Un livre pour enfants ?… Oui, mais pas seulement, loin s’en faut !
L’édition destinée à un jeune public a terriblement évolué ces dernières années. Grâce à un éditeur comme « L’école des loisirs », dont les « audaces » ont permis, au fil des années, à d’autres éditeurs de tracer, à leur tour, de nouveaux chemins éditoriaux…
Dans notre société occidentale, la famille n’a plus le sens qu’elle avait il y a un siècle, c’est évident ! Elle ne véhicule plus les valeurs qu’on retrouve dans d’autres continents, comme l’Afrique, et qui, jusque dans les années 60, étaient encore de mise de par chez nous.
Cependant, l’évolution des habitudes de travail, celle des contraintes d’un monde sans cesse en mouvement, tout cela a recréé un lien entre l’enfant et ses grands-parents. Il n’y a là rien de généralisé, sans doute, mais il y a incontestablement une tendance de plus en plus réelle.
De nombreux ouvrages sérieux ont ainsi fait la part belle à la place des grands-parents dans l’évolution d’un enfant, dans son éducation, dans sa manière d’appréhender le monde et ses libertés, et ses diktats.
Du côté de la « littérature » jeunesse, par contre, on en est le plus souvent resté aux clichés, sympathiques, certes, souriants, mais un peu mièvres, reconnaissons-le, tout en reconnaissant qu’il y a quand même pas mal d’exceptions à cette règle !
Et parmi ces exceptions, en voici une, superbe, intelligente, qu’il faudrait offrir à tous les enfants qui ont la chance de pouvoir côtoyer leurs grands-parents, à tous les grands-parents ayant gardé une part de leur enfance ou de leur adolescence, et à tous les parents pour qu’ils se rendent compte que tout discours, aussi tolérant soit-il, peut s’enrichir de son contraire !
Marie-Agnès Gaudrat est auteure de bien des livres pour « tout-petits ». Amélie Graux, la dessinatrice, possède un sens évident de la mise en scène simple, avec une construction de ses dessins qui permet au regard du lecteur, enfant ou adulte, de se diriger vers l’essentiel… L’essentiel étant le plus souvent les sourires des personnages qu’elle dessine !
Ce livre nous montre des réalités quotidiennes… Celles d’un enfant persuadé que, grâce à lui, ses grands-parents ont de la chance de vivre des choses passionnantes ! Mais chacune de ses chances voit en quelque sorte son contrepoint également illustré, grâce à un livre construit en « rabats ».
Et c’est là que ce petit album est jouissif : il nous montre à voir qu’on peut avoir de la chance d’être heureux de mille manières différentes… En jouant aux petits chevaux avec sa petite-fille ou son petit-fils, mais aussi en regardant la télé avec son époux ou son épouse dont on est toujours amoureux…
Le bonheur, nous dit-on, est éphémère…
Je pense pourtant qu’il peut s’éterniser par la magie des sourires que nous sommes prêts à partager.
Et ce livre, croyez-moi, est un sourire réjouissant qu’il faut partager avec tout un chacun, toute une chacune !
Jacques Schraûwen
Ils ont de la chance ma mamie et mon papi ! (dessin : Amélie Graux – texte : Marie-Agnès Gaudrat – éditeur : Casterman – 16 pages – septembre 2021)
Deux conseils lectures, deux excellents livres de chez Glénat !
Ce sont deux univers très différents l’un de l’autre que je vous invite à découvrir. Deux univers, cependant, qui, chacun à sa manière, se révèle être le reflet, aussi, de nos quotidiens… A lire, à faire lire !
How I Live Now
(dessin et couleur : Christine Circosta – scénario : Lylian d’après Meg Rosoff – éditeur : Glénat – 144 pages – septembre 2021)
Une guerre s’annonce… On en parle, on en a peur.
Le père d’Elisabeth, une adolescente révoltée, décide de lui faire quitter les Etats-Unis et de l’envoyer chez une tante, dans la province anglaise.
Seulement voilà : la guerre arrive, la guerre pend le pouvoir, la guerre devient l’horizon quotidien de tout un chacun, et ce de chaque côté de l’Atlantique.
N’allez pas croire, cependant, que ce livre va vous raconter ce qui l’a été des milliers et des milliers de fois, avec plus ou moins de talent : la vie d’un groupe de personnes au creux d’un pays en guerre !
Non, cette guerre n’est, finalement, qu’un élément du décor, un élément essentiel, certes, mais dont on n’aperçoit, au fil des pages, que très peu la réalité.
Je l’avoue, je n’ai pas lu le roman originel, ni vu le film qui en a été tiré en 2014.
Je n’ai lu que cette bande dessinée, et j’ai été ébloui par ce livre, par sa construction, par son dessin, par sa couleur.
Ce qui a intéressé les auteurs, je le disais, ce n’est pas cette troisième guerre mondiale qui sert de fond d’écran. Ce que nous raconte ce livre, véritable roman graphique, ce sont plusieurs histoires essentiellement humaines et quotidiennes, au travers de portraits rapprochés, de paysages, d’activités, de rêves et de luttes communs. Oui, c’est un livre de personnages et d’émotions, tout simplement !
Il y a Elisabeth, en conflit avec son père après la mort de sa mère. Il y a son anorexie esquissée dans le récit mais intervenant, sans aucun doute, dans ses attitudes, dans ses réactions. Elisabeth, qui se fait appeler Daisy et qui va trouver, dans cette famille britannique, des repères qui lui manquaient. Elisabeth qui va se sentir grande sœur responsable pour Piper. Elisabeth qui, du haut de ses quinze ans, va découvrir l’amour, celui qu’on dit romantique et celui qu’on sait charnel, avec son cousin Edmond, adolescent lui aussi… Elisabeth qui se découvre ainsi un sens de la famille avec ses quatre cousins.
Aux côtés d’Elisabeth et de sa famille, il y a les autres… Des militaires, entre autres, qui amènent avec eux la peur, le besoin d’engagement pour un des cousins d’Elisabeth, la séparation, le travail obligatoire, la fuite, enfin, pour recréer, utopiquement, le cocon familial dans lequel Elisabeth le sait, le sent, réside leur seule chance à tous les cinq de se restaurer à eux-mêmes.
Est-ce un livre, en définitive, sur l’adolescence ?
Je pense bien plus qu’il s’agit un roman dessiné qui nous parle, avec plusieurs angles de vue, de la vie, de ses âges, de cette nécessité que tout un chacun a de vieillir, de « grandir », quelles que soient les circonstances environnantes. Les âges, oui, et la perte des rêves pour s’en créer d’autres, et les lâchetés et les courages.
C’est un livre sur les émotions, qui sont de douceur ou de douleur, de nostalgie ou d’espérance, de départs et de retrouvailles.
La narration est linéaire… Et traitée de bout en bout à la hauteur de l’héroïne, Elisabeth. Ne sommes-nous pas toutes et tous, en fait, les seuls héros de nos existences ? Elisabeth n’en prend conscience que progressivement, et le scénario suit, avec une lenteur qui n‘a rien de pesant, cette évolution.
Le dessin et la couleur sont les interprètes premiers de ces émotions qui nous sont contées. La couleur nous restitue les sensations vécues par les différents protagonistes, elle est aussi porteuse de beauté, celle de la nature, celle des saisons qui passent, celle d’une forme d’autarcie tranquille. Mais cette couleur peut aussi, ici et là, se faire violente, dans la description graphique des tueries de la guerre par exemple.
Ce n’est pas un livre « feel good », ce genre tellement à la mode en ces temps pour le moins perturbés. C’est un livre intelligent, c’est un live humain, c’est un livre qui nous replonge, à sa manière, dans nos propres adolescences, donc dans nos propres éblouissements et nos propres premières amours.
Dans ce premier volume d’un diptyque, la nature est également omniprésente.
Mais il s’agit d’une nature plus sauvage, celle des profondeurs de la Russie, près des frontières de la Chine et de la Corée.
La guerre dont on parle dans ce livre est insidieuse, économique, elle attente au patrimoine naturel d’un pays, la Russie, d’un continent, de la faune et de la flore…
Dans ce livre, les personnages sont nombreux.
On y trouve des ouvriers qui, perdus dans la Taïga, abattent les arbres en sachant qu’ils le font hors des lois existantes. Il y a des membres des brigades forestières, censés veiller à ce qu’aucune infraction n’ait lieu, il y a des écologistes qui viennent, avec l’aide du centre pour la protection du tigre de l’Amour, réaliser un film sur cet animal mythique et en voie de disparition.
Il y a un mafieux russe qui veut se venger d’une réalisatrice écolo, Sabine Köditz.
Il y a une femme d’affaire chinoise, mafieuse elle aussi.
Et puis, il y a ce tigre, féroce, blessé, et qui provoque le départ en chasse de l’esprit de la forêt, l’Amba…
C’est vrai que ce livre nous donne pas mal d’informations extrêmement sérieuses, quant à cette déforestation sur le continent européen encore plus grave et importante que celle dont on parle que le continent américain, quant à l’omniprésence manipulatrice et mercantile de l’homme au sein d’une nature qui, pour ne pas se désagréger, va devoir se venger…
Parce que c’est sans doute là que se situe le vrai point de gravité de ce livre : au-delà de la violence, de la mort, de la trahison, de l’amour, du courage, de la lâcheté, des conflits familiaux, c’est la vengeance qui, peu à peu, envahit tout, les femmes, les hommes, et la nature.
L’intelligence des auteurs est d’avoir choisi les codes d’une « aventure » pour nous livrer leur regard sur une réalité dont les médias ne parlent pas. Il est tellement plus facile de condamner sur un bout de papier les actes d’un Président sud-américain que de se dresser contre un voisin imposant ! Et, puisque ce livre nous offre sa férocité en un récit entraînant, sa lecture en est agréable… passionnante… Grâce, donc, au scénario sans temps mort, quelque peu éclaté, de Gregorio Muro Harriet.
Il faut dire aussi que le dessin réaliste de l’Espagnol Alex Macho fait preuve d’une virtuosité évidente et particulièrement efficace, visuellement parlant, et ce dès la couverture de cet album.
Il faut dire aussi que la couleur, due à Garluk Aguirre, fait merveille dans la présence, presque tangible, du froid, de la neige, des paysages embrumés, des actes humains perdus dans le brouillard.
Dans ce premier tome, tout est mis en place, avec vivacité.
Tous les rouages de la tragédie sont là… Et j’ose espérer qu’ils seront à la hauteur de mes envies dans le prochain volume !
Chaque année, lorsque s’envolent les feuilles mortes, Pierre Kroll s’amuse à revenir sur son travail de toute une année. Avec, pour 2021, un album supplémentaire concernant la retraite annoncée de l’Allemande Angela Merkel.
Angela Merkel s’en va… Et, avec elle, ce sont quelque 16 ans de vie européenne qui se rangent au rayon des souvenances.
On ne peut nier que cette femme politique, issue de l’Allemagne de l’Est, a marqué l’Histoire Européenne de sa présence, de son pouvoir, de son idéologie politique.
Et Pierre Kroll s’est amusé à faire une compilation subjective des dessins qu’il a consacrée à cette femme forte de l’unité (ou de la désunion ?) européenne.
Mis bout à bout, dans l’ordre chronologique de leur parution dans la presse, ces dessins nous racontent une femme d’Etat, certes, mais, aussi, en même temps, ils nous racontent l’Europe…
Et, pour que ce récit ait un sens, pour qu’il soit un portrait non seulement d’une femme mais du monde dans lequel elle a « opéré », Kroll a ressenti le besoin d’agrémenter cette suite graphique de quelques textes, qu’il est important de lire. D’abord parce qu’ils replacent les dessins dans leur contexte historique, ensuite parce que ces commentaires sont aussi ceux d’un auteur vis-à-vis de son seul travail.
Kroll nous montre notre monde, avec humour, sans occulter la réalité d’un pouvoir qui parfois, semble absolu. Le pouvoir d’une femme… Un pouvoir que les dessins de Kroll n’occultent en rien, tout en y ajoutant aussi ce que furent, pendant ces seize ans, les lâchetés européennes, donc les lâchetés de Merkel et de ses « consorts » nombreux et, finalement, eux, interchangeables !
Ce qui est frappant dans ce livre, c’est l’impertinence de l’auteur… Pas sa méchanceté, non, mais son plaisir, en des instantanés graphiques, à égratigner une femme qui, sans aucun doute, a dirigé réellement l’Europe.
Ce livre, en fait, c’est une visite touristique et humoristique dans une institution pleine de remous (Grèce, Brexit, Italie, France), une visite qui n’empêche pas la réflexion…
Parce que c’est cela aussi, l’intérêt de cette mise en perspective : permettre au lecteur, au spectateur, de pouvoir aller plus loin que la seule communication officielle. Et la force de Kroll, outre sa façon d’être toujours très proche de l’actualité, c’est en effet, cette impertinence… Le plaisir qu’l prend à dépasser les seules limites de l’info… Même quand il prend plaisir à dénuder la chancelière !
Piqûres de rappel
(auteur : Pierre Kroll – éditeur : Les Arènes – octobre 2021)
Ce livre-ci s’inscrit dans la tradition déjà bien ancrée des parutions de fin d’année de Pierre Kroll. La surprise ne vient pas, donc, des dessins publiés dans ce livre, mais dans le choix que Kroll a décidé d’opérer dans ces dessins.
Dessinateur de presse, Pierre Kroll, comme ses confrères, travaille en parallèle des journalistes.
Cela dit, le dessin de presse s’apparente-t-il à du journalisme ? Oui, puisqu’il s’inscrit véritablement dans la construction d’un journal, d’une revue. Non, parce que le dessinateur se doit de présenter un regard personnel, donc empreint de subjectivité, sur un fait d’actualité. A ce titre, on peut dire que le dessin de presse est une forme graphique d’un travail d’éditorialiste.
Ce qui est frappant, ainsi, dans une époque comme la nôtre où le « politiquement correct » prend de plus en plus de place dans le quotidien de tout un chacun, c’est que Pierre Kroll ne se contente pas, loin s’en faut, de se faire l’écho des discours officiels.
Le dessinateur de presse, au-delà du seul aspect journalistique de son approche de l’actualité, a donc une marge de manœuvre qu’on pourrait assimiler à une vraie liberté… Une liberté qui, malgré tout, a toujours des limites !
Ce « Piqûres de rappel », évidemment, parle essentiellement du covid et de la façon dont le monde politique l’a ( ???) géré… De la manière, aussi, dont la population l’a subi, et a subi bon gré, mal gré les mille et uns décrets et diktats du pouvoir politique.
Et un des talents de Pierre Kroll, c’est d’être à l’écoute, d’être un observateur et, dès lors, de laisser ses personnages, ses « petits mickeys », parler eux-mêmes de leurs convictions. Je n’irais pas jusqu’à dire, bien entendu, que Kroll évite ainsi de « prendre position », de dire ce que sont ses convictions personnelles ! Mais il fait là, à mon humble avis, une véritable approche journalistique que ses collègues, les « vrais » journalistes font, il faut bien le reconnaître, de moins en moins souvent : laisser la parole à tout le monde, laisser s’exprimer tous les avis, avec des pistes de jugements, avec, surtout, des fenêtres ainsi grandes ouvertes sur des paysages dans lesquels le dialogue et l’analyse sont possibles…
C’est cela, la démocratie, également…
Et Pierre Kroll nous montre l’importance d’un dessin de presse qui, non inféodé, se doit, aujourd’hui plus qu’hier encore, de nous faire sourire, de nous faire réfléchir !…