La Jeunesse de Staline : 1. Sosso

La Jeunesse de Staline : 1. Sosso

Que fut Staline avant Staline ?… Voilà toute l’ambition de ce livre, historiquement fouillé, tant au niveau du scénario que du dessin ! Écoutez ici l’interview des deux scénaristes…

Deux scénaristes sont aux commandes de cet album étonnant.

Etonnant par son thème, d’abord : parler de Staline, aujourd’hui, ce n’est sans doute pas gratuit. L’époque actuelle est riche, en effet, en dictateurs (ou apprentis-dictateurs) de toutes sortes, souvent même élus selon les règles bienpensantes de la démocratie. Nous montrer à voir la montée en puissance d’un homme qui allait devenir un jour un des pires dirigeants du vingtième siècle, c’est donc aussi faire réfléchir à aujourd’hui.

Le second étonnement provoqué par ce livre, c’est la façon dont le sujet est abordé. A aucun moment (ou presque…) les deux scénaristes ne diabolisent le personnage de Staline. Sans l’idéaliser, bien sûr, le portrait qu’ils nous livrent est celui d’un jeune homme d’abord et essentiellement révolté contre un monde dans lequel la pauvreté est synonyme d’esclavage, charnel et/ou intellectuel. Un jeune homme qu’on pourrait presque rapprocher de l’anarchiste Bonnot, en France. Avec une grande différence, malgré tout : le pouvoir en guise de finalité pour l’un, la liberté totale en tant que but ultime pour l’autre.

Ce livre est étonnant, aussi, par ce portrait, justement, qui nous montre un être profondément humain, avec ses déchirures, avec sa psychologie, avec un passé qui explique déjà ce qu’il deviendra un jour.

Je disais que ce personnage de Staline jeune n’était jamais diabolisé, mais il nous est montré sans apprêts, dans toute sa diversité. Il est multiple, comme l’étaient ses lectures, de Zola à Napoléon, de Germinal au  » Capital  » de Marx !… Là où il y a accentuation du portrait sombre de Staline, c’est quand on le voit, âgé, dictant ses mémoires. Physiquement, il reste le fameux  » Petit Père « , mais c’est dans les attitudes et les regards de l’homme à qui il se livre que se lisent toute l’horreur et l’angoisse que sa seule présence réussit à provoquer !

Hubert Prolongeau: le « pourquoi »…

Arnaud Delalande: un personnage multiple

Vous l’aurez donc compris, on se trouve, ici, en face d’un livre dans lequel la vérité historique (et humaine) occupe la première place.

Mais ce n’est pas un pesant livre d’histoire, malgré tout, que du contraire ! La personnalité de Staline, dans sa jeunesse, en fait un anti-héros proche des héros romantiques, aventurier et parfois idéaliste, opportuniste et ambitieux…

C’est un vrai album d’aventures, finalement, mais qui ouvre à des réflexions profondément contemporaines.

C’est aussi  l’œuvre d’un dessinateur, Eric Liberge, qui aime le souffle épique qu’un récit peut avoir, qui aime les grandes fresques aux personnages nombreux, et qui utilise la couleur avec un art réel du symbole.

 » Staline jeune  » était un être humain flamboyant… multiforme… Un personnage sombre, qu’on voit traité en un noir profond, mais aussi un personnage avide d’un pouvoir à venir, sanglant et communiste, d’où l’utilisation du rouge dans toutes les actions qu’il mène.

Eric Liberge, le dessinateur, vu par ses deux scénaristes

Hubert Prolongeau: la bd comme réflexion…

Dans ce premier volume, les auteurs nous expliquent le pourquoi de la révolte de Staline contre le monde dans lequel il survivait et voulait vivre. S’y amorcent aussi les moyens utilisés pour faire de sa révolte un vrai mouvement. Nous reste à découvrir certainement, dans la future suite, le  » comment  » Sosso est devenu Staline !

L’Histoire, la grande, quand elle est traitée de cette manière par la bande dessinée, se révèle véritablement passionnante, croyez-moi, et ce livre ne pourra que plaire à toutes celles et tous ceux qui veulent mieux comprendre notre monde, ses passés, pour éviter, peut-être, qu’ils ne reprennent vie dans nos présents…

 

Jacques Schraûwen

La Jeunesse de Staline : 1. Sosso (dessin : Eric Liberge – scénario : Hubert Prolongeau et Arnaud Delalande – éditeur: Les Arènes BD)

Groenland Vertigo

Groenland Vertigo

Une aventure à la  » Hergé « , des personnages hauts en couleur, un album attachant !…

Un jeune dessinateur de bande dessinée a la chance de pouvoir participer à une expédition au Groenland, en compagnie de scientifiques et d’artistes. Malgré ses angoisses et son côté timoré (à l’opposé du modèle graphique dont il s’inspire, à savoir Tintin…), il accepte le défi. Commence alors pour lui une aventure faite, certes, de péripéties de toutes sortes, mais aussi de réalités simplement quotidiennes.

Cet album est multiple, à sa manière. Bien entendu, il y a un hommage appuyé à la Ligne Claire d’Hergé, tant dans le scénario que dans le texte et, surtout, dans la façon d’user de regards et des expressions des différents personnages. C’est aussi une espèce de journal intime qui décrit un lieu de froid et de beauté, aux confins du monde, une sorte de récit de voyage. Et puis, c’est un livre d’humour et d’aventure, au sens large du terme, avec des codes qui, comme des clins d’œil, dépassent le simple récit pour lorgner avec une insistance amusée et amusante vers différents albums de Tintin.

Et, comme chez Hergé, ce sont, finalement, les personnages, dans leurs différence et leur multiplicité, qui sont importants, même si, pour la plupart d’entre eux, on les découvre à un moment précis de leur histoire personnelle, et qu’on ne sait, lecteurs, rien de leur passé ou de leurs attentes. Là aussi, dans cette manière d’approcher la vérité humaine des protagonistes de son livre, Tanquerelle agit comme membre d’une expédition dont il ne connaît pas les autres membres, et c’est donc à travers son regard que tous les personnages prennent vie.

Tanquerelle: trois livres en un…

Tanquerelle: les personnages

En une époque où le réchauffement climatique occupe les unes de tous les journaux, on aurait pu penser que le thème premier de cet album, un voyage scientifique et artistique au Groenland où fondent les glaces, aurait  provoqué un livre fait de réflexions profondes et écologiques. Ces réflexions existent, évidemment, mais en arrière-plan essentiellement. En trame narrative, aussi, puisque cette expédition doit permettre à un artiste universellement connu de faire une  » installation  » sur un iceberg, un œuvre qui devrait faire réfléchir l’humain sur sa responsabilité à l’égard d’une planète qui semble de plus en plus le refuser !

Mais l’important réside ailleurs, avec Tanquerelle, dans le plaisir qu’il a à construire une histoire qui, sans se prendre au sérieux, amène quand même quelques réflexions. Celle de la place de l’art, par exemple, dans le monde qui est le nôtre, celle d’une certaine forme d’art qui s’est coupée, par intellectualisme, de l’homme, qui se devrait pourtant d’être son spectateur, celle de l’ego démesuré de ceux qui se croient investis d’une mission !

Tanquerelle: l’écologie

Tanquerelle: l’art…

 » Groenland Vertigo « , c’est un livre léger qui lorgne du côté de la ligne claire sans vraiment en appliquer les règles, et j’en veux pour preuve l’excellent travail de colorisation d’Isabelle Merlet. C’est un livre sympa, à tous les niveaux, qui ne manque ni de rythme ni de gags qui créent des ambiances légères et souriantes.

Les clins d’œil et les références y sont nombreux, certes, mais totalement assumés par Tanquerelle, un auteur qui revendique, une lueur dans le regard, sa filiation avec les anciens de la bande dessinée et leur capacité à inventer et à étonner !…

 

Jacques Schraûwen

Groenland Vertigo (auteur : Hervé Tanquerelle – couleurs : Isabelle Merlet – éditeur : Casterman)

Groom : que faut-il sauver de 2016 ?

Groom : que faut-il sauver de 2016 ?

Les éditions Dupuis continuent, en ce début 2017, à faire paraître leur  » Méga Spirou hors-série « . Un magazine destiné à un public jeune (et moins jeune), et qui, dans ce numéro-ci, revient sur 2016, une année fertile en événements de toutes sortes.

Ce qui est remarquable, dans le sens premier du terme, avec Groom, c’est qu’il s’adresse à tous les publics, sans pour autant user d’un vocabulaire simpliste ou d’une analyse à l’emporte-pièce. En une expression comme en cent, Groom ne prend pas ses lecteurs pour des demeurés mentaux !

Groom reste également fidèle à la marque de fabrique du magazine Spirou, dont il est issu : l’humour est l’arme la plus efficace pour désamorcer l’horreur !

L’humour, et la tolérance, oui, servis ici par une brochette d’auteurs issus, pour la plupart d’entre eux, de la jeune génération de la bd. Cette génération qui a été marquée, incontestablement, par l’attentat contre Charlie.

Mais pas d’outrance, dans Groom, ce qui n’empêche pas les auteurs de pointer du doigt les failles du monde qui est le nôtre. Mais le tout est géré par un principe de base pratiquement philosophique, journalistique en tout cas :  » comprendre le pire avant d’en rire  » !

Et s’il est vrai qu’on sourit en passant de page en page, d’événement en événement, de mémoire en souvenir, il est tout aussi vrai que le pire a été omniprésent pendant les douze derniers mois !

Il y a eu le terrorisme, et on retrouve dans le dossier qui traite de ce sujet l’excellent Dab’s. Il y a eu le Brexit, expliqué d’une manière claire. Il y a eu la présidente du Brésil priée de s’en aller. Il y a eu Erdogan et la Turquie, que Ducoudray n’épargne pas sans tenir compte, lui, de la géopolitique. Il y a eu l’enfer des migrants dans la jungle de Calais, l’élection de Donald Trump, la gauche française qui se déchire et lorgne vers la droite du paysage politique, la Syrie, le chômage…

Comme vous le voyez, ce Groom ne se contente pas de porter les bagages de n’importe qui dans le grand hôtel de l’information et de l’amusement. Il dit ce qu’il pense, avec le sourire, certes, mais avec un besoin de lucidité qui, de nos jours, brille souvent par son absence.

Cela dit,  » Groom « , ce n’est pas du journalisme utilisant comme support le média bd. Non,  » Groom « , c’est de la bd, avec ses codes propores, qui utilise le média du journalisme et de l’info. Et c’est ce qui fait de ce magazine une belle réussite, à mettre dans les mains des adolescents prêts à tenter de comprendre le monde dans lequel ils vivent, et duquel, très bientôt, ils vont être partie prenante !

 

Jacques Schraûwen