« Un papa, une maman » et « Marathon »

« Un papa, une maman » et « Marathon »

Deux coups de cœur, deux belles réussites à lire, absolument !

Ce que j’aime dans la bande dessinée, dans la littérature, c’est l’éclectisme… Celui de mes goûts, celui des éditeurs aussi qui, de plus en plus, aiment à nous proposer, lecteurs, des lectures très variées… et de qualité !

Marathon

(auteur : Nicolas Debon – éditeur : Dargaud – 128 pages – juin 2021)

Marathon © Dargaud

Le 5 août 1928, pendant les Jeux Olympiques d’Amsterdam, c’est le jour d’une des épreuves les plus éprouvantes, le marathon.

Le 5 août 1928, c’est une course longue, dure, avec un vent puissant contre lequel se battre, qui débute. Avec des favoris, les Américains, les Japonais. Avec un inconnu, un Français qui vient d’ailleurs, d’Algérie, un ouvrier de chez Renault, un petit Arabe dont personne ne retient le nom.

Marathon © Dargaud

Et c’est cette course que nous raconte Nicolas Debon, vue à la fois de l’intérieur et de l’extérieur grâce à la perception qu’en a un journaliste français.

Et dans ce récit, Nicolas Debon réalise un vrai exploit, tout comme celui de ce coureur, El Ouafi Boughéra… Celui de nous montrer, de page en page, des dessins qui, tous, se ressemblent un peu, des coureurs, des hommes seuls avec eux-mêmes, bien qu’entourés d’autres coureurs. Et, ce faisant, de réussir à créer un rythme, sans jamais lasser les yeux du lecteur… Dans des tons bruns, couleur de Sienne, éclairés ici et là de quelques touches de couleur un tout petit peu plus vives, Debon fait de son album une sorte de livre d’animation… On voit les sportifs courir, certes, mais, surtout, on les « sent » courir… Se fatiguer, douter, se battre pour des raisons qu’ils sont seuls à connaître.

Marathon © Dargaud

Oui, ce livre est d’abord un livre visuel, un livre de sensations, d’impressions, de musique, celle des pas qui martèlent le sol.

Mais il est aussi un livre qui nous parle de l’idéal olympique, si souvent bafoué pour des raisons mercantiles, politiques, tristement raciales, aussi, donc idéologiques.

Et il nous en parle sans idéologie, justement, avec le seul regard de l’intelligence et de l’empathie. Avec les seuls mots, ou presque, de son personnage central et de tout ce à quoi peut penser un athlète en marche, croit-il, vers la seule victoire qui compte, celle d’une liberté plus forte que toute gloire.

Marathon © Dargaud

Ce livre est étonnant… Extrêmement graphique, il est une totale réussite… Et le dossier qui le termine, et qui éclaire la vie de ce vainqueur que l’Histoire des jeux olympiques a oublié, ce dossier est clair, précis, et bienvenu…

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne)

(auteure : Florence Cestac – éditeur : Dargaud – janvier 2021 – 56 pages)

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne) © Dargaud

On ne parle bien que de ce qu’on connaît, et aucun imaginaire ne remplacera jamais la puissance de la vraie souvenance.

C’est cette certitude qui me pousse, depuis longtemps, à préférer Jules Renard à Schmitt, Léautaud à Levy, Malet à De Villers, Céline à Musso, Pennac à Dard.

En BD, cette notion du « vécu » prend souvent des formes détournées, de par le format, déjà, imposé à cet art. Même dans un roman graphique, il faut que l’imagination soit bien présente, et, de ce fait, le vécu, lui, et ses idées, ses impressions, ses coups de gueule, ses coups de cœur, tout cela se retrouve en arrière-plan. Et c’est lorsque cet arrière-plan se laisse voir, apprivoiser, qu’un album bd me semble le mieux réussi… C’est le cas chez Tardi, par exemple, chez des scénaristes comme Dufaux, ou même Cauvin. C’est le cas, pratiquement toujours, dans les livres que je prends plaisir, ici, à chroniquer.

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne) © Dargaud

Avec Florence Cestac, les choses sont différentes. A l’instar de Claire Bretécher, elle parle presque toujours d’elle, ouvertement, d’album en album.

Et, bon Dieu, elle en parle bien ! Avec une sorte de distanciation qui souligne avec encore plus de puissance la réalité de la révolte. Avec une délectation, aussi, à nous dessiner, au feu de ses souvenirs, les braises vacillantes de ce qu’était la vie, avant, hier, avant-hier…

Dans ce livre-ci, c’est presque à une démarche sociologique qu’elle se livre. Elle nous raconte sa famille, son enfance, son adolescence, dans ce qu’on appelle aujourd’hui « les trente glorieuses » et qui n’avaient de la gloire que les apparats clinquants !

Eh oui, Florence Cestac est ce que quelques crétins intellectuels sans être intelligents appellent une « boomer » !

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne) © Dargaud

Et le récit de sa jeunesse nous montre, sans faux fuyant, ce qu’était le sens de la famille, les autorités évidentes qui y régnaient, les rôles préétablis qui y prévalaient. Elle nous rappelle ainsi qu’aucune époque ne ressemble à quelque paradis que ce soit, et que ces fameuses trente glorieuses ont été aussi des années pendant lesquelles quelques combats essentiels ont vu le jour. Combat pour la liberté d’être soi, combat pour nier à la famille un pouvoir absolu, combat pour que la jeunesse puisse être un éveil, combat pour que la place de chacun, et de la femme singulièrement, se vive sous la seule loi de l’égalité.

C’est un peu tout cela que Florence Cestac nous raconte dans cet album. Mais avec légèreté… Avec sourire… Avec émotion aussi, et, de ce fait, sans manichéisme… Elle le fait en parlant d’elle, de sa propre évolution et donc de celle de la bande dessinée des années 70, de sa carrière, de ce prix d’Angoulême qui, chose pas toujours évidente dans ce haut lieu d’une certaine obédience « parisienne », a récompensé en elle une artiste d’exception !

Un Papa, Une Maman – Une Famille Formidable (La Mienne) © Dargaud

Dans ce livre, bien des gens, toutes générations confondues d’ailleurs, vont reconnaître une part d’eux-mêmes.

Parce que, finalement, c’est en parlant de ce qu’on connaît, de ce qu’on a vécu, sans mensonge, qu’on réussit le mieux à faire une œuvre qui concerne tout un chacun !

Jacques Schraûwen

Mademoiselle Baudelaire

Mademoiselle Baudelaire

Un chef d’œuvre d’intelligence, de poésie, d’humanisme…

Il est de ces livres dans lesquels on se plonge totalement… Il est de ces livres qui vous permettent de retrouver des éblouissements oubliés… « Mademoiselle Baudelaire » est de ceux-là ! A ne rater sous aucun prétexte par tous les amoureux de la poésie et de la bande dessinée !

Mademoiselle Baudelaire © Dupuis

En écoutant, régulièrement, toutes les « Fleurs du mal » mises en musique par Georges Chelon, je me dis à chaque fois que Baudelaire est le plus extraordinaire des paroliers ! Sa poésie fut celle, non pas d’un visionnaire, mais d’un artiste qui, ancré dans le monde qui était le sien, y a vu ce que ce monde pouvait avoir d’universel. En rompant quelques règles vétustes de la prosodie, il a préparé, à sa manière, ce que devint la poésie après lui, jusqu’au surréalisme par exemple.

Ce livre est la biographie de Charles Baudelaire, au rythme d’une lettre imaginaire écrite par Jeanne Duval, qui lui fut compagne de vie, compagne de folie, de colères, de haines, de maladie…

Mademoiselle Baudelaire © Dupuis

Oui, il s’agit d’une biographie… Une biographie dramatisée, nous dévoilant autant l’âme que la chair d’un être humain dont l’existence était en tant que telle un drame, une suite de drames. Yslaire a théâtralisé une existence qui, sensuellement, avait choisi le parti du gouffre !…

Bernard Yslaire : une biographie dramatisée

Avec cette autopsie pratiquement psychanalytique, Yslaire s’éloigne de la vision qu’un Sartre avait de Baudelaire pour, bien plus, se rapprocher de la passion que Merleau-Ponty avait de cet artiste qui, de gouffre en gouffre, était profondément marqué par un sentiment religieux, une sorte de foi à l’envers, avec une volonté de rendre grâce à la face sombre de l’individu. A la perception, surtout, qu’on peut avoir de la beauté. Baudelaire renie tous les canons de son époque pour, tout au contraire, faire de la laideur, quelle qu’elle soit, un chemin étrange de sensualité. Un de ses plus beaux poèmes, « La Charogne » (à écouter en suivant ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=wUBLKZt3sAs) , présent dans ce livre, en est l’ultime exemple : au-delà de l’enfance et de toutes ses souvenances, seule la mort semble, dans les regards du poète, devenir de la vie une nouvelle forme à la fois répugnante et envoûtante.

Bernard Yslaire : enfance, religion, beauté…

Je parlais de biographie, mais ce livre va bien plus loin que la seule approche d’un artiste maudit. Au travers de sa mise en scène, c’est aussi le portrait d’une époque que Bernard Yslaire nous offre, par le biais de ses artistes. C’est ainsi que, de page en page, on découvre un siècle, ses remous, en approchant de Nadar, de Bainville, de Courbet, de Delacroix, de Nerval, de Gautier. Le poète Baudelaire était également un extraordinaire chroniqueur de la peinture de son temps, et c’est cette vision de l’art qu’on retrouve dans ce livre somptueux. Tout comme la vision que Baudelaire avait, également, de la politique, avec des engagements presque révolutionnaires, tant il est vrai qu’aucune révolution n’est possible sans artistes !

Bernard Yslaire : l’art
Mademoiselle Baudelaire © Dupuis
Bernard Yslaire : l’art et la politique

En faisant le portrait de Baudelaire, un portrait à la fois subjectif et fortement ancré dans ce que furent ses vérités, Yslaire nous trace aussi le portrait de la poésie…Une poésie qui, pour être vivante et vibrante, ne peut qu’être rebelle.

Entre fiction et réalité, mais au-delà de tout réalisme, ce livre nous donne à voir la poésie, c’est-à-dire le besoin essentiel d’aller au-delà des apparences, et d’ainsi faire acte littéraire d’adoration de la différence.

Mademoiselle Baudelaire © Dupuis

Baudelaire, c’est sans cesse un métissage, celui de l’écriture, celui du désir, celui de l’amour, et, bien évidemment, de leurs contraires.

Pour Yslaire, c’est ce métissage qui fait tout le canevas de son récit, au travers du prisme qu’il a choisi, celui de Jeanne Duval, femme à la couleur sauvage et aux étreintes tempétueuses. L’ébène de la peau de Jeanne est de la même teinte que les orages qui peuplèrent les nuits de leur couple. La fulgurance de leurs plaisirs charnels était aussi celle de l’amour qu’il vivaient avec folie.

Bernard Yslaire : l’amour

Baudelaire, de par l’introspection totale et totalement libérée qui fut la sienne, poétiquement parlant, est un de ces artistes qui ont ouvert des fenêtres vers d’autres réalités, vers d’autres réalismes, un peu comme Rimbaud dans son Bateau Ivre, ou comme Ducasse et ses chants de Maldoror…

Certes, il n’y a, formellement, rien de surréaliste dans la poésie de Baudelaire. Mais dans la façon qu’il a de détourner le classicisme d’une forme littéraire pour y imprimer des regards sans cesse changeants, il y a, oui, une incontestable nécessité de dénier à la réalité quotidienne son pouvoir sur le rêve, la vie et la mort.

C’est peut-être pour cela qu’on a l’impression, bien souvent, dans cet album de bande dessinée, de plonger dans une écriture graphique pratiquement automatique… Dans le trait, dans la nécessité absolue, au détour d’une page, de transformer le récit en un chant profondément érotique, voire même pornographique (de cette pornographie dont Breton disait qu’elle était l’érotisme des autres), dans une sorte de symbolisme graphique proche du romantisme et, en même temps, le niant complètement.

Mademoiselle Baudelaire © Dupuis

Les muses, Jeanne et toutes les autres, dans l’image qu’on en a, ne sont-elles pas pratiquement toujours des professionnelles de l’amour tarifié. Comme si l’art, et donc la poésie, ne pouvaient qu’être physiques !

Il y a, comme le dit Bernard Yslaire, une magie dans son dessin, tout au long de ce livre… Une sorte d’urgence, aussi, née de ce projet qui a mis des années avant d’enfin prendre vie. Une urgence qu’on retrouve également dans les couleurs qui se font parallèles des fulgurances des poèmes de Baudelaire.

Bernard Yslaire : le dessin, le projet

Vivre, c’est vieillir, vieillir, c’est se savoir mortel. C’est là toute l’existence de Baudelaire, dont les passions étaient puissantes. Pauvre Belgique disait-il de notre pays dans lequel les petits bourgeois ne connaissaient même pas Rops !

C’est cette passion multiforme qui fait de Baudelaire un des poètes les plus importants de toute l’histoire de la littérature.

Charles Baudelaire

Et c’est son omniprésence qui fait de ce livre de Bernard Yslaire un des tout grands moments du neuvième art !

Bernard Yslaire s’est fait le chantre du génie de Baudelaire. Avec un souci de la vérité historique qui va jusqu’à l’orthographe…

Bernard Yslaire : « poëme »

Jacques Schraûwen

Mademoiselle Baudelaire (auteur : Bernard Yslaire – éditeur : Dupuis/Aire Libre – 160 pages – avril 2021)

Pour redécouvrir Baudelaire, Georges Chelon : http://www.georgeschelon.fr/

Bernard Yslaire © Glénat
Deux séries à succès, deux suites attendues

Deux séries à succès, deux suites attendues

L’Histoire, avec un H majuscule, est au centre de ces deux séries passionnantes, passionnelles même. Voici l’occasion de redécouvrir deux héros incontournables de la bande dessinée de ces quinze dernières années !

Le Scorpion : 13. Tamose L’Egyptien

(dessin : Luigi Critone – scénario : Stephen Desberg – éditeur : Dargaud – novembre 2020 – 48 pages)
Scorpion 13 © Dargaud

Enrico Marini laisse la place à Luigi Critone pour cette suite des aventures d’un aventurier hors du commun. Le Scorpion, c’est un archéologue en une époque où cette « profession » demandait bien des appuis, bien des talents de bretteur aussi. Et, au 18ème siècle, Armando Catalone, surnommé le Scorpion, ne manque ni des uns ni de l’autre. Et il a vécu, dans les douze tomes précédents, des moments difficiles, amoureux, mortels, des vengeances et des fuites, des richesses et des pauvretés que je ne vous résumerai pas !

Je ne dirais pas que ce nouvel opus recommence de zéro, bien entendu. Mais il peut se lire sans que l’on se sente obligé de se replonger dans le passé de ce personnage qu’on retrouve, ici, à Istambul, et puis à Alexandrie.

Scorpion 13 © Dargaud

Comme toujours avec Stephen Desberg, les ressorts narratifs filent un peu dans tous les sens. On parle, dans cet album, du grand exode du peuple juif, des pharaons égyptiens, d’un nom qu’on ne peut pas prononcer, de l’empire russe prêt à fondre sur l’empire ottoman. On y parle aussi, et surtout peut-être, d’une femme aimée par le Scorpion, qui aurait mis au monde son enfant, et qu’il cherche à retrouver, le tout avec des assassinats, des empoisonnements, des errances, des interrogations toujours sans réponses. Avec un superbe méchant, Golam (un nom qui en rappelle un autre, cher à Gustav Meyrinck), un cosaque albinos portant en insigne l’étoile de David.

Comme toujours aussi avec Stephen Desberg, les femmes forment, même sans en avoir l’air, le moteur premier de sa narration. Ces femmes dans les bras desquelles « le désir danse avec la souffrance, la passion avec le sacrifice », ces femmes qui, peut-être, ne sont esclaves que de leur plein gré !

Scorpion 13 © Dargaud

Le dessin de Critone ne remplace pas celui de Marini, c’est une évidence. Il ne cherche pas, d’ailleurs, à l’imiter mais, bien plus, à s’en inspirer. Son talent est indéniable, et il le prouve avec une belle présence graphique quant aux décors. Ses couleurs peuvent sembler plus faibles que celles de Marini, mais elles possèdent une vraie luminosité qui permet de décrire, de l’intérieur, les ambiances de Cracovie ou d’Istanbul !

Une belle réussite que ce premier album pour une histoire qui sera vécue en deux tomes.

Murena : Chapitre Onzième – Lemuria

(dessin : Theo Caneshi – scénario : Jean Dufaux – couleurs : Lorenzo Pieri – éditeur : Dargaud – novembre 2020 – 55 pages)
Murena 11 © Dargaud

Cela fait trois ans qu’on avait laissé Lucius Murena, accusé d’avoir fomenté un complot contre l’empereur Néron, en fuite, moralement blessé, et soumis à des forces qu’il ne comprenait plus vraiment.

Au contraire du Scorpion, qui se construit comme une saga, Murena prend réellement la forme d’un roman, chaque épisode, d’ailleurs, s’intitulant « chapitre ». C’est dire qu’il y a dans cette série un vrai besoin, pour son scénariste, de peaufiner ses mots, leur rythme, d’en faire un contrepoint essentiel au dessin. Il ne s’agit pas d’une construction en miroir, texte face au dessin, mais de deux constructions différentes qui cohabitent et se complètent sans jamais vraiment s’illustrer l’une l’autre.

Murena 11 © Dargaud

Au contraire du Scorpion, également, il n’est pas inutile de se replonger, ne fut-ce qu’un peu, dans les chapitres précédents pour pouvoir s’immerger pleinement, sans dépit, dans ce nouvel album.

Murena est dans un lieu de villégiature, réduit à l’état d’objet sexuel par Lemuria, une femme qui l’a drogué. Il n’a plus ni mémoire ni même de notion ce qui il est. Mais ce qu’il possède encore, c’est la force de vouloir ne pas dépendre de ce qu’il ne peut appréhender. Et c’est ainsi qu’il va prendre le chemin de Rome, et, peu à peu, en même temps que le lecteur, retrouver les traces de ce qu’il fut.

L’oubli est d’abord mortifère. L’humanité lui permet de créer une neuve survivance, au futur comme au passé.

Jean Dufaux, le scénariste, ses replonge avec presque de la mélancolie dans la vie de son héros emblématique. On sent qu’il a peut-être bien voulu en arrêter l’histoire, mais que Murena lui-même s’est imposé pour qu’on ne l’oublie pas ! Pour que son créateur de le renie pas !…

Cet épisode est celui de la mémoire, une mémoire blessée, trahie. Une mémoire en absence qui pousse Murena à se poser la question de savoir s’il est encore capable d’échapper à sa propre folie.

Cet épisode est aussi celui des illusions et de leurs réalités, les illusions de l’amitié, du pouvoir, de l’amour, de la poésie, de lé création, des divinités…

Mais Murena est et reste une série véritablement passionnée, échevelée, avec ses complots, ses jeux de sexe et de violence, ses survies et ses éblouissements, ses bas-fonds et ses meurtres silencieux.

Murena, c’est une série historique, avec des références fouillées, mais une série qui privilégie l’action à la didactique.

Murena 11 © Dargaud

Et pour ce faire, le dessin de Philippe Delaby était, incontestablement, le vecteur parfait, idéal même !

La tâche de Theo n’est donc pas évidente, lui qui a repris le personnage de Murena depuis deux albums maintenant. Et il réussit, dans ce livre-ci, à sortir quelque peu de l’influence de Delaby, de sa présence ai-je envie de dire. Avec un traitement de l’image qui utilise les gros plans et les perspectives cinématographique comme éléments de rythme en chaque planche, il ne trahit en rien Delaby, mais il le continue en devenant lui-même, en faisant état de ses propres talents, de ses propres manières de traiter les regards, les bouches aussi, les paysages surtout.

Murena, c’est le souffle épique de l’Histoire de la Rome antique… Et c’est une série à succès qui mérite amplement de l’être !

Jacques Schraûwen