Les Mémés – Chroniques des âges farouches

Les Mémés – Chroniques des âges farouches

L’humour à la « fluide » glacial aime ruer dans les brancards, toujours, s’écarter des sentiers battus, affronter les diktats d’une société de plus en plus politiquement correcte. L’humour à la « fluide glacial » est, de ce fait, salutaire ! Et c’est bien le cas avec ce petit livre à ne pas rater !

Les mémés 1 © Fluide Glacial

Les mémés… Vous savez bien, ces veilles femmes, souvent avec un caddie, que vous croisez dans la rue en les voyant à peine, en ne les regardant pas, et qui, courbées par l’âge, vous savent insensibles…

Les mémés, vous savez bien, ces femmes dont les rides ne se souviennent plus de leurs beautés passées, et qui se rencontrent, dans la rue, au supermarché, pour des petite parlottes quotidiennes…

Les mémés, vous savez bien, ces poids morts dont on ne parle qu’en cas de canicule ou de pandémie pendant laquelle on les laisse mourir dans un anonymat répugnant…

Les mémés 1 © Fluide Glacial

Les mémés, vous savez bien, ces vieilles comme dans la chanson de Brel, qui devraient vous rappeler que l’horloge du salon ronronne pour vous également, et que le temps s’approche de vos propres vieillesses ennemies…

Ce sont elles qui sont les héroïnes de ce livre réjouissant, jouissif, grinçant, donc essentiel !

Sylvain Frécon nous les montre telles qu’elles sont, sans fioritures. Elles ne sont pas de celles qui se rendent dans des salons de beauté, elles ne sont pas ce celles que la richesse permet de briller encore un peu. Non, elles sont, tout simplement, quotidiennes… Comme vos grands-mères que vous ne voyez qu’une fois par an.

Les mémés 1 © Fluide Glacial

Au fil des pages, de gag d’une page en gag d’une page, ces mémés n’ont pas la langue en poche, loin s’en faut ! Elles peuvent, sans vergogne, et sans frein, dire ce qu’elles veulent, ce qu’elles pensent, sans s’occuper du qu’en-dira-t-on. Elles sont vivantes, elles se savent de plus en plus proches, de jour en jour, de l’échéance finale, et elles n’ont plus besoin de barrières, de distanciations.

Vulgaires ? Parfois, parce que la vie est de plus en plus d’une vulgarité terrible.

Agressives ? Parfois aussi, parce qu’elles n’ont plus le temps d’accepter qu’autour d’elles vivent en paix des humains soumis à la connerie au jour le jour.

Les mémés 1 © Fluide Glacial

Elles sont sans retenue ? Oui, parce que, vieilles dames indignes, elles peuvent profiter pleinement de leur non-jeunesse pour parler et ne pas être agressées pour leurs avis tranchés, provocateurs, provocants ! Elles sont, ces mémés, épiques dans un monde qui ne l’est plus, comme le disait Ferré. Les âges sont farouches, mais pas les leurs, loin de là !

Ce livre, croyez-moi, est un petit bijou d’humour noir et d’observation pointue de notre monde !

Les mémés 1 © Fluide Glacial

Dans un style graphique vif, raide, direct, Sylvain Frécon fait de ces mémés les dernières des anarchistes, les ultimes résistantes à l’universelle bêtise, même si elles ont conscience, en même temps, de leurs propres âneries. C’est à la fois un livre d’humour, un livre d’humour sociologique, un livre de tendresse, un livre de révolte. Un livre qui n’a peur ni des mots ni des images qui les portent !

Jacques Schraûwen

Les mémés – chroniques des âges farouches (auteur : Sylvain Frécon – éditeur : Fluide Glacial – 94 pages – 2021)

Les mémés 1 © Fluide Glacial
Méfie-toi d’une femme qui lit

Méfie-toi d’une femme qui lit

La lecture comme essentielle voie de liberté…

C’est Laure Adler qui disait que les femmes qui lisent sont dangereuses.

Pas pour elles, non, loin s’en faut, mais pour le monde qui les entoure et qui, depuis tellement longtemps, et encore aujourd’hui dans bien des sociétés, ne pense, consciemment ou pas, que la femme n’a qu’une intelligence très limitée.

Méfie-toi d’une femme qui lit © Daviken

Vous l’aurez compris, ce livre se veut féministe. Et il est vrai qu’en le lisant, très vite, je me suis mis à retrouver en moi les rimes chantées d’Anne Sylvestre, une sorcière comme les autres (https://www.youtube.com/watch?v=f6wq8UVy94s) ou d’Andrée Simons, Marie de Grâce-Berleur ( https://www.youtube.com/watch?v=0QdeWVtAubw . Des voix de femmes pour un combat qui jamais ne s’arrête et qui dépasse, tout compte fait, le seul féminisme.

Méfie-toi d’une femme qui lit © Daviken

Parce que lire, c’est voyager, c’est accepter de pénétrer dans des univers qui ne sont pas les nôtres, et donc accepter des confrontations de toutes sortes.

Parce que lire, c’est découvrir qu’en chaque ligne écrite se cachent des idées et des images qui ne peuvent que nous faire rêver ou réfléchir.

Parce que lire, c’est comprendre qu’on peut aussi écrire, parler, s’exprimer, échanger, donc se révolter, donc lutter.

Méfie-toi d’une femme qui lit © Daviken

Ce livre est féministe, certes. Mais il nous dit aussi que tout humain qui lit, qui se veut donc pénétrer dans les territoires de la connaissance et de l’échange, peut se révéler dangereux pour l‘ordre établi, pour tous les ordres établis.

42 auteurs, sous la houlette de Fred Aviken et de quelques scénaristes ont répondu présent à l’appel d’un éditeur ambitieux et engagé, humainement engagé.

42 auteurs, femmes et hommes rassemblés dans l’illustration d’un sujet toujours d’actualité, nous offrent un part de leur talent dans cet album qui rend hommage tout autant à la lecture, finalement, qu’à l’art graphique, vecteurs éternellement complices de toute émancipation.

Méfie-toi d’une femme qui lit © Daviken

Il y a des auteurs du neuvième art, mais il y a aussi des graphistes, des peintres, des illustrateurs. Et chaque participation est précédée d’une petite introduction qui nous dit qui sont ces femmes et ces hommes avides de dessins, le pourquoi de leur participation, et ce qui sous-tend l’œuvre qu’ils nous présentent… Qu’ils partagent, plutôt, avec nous.

Ce n’est pas un livre revendicatif, pas seulement, en tout cas. C’est aussi un livre d’art, avec, en couverture, Guillaume Sorel et son hommage très personnel à une personnage emblématique de la bd féminine, Adèle Blansec.

Méfie-toi d’une femme qui lit © Daviken

Et puis au fil des pages, le regard s’attarde ou glisse sur des femmes qui lisent, réelles ou imaginaires, dessinées ou peintes par des artistes extrêmement variés…

Il y a Jean-Paul Krassinsky, qui, pour illustrer le bonheur de lire, choisit la bd muette. Il y a Maud Amoretti dont la lectrice vit dans un décor où l’imaginaire prend possession du réel. Il y a Marie Avril et son portait de l’élégie d’Eluard. Il y a Daphné Collignon, l’auteure par ailleurs de Calpurnia, qui nous montre à voir Virginia Woolf. Il y a Thomas Campi, dont on ne peut oublier « Macaroni » ou « Magritte », et qui nous parle du plaisir de la lecture au quotidien de la vie. Il y a Walter Minus qui, avec son trait volontairement désuet, mêle le sport et la féminité victorieuse.

Méfie-toi d’une femme qui lit © Daviken

Je ne vous citerai pas les 42 artistes qui, chacune et chacun à sa manière, font que ce livre existe, qu’il est un bel objet, qu’il est, éditorialement, une superbe réussite.

Parce que les éditions Daviken ont des ambitions qui méritent, assurément, d’être mises en avant, d’être encouragées. Cet éditeur fait le choix de la qualité… Mais dans tous les domaines ! Celui de l’impression, bien entendu, mais aussi celui de la durabilité, celui de la proximité, celui d’un vrai partage avec les lecteurs et les revendeurs.

Méfie-toi d’une femme qui lit © Daviken

Allez visiter son site, allez l’encourager, pour qu’il puisse, encore et encore, nous offrir des livres aussi aboutis et importants que celui-ci ! Aussi beaux, tout simplement ! Donc essentiels…

https://daviken.com/editions-daviken.html

Jacques Schraûwen

Méfie-toi d’une femme qui lit (ouvrage collectif – 42 auteurs – éditions Daviken – mars 2021 – 144 pages)

Méfie-toi d’une femme qui lit © Daviken
« Un papa, une maman » et « Marathon »

« Un papa, une maman » et « Marathon »

Deux coups de cœur, deux belles réussites à lire, absolument !

Ce que j’aime dans la bande dessinée, dans la littérature, c’est l’éclectisme… Celui de mes goûts, celui des éditeurs aussi qui, de plus en plus, aiment à nous proposer, lecteurs, des lectures très variées… et de qualité !

Marathon

(auteur : Nicolas Debon – éditeur : Dargaud – 128 pages – juin 2021)

Marathon © Dargaud

Le 5 août 1928, pendant les Jeux Olympiques d’Amsterdam, c’est le jour d’une des épreuves les plus éprouvantes, le marathon.

Le 5 août 1928, c’est une course longue, dure, avec un vent puissant contre lequel se battre, qui débute. Avec des favoris, les Américains, les Japonais. Avec un inconnu, un Français qui vient d’ailleurs, d’Algérie, un ouvrier de chez Renault, un petit Arabe dont personne ne retient le nom.

Marathon © Dargaud

Et c’est cette course que nous raconte Nicolas Debon, vue à la fois de l’intérieur et de l’extérieur grâce à la perception qu’en a un journaliste français.

Et dans ce récit, Nicolas Debon réalise un vrai exploit, tout comme celui de ce coureur, El Ouafi Boughéra… Celui de nous montrer, de page en page, des dessins qui, tous, se ressemblent un peu, des coureurs, des hommes seuls avec eux-mêmes, bien qu’entourés d’autres coureurs. Et, ce faisant, de réussir à créer un rythme, sans jamais lasser les yeux du lecteur… Dans des tons bruns, couleur de Sienne, éclairés ici et là de quelques touches de couleur un tout petit peu plus vives, Debon fait de son album une sorte de livre d’animation… On voit les sportifs courir, certes, mais, surtout, on les « sent » courir… Se fatiguer, douter, se battre pour des raisons qu’ils sont seuls à connaître.

Marathon © Dargaud

Oui, ce livre est d’abord un livre visuel, un livre de sensations, d’impressions, de musique, celle des pas qui martèlent le sol.

Mais il est aussi un livre qui nous parle de l’idéal olympique, si souvent bafoué pour des raisons mercantiles, politiques, tristement raciales, aussi, donc idéologiques.

Et il nous en parle sans idéologie, justement, avec le seul regard de l’intelligence et de l’empathie. Avec les seuls mots, ou presque, de son personnage central et de tout ce à quoi peut penser un athlète en marche, croit-il, vers la seule victoire qui compte, celle d’une liberté plus forte que toute gloire.

Marathon © Dargaud

Ce livre est étonnant… Extrêmement graphique, il est une totale réussite… Et le dossier qui le termine, et qui éclaire la vie de ce vainqueur que l’Histoire des jeux olympiques a oublié, ce dossier est clair, précis, et bienvenu…

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne)

(auteure : Florence Cestac – éditeur : Dargaud – janvier 2021 – 56 pages)

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne) © Dargaud

On ne parle bien que de ce qu’on connaît, et aucun imaginaire ne remplacera jamais la puissance de la vraie souvenance.

C’est cette certitude qui me pousse, depuis longtemps, à préférer Jules Renard à Schmitt, Léautaud à Levy, Malet à De Villers, Céline à Musso, Pennac à Dard.

En BD, cette notion du « vécu » prend souvent des formes détournées, de par le format, déjà, imposé à cet art. Même dans un roman graphique, il faut que l’imagination soit bien présente, et, de ce fait, le vécu, lui, et ses idées, ses impressions, ses coups de gueule, ses coups de cœur, tout cela se retrouve en arrière-plan. Et c’est lorsque cet arrière-plan se laisse voir, apprivoiser, qu’un album bd me semble le mieux réussi… C’est le cas chez Tardi, par exemple, chez des scénaristes comme Dufaux, ou même Cauvin. C’est le cas, pratiquement toujours, dans les livres que je prends plaisir, ici, à chroniquer.

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne) © Dargaud

Avec Florence Cestac, les choses sont différentes. A l’instar de Claire Bretécher, elle parle presque toujours d’elle, ouvertement, d’album en album.

Et, bon Dieu, elle en parle bien ! Avec une sorte de distanciation qui souligne avec encore plus de puissance la réalité de la révolte. Avec une délectation, aussi, à nous dessiner, au feu de ses souvenirs, les braises vacillantes de ce qu’était la vie, avant, hier, avant-hier…

Dans ce livre-ci, c’est presque à une démarche sociologique qu’elle se livre. Elle nous raconte sa famille, son enfance, son adolescence, dans ce qu’on appelle aujourd’hui « les trente glorieuses » et qui n’avaient de la gloire que les apparats clinquants !

Eh oui, Florence Cestac est ce que quelques crétins intellectuels sans être intelligents appellent une « boomer » !

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne) © Dargaud

Et le récit de sa jeunesse nous montre, sans faux fuyant, ce qu’était le sens de la famille, les autorités évidentes qui y régnaient, les rôles préétablis qui y prévalaient. Elle nous rappelle ainsi qu’aucune époque ne ressemble à quelque paradis que ce soit, et que ces fameuses trente glorieuses ont été aussi des années pendant lesquelles quelques combats essentiels ont vu le jour. Combat pour la liberté d’être soi, combat pour nier à la famille un pouvoir absolu, combat pour que la jeunesse puisse être un éveil, combat pour que la place de chacun, et de la femme singulièrement, se vive sous la seule loi de l’égalité.

C’est un peu tout cela que Florence Cestac nous raconte dans cet album. Mais avec légèreté… Avec sourire… Avec émotion aussi, et, de ce fait, sans manichéisme… Elle le fait en parlant d’elle, de sa propre évolution et donc de celle de la bande dessinée des années 70, de sa carrière, de ce prix d’Angoulême qui, chose pas toujours évidente dans ce haut lieu d’une certaine obédience « parisienne », a récompensé en elle une artiste d’exception !

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne) © Dargaud

Dans ce livre, bien des gens, toutes générations confondues d’ailleurs, vont reconnaître une part d’eux-mêmes.

Parce que, finalement, c’est en parlant de ce qu’on connaît, de ce qu’on a vécu, sans mensonge, qu’on réussit le mieux à faire une œuvre qui concerne tout un chacun !

Jacques Schraûwen