Pemberton – intégrale – L’auteur de Timour et ses « délires » réjouissants…

Pemberton – intégrale – L’auteur de Timour et ses « délires » réjouissants…

Sirius fait partie, incontestablement, dès les années 40, de ce qu’on peut appeler la bande dessinée classique, avec des héros, Timour et l’Epervier bleu, ou Godefroid de Bouillon, bien ancrés dans les réalités de l’édition pour « jeune public » de l’époque…

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Il n’était sans doute pas prédestiné à être « artiste », cet auteur né dans le Hainaut, ayant suivi des études en France d’abord, en Belgique ensuite, s’y intéressant au droit comme à la philosophie… Et c’est pourtant pendant son cursus estudiantin qu’il a publié ses premiers dessins, dans des petites revues, ici et là..

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Le virus de ce qu’on n’appelait pas encore un art l’a, dès lors agrippé, sans jamais l’abandonner… Avec, au fil des années, un véritable éclectisme, dans ses thèmes comme dans son dessin, d’ailleurs, un dessin qui, de collaboration en collaboration avec différents « médias » (on n’appelait pas encore les journaux et les revues comme cela, non plus, à l’époque !), s’affirmait et se révélait d’une véritable originalité dans le trait comme dans le mouvement. On peut parler ainsi de « Bouldaldar et Colégram », de « Caramel et Romulus », de « l’Epervier Bleu » que la censure (eh oui, déjà !…) a frappé…

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De ses illustrations des livres de Xavier Snoeck, également… Xavier Snoeck avec lequel, scénariste efficace, il va créer une saga de plus de trente albums, les aventures de la famille Timour au fil des époques de l’Histoire… Une saga, une série qui a enthousiasmé un large public, en lui donnant, en même temps, le plaisir de quitter les livres scolaires pour connaître, de cette grand Histoire, des aventures passionnantes…

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Les années passant, la bande dessinée s’est peu à peu affranchie des obligations morales et bien pensantes qui étaient son lot… Dans cette mouvance de liberté de ton comme de graphisme, Sirius n’est pas resté immobile, loin s’en faut ! On peut, bien évidemment, parler de sa collaboration à l’essentiel « Trombone illustré ». Mais on peut surtout se plonger dans les aventures folles et géniales d’un anti-héros par excellence, iconoclaste, presque pouilleux, ivrogne même, et toujours libidineux : Pemberton !

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Pemberton… Ancien marin se disant ancien loup de mer, hante une taverne sombre dans laquelle sert un jeune garçon… Scénaristiquement, Sirius use, dans cette série, d’un artifice assez commun, celui qu’utilise Jean Ray dans plusieurs de ses recueils de nouvelles : un lieu clos, deux personnages face à face, l’un des deux qui raconte à l’autre une histoire. C’est que fait Pemberton, entre deux verres bien tassés… Et le jeune garçon, Jonathan, écoute, ébloui, ces récits envoûtants, sans se rendre compte (ou en faisant semblant de ne pas s’en rendre compte ?) de leur invention totale ! Et c’est là que cette bd rejoints encore plus l’univers de Jean Ray, parce que les histoires racontées et inventées par le vieux Pemberton sont le plus souvent enfouies dans des univers qu’on ne peut que qualifier de « fantastiques »… Mais le but de Sirius n’est pas de faire peur, ni de faire frissonner… Il est d’amuser, en s’aventurant dans des dessins qui ne nient pas l’érotisme, par exemple, qui délirent, véritablement, parce que sans délire, sans doute, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue…

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Pemberton, c’est un personnage iconoclaste, c’est un ivrogne se perdant dans les brumes de l’alcool et y perdant, en même temps, son auditoire… Pour le plus grand plaisir à la fois du narrateur et de celui qui l’écoute, de ceux qui lisent ses aventures folles et follement imaginées.

Et je veux saluer ici, au-delà même du talent de Sirius, dans cette série où il s’est libéré de son classicisme habituel, je veux saluer l’arrivée dans le monde cruel et vénal de l’édition, d’un nouvel éditeur dont le maître-mot est de rendre hommage et, ce faisant, de remettre en mémoire des réalités du neuvième art dont les lecteurs d’aujourd’hui n’ont pas connaissance, tout comme les jeunes dessinateurs, d’ailleurs ! Et Pemberton, une intégrale en deux volumes, est leur première publication… Une publication totalement réussie… Un dossier bien documenté, des fac-similés en grand format nous font entrer de plain-pied dans un univers presque anarchiste, toujours humoristique, d’une inventivité, tant dans le trait que dans le texte, qui, malgré les références évidentes, est d’une belle originalité !

Une intégrale que tout amateur de bande dessinée ne peut qu’apprécier, et placer en évidence dans sa bibliothèque, qu’on se le dise !

Jacques et Josiane Schraûwen

Pemberton – intégrale en deux volumes (auteur : Sirius – éditeur : « Ad Hoc Editions »)

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Peccadilles – les aléas du destin

Huit petites histoires qui nous emmènent dans un monde proche de la fantasy et, en même temps, des contes de nos enfances… Mais avec cruauté !

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J’ai toujours aimé l’art de la nouvelle. En littérature, bien entendu, avec Maupassant, Jean Ray, Jacques Sternberg, Gérard Prévot, Fredric Brown, et tant d’autres encore. En bande dessinée, il faut reconnaître que c’est un style peu utilisé. Les auteurs aiment prendre le temps de créer des méandres scénaristiques provoquant des rebondissements nombreux. Et j’avoue être fatigué par ces séries « à suivre » qui s’éternisent, dans lesquelles on entre en ayant oublié les épisodes précédents. Il s’agit là, pour moi, d’une dérive du récit plus nombrilique, souvent, que qualitative. Avec en tête de gondole les histoires de fric, de cul et de sang de Van Hamme, par exemple…

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Oui, je sais, je viens de me faire quelques ennemis…

Mais tout cela pour vous parler d’un livre qui, justement, choisit le raccourci rapide, sans d’autre ambition que de faire passer un bon moment au lecteur, pour créer des univers qui cependant, malgré le peu de pages de chacun d’entre eux, tiennent la route, comme on dit.

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Cinzia Di Felice, auteure au dessin lumineux et efficace, aux couleurs ensoleillées, au graphisme d’un beau relief, nous emmène donc, dans ce livre très sympa, dans huit narrations qui mettent en scène des dragons, des monstres, des femmes, des histoires d’amour mortelles, des moments d’humour sombre, des guerriers sans pitié et des conquérants déchus, et, finalement, le personnage de la mort qui, en son étrange existence, vieillit également.

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Peut-on parler de symboles, de symbolisme même ?… Oui, en partie, sans aucun doute. Mais ce dont il s’agit, surtout, c’est du plaisir qu’a l’auteure de raconter des histoires qui l’amusent, elle, avant de nous amuser, nous ! Et son dessin est empli, ainsi, de surprises, vives, éblouissantes, puisque c’est lui, ce dessin, qui, finalement, au-delà des mots, des dialogues, se fait le moteur des huit narrations de cet album.

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Certes, ce livre ne révolutionne pas la bande dessinée… Mais il fait mieux, il m’a fait passer un bon moment, souriant, légèrement érotique, sans prise de tête. Et un moment de plaisir, cela ne se refuse pas !…

Jacques et Josiane Schraûwen

Peccadilles (auteure : Cinzia Di Felice – éditeur : Kalopsia – septembre 2023 – 64 pages)

Les Pluches – Tome 1 : Rencontres

Les Pluches – Tome 1 : Rencontres

Une bande dessinée résolument faite pour les enfants, et qui les plonge dans une époque précise de notre histoire : les lendemains de l’armistice de 1945.

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Je le disais : c’est du dessin et du scénario qui, de manière frontale et évidente, s’adressent à un jeune public. Ce qui n’empêche pas à tout un chacun de prendre plaisir à suivre les petites aventures de Pierro dans une Wallonie encore marquée, profondément, par les affres d’une guerre qui vient de se terminer.

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Pierro, c’est un gamin comme il y en a tant, « le nez en l’air et les cheveux devant » comme le chantait Jean-Claude Darnal… C’est un gosse perdu dans des lendemains qui font tout sauf chanter. C’est un enfant qui, seul, tente de retrouver sa famille. Et c’est ainsi qu’il parvient à arriver dans une maison familiale abandonnée… Comme lui… Comme trois peluches qui, dans le grenier, par la magie d’un orage, prennent vie : Palin, Gritou et Piaf… Trois peluches qui étaient justement les compagnons de l’oncle de Pierro.

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Et c’est ensemble qu’ils vont partir sur la piste de cet oncle, donc des parents de Pierro, le courage et l’espoir au cœur. Et cette quête va leur permettre des tas de rencontres : un chef de gare, une marchande sur le marché de la Batte, le tenancier d’un bistrot bien wallon, « Lu rodge poevron », et l’abbé Baba ! Des rencontres qui vont, peu à peu, raconter au gamin l’histoire de son oncle, de son père aussi, et, ce faisant, de leurs résistances plurielles pendant la guerre.

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On se trouve ici en présence d’une histoire qui pourrait être racontée par un pépé à des enfants, devant un feu ouvert, au profond de l’hiver. Une histoire qui pourrait commencer par « et si les peluches de notre enfance prenaient vie » ! Ce récit, dès lors, même s’il nous plonge dans la magie d’une enfance qui reste vivace dans le chaos de l’après-guerre, raconte à ses lecteurs un quotidien dont on parle peu, celui d’une survie dans un pays à reconstruire, celui d’une espérance, envers et contre tout.

Je le disais, il s’agit d’un livre pour enfants, d’une vraie bande dessinée consacrée à une réalité peu chatoyante mais qui, avec un langage simple, un dessin immédiat qui ressemble plus à de l’illustration mise en scène qu’à un véritable découpage bd, avec des couleurs d’une présence démesurée, avec un rythme dans le texte qui est plus parlé qu’écrit, avec un travail efficace sur la typographie, avec aussi un sens du raccourci très simple, oui, c’est une bd qui réussit à raconter une histoire adulte à des gamins…

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Bien sûr, comme toute première bande dessinée, il y a quelques erreurs… Mais le dessin, totalement non réaliste, ne tenant pas compte des perspectives par exemple, le permet sans problème. Peu de dessins par page, en effet, pour une lisibilité immédiate. Avec, petite souci de lecture malgré tout, des erreurs de construction dans la suite des dialogues… Mais ce livre est intéressant, sans aucun doute, en nous montrant également, par des flashbacks en teintes plus grisées, les folies humaines et leurs combats dans un environnement de guerre.

Il ne s’agit pas d’un livre sérieux, mais d’un livre pour enfants qui parle de choses sérieuses ! Certes, tout n’y est pas parfait… Mais tout y est intéressant. Et cette bande dessinée devrait, à mon humble avis, se trouver un jeune public, wallon certes, mais pas seulement !

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Pluches – Tome 1 : Rencontres (auteur : Yannick Thiel – éditeur : Beardy Bear – avril 2024 – 58 pages)