Momo

Momo

Une histoire tendre… souriante… Pour tous les publics… Et c’est d’enfance que brilleront les yeux de tous les lecteurs de ces deux albums tout simplement réjouissants…

 

 

Momo, c’est une petite fille, espiègle, futée, indépendante, sans aucune timidité, loin de là ! Elle vit dans une petite ville de Normandie (un gros village, plutôt…). Pas de maman, mais un papa marin qui, à chacun de ses départs en mer, laisse Momo sous la garde bienveillante d’une grand-mère qui, elle aussi, a son franc-parler.

Et on voit vivre cette petite fille dans cette bourgade, au jour le jour, on la voit en colère, on la voit courageuse et apeurée quand il s’agit d’affronter le poissonnier et sa grande barbe, on la voit étonnée quand elle croise la route d’une adolescente rebelle fumant sa cigarette, les yeux perdus dans le vague, on la voit émue quand elle parle avec sa grand-mère de son grand-père décédé, on la voit bagarreuse avec des garçons qui ne veulent pas d’elle dans leurs jeux, on la voit peureuse quand elle rencontre un sdf chevelu et sale mais tranquillement philosophe.

Et puis, on la voit perdue, totalement, lorsque sa mammy meurt, et qu’elle se retrouve, elle, haute comme trois pommes, prise en charge par tout le village et, plus spécifiquement, par celui qui lui fait toujours un peu peur, le poissonnier…

Ce qui frappe dans ce livre, c’est la présence forte de plusieurs personnages secondaires, sans lesquels l’histoire ne serait que mièvre, sans doute. Les jeunes du village qui cherchent la baston pour passer le temps et oublier leur ennui, par exemple, ont une importance qui s’avère capitale pour l’évolution de Momo.

Ce qui frappe aussi, c’est l’universalité des souvenirs qui sont racontés, des souvenirs qui deviennent réminiscences chez chaque lecteur. Même si l’enfance de Momo n’appartient qu’à elle, on ne peut qu’y retrouver, quel que soit le lieu où on a grandi, des ressemblances avec nos propres enfances, des enfances toujours plurielles, comme sont pluriels, toujours, les sentiments que vivent un enfant !

Rony Hotin: les souvenirs

 

 

Dans ce diptyque, ce qui frappe aussi, c’est la justesse de ton, dans le scénario comme dans le dessin. Tous les thèmes abordés, et ils sont nombreux, le sont simplement, à taille d’enfant, mais avec des connotations adultes évidentes.

Jonathan Garnier, dans son scénario, nous parle du partage, du manque de rancune entre enfants… Il nous raconte l’amitié, celle qui réussit à dépasser toutes les apparences souvent mensongères… Il nous émeut en nous racontant l’absence, la mort, et tous les sentiments qui en découlent dans l’âme d’un enfant, dans le regard d’adultes… Il parvient ainsi à dépasser ce qui aurait pu n’être qu’une histoire jolie mais anecdotique pour nous offrir, avec simplicité, un véritable livre qui nous parle de la communication, au sens le plus large du terme, entre les êtres humains, quels que soient leurs appartenances sociales ou leurs âges…

Pour réussir ce pari, pas évident, il fallait un dessinateur capable de se fondre dans le récit de Jonathan Garnier, mais capable aussi de mettre en scène, avec des angles variés, cette histoire. Et c’est bien en metteur en scène que Rony Hotin s’est totalement plongé dans l’aventure de Momo, dans cette errance d’une enfant en des moments de douleur où, doucement, s’estompe justement l’enfance…

Son dessin, moderne et simple, privilégie les mimiques aux décors, les personnages aux environnements, et parvient à être ainsi terriblement expressif. Rony Hotin, venu du monde de l’animation, est, sans aucun doute possible, un enfant des dessins animés japonais qui ont envahi, lorsqu’il était enfant, les écrans de toutes les télévisions du monde. Mais il réussit, malgré tout, malgré cette influence, à nous enfouir véritablement dans la Normandie. Sans que ce soit une boutade, je qualifierais ces deux albums, graphiquement, de  » mangas normands « …

Et puis, il y a aussi, dans son dessin, des références autres que japonaises… On peut ainsi apercevoir un petit hommage furtif au génial Topor…

Rony Hotin: metteur en scène…
Rony Hotin: un manga normand!

 

Momo, c’est une bande dessinée atypique… C’est, surtout, une bande dessinée qui parle à tout le monde, parents, enfants, grâce à un langage simple, tant littérairement que graphiquement. Simple, mais jamais simpliste !

Tendresse et émotion se mêlent à la nostalgie, et je pense que peu de gens réussiront à ne pas se sentir émus à la lecture de ce diptyque. Deux albums, oui, pour une histoire complète, pour le récit d’une enfance se faisant peu à peu adolescence…

Sans aucun tape-à-l’œil, mais avec un véritable amour pour leurs personnages, Garnier et Hotin nous font le cadeau, avec Momo, d’un superbe rayon de soleil poétique !…

 

Jacques Schraûwen

Momo (deux volumes – dessin : Rony Hotin – scénario : Jonathan Garnier – éditeur : Casterman)

Mémoires de Marie-Antoinette : 1- Versailles

Mémoires de Marie-Antoinette : 1- Versailles

Du fond de sa geôle, la Reine de France se penche sur son passé et nous livre, de souvenance et dépit, une image contrastée de ce que fut son destin.

 

     Marie Antoinette©Glénat

 

On est loin, ici, fort heureusement d’ailleurs, de « Les nouvelles aventures du Petit Prince »… Et même si ce livre s’attarde sur un personnage qui appartient totalement à l’Histoire de France, comme l’était à sa manière le héros de Saint-Exupéry, Le style en est essentiellement fait de fidélité. Fidélité à une époque, fidélité à une ambiance, fidélité à la grande Histoire, fidélité à des personnages qui furent réels et qui appartiennent à l’imaginaire collectif.

Marie-Antoinette, dans ce premier volume, se penche sur ce qu’elle fut, sur la jeune fille jetée en pâture à des nécessités politiques qui la dépassaient, en une époque où écrivains et penseurs entrouvraient déjà des portes menant à d’inéluctables révolutions.

Marie-Antoinette se raconte, tout au long d’un journal intime où elle ne cache rien de ses frivolités, des rapports parfois ambigus qu’elle entretenait avec le roi, son époux, avec la cour, avec des proches pour lesquels ses sentiments dépassaient la simple amitié.

 

 Marie Antoinette©Glénat

 

Noël Simsolo, artiste multiforme, écrivain, comédien, metteur en scène, et donc scénariste de bande dessinée, n’a pas voulu d’un livre manichéen. Tout en respectant la trame historique et politique de l’époque dans laquelle il se plonge et nous plonge à sa suite, il trace un portrait en demi-teinte d’une femme plus que d’une reine, d’un être perdu dans une Histoire majuscule alors qu’elle rêvait d’histoires quotidiennes. Plus qu’un livre historique comme il y en a tant, Simsolo construit ici un livre qui s’intéresse à l’humain, dans une époque qui annonçait déjà quelques déshumanisations à venir. Marie-Antoinette est vivante, avec ses défauts, et ses confidences, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, nous permettant de comprendre, de l’intérieur, ce qu’était la vie à la cour de Versailles, sur ce qu’étaient les obligations des rois, des reines et des courtisans. Ces confidences, imaginées certes, mais nourries, incontestablement, d’un travail de recherche important, nous dressent d’autres portraits, d’ailleurs, que celui de la reine en attente d’une mort inéluctable. Le Roi Louis XVI apparaît dans cet album infiniment moins falot que l’image qu’il a laissée dans les livres d’Histoire française. Il y a aussi le portrait des conseillers royaux, des amis et presque amants de la Reine… Et le portrait, aussi et surtout, d’une période dans laquelle les fastes de la cour, les guerres lointaines, la déliquescence des classes populaire et moyenne, étaient les signes précurseurs d’une révolte sans doute, d’une révolution peut-être…

 

 

 Marie Antoinette©Glénat

 

Le travail de la dessinatrice Isa Python est tout aussi pointilleux et respectueux de son sujet. Le souci qu’elle a de rendre compte des décors fabuleux de Versailles, de ceux des bals masqués dans lesquels la Reine pensait rester anonyme, l’approche qu’elle a de la présence physique de ses personnages, du Roi à la Reine, en passant par Louis XV ou Marie-Thérèse, la mère de Marie-Antoinette, cette approche, sans être d’un réalisme intransigeant, est d‘une tenue parfaite. Et le talent qu’elle a pour s’approcher du plus près des visages de ses personnages, de leurs expressions, sans pour autant les caricaturer, ce talent permet à ce livre de posséder un vrai rythme, une véritable musique dont la partition est à la fois graphique et littéraire, passant, symboliquement, de Beaumarchais à Gluck…

Il y a aussi dans ce « Versailles » une lumière qui réussit à rendre tangibles les détails des décors, alors même qu’ils ne sont parfois qu’esquissés. Sans la présence d’une coloriste extraordinaire, Scarlett, ce livre n’aurait certainement pas eu totalement la qualité qui est la sienne ici !

Vous l’aurez compris, on se trouve, avec « Marie-Antoinette » dans plus qu’un livre historique. Sans effets inutiles, c’est le tableau d’une certaine humanité que les auteurs partagent avec nous.

Une très belle réussite !

 

Jacques Schraûwen

Mémoires de Marie-Antoinette : 1- Versailles (dessin : Isa Python- scénario : Noël Simsolo – couleur : scarlett – éditeur : Glénat)

 

H.G. Wells en BD : La Machine à explorer le Temps

H.G. Wells en BD : La Machine à explorer le Temps

Les éditions Glénat aiment les séries thématiques, depuis longtemps déjà. Et c’est une réussite avec cette collection consacrée à l’adaptation de l’œuvre de H.G. Wells. Avec Mathieu Moreau,un jeune dessinateur, qui a répondu à nos questions…

 

Plusieurs albums de cette collection se retrouvent déjà sur les étals de votre libraire préféré. Et même si tous m’ont plu, chacun à sa manière, chacun ayant son propre style graphique, celui qui a le plus retenu mon attention, c’est l’adaptation de ce merveilleux livre de science-fiction qu’à commis Wells il y a bien longtemps,  » La Machine à explorer le temps « , un livre passionnant qui a influencé pendant des dizaines et des dizaines d’années toute la littérature sf et fantastique mondiale.

L’histoire, certes, est connue de tout le monde, et elle a été bien des fois adaptée au cinéma, avec plus ou moins de succès, de qualité ou de réussite: un scientifique, dans une Angleterre victorienne, a inventé une machine qui lui permet d’aller se promener dans les méandres du temps.

Il y a là l’illustration littéraire d’un des mythes essentiels de l’humanité : d’où sommes-nous nés et, surtout, vers quels horizons nous dirigent nos pas ? Connaître le passé permettra-t-il de rendre le futur plus souriant ?

Ainsi, au-delà du récit d’aventures imaginaires, c’est à des thèmes profondément humains et humanistes que Wells s’est attaché dans ce livre. Des thèmes qui ne perdent rien de leur force et de leur intérêt dans cette adaptation en bd, due aux talents conjugués de Dobbs, un scénariste qui sait découper une histoire pour la rendre sans cesse passionnante, et de Mathieu Moreau, un jeune dessinateur qui a aimé construire ses planches un peu à la façon des illustrations du dix-neuvième siècle, qui adore jouer dans ses pages avec la symétrie, et dont les couleurs accompagnent vraiment l’histoire racontée.

Dans le monde futur où le héros va se retrouver, la sécurité et l’aisance ont fait des ravages extrêmes dans l’âme humaine. La révolte, la nécessité de ne pas suivre des voies toutes tracées, tout cela n’est même pas interdit, mais simplement n’existe plus. Et même si le personnage central, d’abord et avant tout scientifique, se refuse à tout jugement, il ne peut que constater que l’intelligence humaine, à force de sécuritarisme, s’est suicidée… Et qu’aucune intelligence n’est possible dans un univers où il n’y a ni changement, ni même désir de changement !

Et à ce titre-là, force est de reconnaître que des ponts existent déjà entre les cauchemars de Wells et les réalités que notre société est en train de créer !…

 

Mathieu Moreau, le dessinateur

 

La bande dessinée se doit, me semble-t-il, de ne jamais oublier d’où elle vient, tout comme le héros de cette machine à explorer le temps… Et  j’aime que l’éclectisme dont se nourrit le neuvième art laisse la porte ouverte, aussi, à des récits charpentés classiquement, à des hommages, également, à ce qui a fait l’histoire de notre culture.

Et c’est bien le cas dans cette collection  » H.G. Wells  » qui nous replonge, avec qualité, dans des imaginaires qui, tout compte fait, n’ont strictement rien de désuet !

 

Jacques Schraûwen

H.G. Wells en BD : La Machine à explorer le Temps (scénario : Dobbs – dessin : Mathieu Moreau – éditeur : Glénat)