Bandes Dessinées Anciennes : La Main Verte – une « pépite » des années 70…

Bandes Dessinées Anciennes : La Main Verte – une « pépite » des années 70…

Les années 70 ont été le creuset d’une bande dessinée perdant tous ses complexes et osant, non pas renier les « anciens », mais chercher d’autres manières de dessiner, d’autres façons d’aborder ce qu’on peut appeler le « récit ».

copyright claveloux

Ce fut l’époque de Crumb et de ses copains américains « underground ». Ce fut l’époque des fanzines de toutes sortes ouvrant leurs pages à tout et souvent n’importe quoi, ce fut l’époque des magazines nouveaux, modernes, comme Métal Hurlant, Ah Nana, en contrepoint des revues plus classiques comme Circus ou Vécu. Ce fut un foisonnement sans frein de création, l’arrivée en force de femmes auteures, de dessinateurs et de dessinatrices hors normes, de thématiques neuvcs, politiques comme surréalistes.

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Oui, il y eut Druillet, Tardi, Moebius… Il y eut Chantal Montellier, Annie Goetzinger. Et il y eut Nicole Claveloux ! Une dessinatrice « reconnue » bien tard par Angoulème, lui donnant son prix du patrimoine en 2020. Comme quoi, même en ce qui concerne l’art « moderne », Angoulème n’est vraiment plus une référence…

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Née en 1940, Nicole Claveloux peut se définir, sans doute, d’abord par ses présences nombreuses dans l’illustration. Mais pas n’importe laquelle ! Elle s’est plongée, grâce entre autres à la « littérature jeunesse », dans des travaux déjantés, des couleurs criardes, des personnages presque caricaturaux, faisant ainsi pleinement partie d’une sorte d’avant-garde graphique dont le but était, certes, de surprendre, mais surtout d’oser affronter les habitudes d’un public frileux…

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La bande dessinée l’a appelée à la fin des années 70, grâce à l’éclosion de revues « différentes », citées plus haut, et auxquelles on peut ajouter l’excellent « Charlie mensuel » (à ne pas confondre avec l’autre Charlie, plus provocateur qu’artistique…). La bande dessinée ne fut cependant jamais sa seule manière de prendre pied dans le monde de l’art. Mais c’est là, sans doute, qu’elle a touché un public plus large, qu’elle a réussi à créer un propre univers narratif complètement hors des clous…

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Et c’est en 1978, aux Humanoïdes Associés, qu’est paru le livre scénarisé par Edith Zha et intitulé « La Main Verte ». Un livre ivre comme le sont tous les livres s’enfouissant dans le refus des récits tout faits… Un livre dont les ivresses sont celles des mots qui s’effacent devant les espèces de paradis artificiels et psychédéliques des traits et des couleurs. Un livre ivre de sa volonté de ne ressembler à aucun autre !

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Ce livre met en scène un couple étrange… Une jeune femme au regard lointain et un oiseau, un corbeau peut-être, qui, dépressif, regarde par la fenêtre sans jamais oser s’envoler. A ce couple s’ajoute une plante verte qui parle… Et qui devient objet de conflit entre la jeune femme et l’oiseau… La séparation, donc, se fait… La jeune fille s’en va, se balade d’univers en univers, croisant un maître d’hôtel qui joue aux mots croisés, des touristes dans un jardin dont ils ne voient rien, un bâtiment aux statues terriblement humaines. Ce livre est celui d’une errance, d’errances plurielles même, dans une ambiance à la fois surréaliste, référentielle, psychologique, psychédélique… L’absurde à la Ionesco n’est pas loin… Et les couleurs de Nicole Claveloux, criardes, agressives, n’empêchent cependant nullement au récit d’exister par lui-même, pour peu que, lecteur, on se laisse entraîner sur des chemins qui, tout compte fait, nous décrivent aussi une sorte d’histoire d’amour improbable condamnée à se terminer dans de psychiatriques noyades…

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Ce « style » ne peut plaire à tout le monde, c’est une évidence. D’aucuns diront qu’il a vieilli. Je ne le pense pas : la poésie ne vieillit pas, que du contraire, elle rajeunit toujours ceux qui s’en nourrissent, aussi folle soit-elle !

Et j’aime cette folie qui est plus proche de celle des libertés d’Henry Michaux que des diktats de Breton…

La main verte est un livre unique dans son genre… Et qui m’a replongé avec plaisir dans des années, proches pourtant, où la culture refusait le convenu et les convenances !

Jacques et Josiane Schraûwen

La Main Verte (dessin : Nicole Claveloux – scénario : Edith Zha – éditeur : Les Humanoïdes Associés – 1978 – 44 pages)

Renard Rusé – Poésie et réalité de la nature au travers des regards d’un immense dessinateur !

Renard Rusé – Poésie et réalité de la nature au travers des regards d’un immense dessinateur !

Jean-Claude Servais est un des tout grands noms de la bande dessinée, et il nous offre ici un récit superbe à la construction originale et passionnante…

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Jean-Claude Servais est Belge… Gaumais, surtout, et sa carrière tourne autour de la nature, des animaux, des humains qui, de toutes les classes sociales, ne peuvent se définir que par leurs rapports avec leur environnement. Donc avec le monde animal dont ils font pleinement partie, qu’ils le veuillent ou non. Ses œuvres, nombreuses, sont ce qu’on peut appeler des livres régionaux…

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… mais universels, également, tant il est vrai que tous les thèmes que Jean-Claude Servais a traités sont ceux de l’existence et de ses émotions, de ses sensations, de ses dérives et de ses merveilles… On peut citer par exemple « Le chalet bleu », un chef d’œuvre absolu d’onirisme et d’hommage à la nature toujours victorieuse… Mais il a aussi abordé la thématique de la guerre, de l’Amour, bien sûr, de la justice, de la justice sociale également… Tendre Violette, Isabelle, la petite reine, Lova, autant de titres qui ont créé au fil des années un véritable lectorat passionné par ce dessinateur réaliste d’une puissance et d’une poésie uniques dans l’univers du neuvième art. Parmi ces lecteurs, Tanguy Dumortier, l’animateur de l’émission « Le jardin extraordinaire », et qui signe la préface de cet album-ci.

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Avec « Renard Rusé », ne vous attendez pas à un album traditionnel dans sa construction. Bien sûr, il y a un axe central, une histoire qui nous est racontée. Juliette, une héroïne comme Servais les aime, jeune, jolie, passionnée, révoltée, veut découvrir son animal totem. Avec en exergue de cette recherche qui lui est un besoin, cette phrase presque chamanique qui ouvre l’album : « Lorsque nous devons affronter certaines situations dans notre vie, nous pouvons invoquer l’énergie d’ne espèce animale qui nous correspond ». Et l’animal totem de Juliette, c’est le renard…

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Un animal que le lecteur, en même temps qu’elle, va apprendre à connaître au travers de toute une série de petits récits qui construisent réellement cet album. Bien sûr, Servais aurait pu nous parler « scientifiquement » du renard. Mais, comme c’est souvent, voire toujours, le cas chez lui, il choisit bien plus d’explorer l’imaginaire collectif, de se plonger dans des légendes, dans des poèmes, dans des anecdotes. Et c’est bien ainsi qu’il a construit son livre qui, dès lors, se révèle, narrativement, original, passionnant…

Ces légendes, ces anecdotes qu’il nous offre ne brisent nullement le rythme du récit. C’est que Jean-Claude Servais, tel un fabuliste, est un extraordinaire raconteur d’histoires !

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Le lecteur peut être surpris, c’est vrai, de voir se raconter une histoire dont l’héroïne n’est que de passage, ici et là… Certes, elle vit sa propre destinée, elle est aussi en quête d’un amour à retrouver, mais ce que Jean-Claude Servais nous raconte, c’est la similitude des qualités du renard et de Juliette à la recherche de son Roméo, qui s’appelle Arnaud… Des qualités comme la ruse, comme la solidarité, comme l’obstination… Et il le fait en nous faisant en même temps découvrir, justement, ce qu’est la vie de ce petit canidé. Mais toujours par le biais de l’imaginaire, et même de l’humour ! Et c’est ainsi qu’il nous emmène avec lui dans une suite de petits chapitres, nous racontant comment, par exemple, dans l’ancien royaume des animaux, ont été distribuées les queues des différentes espèces… Nous faisant assister à un spectacle de marionnettes, le corbeau et le renard, fable d’Esope, ici, pas de La Fontaine… Nous faisant découvrir ou redécouvrir le fameux Roman de Renart… Nous montrant la folie meurtrière de l’homme apeuré, toujours, par ce qu’il ne comprend pas… Et puis il y a la légende extraordinaire de la fée Renarde, une légende philosophique, poétique, onirique…

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Je suis « fan » de Servais depuis toujours… Je le connais un peu… J’ai, comme Tanguy Dumortier, eu la chance de passer presque une journée dans son chalet bleu, avec mon épouse… C’est un homme exceptionnel, et ce livre-ci est d’une beauté simple, pure, sans apprêts, sans d’autre message que la tolérance et le respect de la vie sauvage, animale… Donc humaine, aussi… Un dessin réaliste, précis, auquel la couleur de Guy Raives apporte une essentielle profondeur… Jean-Claude Servais est un des dessinateurs bd belges essentiels. Et son renard rusé fait partie de ses livres les plus aboutis… Un livre qui, en outre, en annonce d’autres, nous dit Servais en préambule à son album… Avec comme personnages centraux le cerf, le chat, le corbeau, entre autres…

Lien vers ma chronique radio de ce samedi 6 janvier 2024.

Jacques et Josiane Schraûwen

Renard Rusé (auteur : Jean-Claude Servais – couleurs : Guy Raives – éditeur : Dupuis – octobre 2023 – 80 pages)

Neuvième Art Nouveau – Une exposition jusqu’en mars 2024 à Bruxelles, au Centre Belge de la Bande Dessinée

Neuvième Art Nouveau – Une exposition jusqu’en mars 2024 à Bruxelles, au Centre Belge de la Bande Dessinée

Bruxelles, à travers le monde, est incontestablement le lieu évident de ce que fut l’Art Nouveau, en architecture certes, mais aussi en joaillerie, en ferronnerie, en menuiserie.

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Cet art, tout en « nature », tout en « volutes », tout en sensualité, n’a pas uniquement été celui de demeures devenues emblématiques.

Il a nourri et s’est nourri de tous les autres arts, transformant ainsi, grâce à un foisonnement immense, tous les aspects du quotidien, tous les regards sur l’environnement urbain.

La bande dessinée ne s’y est pas trompée. Elle s’est bien souvent enfouie dans ces décors inouïs que furent ceux de la Belle Epoque.

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Et cette exposition nous invite, de manière subjective certes, mais passionnée et donc passionnante, à voyager dans ces temps lointains en compagnie d’auteurs d’aujourd’hui qui ont voulu, et su, au travers de leurs albums, restituer de ces années passées les réalités.

Mélanie Andrieu, commissaire de l’exposition

Réalité magique des décors, des lieux, d’une beauté neuve s’imposant avec douceur à tout le monde.

Réalité historique, aussi, avec des récits parfois très réalistes, parfois très oniriques, fantastiques, mais tous empreints de l’art en apogée qu’on appelait nouveau.

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Réalité sociale, également, parce que tous ces auteurs n’ont jamais embelli à outrance cette époque qui n’était socialement belle que pour les classes aisées.

Au fil des œuvres exposées au Centre Belge de la Bande Dessinée, c’est à toutes ces réalités que le badaud/spectateur est confronté. Tout en simplicité… Tout en douceur… Tout en jeux de lumière… Tout en intelligence !

copyright marc-renier

Avec des auteurs extrêmement variés, la balade au long de cette exposition est un moment de découverte, de retrouvailles aussi avec des dessinateurs aux styles extrêmement différents. Il y a François Schuiten, bien entendu, inévitable lorsqu’on pense aux arts neuvième et nouveau mêlés.

François Schuiten

Mais il y aussi l’extraordinaire Smujda, le prolifique et talentueux Etienne Willem. Avec Marc-Renier, aussi, avec, au feu de certaines planches exposées, la présence de Klimt, de Toulouse-Lautrec, de Schiele !…

copyright smujda

Je le disais, le choix fait par Mélanie Andrieu, la commissaire de cette exposition, est très personnel et, de ce fait, extrêmement intéressant. Elle nous fait redécouvrir des auteurs comme Ferry, Counhaye, Severin…

copyright dumont

Mais elle nous plonge également dans les univers somptueux de Frank Pé, de Chabouté, de Sorel ! C’est, d’une certaine manière, une approche éclectique de la bande dessinée dans plusieurs de ses manifestations, de ses styles, de ses mises en scène !

copyright chabert

Une exposition à voir, vraiment, pour prendre le temps d’admirer les liens étroits qui, finalement, unissent tous les arts, de l’architecture à la bande dessinée !…

Jacques et Josiane Schraûwen

Neuvième Art Nouveau – Une exposition jusqu’en mars 2024 à Bruxelles, au Centre Belge de la Bande Dessinée, rue des Sables