Ptiluc – scénario : Bernard Swysen – éditeur : Dupuis)

Hitler © Dupuis
Home Sweet Home

Home Sweet Home

 Une fable en noir et blanc, avec peu de texte… Un petit livre qui mérite qu’on s’y attarde… Un auteur à suivre !

     Home Sweet Home©Y.I.L.

Un vieux marin borgne revient au pays, après de longues années en mer, des années qui ont suivie de non moins longues années de guerre.

Dans son village, les maisons sont les mêmes, rien n’a changé. Rien, sinon les habitants qui ne reconnaissent pas François et qui semblent se promener les yeux perdus dans le  lointain.

Un seul ancien, un vieil homme aveugle, donne quelques explications à François : la mort de sa mère, la construction d’une étrange tour vers laquelle tous les yeux se lèvent, comme hypnotisés…

Tous les regards, oui, sauf ceux des aveugles et des borgnes… Un peu comme si, au pays des voyants, les borgnes sont rois…

Et c’est là que la fable commence… Une fable terriblement moderne, tout compte fait, dont les symboles sont ceux d’une technologie que l’humain invente pour mieux s’en faire l’esclave.

Avec un trait simple, en noir et blanc, presque minimaliste, au niveau du décor en tout cas, Goma, l’auteur, réussit à construire un récit qui pourrait être une simple resucée d’une histoire de zombies mais qui dépasse les apparences de la seule aventure pour s’enfouir aux nécessités de révolte de l’être humain s’il veut rester debout dans un monde où tout le monde s’agenouille.

Il faut souligner, dans cet album, le découpage sans fioritures, les cadrages graphiques sans effets spéciaux, la lisibilité immédiate de la narration, tant au niveau du texte que du dessin. Goma, l’auteur, avec un graphisme moderne, se révèle en même temps presque classique dans l’évolution de son récit et sa lisibilité. 

Un jeune auteur belge à suivre, que ce Goma, et une excellente surprise que ce « Home Sweet Home » tellement peu doux, tellement peu accueillant…. Un peu comme si survivre ne pouvait se faire, dans un monde aux dieux virtuels, que dans la seule solitude…

Jacques Schraûwen

Home Sweet Home (auteur : Goma – éditeur : Y.I.L.)

 

Hibakusha et ses deux auteurs

Hibakusha et ses deux auteurs

Sensualité, Histoire, amour, érotisme, fantastique… Une histoire de survivance au-delà même de la mort ! Les deux auteurs de cet album sont au micro de Jacques Schraûwen.

Thilde Barboni est une scénariste qui, de livre en livre, s’enfouit aux profondeurs de ce qu’est le sentiment humain. Qu’elle parle de polar, de science-fiction ou de fantastique, qu’elle nous décrive les quotidiens mêlés de ses personnages ou les environnements dans lesquels ceux-ci se doivent de chercher à exister, ou à survivre, son écriture, réellement littéraire, s’attarde d’abord à ce qui construit l’être humain : la passion amoureuse, le rêve charnel, et la nécessité fondamentale de se vouloir survivant malgré toutes les morts possibles.

Dans ce livre-ci, la scénariste continue à explorer ces domaines qui font du vivre un voyage toujours inattendu. Le personnage central de cet album est une ombre emprisonnée dans la pierre… L’ombre d’un homme qui, à Hiroshima, a quitté l’univers des vivants pour se retrouver comme prisonnier de lui-même et de ses attentes.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : même si l’histoire racontée dans ce « Hibakusha  » se déroule en 1945, même si elle met en évidence des personnages précis perdus dans les tourments et les tourmentes d’un conflit dans lequel les horreurs ont été présentes de tous les côtés des barrières idéologiques, cette époque n’est là qu’en contrepoint du récit, et la narration ne s’intéresse, finalement, qu’à un être, cet Allemand emprisonné dans l’ailleurs, et qui continue, inéluctablement, à rêver, à se souvenir, à revivre, à sa manière, les fantasmes qui, aux quotidiens de son existence enfuie, l’ont aidé à ne pas être uniquement un pantin humain froid et sans âme.

 

Thilde Barboni: l’origine de ce récit

Thilde Barboni: la narration

Thilde Barboni: l’érotisme

 

Olivier Cinna, le dessinateur, n’a pas énormément d’albums derrière lui, mais tous sont caractéristiques d’une volonté de faire évoluer son graphisme en fonction du récit qu’il décide de mettre en scène.  » Ordures  » et  » Mr Deeds  » en sont des exemples évidents.

Ici encore, il étonne par sa faculté à adapter son dessin à l’histoire qu’il raconte. On retrouve incontestablement des références artistiques dans cet album qui sont moins issues du neuvième art que de la peinture. Il y a, par exemple, dans la façon dont il façonne les personnages, à traits épais, presque grossiers, quelque chose de la manière de peindre illustrée par l’expressionnisme allemand ou un peintre comme Grosz. Par contre, il y a une finesse et une sérénité proches de Hokusai dans la façon qu’il a de rendre compte des gestes amoureux de ses deux héros, des paysages, aussi. Des paysages, citadins ou campagnards, dans lesquels il prouve qu’il est aussi un coloriste de talent, capable de varier l’intensité des teintes qu’il offre à ses personnages selon l’heure du jour, le point de vue choisi pour une scène. Certaines de ses colorisations, ainsi, sont puissantes et bien marquées. D’autres sont d’une transparence qui peut faire penser à la manière dont Dufy aimait peindre ce qu’il voyait.

Ce qui est frappant, avec Olivier Cinna, c’est aussi le sens de l’ellipse qui est le sien. Puisqu’une telle ellipse existe dans le scénario de Barboni, elle se devait aussi d’exister dans le dessin, un dessin capable de pousser le lecteur à imaginer, avec presque une douce sérénité, ce qui se déroule entre deux cases, entre deux pages et qui, non-dit, n’en demeure pas moins important dans le fil de la narration.

 

Olivier Cinna: la couleur

Olivier Cinna: l’ellipse

 

Qu’est-ce qui fait, finalement, qu’une bd soit bonne ou pas ?… Le plaisir pris à la lire et à la regarder, bien sûr ! Mais ce plaisir ne peut exister qu’à partir du moment où on ressent, lecteur, qu’il a été d’abord celui des auteurs.

Pour qu’un album de bande dessinée sorte du lot, il faut évidemment qu’il fasse preuve d’originalité. Mais, surtout, qu’il soit le résultat d’un  » travail  » qui ne se ressent pas, qu’il soit, en fait, le résultat d’une osmose entre plusieurs éléments essentiels : l’histoire racontée, le texte et son importance littéraire, la couleur et le dessin.

Et ici, pour un livre qui parle de la mort et de l’amour, thèmes universels de tout art depuis toujours, qui parle de la lâcheté et du désir, de soleils resplendissants et de destructions humaines déshumanisées, on ne peut que souligner la véritable complicité, à tous les niveaux, des deux auteurs !

 

Olivier Cinna: le travail à deux…

Thilde Barboni: le travail à deux…

 

La bande dessinée est un art à part entière. Et tous les arts peuvent être simplement des distractions ou se vouloir réflexions. Ici, nous sommes d’évidence dans un univers où la pensée se mêle au fantastique, où la science ne peut se concevoir sans poésie, où vivre ne peut subsister qu’au travers de l’émotion et de l’érotisme.

C’est un livre sérieux, donc, dans son propos, mais c’est surtout un livre qui se lit avec plaisir… Oui, le texte se lit, mais le dessin aussi ! Et cette double lecture fait de cet album une très belle réussite !

 

Jacques Schraûwen

Hibakusha (dessin : Olivier Cinna – scénario : Thilde Barboni – éditeur : Dupuis)