Le Meilleur Ami Du Chien – L’adopter, c’est le sauver

Le Meilleur Ami Du Chien – L’adopter, c’est le sauver

Des gags déjantés qui nous racontent un monde inversé de celui qu’on pense être nôtre…

copyright fluide glacial

Et si, un jour, commençait une nouvelle ère… Et si, un jour, un Saint-Bernard prêchait une nouvelle croisade : « Debout, mes frères ! Prenons les clés du monde… Et sauvons l’humanité ! » ! Et si les chiens, les meilleurs amis de l’homme dit-on, s’en allaient chez les humains, prenaient possession de leurs maisons et de leurs biens avant de les adopter, avec comme règle absolue : « sauvons-les d’eux-mêmes » !

C’est ce que nous racontent Guerse et Lhote dans cet album fou dont les aboiements se font les reflets de nos quotidiens !

copyright fluide glacial

Cela dit, n’allez surtout pas croire vous plonger dans un livre sérieux, moraliste, dans une analyse pointue des habitudes que nous avons en ce siècle vingt-et-unième… Non, cet album est bien de la trempe et de l’humour de l’éditeur qui le publie : c’est de l’humour, parfois débile, quelquefois gras, étrangement fin de temps en temps, c’est du fluide glacial, simplement, apposé sous les fesses bien pensantes de nos humaines habitudes !

copyright fluide glacial

Ce livre, donc, part de l’axiome que l’être humain est l’animal de compagnie préféré des chiens, en inversant donc leurs rôles respectifs, sans d’autre critique que celle d’une acerbe observation de ces fameux rôles… Il faut être con comme l’homme l’est pour penser que le chien qui lui tient compagnie éprouve à son égard le moindre sentiment d’amitié ! Comme disait je ne sais plus qui, Léautaud peut-être, « je préfère les chats aux chiens, parce qu’on n’a encore jamais vu un chat policier »… Et domestiqués ou pas, finalement, les hommes sont très, très cons…

copyright fluide glacial

Et pour bien faire le tour du sujet de cette soumission rêvée de l’Homme au chien, les auteurs, Olivier Lhote au scénario et Guillaume Guerse au dessin, ont choisi la voie la plus directe, la plus rapide, celle du gag en une ou deux pages, pas plus… La plus difficile, aussi, tant il est vrai que, depuis quelques années, on voit fleurir ce genre de productions répétitives et, en fin de compte, lassantes sans être comiques… (je ne cite personne !)

copyright fluide glacial

Ici, rien de lassant… Le scénario part de ce qu’on connaît tous, peu ou prou, et en inverse les règles. C’est de l’absurde poussé à son extrême que l’humour peut jaillir, noir plus souvent que rose bonbon ! Et c’est bien le cas, jusqu’à redéfinir la position de dominé-dominant dans une relation humain-animal. Un texte vif comme l’est le dessin, une volonté parfois (souvent) de choquer qui se révèle réjouissante, des dialogues précis, incisifs, un graphisme caricatural qui accentue les mouvements et les expressions, le tout d’une belle et immédiate efficacité, voilà ce qu’est cet album dans lequel je me suis baladé avec plaisir, dans lequel je vous invite à faire de même ! Parce que, finalement, rire de ce que nous sommes, c’est encore une des rares libertés qui nous est conservée !

copyright fluide glacial

Un très agréable livre, lu tranquillement, et qui, ma foi, parvient aussi à faire, de ci de là, réfléchir à ce que sont les conditions humaine et animale ! Mais sans jamais se prendre au sérieux !!!!

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Meilleur Ami Du Chien (dessin : Guillaume Guerse – scénario : Olivier Lhote – éditeur : Fluide Glacial – 2025 – 56 pages)

Martine En Belgique

Martine En Belgique

Le dessin de Marcel Marlier est indémodable, et survit à toutes les modes par sa lumière, sa gentillesse, sa forme tranquille de pureté…

copyright casterman

J’ai à cœur, dans mes chroniques, de ne pas être stupidement « sectaire ». De parler de tous les genres qui appartiennent à la bande dessinée, certes, mais aussi à la « littérature jeunesse », à la littérature tout simplement aussi. Et aujourd’hui, ce n’est donc pas d’une bande dessinée que je vais vous parler, mais d’un livre pour jeune public.

copyright casterman

Martine, c’est une série presque sociologique qui existe depuis plus de 70 ans et qui, grâce au dessin superbe de Marcel Marlier, résiste aux modes et aux ravages du temps. Et aujourd’hui, avec des dessins glanés ici et là dans des albums précédents, et mêlés à des photos, Martine se balade en Belgique, tout simplement.

copyright casterman

Sous la plume légère de Rosalind Elland-Goldsmith, amoureuse et spécialiste, on peut le dire de l’œuvre de Marlier, Martine nous fait donc découvrir, en compagnie de Patapouf son chien, Tournai, bien sûr, ville de son créateur, mais aussi Ostende, Namur comme Gand, Anvers comme Liège et Bruxelles. Avec gentillesse et sourire, ce qui, de nos jours, devient tellement rare! Surtout sous la pluie…

copyright casterman

C’est un petit livre sympa comme tout, pas compliqué, amoureux de la Belgique, et qui devrait donner aux enfants, et/ou à leurs parents, l’envie de redécouvrir le patrimoine belge. Un livre agréable et utile, donc ! Une Martine, d’ailleurs, qui appartient totalement au patrimoine de notre « pays petit »…

Jacques et Josiane Schraûwen

Martine en Belgique (dessin : Marcel Marlier – texte : Rosalind Elland-Goldsmith – éditeur : Casterman)

Musée – Les regards de Chabouté dans le Musée d’Orsay

Musée – Les regards de Chabouté dans le Musée d’Orsay

Je sacrifie encore aujourd’hui, ici, à mon plaisir de réveiller des œuvres parues il y a déjà quelque temps. Pourquoi ?… Parce que j’ai la certitude qu’un livre peut mériter bien plus que l’intérêt d’une seule saison littéraire ! Surtout quand ce livre est l’œuvre d’un artiste exceptionnel !

copyright vents d’ouest

Et Chabouté est un auteur essentiel dans l’univers du neuvième art, il est, je pense, un des meilleurs dessinateurs de sa génération, probablement même le meilleur. D’autres que moi (et je pense à Thierry Bellefroid) l’ont déjà dit, d’autres que moi ont mis depuis des années en évidence son sens de la lumière, son travail de conteur en images, la puissance de ses contrastes entre noir et blanc. Je voudrais, moi, simplement, parler de son regard… De SES regards pluriels sur le monde qui l’entoure sans jamais l’enfermer.

copyright vents d’ouest

De nos jours, on voit bien plus qu’on regarde… Cartier-Bresson (je crois que c’est lui) disait que la technique photographique n’était là qu’en petit complément de l’œil du photographe, seul capable de saisir un instant et de l’immortaliser. Dans l’art de Chabouté, on se situe dans la même démarche, sur le même chemin. Quels que soient les thèmes qu’il a abordés pendant sa carrière, même avec Landru ou Moby Dick, ce sont les détails des existences dessinées qu’il aime mettre en évidence, même et souvent sans insister. Chabouté ne prend pas ses lecteurs par la main, il les agrippe par les yeux… Il en fait, ainsi, les complices de sa propre vision.

copyright vents d’ouest

De la même manière, Chabouté n’aime les mots que lorsqu’ils servent à dire ce que sont ceux qui les prononcent. C’est la raison pour laquelle les dialogues sont extrêmement rares dans ses livres. Ils ne ponctuent ni n’expliquent rien, ils sont là, toujours, parce que vivre, c’est aussi communiquer, même pour ne le faire qu’au travers de phrases toutes faites, de ces phrases de pauvres gens, en quelque sorte, dont Ferré parle dans sa chanson « Avec le temps ».

copyright vents d’ouest

N’est-ce pas, d’ailleurs, la véritable trame de l’œuvre de Chabouté que de nous raconter le temps qui passe ? De le faire en dessins, en noirs et blancs puissants, en pages/planches qui laissent le silence s’installer entre les cases, en découpages qui, pour mathématiques qu’ils puissent avoir l’air, construisent une géométrie improbable de la poésie ?… Et c’est cette poésie, celle du quotidien, mais également celle de l’Art avec un A majuscule, qui se déroule dans cet album-ci…

copyright vents d’ouest

Un album qui nous emmène dans un des musées français les plus importants, celui d’Orsay. Un lieu dont les architectures créent sans cesse des perspectives changeantes. Des visiteurs s’y baladent, curieux ou simples badauds, intéressés ou supportant tant bien que mal leur ennui. Ces visiteurs, hommes, femmes, enfants, guides, surveillants même, s’arrêtent pour s’approcher plus près d’une toile, d’une sculpture. Ce sont, dès lors, leurs regards que Chabouté nous montre, des regards qui, étrangement, nous regardent nous-mêmes comme si nous étions, lecteurs, le tableau qu’il admirent, ou pas, qu’ils aiment, ou pas. Et à travers ces regards, à travers aussi les bribes de conversations que Chabouté retranscrit au hasard du temps qui passe, c’est une image de notre société qui nous est offerte, une image qui n’a rien d’extraordinaire, rien d’ordinaire non plus, une image comme un puzzle à éternellement recommencer.

copyright vents d’ouest

Il y a l’intellectuel qui parle de l’eurythmie de la pluralité chromatique, il y a cette dame qui parle de calme et de sérénité, il  a ces deux ménagères qui, devant une toile de Manet, parlent de leur manière de cuire les asperges, il y a une petite fille qui raconte les tableaux à son grand-père aveugle, et puis il y a des dizaines de regards qui s’approchent de très près de nous, donc d’un tableau qu’ils sont seuls à voir, et dans ces regards-là, tout se dessine entre le sourire, la tendresse, l’admiration, le dégoût, la fuite, face à un tableau qu’on finira, vous et moi, par découvrir aussi…

copyright vents d’ouest

Et puis, il y a la nuit dans le musée… Les statues qui prennent vie, se croisent, nouent des relations, il y a les tableaux, les « plats » qui ne peuvent bouger que si les sculptures les aident à le faire, mais qui parlent entre eux… Ils parlent de tous ces gens qu’ils ont vu passer, presque défiler, au long de la journée. Une femme peinte regarde par la fenêtre, chaque soir, un homme dans la rue promener son chien… Elle le regarde, et c’est à travers ce passant et son animal de compagnie qu’on ressent la fuite des jours, la fuite des heures, la fuite de toute existence… Je ne sais pas si c’est voulu, mais cette silhouette tenant son chien en laisse, et l’accompagnant jusqu’à ses derniers moments, m’a fait penser à un autre dessinateur de bande dessinée, génial lui aussi… Peut-être s’agit-il, pour Chabouté, de faire un clin d’œil à Schuiten, je ne sais pas, mais ce personnage se révèle être le pivot entre la magie de la nuit qui rend l’art réellement vivant, et la grisaille de la journée et de ses longues habitudes, seules capable d’engendrer l’Amour, l’émotion, au-delà de toutes les apparences.

copyright vents d’ouest

Je suis incapable de définir ce qu’est la poésie… Une manière, peut-être, de dénuder toutes les émotions de l’âme… Mais ce dont je suis certain, c’est que ce « Musée » est une ode poétique et presque immobile, même si elle est habitée par des mouvements sans fin, une ode à la vie qui se fait existence, parfois, de manière voulue ou impromptue. Ce livre date d’il y a deux ans, je sais… Mais il est un de ces vrais chefs d’œuvre qui font de la bande dessinée un art que l’on dit neuvième, et qui se nourrit de tous les autres…

Jacques et Josiane Schraûwen

Musée (auteur : Chabouté – éditeur : Vents D’Ouest – avril 2023 – 190 pages)