Olivier Neuray – la galerie Champaka nous fait redécouvrir « Nuit Blanche ». Exposition jusqu’au 25 mars !

Olivier Neuray – la galerie Champaka nous fait redécouvrir « Nuit Blanche ». Exposition jusqu’au 25 mars !

La bande dessinée n’est pas un doux chemin aisé… Olivier Neuray, au talent indubitable, en quitte les méandres, et cette exposition, à sa manière, fait le lien entre ses deux existences.

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Auteur de BD… Cela fait rêver bien des gens… Mais c’est un métier… Donc une « occupation », artistique certes, mais dépendant du monde économique. D’éditeurs, de modes passagères, de diktats pseudo intellectuels, de copineries de toutes sortes…

Face à cet univers, de vrais auteurs, aux réelles qualités, jettent l’éponge… Les raisons?… Des projets qui n’aboutissent pas, des antichambres en veux-tu en voilà, des refus, des demandes de corrections à faire pour correspondre aux censés besoins du public… Des émoluments, des droits d’auteur, qui mettent bien longtemps, souvent, à se retrouver dans les bonnes poches…

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C’est le cas d’Olivier Neuray.

Dès la fin des années 80, il édite la série « Nuit Blanche », chez Glénat, avec, comme scénariste, l’extraordinaire Yann. Cinq volumes vont paraître, mettant en scène un personnage ambigu, tantôt chauffeur de taxi, tantôt ancien militaire russe exilé par la révolution de 1917… Une série passionnante, historiquement et humainement, avec un personnage de femme essentiel…

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Ensuite, ce sera « Lloyd Singer », sur scénario de Luc Brunschwig, une sorte de thriller à l’américaine. Six volumes, chez Dupuis d’abord, chez Bamboo ensuite. Et puis, ce sera « Les cosaques d’Hitler », sur scénario de Valérie Lemaire, formidable diptyque historique, violent, cruel, étonnant. Et, pour finir, une série en trois épisodes, toujours avec Valérie Lemaire, « Les cinq de Cambridge », abordant amitié et espionnage, d’une manière véritablement originale.

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Et puis, Olivier Neuray abandonne la bande dessinée… Il se consacre désormais à la peinture, à la gravure aussi. Cela dit, ses œuvres continuent, inconsciemment peut-être, à rappeler son graphisme de bédéiste, mais elles le dépassent, elles le magnifient en quelque sorte.

Et c’est ce que nous pouvons découvrir dans la galerie Champaka, à Bruxelles, puisqu’y sont montrées quelques dizaines de planches originales de sa première série, Nuit Blanche, mais aussi trois tableaux créés pour cette exposition… Trois œuvres picturales qui sont les contrepoints des planches, puisque s’y révèlent les mêmes personnages. Et le verbe « se révéler » y prend tout son sens, croyez-moi…

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Et c’est la belle réussite de cette exposition que de nous permettre, d’une part, de voir de près la façon d’Olivier Neuray de construire une planche, de pratiquer le noir et blanc avec une vraie puissance plus américaine que « ligne claire », et, en même temps, de s’éblouir aux lumières qui semblent jaillir de ses trois tableaux…

Une belle exposition, qui devrait apporter, on peut rêver, quelques regrets aux éditeurs qui ont laissé s’en aller un auteur, un vrai !

Olivier Neuray que j’ai rencontré, à qui j’ai posé quelques questions, auxquelles il a répondu avec le sourire… Ecoutez-le ici, tout simplement, avant d’aller découvrir son exposition…

Olivier Neuray

Jacques et Josiane Schraûwen

Olivier Neuray – Nuits Blanches – Galerie Champaka – 27, rue Ernest Allard – 1000 Bruxelles – Jusqu’au 25 mars

Paraiso – l’esthétique de l’horreur

Paraiso – l’esthétique de l’horreur

Cinq variations sur la guerre, l’horreur, la désespérance et la religion

copyright casterman

Avec Suehiro Maruo, on se plonge dans un style très particulier de la culture japonaise, l’Ero-Guro. L’art de mélanger l’érotisme et la cruauté avec la mort et le grotesque… Un style qui existe depuis les années trente ! Un mouvement qui, dès lors, s’avère volontairement dérangeant et provocateur, tout au long de dessins, ici, qui mêlent sexe sans plaisir et horreur d’un quotidien auquel il est impossible d’échapper, désespoir et mort en ultime perversion.

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Je pense qu’avec Maruo, le dessin devient le vecteur principal de ce qu’il veut dire, exprimer. Il « raconte » à peine, parce que, s’il y a récit, il est sans cesse éclaté, il se remplit de jeux de miroirs dans lesquels le lecteur ne peut que se perdre. Et c’est probablement ce que Maruo désire ! Il est le dessinateur de sensations extrêmes et totalement immorales. Mais avec un sens profond de la construction graphique et de ses esthétiques possibles.

Dans ce livre-ci, il nous emporte dans cinq « nouvelles dessinées ». Avec des tas de personnages dont les quotidiens bien plus que les destins se mélangent, s’entrechoquent, se démesurent dans une sorte de recherche effrénée de tout ce qui peut déranger.

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C’est la deuxième guerre mondiale qui est le fil conducteur principal de ces cinq variations. On y retrouve un prêtre catholique totalement déviant, cruel, charnel, violent, dirigeant au Japon un orphelinat qui lui sert de terrain de jeux pervers.

On y suit le combat au jour le jour de gosses de rue qui doivent survivre sous l’occupation, perverse souvent aussi, des Américains.

On y croise une femme folle serrant contre elle le cadavre d’un bébé.

On y voit un camp de concentration, en Allemagne, et un prêtre polonais qui choisit la voie du martyre.

Et, en finale de ce livre, un autre prisonnier se sent revivre en redevenant humain, en découvrant le miracle d’une grâce autour de la vierge Marie…

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Parce que, étrangement, la religion catholique est omniprésente dans ce recueil, une religion tantôt inacceptable, tantôt vraiment charitable. La religion et, donc, l’au-delà, auquel le titre de ce livre se réfère en nommant, qui sait, un paradis…

Maruo réinvente à sa manière l’horreur, en ne proposant que de très rares espérances vite battues en brèche par l’humaine absurdité de la vie et de toutes ses guerres.

Ne cherchez pas de fil narratif dans ce livre, mais laissez-vous emporter par un dessin efficace mêlant à la bande dessinée une forme détournée de l’illustration.

Aucune rédemption, finalement… Mais un regard précis et historiquement exact sur une époque qui nous rappelle que tous les conflits humains ne partagent avec l’humanité qu’un ultime désespoir, malgré et avec les religions…

copyright casterman

Vous l’aurez compris, cette bd japonaise n’a pas grand-chose à voir avec les mangas et leurs suites infinies… C’est un livre très particulier, en dehors de toutes les normes et de tous les codes du neuvième art… Une curiosité ? Oui, mais pas uniquement… Un album qui, malgré son apparence, se découvre, en définitive, construit comme une sorte de puzzle, le tout totalement assumé par son auteur.

Jacques et Josiane Schraûwen

Paraiso (auteur : Suehiro Maruo – éditeur : Casterman – janvier 2023 – 180 pages)

Nottingham – quand la bande dessinée revisite la légende !

Nottingham – quand la bande dessinée revisite la légende !

Deux scénaristes, un dessinateur, un maître des couleurs… pour une excellente série maîtrisée, à tous les niveaux !

copyright le lombard

Et si…

… les légendes qui nous ont fait rêver, ces aventures qui racontaient des ailleurs infinis, ces aventuriers qui s’incarnaient sur écran dans des stars charismatiques, si tout cela n’avait finalement pas grand-chose à voir face à la réalité ?

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Et si…

… face à l’Histoire , recomposée, réinventée, totalement malléable de ce fait par l’imaginaire et ses envies, Robin des Bois ne ressemblait nullement à Errol Flynn, Sean Connery ou Kevin Costner, si le Shérif de Nottingham n’était pas le grand méchant qu’on croit, si les apparences, comme dans la vraie vie, n’étaient que mensongères, si Disney était enfin renvoyé définitivement dans l’univers aseptisé et sans âme du simplisme friqué ?

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Eh oui, et si chaque légende était sans cesse à recréer, nous redeviendrons, toutes et tous, les enfants que nous n’aurions jamais dû cesser d’être ! Ces enfants qui jouent en disant : « on disait que… » !

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C’est le pari qu’ont fait Benoît Dellac au dessin, Vincent Brugeas et Emmanuel Herzet au scénario, et Denis Béchu aux couleurs, en nous plongeant dans ce qui pourrait être, qui sait, la véritable histoire de Robin des Bois ! Une histoire s’enfouissant dans ce qu’on appelle l’Histoire majuscule… Un récit haut en couleurs (incontestablement…) dans lequel l’inattendu devient la règle, dans lequel les conventions de l’habitude aiment à se perdre dans les méandres de quelques possibles improbables…

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Tous les personnages du « conte légendaire » y sont. Le shérif, Marianne, l’horrible Jean sans Terre, Richard Cœur de Lion emprisonné au loin, etc. Ils sont accompagnés par d’autres figures qui, pour manichéennes qu’elles semblent être, dessinent avec puissance l’ambiance d’une époque épique, guerrière, pleine (déjà, encore…) de complots de salon, d’avidités de pouvoir, d’injustices, de richesses outrancières et de pauvretés soumises.

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En trois volumes (pour l’instant…), les auteurs ont comme but de réussir à mêler étroitement l’Histoire telle qu’elle s’est déroulée et l’imaginaire collectif qui a toujours besoin de créer des héros, de croire que des héros sont possibles, et qu’ils puissent être les hérauts de la justice. Ils y parviennent grâce à une documentation, tant au niveau du texte et, donc, des réalités de l’époque, qu’au niveau du dessin. On se trouve ici dans une super-production graphique, sans aucun doute, avec un dessin dont le réalisme brutal et violent se nourrit de mouvements, de constructions mouvantes, oui, comme si certaines séquences étaient ainsi racontées en accéléré… Un dessin qui privilégie cependant, en même temps, les regards, l’illustration aussi de tout ce qui peut s’y cacher comme sentiments et leurs contraires…  Avec un texte qui ne prend que la place qu’il faut, avec des planches entières presque muettes. Avec une couleur qui souligne sans en enlever la force les noirs et blancs des ombres et des lumières.

Et que dire du scénario, sans aucun temps mort… Un scénario qui réussit à faire d’une histoire très connue une interprétation étonnante… Qui est Robin, exactement, cet être magique, porteur d’une capuche, qui prend une nouvelle voie pour la justice ?

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C’est dans le dernier dessin du tome trois que se trouve peut-être la réponse. On y voit sept personnages encapuchonnés dire : « Nous sommes la justice. Nous sommes Robin. » !

Cela m’a fait immédiatement penser à une autre série, Thierry de Royaumont, dans laquelle le héros se retrouve confronté à des forces du mal dont il est, sans le savoir, le symbole… On se retrouve ici dans un identique jugement sur l’âme humaine : dans le mal ou dans le bien, nul ne peut survivre seul… Et « Nottingham », ainsi, s’il fallait y trouver un message quelconque, une sorte de morale, nous dit qu’il ne faut jamais croire les apparences, qu’il faut les dépasser pour chercher les vraies nuances de l’humain… Un message, tout compte fait, qui s’adresse, plus qu’à hier, à notre aujourd’hui !

Jacques et Josiane Schraûwen

Nottingham (trois tomes parus – dessin : Benoît Dellac – scénario : Vincent Brugeas et Emmanuel Herzet – couleurs : Denis Béchu– éditeur : Le Lombard)