Le loup En Slip

Le loup En Slip

Cahier d’activités: à offrir aux enfants sages (et aux autres aussi!…)

 

Le Loup En Slip © Dargaud

 

Wilfrid Lupano n’est pas seulement aux commandes des extraordinaires Vieux Fourneaux!… Il s’occupe aussi, du bout des mots, de ce fameux Loup en Slip qui enchante petits et grands!

« Le Loup en Slip » apparaît ici et là dans l’extraordinaire série des « Vieux Fourneaux ». Mais cet animal a également son existence propre, dans une collection de livres pour enfants. Pour enfants, et pour « grands », tant il est vrai que le contenu de ces livres nous parle d’abord et avant tout, avec des dessins simples et des mots qui le sont tout autant, de notre société et des problèmes (petits et grands, eux aussi!) qui y naissent au quotidien.

Mayana Itoïz, utilisant une figure iconographique des contes pour enfants, en a fait un être profondément humain, résolument humaniste. Avec lui, de livre en livre, les auteurs (Itoïz et Lupano), détruisent en souriant tous les préjugés, tous les jugements à l’emporte-pièce portant sur les apparences.

Et aujourd’hui, voici ce Loup en slip se livrant à des activités ludiques et à des jeux idiots. Des jeux, avouons-le, parfois un peu déjantés, toujours souriants, et qui gagnent, j’en suis certain, à être joués main dans la main par les enfants et leurs parents.

Wilfrid Lupano

On relie des points pour recréer des images, on colorie, on lit, on s’amuse avec des autocollants, on résout quelques labyrinthes, on s’intéresse à quelques dictons…

Ce cahier d’activités et ces jeux idiots se teintent d’un surréalisme parfois un peu provocateur, toujours intelligent, et méritent donc, croyez-moi, que vous vous y intéressiez!

Jacques Schraûwen
Le loup En Slip – Cahier d’activités (dessin: Mayana Itoïz – scénario: Wilfrid Lupano – éditeur: Dargaud)

Le Livre des Livres

Un chef d’œuvre de l’inclassable Marc-Antoine Mathieu

D’accord, ce livre a déjà quelques mois d’existence. Mais pourquoi les bons livres n’ont-ils pas la chance de durer plus longtemps sur les étals des librairies ? Que cette chronique soit l’occasion, pour ce livre-ci, d’une seconde vie, dans vos bibliothèques à toutes et à tous…

Le livre des Livres©Delcourt

 

 

Ce qu’il faut souligner, d’abord, avec cet « album », c’est l’excellent travail d’édition : des pages cartonnées, solides, un rendu du noir et blanc absolument parfait, une mise en page sans aucun accroc…
Ce qu’il faut souligner ensuite, et surtout, c’est la beauté graphique du travail de Mathieu qui, ici, entre simplicité et démesure, s’affirme pleinement.
Marc-Antoine Mathieu ne fait pas de la bande dessinée. Il utilise ce média artistique pour explorer les territoires toujours inconnus de la création, sous toutes ses formes. Au premier abord, face à ses dessins, on a l’impression de se retrouver face à un illustrateur particulièrement doué, inventif, original. Mais il faut toujours, avec cet auteur, dépasser les simples apparences, et on s’enfouit alors dans l’univers à la fois mathématique et littéraire d’un raconteur d’histoires… Avec quelques mots, avec un dessin, il se rattache ainsi à la grande famille des Gourmelin, des Fred aussi, à sa manière, mais également des Sternberg en littérature, ou des Topor…

 

Le livre des Livres©Delcourt

 

L’imagination est au pouvoir, sans aucun doute, dans ce livre… Ce « livre des livres », qui, de par son titre, pourrait faire penser à une bible contemporaine…
Mais il n’en est rien… Ou pas uniquement… Parce que tout ce qui sous-tend les différents livres inventés dont Mathieu nous offre les couvertures et les résumés, tout ce qui se dit, se montre et s’écrit dans cet album se construit autour d’un point commun : la « question », sous toutes ses formes.
Ce « Livre des livres », c’est une œuvre artistique posée aux pieds du pourquoi !… Parce que, comme le dit l’auteur caché derrière les mots d’une fable : « la vérité est une question, non une réponse ».
Jeux d’images, jeux de mots (jusque dans les intitulés des éditeurs inventés), ce livre nous entraîne, avec un sens presque poétique du vertige, dans un monde où ne subsistent plus de la culture littéraire que quelques couvertures, quelques mots, rien de plus… Des éléments épars que Mathieu, en archéologue de l’avenir, a recueillis pour nous montrer à la fois l’inventivité de notre époque et son immense déshumanisation en devenir.

 


Le livre des Livres©Delcourt

 

Marc-Antoine Mathieu est, je le disais, un auteur totalement inclassable. Mais un artiste, dont chaque page se fait l’écho de la littérature, porteuse de ce qu’est notre civilisation, pour peu qu’on puisse appeler ainsi le quotidien de nos intelligences… Il y a des références au K de Buzzati, à Borgès, à Perec, Peeters, au théâtre de Mnouchkine… Chaque page se fait aussi l’écho de quelques dessinateurs essentiels du neuvième art, comme Masse, Schuiten, Gébé…
Ce « Livre des Livres » est à lire, certes… Il est à regarder, aussi… Il est à oublier sur une planche de votre bibliothèque, pour pouvoir le retrouver, par hasard, le relire, le feuilleter encore et encore…
Et si vous ne le trouvez pas dans les rayonnages de votre libraire préféré, n’hésitez surtout pas à le commander !….

Jacques Schraûwen
Le Livre des Livres (auteur : Marc-Antoine Mathieu – éditeur : Delcourt)


Le livre des Livres©Delcourt

Libertalia : 2. Les Murailles d’Éden

Libertalia : 2. Les Murailles d’Éden

(et une exposition à Bruxelles jusqu’au 10 mai 2018)

Un dix-huitième siècle où les rêves de liberté et les pouvoirs économiques, déjà, comme toujours, s’affrontent ! Une série de corsaires, de pirates, qui nous parle d’utopie, d’espérance et de désespérance… Une interview, dans cette chronique, des trois auteurs…

Libertalia©Casterman

 

C’est à partir d’un texte dû à Daniel Defoe, que Fabienne Pigière, historienne de formation, et Rudi Miel, journaliste et scénariste, ont imaginé une histoire pleine de rêve, de fureur, de morts et d’espoir. L’histoire d’une utopie qui cherche à tout prix à prendre vie, l’utopie d’un pays dans lequel les êtres humains pourraient vitre dans l’harmonie d’une égalité, d’une équité, quelles que soient leur couleur ou leur origine sociale.

Dans le premier tome de cette saga d’aventures humaines, on découvrait la création de cette « colonie », par des pirates qui n’en étaient pas vraiment, et qui avaient à se battre contre les éléments, contre les corsaires du roi, contre la haine et l’incompréhension.

Dans ce deuxième volume, cette île existe, une nouvelle société humaine y vit. S’agit-il pour autant de l’Éden promis ? Très vite, et malgré la volonté de réussite qui était à l’origine de ce projet fou, ce paradis prend eau de toutes part, devient une prison, même, dans laquelle chacun s’enferme, par idéologie, par passion, par refus de l’échec aussi… Ou, plus simplement, parce que reviennent à la surface des habitudes et des réalités qui, elles, sont affaires de pouvoir, au sens large du terme : l’alcool, le sexe, le corps et ses besoins bien plus que l’âme et ses nécessités.

Libertalia©Casterman

 

Fabienne Pigière: la prison
Rudi Miel: le scénario

Alors que, dans le premier volume, deux personnages occupaient tout l’espace, ou presque, même si c’était dans une foule, ici, dans un premier temps, ces deux « héros » se perdent un peu dans la masse, comme si l’utopie créée et vivante n’avait plus vraiment besoin de leaders pour subsister.

Mais le réel rattrape vite le rêve pour mieux l’estomper avant que de le détruire, on le devine, on sait que cela va arriver… Et donc, les deux axes humains centraux de ce Libertalia, le noble et le prêtre, vont avoir à nouveau à intervenir, à diriger, à prendre un pouvoir que, pourtant, foncièrement, fondamentalement, ils refusent.

Et la réflexion philosophique, voire politique, laisse dès lors la place à une histoire d’aventure, au sens large du terme, mêlant réalité historique, imaginaire littéraire, corsaires, pirates, esclavage, et ce avec les codes habituels à ce genre de récit : une jambe perdue au combat, les drapeaux qui flottent au vent du large, les abordages, les viols, les combats…

Un peu comme si aucune liberté de pouvait exister sans être conquise… « Vous êtes les combattants d’élite de Libertalia, ne l’oubliez pas », est-il dit, quelque part… La réalité, c’est que tout, au-delà des idées, doit toujours être à inventer, à recréer.

Face à un scénario comme celui-ci, on se trouve un peu dans le fil de l’histoire de la bande dessinée… Les codes, comme je le disais, sont les mêmes que dans les histoires de l’Oncle Paul, ou que dans Barbe Rouge… Mais Miel et Pigière prennent plaisir à les détourner, pour nous parler, en fait, d’aujourd’hui, des utopies contemporaines, de toutes les utopies, qu’elles soient politiques ou simplement littéraires.

Et l’esclavage, l’esclavagisme surtout, qui servent de trame en quelque sorte à cet album, sont des réalités historiques qui se révèlent de nos jours toujours d’actualité !

Libertalia©Casterman

Fabienne Pigière: les personnages
Fabienne Pigière et Rudi Miel: pirates, corsaires, esclavage

Vous l’aurez compris, le scénario, historiquement, est fouillé. La narration, elle, ne manque pas de souffle non plus. Mais une bande dessinée étant, qu’on le veuille ou non, d’abord affaire de dessin, il faut absolument souligner le talent et la qualité de graphisme de Paolo Grella. Ce dessinateur italien a un style, bien évidemment, réaliste. Nourri à la fois par les « fumetti », ces bd italiennes en petits formats, par des auteurs comme Pratt et ses suiveurs, et par ce qu’on appelle la bd franco-belge, Grella se révèle d’une véritable originalité. Par son trait, d’abord, qui fait penser souvent à de l’illustration, et qui, évitant la netteté trop parfaite et le détail du décor trop étudié, permet en lecteur de se sentir proche des personnages, des lieux, du bateau comme de la mer, de la cale comme des cases disséminées sur l’île paradisiaque…

Et puis, outre son trait, il y a sa couleur. Plus peintre que dessinateur, selon son propre aveu, Paolo Grella joue avec les tons, avec les lumières, et sa palette variée évite les aplats qui ne feraient que desservir l’histoire.

Libertalia©Casterman

Paolo Grella: le dessin
Paolo Grella: la couleur

Les histoires de pirates ont toujours passionné bien des lecteurs, et j’ose espérer que cet intérêt ne va faire que s’affirmer encore grâce à cette série, LIbertalia qui réussit, et ce n’est pas chose tellement fréquente, à mêler intimement un beau récit d’aventures, au sens large et noble du terme, et une réflexion à la fois humaniste et historique de la destinée humaine.

Et n’hésitez pas à aller admirer les planches originales à la librairie Brüsel, à Bruxelles, au boulevard Anspach, jusqu’au 10 mai 2018.

Jacques Schraûwen

Libertalia : 2. Les Murailles d’Éden (dessin : Paolo Grella – scénario : Fabienne Pigière et Rudi Miel – éditeur : Casterman)