La Patrouille Des Castors : Le Mystère De Grosbois – une réédition grand format d’une bande dessinée appartenant à la grande Histoire du neuvième art

La Patrouille Des Castors : Le Mystère De Grosbois – une réédition grand format d’une bande dessinée appartenant à la grande Histoire du neuvième art

Edité par « Ad Hoc Editions », ce premier album des aventures d’une patrouille scoute s’offre aujourd’hui en fac-similés des planches originales… Une démarche éditoriale qui permet d’entrer de plain-pied dans l’univers de Mitacq…

copyright adhoc

C’est en 1954 qu’une patrouille de scouts a vu le jour dans les pages du journal de Spirou. Six jeunes garçons dans une première aventure traditionnelle, dans la veine scénaristique des aventures de Valhardi par exemple, de toutes ces bandes dessinées d’après-guerre qui montraient qu’un monde différent était possible, pensable, vivable… Et quoi de mieux, en effet, pour montrer cela que de mettre en scène des jeunes souriants, heureux, se plongeant dans la réalité avec la fougue de leur âge et le courage d’assumer cette fougue…

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Je sais bien que le scoutisme a changé… Je sais bien que, après Mai 68, son image a été pour le moins attaquée par des intellectuels fatigués… Mais le scoutisme fut, dès son origine, bien autre chose que cette image militariste que les Cohn-Bendit et autres ont cherché à imposer ! Ne vous en faites pas, je ne vais pas ici commencer à vous faire un compte-rendu historique de ce mouvement de jeunesse qui a été, croyez-moi, essentiel pour des millions de jeunes à travers le monde ! Pour ma part, sans le scoutisme, qui m’a accompagné pendant une grande partie de ma vie, je n’aurais jamais pu être qui je suis ! Louveteau, scout, assistant de troupe, Akéla, Akéla de district, chef d’unité, c’est à travers les « valeurs » de ce scoutisme que j’ai grandi, vieilli… Des valeurs, oui, ce mot tellement haï de nos jours et qui, pourtant, forme la trame, toujours personnelle, voire intime, de tout individu humain digne de ce nom !

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Revenons-en à cette Patrouille des Castors… Ils furent six, pendant je pense deux albums, avant de n’être plus que cinq : Poulain, le chef de patrouille, et les scouts Chat, Faucon, Tapir et Mouche, plus, donc, un certain Lapin dans ce premier épisode de leurs aventures. Des jeunes tous différents, mais tous soucieux de vivre, loin de la famille, de l’école, des habitudes, des moments de passion et de plaisir, la passion et le plaisir de l’aventure… L’aventure, comme le chantait Brel, qui commence à l’aurore de chaque matin… Chacun de ces matins où, pendant un camp, on se réveille, sous tente, loin de toutes les habitudes du quotidien. Parce que c’était, et c’est aussi cela, le scoutisme : rompre avec les routines du temps qui passe…

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Au scénario de ce premier album (et d’une vingtaine d’autres albums ensuite), Jean-Michel Charlier, un auteur essentiel dans l’essor de la bande dessinée d’après-guerre ! Impossible ici de répertorier les dizaines et dizaines d’albums qu’il a écrits, pour des dessinateurs très différents les uns des autres : Gir, Hubinon, Uderzo, Cheret, Victor de la Fuente, Eddy Paape… Et Mitacq, qui a fait vivre en sa compagnie cette bande de jeunes s’imposant dans un monde en perpétuels changements, y prenant leur place par leur volonté de vivre, envers et contre tout, « en vert et contre tout » dans les troupes scoutes qui avaient comme uniforme un pull vert, et je pense à la 31ème A…

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Mitacq… Un dessinateur chez qui on ne peut pas ne pas remarquer une filiation avec l’immense Pierre Joubert ! Son trait, réaliste, extrêmement précis dans l’approche qu’il a des visages, est en effet dans la lignée directe de ces romans scouts illustrés par Joubert, ceux de la collection Signe de Piste, qui ont fait rêver des générations et des générations de jeunes lecteurs… Les scénarios également permettent à Charlier de continuer à faire ce qu’il aime, et ce qu’il fait admirablement bien, inventer des « aventures » à taille humaine, tout en y ajoutant des sentiments et un jeu d’acteurs parfois même novateur… Les scouts de la Patrouille des Castors sont des héros, oui… Mais ils annoncent déjà, dans la construction littéraire qui est celle de Charlier, l’anti-Héros Blueberry qui viendra plus tard…

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Je parlais, plus haut, d’aventure… C’est un peu le leitmotive du scoutisme : vivre des aventures en vivant des grands jeux… Et ici, Charlier et Mitacq dépassent l’idée du jeu, pour l’ancrer dans des péripéties réelles… C’est d’ailleurs un des thèmes fréquents de la collection Signe de Piste, encore !… La Patrouille des Castors devient ainsi un groupe d’amis qui, engagés avant que ce mot ne trouve un autre sens dans les années 70, osent, jeunes, intervenir dans la vraie vie, et y combattre les « méchants ».  C’est ce qui se passe dans ce Mystère de Grosbois… Un livre que j’ai pris énormément de plaisir à redécouvrir dans cette réédition qui permet de faire glisser ses regards sur des planches somptueuses… Un livre qui s’accompagne, éditorialement parlant, d’un texte de Patrick Gaumer, dont les analyses sont toujours extrêmement bien faites… Et s’il est vrai que la thématique des Castors est « datée », il est tout aussi vrai que Mitacq, au long de sa carrière, a fait évoluer ses héros dans un monde qui changeait, ce qui en fait une série bd particulièrement réussie… Une série que je ne peux que vous inviter à redécouvrir grâce à cet album !

Jacques et Josiane Schraûwen

La Patrouille Des Castors : Le Mystère De Grosbois (dessin : Mitacq – scénario : Charlier – éditeur : Adhoc – mai 2025)

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Les Petits Métiers Méconnus – Du soleil au coeur

Les Petits Métiers Méconnus – Du soleil au coeur

Septembre… La fin des vacances, le retour au boulot, le ciel qui se grisaille, la pluie qui pleure aux carreaux, l’automne qui n’a pas encore ses chatoiements infinis… Le temps, pourquoi pas, de rêver à l’improbable, et de le découvrir possible !

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Vincent Zabus est de ces scénaristes pour lesquels la vie, celle qu’il regarde autant que celle qu’il vit sans doute, fourmille de folies à peine cachées parfois, totalement tues d’autres fois, frémissantes, calfeutrées, hurlantes… De ces petites folies quotidiennes qui font que l’ennui, le temps d’un regard, le temps d’un sourire, s’efface ! Et comme Vincent Zabus est pétri à la fois de poésie et de talent, de douceur et d’amour, avec un a souvent majuscule, il nous les offre dans ces livres, ces moments hors de l’instant, ces instants minusculement éternisés, ces rêveries qui font croire que le monde, finalement, pourrait être meilleur que ce qu’il est.

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Et c’est donc en regardant ce monde qui l’entoure que Vincent Zabus a imaginé seize métiers qui pourraient embellir le quotidien… Des métiers qui n’existent pas ?… Eh, qui sait ! Avec Zabus, avec la bande dessinée, avec le théâtre de l’existence de rue en rue, tout est toujours possible ! Et comme Zabus est également très partageur, il a offert ses rêves et ses imaginaires à quinze dessinateurs. Quinze artistes qui, avec une évidente amitié, ont prolongé de leurs graphismes variés les essentielles dérives poétiques d’un écrivain serein, tranquille, toujours rieur… et pensif !

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Je n’aime pas, je l’ai déjà dit, la littérature « positive » qui se mêle, de nos jours, à celle des faits divers les plus sordides… La positive attitude me semble tout aussi dangereuse pour l’intelligence humaine que la multiplication des meurtres racontés avec tous les détails ! Ce sont deux pôles, je pense, d’une seule réalité : l’être humain s’ennuie comme un rat déjà en train de mourir ! Cela dit, dans ce livre des petits métiers méconnus, je ne vois rien de fabriqué dans la description de pensables (ou impensables) bonheurs. Zabus nous offre, et le terme est bien choisi, quelques fables sans morale… Des fables qui auraient pu, en d’autres temps moins vénaux, tempérer les égocentrismes pompeux de quelques philosophes autoproclamés…

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Non, Pour Zabus et ses complices, ce livre est une caresse offerte aux quotidiens qui sont nôtres… Pourquoi donc n’existe-t-il pas, ce marieur d’ombres qui, sur la couverture, serait capable de faire se rejoindre quelques solitudes ? Pourquoi ne trouve-t-on pas, sur nos marchés publics, ce vendeur de gros mots qui parvient à leur redonner leur importance de sourire comme de révolte ? Pourquoi n’existe-t-il pas, ce réparateur de miroir qui, en changeant un reflet, change la vie ? Pourquoi ne rencontre-t-on pas ce raconteur de rue qui trouve en lui les mots qui remplacent chez un ami aveugle les images qu’il n’a plus ? Pourquoi ne crée-t-on pas un musée des anonymes, dans lequel mille et un objets racontent en silence mille-et-une existences inconnues, donc méconnues ?

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Cet album est un livre charmant, dans sa première signification : il charme, il poétise le présent sans besoin de rimes, il offre du rêve qu’il ne tient, peut-être, qu’au lecteur de réaliser ! Zabus est un magicien… Et si je ne vais pas citer tous ses assistants qui, je le devine, ont chacun apporté sa présence et son originalité à la construction de ce livre, je ne peux que souligner l’essentiel de leur art ux côtés de Zabus, et cela se sent… D’Hippolyte à Campi, de Maurel à Durieux, d’Alfred à Berberian, de Efa à Clérisse, ce livre se fait aussi, tranquillement, une ode à la bande dessinée dans tous ses états, dans tous ses genres, dans toutes ses approches artistiques…

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Le temps d’une lecture, profitez de la chance de penser que des métiers méconnus se vivent tout près de vous, et qu’il ne tient qu’à ouvrir les yeux pour les apercevoir après les avoir devinés… Oubliez tous les gris du ciel comme de l’âme, du souvenir comme de la peur du lendemain, et devenez, à votre tour, les complices de ce scénariste qui occupe, dans les méandres du neuvième art, une place à part, une place, donc, à mettre absolument en évidence… Dans votre bibliothèque, par exemple…

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Petits Métiers Méconnus (scénario : Vincent Zabus – dessin : 15 auteurs – éditeur : Dupuis – 124 pages)

Musée – Les regards de Chabouté dans le Musée d’Orsay

Musée – Les regards de Chabouté dans le Musée d’Orsay

Je sacrifie encore aujourd’hui, ici, à mon plaisir de réveiller des œuvres parues il y a déjà quelque temps. Pourquoi ?… Parce que j’ai la certitude qu’un livre peut mériter bien plus que l’intérêt d’une seule saison littéraire ! Surtout quand ce livre est l’œuvre d’un artiste exceptionnel !

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Et Chabouté est un auteur essentiel dans l’univers du neuvième art, il est, je pense, un des meilleurs dessinateurs de sa génération, probablement même le meilleur. D’autres que moi (et je pense à Thierry Bellefroid) l’ont déjà dit, d’autres que moi ont mis depuis des années en évidence son sens de la lumière, son travail de conteur en images, la puissance de ses contrastes entre noir et blanc. Je voudrais, moi, simplement, parler de son regard… De SES regards pluriels sur le monde qui l’entoure sans jamais l’enfermer.

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De nos jours, on voit bien plus qu’on regarde… Cartier-Bresson (je crois que c’est lui) disait que la technique photographique n’était là qu’en petit complément de l’œil du photographe, seul capable de saisir un instant et de l’immortaliser. Dans l’art de Chabouté, on se situe dans la même démarche, sur le même chemin. Quels que soient les thèmes qu’il a abordés pendant sa carrière, même avec Landru ou Moby Dick, ce sont les détails des existences dessinées qu’il aime mettre en évidence, même et souvent sans insister. Chabouté ne prend pas ses lecteurs par la main, il les agrippe par les yeux… Il en fait, ainsi, les complices de sa propre vision.

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De la même manière, Chabouté n’aime les mots que lorsqu’ils servent à dire ce que sont ceux qui les prononcent. C’est la raison pour laquelle les dialogues sont extrêmement rares dans ses livres. Ils ne ponctuent ni n’expliquent rien, ils sont là, toujours, parce que vivre, c’est aussi communiquer, même pour ne le faire qu’au travers de phrases toutes faites, de ces phrases de pauvres gens, en quelque sorte, dont Ferré parle dans sa chanson « Avec le temps ».

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N’est-ce pas, d’ailleurs, la véritable trame de l’œuvre de Chabouté que de nous raconter le temps qui passe ? De le faire en dessins, en noirs et blancs puissants, en pages/planches qui laissent le silence s’installer entre les cases, en découpages qui, pour mathématiques qu’ils puissent avoir l’air, construisent une géométrie improbable de la poésie ?… Et c’est cette poésie, celle du quotidien, mais également celle de l’Art avec un A majuscule, qui se déroule dans cet album-ci…

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Un album qui nous emmène dans un des musées français les plus importants, celui d’Orsay. Un lieu dont les architectures créent sans cesse des perspectives changeantes. Des visiteurs s’y baladent, curieux ou simples badauds, intéressés ou supportant tant bien que mal leur ennui. Ces visiteurs, hommes, femmes, enfants, guides, surveillants même, s’arrêtent pour s’approcher plus près d’une toile, d’une sculpture. Ce sont, dès lors, leurs regards que Chabouté nous montre, des regards qui, étrangement, nous regardent nous-mêmes comme si nous étions, lecteurs, le tableau qu’il admirent, ou pas, qu’ils aiment, ou pas. Et à travers ces regards, à travers aussi les bribes de conversations que Chabouté retranscrit au hasard du temps qui passe, c’est une image de notre société qui nous est offerte, une image qui n’a rien d’extraordinaire, rien d’ordinaire non plus, une image comme un puzzle à éternellement recommencer.

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Il y a l’intellectuel qui parle de l’eurythmie de la pluralité chromatique, il y a cette dame qui parle de calme et de sérénité, il  a ces deux ménagères qui, devant une toile de Manet, parlent de leur manière de cuire les asperges, il y a une petite fille qui raconte les tableaux à son grand-père aveugle, et puis il y a des dizaines de regards qui s’approchent de très près de nous, donc d’un tableau qu’ils sont seuls à voir, et dans ces regards-là, tout se dessine entre le sourire, la tendresse, l’admiration, le dégoût, la fuite, face à un tableau qu’on finira, vous et moi, par découvrir aussi…

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Et puis, il y a la nuit dans le musée… Les statues qui prennent vie, se croisent, nouent des relations, il y a les tableaux, les « plats » qui ne peuvent bouger que si les sculptures les aident à le faire, mais qui parlent entre eux… Ils parlent de tous ces gens qu’ils ont vu passer, presque défiler, au long de la journée. Une femme peinte regarde par la fenêtre, chaque soir, un homme dans la rue promener son chien… Elle le regarde, et c’est à travers ce passant et son animal de compagnie qu’on ressent la fuite des jours, la fuite des heures, la fuite de toute existence… Je ne sais pas si c’est voulu, mais cette silhouette tenant son chien en laisse, et l’accompagnant jusqu’à ses derniers moments, m’a fait penser à un autre dessinateur de bande dessinée, génial lui aussi… Peut-être s’agit-il, pour Chabouté, de faire un clin d’œil à Schuiten, je ne sais pas, mais ce personnage se révèle être le pivot entre la magie de la nuit qui rend l’art réellement vivant, et la grisaille de la journée et de ses longues habitudes, seules capable d’engendrer l’Amour, l’émotion, au-delà de toutes les apparences.

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Je suis incapable de définir ce qu’est la poésie… Une manière, peut-être, de dénuder toutes les émotions de l’âme… Mais ce dont je suis certain, c’est que ce « Musée » est une ode poétique et presque immobile, même si elle est habitée par des mouvements sans fin, une ode à la vie qui se fait existence, parfois, de manière voulue ou impromptue. Ce livre date d’il y a deux ans, je sais… Mais il est un de ces vrais chefs d’œuvre qui font de la bande dessinée un art que l’on dit neuvième, et qui se nourrit de tous les autres…

Jacques et Josiane Schraûwen

Musée (auteur : Chabouté – éditeur : Vents D’Ouest – avril 2023 – 190 pages)