Manara – Passion Femmes

Manara – Passion Femmes

320 pages uniquement consacrées à l’art de l’illustration chez Manara, et l’érotisme s’y multiplie à l’infini !

Manara © Glénat

Dire de Manara qu’il est amoureux de la femme, depuis toujours, c’est une évidence. Même si HP et d’autres de ses héros masculins (des peintres, des papes…) occupent une place importante dans son œuvre, ils semblent, le plus souvent, n’être là que pour permettre à quelques femmes de se dénuder peu ou prou.

Manara © Glénat

Les « filles de papier », les « pin-up » existent depuis bien longtemps. Et cet art, très particulier, des filles nues ou presque à « épingler au mur » a connu bien des Artistes importants. Des artistes qui ne se contentaient pas de dessiner des femmes en absence de vêtements mais qui, en un seul dessin, les mettaient en scène et racontaient ainsi une histoire, ou un début d’histoire que le spectateur, ensuite, pouvait terminer et prendre à sa charge.

Sans imaginaire, il n’y a pas de poésie possible. Sans poésie, il n’y a pas d’érotisme possible !

Manara © Glénat

A ce titre, Manara est un poète de la femme. De la femme peu sage, de la femme qui, même en semblant se soumettre, finit toujours par devenir maîtresse de son destin et du destin de ceux qui ont osé affronter à ses pouvoirs. Des affrontements dont, même vaincus, ces hommes sortent heureux.

Devant le talent classique, inspiré souvent par les peintres de la Renaissance italienne, on peut se demander si l’art de Milo Manara n’est pas daté. S’il ne manque pas d’originalité, de par un classicisme dans la forme, dans le mouvement et, surtout, dans ce que sont les canons de la beauté propres et chers à Manara.

Manara © Glénat

Pour l’avoir rencontré, pour l’avoir écouté parler de cet amour du passé qu’il revendique, pour l’avoir entendu définir l’érotisme comme une émanation philosophique essentielle de l’humanité, et pour avoir apprécié depuis bien des années la plupart de ses livres, recueils d’illustrations comme bandes dessinées, je peux affirmer que Manara réussit l’amalgame entre le passé et l’aujourd’hui, grâce à la femme, à la fois déesse et pénitente, prêtresse et inspiratrice, amoureuse et castatrice.

Pour Manara, la femme doit être belle. Pour être désirable, elle doit désirer. Et lui, pour la dessiner, il doit la désirer…

Manara © Glénat

C’est cela, le contenu de ce livre : un rapport étroit entre la création et l’inspiration, entre le plaisir de regarder, et celui d’offrir, de partager, le tout dans le non-politiquement-correct de l’érotisme. Même en nous montrant à voir des femmes entreprenantes, sexuellement présentes, assumant une forme d’érotisme qui aurait plu à Apollinaire, Aragon ou Breton, même en nous montrant des femmes profondément et visiblement libertines, Manara réussit à les magnifier. A en faire, à sa manière, le centre de gravité de sa création, de toute création, de tout humanisme. L’accuser de machisme, d’anti-féminisme, c’est ne rien comprendre ni à l’homme ni à l’artiste.

Dans ce livre, passionnant, passionné, passionnel, aucun mot. Rien que le dessin, la couleur, les mouvances, et les sublimes regards des femmes qui s’en disputent lascivement les pages.

Il y a quand-même huit mots. Huit titres de chapitres. Huit thématiques illustrées.

On commence par les icônes, femmes universellement reconnues. On continue avec les itinérantes, les muses, essentielles, nombreuses, et toutes en même temps dociles et indociles, comme le disait à sa manière Baudelaire. Et ensuite, il y a les naïades, l’eau étant le premier des symboles sexuels de toute analyse freudienne. Il y a les girls next door, ces improbables voisines qui feront toujours rêver les adolescents timides, comme les feront rêver plus intimement les ardentes et les stars.

Manara © Glénat

Le dernier chapitre nous parle ouvertement d’aujourd’hui, en nous montrant ce qu’il est de bon ton d’appeler de nos jours des héroïnes. J’ai un peu l’impression que, ce faisant, Manara a sacrifié aux modes d’un temps pandémique, mais le résultat se laisse admirer.

Toutes les bibliothèques, celles de la bande dessinée, de la poésie, du roman et de l’art, se doivent d’avoir un rayon consacré à l’érotisme. Toutes les bibliothèques, donc, doivent trouver sur leurs rayonnages un livre au moins de Milo Manara. Celui-ci, par exemple !

Jacques Schraûwen

Manara – Passion Femmes (éditeur : Glénat – 320 pages – novembre 2020)

Mademoiselle J. – 1938 : Je ne me marierai jamais

Mademoiselle J. – 1938 : Je ne me marierai jamais

Juliette : une jeune femme dynamique, féministe, libre, va nous faire découvrir à sa manière une partie de l’histoire du vingtième siècle.

Mademoiselle J. 1 © Dupuis

Mademoiselle J., c’est une nouvelle série, due aux talents conjugués de Yves Sente au scénario, et de Verron au dessin.

On en a découvert l’héroïne, Mademoiselle J., ou plutôt Juliette de Sainteloi, dans l’album « Il s’appelait Ptirou », des mêmes auteurs, une histoire qui imaginait la manière dont un personnage réel croisait un dessinateur, Rob Vel, qui allait en faire un des personnages essentiels de l’histoire de la bande dessinée, Spirou. Et Spirou, disparu tragiquement dans ce qui est devenu désormais le premier volume d’une série, reste présent dans cet album-ci. Il est comme un fantôme qui accompagne les désirs de Juliette, un fantôme de la liberté, cette liberté de vivre que Juliette recherche à tout prix.

Yves Sente : le personnage de Spirou

Juliette, qui n’était qu’un personnage secondaire, est donc devenue une héroïne à part entière. Une jeune femme qu’on retrouve, dans ce livre-ci, huit ans après sa première apparition.

Mademoiselle J. 1 © Dupuis

Ce qui plaît depuis toujours à Yves Sente, c’est la mise en scène de personnages variés, d’agencer ses récits autour des rencontres que la vie offre aux protagonistes qu’il crée. Et c’est ainsi que Juliette est devenue une héroïne de hasard, en quelque sorte, parce que, tout simplement, elle a séduit ses deux auteurs.

Yves Sente : les personnages et les rencontres

Dans ce livre-ci, nous sommes en 1938, à Paris. Le père de Juliette est le patron d’une entreprise de transport pétrolier qui intéresse fort les Allemands qui préparent des lendemains qui ne changent pas. Malgré son appartenance à un monde de nantis, Juliette ne veut dépendre que d’elle-même. Elle veut être journaliste, ce qui, pour une femme, en 1938, était pratiquement impossible dans d’autres domaines que ceux de la mode et des conseils cuisine ! Mais elle s’accroche, et elle réussit à réaliser son rêve. Et là commence l’aventure, dans un Paris qui organise l’exposition universelle voyant se faire face, pratiquement, les pavillons soviétique et nazi.

Mademoiselle J. 1 © Dupuis

Pour Yves Sente, la grande histoire n’est pas une finalité, mais un moyen narratif. Ce qui ne l’empêche pas de nous la montrer, cette grande Histoire, sans tabou et avec une documentation importante, une documentation qui est aussi celle de Verron, dont le plaisir à dessiner les voitures, entre autres, les décors aussi, est incontestable, et incontestablement réussi. Ce qu’ils aiment, tous les deux, c’est mettre en scène des péripéties, des personnages, parfois de manière manichéenne, caricaturale, souvent aussi de façon très humaniste. Et nous parler ainsi de compromissions, d’idéologies, de puissance de l’économie, de lâchetés et de pouvoirs, de féminisme et de traditions.

Yves Sente : l’Histoire en filigrane

Cette aventure va conduire Mademoiselle J. à affronter des nazis, bien évidemment, puisqu’elle va découvrir que ces nazis veulent racheter l’entreprise de son père, dont elle est aussi actionnaire.

Mademoiselle J. 1 © Dupuis

Cela dit, avec Le titre de cet album, « Je ne me marierai jamais », on pourrait penser à un discours des grandes féministes de la première partie du vingtième siècle ! Mais cela va plus loin… Il y a l’amour et l’illusion de l’amour, il y a de la passion, du mariage, des trahisons, de l’amitié, dans ce livre. Mademoiselle Juliette est un personnage terriblement humain, avec ses failles, ses erreurs, ses courages, son féminisme aussi, oui.

Et je trouve excellente cette idée de faire vieillir une héroïne d’album en album et de parvenir ainsi, d’épisode en épisode, à nous offrir un panorama du vingtième siècle.

Mademoiselle J. 1 © Dupuis

C’est une excellente bande dessinée, bien scénarisée, bien dessinée, avec des tas de références à l’âge d’or du neuvième art qui plairont à tous les fans de bd ! Avec aussi l’art du raccourci et de l’ellipse dans lequel Sente se révèle d’une belle efficacité.

Yves Sente : les racourcis

Ce qu’il faut souligner véritablement, c’est le dessin de Veron… Depuis Odilon Verjus, son talent n’a rien perdu, que du contraire. On le sent heureux de plonger le lecteur dans des décors variés, de dessiner des personnages aux visages puissants, de donner un rythme et un mouvement à chacune de ses planches.

Yves Sente : le dessinateur Verron

Soulignons aussi, la belle osmose entre le dessinateur Verron et la coloriste Isabelle Rabarot. Avec, comme résultat, un récit classique, rythmé, intelligent, passionnant même…

Mademoiselle J. 1 © Dupuis

Jacques Schraûwen

Mademoiselle J., « 1938 – je ne me marierai jamais » (dessin : Verron – scénario : Yves Sente – éditeur : Dupuis – 64 pages – octobre 2020)

Yves Sente
La Maison Blanche

La Maison Blanche

Les élections américaines sont à la une de l’actualité. Et cette bd vient à son heure, incontestablement, elle qui nous raconte une « histoire illustrée des présidents des USA de Georges Washington à Donald Trump ».

La Maison Blanche © Casterman

C’est de la bande dessinée qu’on pourrait qualifier d’instructive. C’est de la bd fouillée, avec un dessin simple, nous offrant 45 portraits d’hommes qui, tous, ont dirigé les Etats-Unis, faisant de ce pays ce qu’il est devenu aujourd’hui, de ce qu’il a souvent revendiqué être, le « gendarme du monde » !…

Cela dit, ne vous attendez pas à une étude poussée des Etats-Unis, de leur politique, de la façon dont la démocratie y fut vécue, y est vécue de nos jours. Hervé Bourhis, l’auteur, n’hésite pas, certes, à aborder de front des réalités américaines peu ragoutantes, comme la guerre du Vietnam, le rôle de l’éminence grise Kissinger. Mais de loin… Ce sont les hommes qui l’intéressent, des hommes de pouvoir dont il nous livre les portraits.

Hervé Bourhis : le contenu de ce livre

Des portraits qui ne manquent pas de saveur, très souvent. Il faut dire que le travail de l’auteur nous montre à voir une partie de l’évolution de la représentation politique aux USA, toujours au travers de ces présidents dont on connaît peu, de notre côté de l’Atlantique, les patronymes. La fonction présidentielle, au dix-neuvième siècle, n’avait par exemple strictement rien à voir avec que qu’elle est aujourd’hui.

La Maison Blanche © Casterman
Hervé Bourhis : les présidents au 19ème siècle

Pour chaque président, Hervé Bourhis travaille un peu à la manière d’un journaliste. En deux pages le plus souvent, il nous rend compte des éléments biographiques élémentaires d’un homme qui fut dirigeant d’un des pays les plus importants de la planète, tout en nous montrant, au travers de ce qui peut s’assimiler à des petits articles de journal, les événements marquants de son mandat, ses réalisations, ses réussites, ses échecs. Ainsi, l’auteur de ce livre ne se contente pas des discours officiels, et réussit, grâce à ses recherches en amont, à nous faire des vrais portraits humains, objectifs et sans langue de bois…

Hervé Bourhis : une forme journalistique
La Maison Blanche © Casterman

Hervé Bourhis a choisi une voie qui n’est jamais totalement celle de la vision officielle des hommes qu’il nous présente. Ainsi, il nous fait découvrir un aspect méconnu de Lincoln, ou de Lyndon Johnson, faisant preuve d’une objectivité qui, elle aussi, est signe d’un travail journalistique.

Hervé Bourhis : Lyndon Johnson

45 Présidents se retrouvent donc sous la loupe graphique d’Hervé Bourhis. 45 Présidents qui esquissent l’ébauche d’une Histoire des Etats-Unis, mais à taille humaine, d’abord et avant tout.

La Maison Blanche © Casterman

45 Présidents, en attendant le 46ème, et, pour les deux derniers, Hervé Bourhis ne manque pas non plus de ruer un peu dans les brancards de la renommée !…

Hervé Bourhis : Obama
Hervé Bourhis : Trump
La Maison Blanche © Casterman

Ce livre n’a rien d’un pensum. Il est bien construit, simple dans son dessin, journalistique dans son propos. Il n’est pas un panorama savant de l’histoire des USA, mais une approche de cette Histoire au travers d’hommes, tout simplement. Et ce qui est vraiment très agréable avec ce livre, c’est que le lecteur peut picorer, ici et là, comme il en a envie, sans être obligé de suivre un canevas tout fait…

Jacques Schraûwen

La Maison Blanche (auteur : Hervé Bourhis – éditeur : Casterman – 160 pages – octobre 2020)