Le Petit Derrière De L’Histoire – aventures quantiques, scientifiques, érotiques d’une adorable muse, et, dans cette chronique, une interview de sa créatrice !

Le Petit Derrière De L’Histoire – aventures quantiques, scientifiques, érotiques d’une adorable muse, et, dans cette chronique, une interview de sa créatrice !

Marie, une accorte jeune femme aux voluptueuses opulences, et Ben, son amant, explorent, depuis trois albums, les méandres du temps… Rendez-vous en fin de chronique pour ECOUTER Katia Even…

copyright katia even

Il s’agit d’une exploration dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle se révèle, pour Marie, de plus en plus aléatoire… La machine à voyager dans le temps, inventée par Ben, compagnon, technicien, scientifique, amant empressé, cet instrument n’en fait qu’à sa tête, finalement ! Ce qui, d’ailleurs, reconnaissons-le, correspond parfaitement à la philosophie de Marie !

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Même si cette jeune aventurière de la science ne manque pas d’atouts intellectuels, loin s’en faut, même si la théorie quantique semble n’avoir que peu de secrets pour elle, ce qui l’intéresse surtout, ce qui la fait agir, bouger, se dénuder, faire l’amour, c’est le plaisir ! Le plaisir, et les grands hommes du passé qu’elle vénère et qu’elle ne cherche, finalement, en se jetant entre leurs bras et en leur ouvrant toutes les vallées de son corps somptueux, qu’à aider à faire évoluer l’univers.

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Oui, Marie est une muse… Charnelle… Comme toutes les muses… Une femme qui se sait d’esprit et se veut en même temps de chair… Une chercheuse dont toutes les intimités sont les outils… Une « Marie-couche-toi-là » ?… Non ! Une femme libre, libertine, dont l’intelligence se mêle sans cesse au désir ! Une féministe, aussi, à sa manière, loin de toute idéologie et de tout dogmatisme.

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Dans les trois albums déjà parus (et j’en avais, à l’époque, chroniqué ici le premier opus), les rencontres amoureuses et scientifiques de Marie sont nombreuses… Vinci, dans ce troisième tome, est là, cette fois, pour l’aider à sauver Ben… Mais il y a Rosalind Franklin, pionnière de la biologie moléculaire, spoliée parce qu’elle était femme… Il y a Tesla, oui, dont on voit fleurir le nom sur nos routes, et dont, surtout, Marie va tomber éperdument amoureuse.

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Il y a des Vikings, il y a Hawking, le Kamasutra, Einstein, et bien d’autres encore… Des scientifiques qui n’ont atteint le génie que grâce aux fesses aussi rebondies que la poitrine de la toujours disponible Marie ! Une femme aux libertines beautés et présences, une muse, oui, sans aucun apriori, une scientifique sachant que les jeux de l’amour sont sans doute les ultimes endroits où l’inventivité humaine peut sans arrêt se faire réalité…

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Cette série, vous l’aurez compris, réussit ainsi à intimement (oui, le mot est bien choisi…) mêler l’érotisme bon-enfant mais très visuellement présent à la science dans ce qu’elle peut avoir de plus sérieux. J’avoue ne jamais rien avoir compris à la théorie quantique qui construit le scénario de ces livres, mais je la découvre ici comme une forme aigüe de surréalisme, ce langage de l’art qui faisait de l’érotisme sous toutes ses formes le moyen d’arriver à la plénitude de la création… Oui, il s’agit bien, au travers de coquineries expressives et jouissives, d’une série bd qui fait de la vulgarisation scientifique, sans se prendre au sérieux ! Ou plutôt, en rappelant que rien n’est plus sérieux que le plaisir ! Donc le désir !…

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C’est donc de la bd réjouissante, à tous les niveaux… Et le dessin de Katia Even, tout en courbes, tout en ambiances, tout en lumières mettant parfaitement en évidence les nudités et leurs aventures, ce dessin est superbement agréable, sans jamais, cependant, effacer le contenu sérieux du récit. Comme elle le dit elle-même : « Une histoire qu’on écrit, c’est toujours une partie de nous : pas autobiographique, mais autogénétique. Cela ne raconte pas notre histoire : cela vient de NOTRE histoire. ».

Et je me dois de mettre en évidence le talent de la coloriste, Marina Duclos, qui parvient à mettre encore plus de relief à la présence impudique et libertine de la très tenante et envoûtante Marie !

Katia Even: interview

Une série souriante, à l’érotisme évident et parfaitement assumé, un livre à ne sans toute pas mettre entre toutes les mains, mais à partager avec infiniment de plaisir !

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Petit Derrière De L’Histoire (auteure : Katie Even – couleurs : Marina Duclos – éditeur : éditions du chat – trois albums parus)

Proies Faciles – Vautours – Un polar sombre, une Espagne qui n’échappe ni aux corruptions ni aux perversités…

Proies Faciles – Vautours – Un polar sombre, une Espagne qui n’échappe ni aux corruptions ni aux perversités…

La bande dessinée, comme devraient l’être tous les arts, peut aussi s’intéresser de très près à la société qui est nôtre, en faire un portrait lucide. C’est le cas avec cet album puissant et pudique en même temps.

copyright rue de sevres

Dans une grande cité d’Espagne, qui ressemble à toutes les grandes cités du monde, Irina, une jeune fille de 15 ans, est trouvée par ses parents, morte dans son lit. Un suicide ?… C’est ce que pensent les autorités judiciaires. C’est ce que ne pensent pas l’inspectrice Tabares et son adjoint Sotillo.

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Et leur enquête va les mener, et nous mener en leur compagnie, dans un monde de perversion, de pédopornographie, de réseaux organisés, d’échanges de photos, de location d’enfants… Par des adultes, par des proches, mais aussi par des adolescents eux-mêmes ! Et c’est là une réalité horrible qui n’a rien d’imaginaire, et que, par ailleurs, l’écrivaine Lisa Gardner explique parfaitement dans son roman « Arrêtez-moi ».

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C’est une bd sombre… Terriblement sombre, puisqu’elle se plonge dans des réalités qui ne peuvent qu’interpeller l’intelligence humaine, dans ce qu’elle a de non virtuel… Et Miguelanxo Prado nous offre ce récit au quotidien… On suit, avec lui, simplement, une enquête dans ce qu’elle peut avoir de plus routinier, de plus ardu en fonction des compromissions rencontrées. Il nous fait le portrait d’humains, nos semblables, desquels les apparences ne sont plus que tronquées…

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Je le disais, ce récit est terriblement sombre. Jusque dans le dessin, d’ailleurs, formidablement mis en évidence par le papier utilisé pour l’édition de ce livre.

Un dessin aux couleurs puissantes mais aux lumières presque crépusculaires… Cela dit, Prado, évite tout tape-à-l’œil, tout voyeurisme. C’est une tragédie qu’il met en scène, pas du grand spectacle ! Il nous raconte une enquête vécue de l’intérieur, jour après jour, routinière… Un peu comme Ed Mc Bain le faisait avec son inspecteur Carella. Et cela nous permet, lecteurs, de créer des liens avec les personnages croisés… Des personnages désespérants et si peu désespérés, des personnages aigres et pesants… Et s’approcher ainsi au plus près d’eux, en faire la trame réelle et réaliste de son livre, c’est, sans aucun doute, ce que Prado aime…

Miguelanxo Prado

C’est vraiment un album à ne pas rater, dans lequel les vautours humains sont aussi parfois ceux auxquels on ne s’attend pas… Didactique, parfois, quant aux méandres de cette pédopornographie qui pourrit la société dans ses fondements moraux et/ou humanistes… Une société dont on se demande, le livre refermé, si elle est encore viable… Vivable!

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Jacques et Josiane Schraûwen

Proies Faciles – Vautours (auteur : Miguelanxo Prado – éditeur : Rue de Sèvres – janvier 2024 – 84 pages)

Pico Bogue : XV. Les Heures Et Les Jours

Pico Bogue : XV. Les Heures Et Les Jours

Dans le monde de ce gamin avec « le nez en l’air et les ch’veux d’vant », comme le chantait Jean-Claude Darnal, les heures et les jours ressemblent à des rêves partagés, à des amitiés d’éternité…

copyright dargaud

Quinzième album déjà, pour Pico Bogue… Quinzième recueil de ses remarques face au monde dans lequel il vit, de ses philosophiques et enfantines constatations, de ses gentilles provocations, de ses aventures exclusivement quotidiennes…

Quinzième mélange de tendresse, d’humour, d’amour, de plaisir des mots comme des images…

Qu’est-ce qui fait la qualité d’une œuvre dans laquelle l’enfance est centrale, d’une œuvre dans laquelle les regards des auteurs, véritablement adultes pourtant, sont ceux des enfants qu’ils ont été, qu’ils redeviennent, qu’ils n’ont sans doute jamais cessé d’être, et qu’ils nous invitent à être à notre tour ?…

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C’est vrai qu’on pourrait avoir peur d’entrer dans quelque chose de déjà connu, de déjà raconté… Dans une sorte de routine, tant dans le scénario que dans le dessin… Mais avec Dominique Roques et Alexis Dormal, il n’en est rien, que du contraire ! Rien de convenu, rien de répétitif, et toujours cette manière tout en douceur de réussir à prendre le lecteur par le cœur autant que par les yeux ! C’est la marque des tout grands… Qui oserait dire que Sempé se répète ? Ou Quino ?

Et je pense qu’on peut le dire aussi face à Pico Bogue !

Oui, j’ose le dire… Depuis Gaston, le vrai, pas cette espèce d’ersatz mercantile qui se vend tristement aujourd’hui comme des petits pains rassis, j’ai rarement eu envie et besoin de rire devant un gag dessiné. Sauf avec Pico Bogue !

Il y a d’abord l’impact immédiat, frontal ai-je envie de dire, du dessin tout en transparence d’Alexis Dormal, un dessin qui accentue avec tendresse les expressions, celles des enfants comme des adultes, parents, profs, commerçants… Un dessin qui parvient à nous faire ressentir jusque dans l’âme les éclats de rire de ses personnages… Un dessin qui ne se contente pas d’illustrer les mots de sa scénariste, Dominique Roques, mais qui semble sans cesse s’envoler un peu plus loin… J’en reviens au gamin de Darnal qui voulait devenir un oiseau… Sous les pinceaux d’Alexis Dormal, Pico Bogue n’a pas besoin d’ailes pour survoler le monde qui est nôtre, ses ambiguïtés, ses hontes, ses tristes bêtises aussi…

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Et puis, il y a le texte de Dominique Roques… Une femme qui, sans aucun doute, a beaucoup observé son fils au long des années, et qui en a gardé une mémoire vive qui est tout sauf virtuelle… Le sens de la répartie de ce gamin de papier est inouï et nous fait regretter, à toutes et tous, adultes soi-disant responsables, de ne pas le posséder au jour le jour pour exprimer, nous aussi, les colères qui sont nôtres… Mais sans violence, jamais ! En élevant la voix, malgré tout, comme le fait Ana Ana, la petite sœur de Pico. Surtout quand leur papa leur dit d’une voix très docte : « Et maintenant, que la colombe de la paix plane sur nous ». C’est bien choisi, répond-elle, l’air pensif… et puis, en criant : « Parce que colombe est un autre nom pour pigeon » !

Parce que, ne nous y trompons pas, Pico Bogue et sa sœur sont loin d’être naïfs. Ils regardent, ils observent, ils « grandissent » sans doute comme le veulent leurs parents, leurs professeurs… Mais ils se battent, à leur manière, pour rester le plus longtemps possible les gavroches qu’ils sont…

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Qu’on ne s’y trompe pas, en effet… Et quand je parlais de Quino ou de Sempé, c’est parce que Dominique Roques et Alexis Dormal ont créé avec Pico Bogue un observateur lucide du monde dans lequel ils évoluent, un monde qu’ils essaient, avec succès parfois, à transformer pour qu’il soit à leur hauteur d’enfance. Comme ces illustres prédécesseurs auxquels rajouter, bien évidemment, les Peanuts.

Et ces enfants vivent, à leur taille justement, ce que les adultes qui les entourent ne vivent parfois que très difficilement : l’amitié, l’amour, la tendresse, la dispute se terminant par des phrases définitives étouffées par des rires souverains. Dans ce quinzième album, on parle d’amour, de désamour, on pare de langage, de poésie, de Lamartine… De la famille, de la pédagogie… Du partage, même et surtout intergénérationnel… Et même d’algorithme ! Celui que Pico se créé, comme une algue au rythme doux qui se balance dans sa mer intérieure, une mer pas du tout polluée par les produits des calculs humains…

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Vous l’aurez compris… Et je l’ai d’ailleurs déjà dit, ici, dans mes chroniques : Pico Bogue est une bande dessinée importante… parce que souriante… parce que tolérante… parce que magique, tout simplement ! Et on en revient à la chanson de Jean-Claude Darnal et son magicien qui rencontra un jour un petit garçon comme il y en a tant…

Les heures et les jours de Pico Bogue et de sa sœur qui prend de plus en plus de place sont des heures d’intelligence, de réflexion, d’humour aussi et surtout… Un humour lucide qui enrichit l’enfance de tous les lecteurs de cette série à ne rater sous aucun prétexte !

Jacques et Josiane Schraûwen

Pico Bogue : XV. Les Heures Et Les Jours (dessin : Alexis Dormal – scénario : Dominique Roques – éditeur : Dargaud – 2023 – 48 pages)