Nos Embellies

Nos Embellies

Un livre positif, un livre qui donne envie de vivre pleinement, de sourire aux voisins, de prendre pied dans sa propre histoire d’amour… Un album tout en tendresse, tout en observation, tout en soleil !

Nos embellies – © Bamboo/Grandangle

C’est un  » premier album  » pour cette jeune femme, Marie Duvoisin, dont le talent est déjà particulièrement abouti. Son dessin est souple, ses personnages vivent et bougent, ont des visages superbement expressifs, ses paysages sont variés, et se révèlent bien plus que de simples décors en participant pleinement à la construction du récit.
Elle a une manière aussi, très rare, de dessiner un enfant, un visage d’enfant, de façon en même temps réaliste et poétique, un peu dans la lignée de quelques illustrateurs comme Joubert, en son temps, ou Follet… Ou même Poulbot…
Marie Duvoisin a également un sens de la composition qui, de page en page, construit un livre sans temps mort, malgré le fait que, justement, l’histoire racontée, elle, nous parle du temps qui passe.
Et comment ne pas souligner la puissance poétique de la couleur, une couleur dont la  lumière varie, de ville en campagne, d’intérieur en montagne enneigée, d’étable en chambre assombrie. Une couleur qui se révèle le rythme premier de cette bd…

Nos embellies – © Bamboo/Grandangle

Dans ce livre réjouissant, la scénariste Gwénola Morizur nous fait découvrir quelques personnages qui n’ont rien d’exceptionnel, qui sont nos voisins, ou nous-mêmes.
Il y a une jeune femme qui apprend qu’elle est enceinte… Il y a un jeune musicien qui a enfin la chance de signer chez un producteur intéressant… Il y a un gamin que sa mère envoie fêter Noël à Paris, loin du Canada, pour lui éviter les errances d’un divorce difficile, il y a un homme solitaire qui vit au rythme de la montagne, il y a un jeune auto-stoppeur amoureux de la danse, et de ce fait en rupture avec sa famille.
Au vu de ce rapide résumé, on pourrait s’attendre à un succédané d’une série télé de piètre qualité, avec des caractères typés, manichéens, avec une histoire aux rebondissements attendus.
Et il est vrai qu’on se doute bien, ne fut-ce que grâce au titre, que les aléas de l’existence et les difficultés de croire en des lendemains souriants, tout cela va s’estomper et s’ouvrir à de vraies espérances. Mais la scénariste a choisi de profiter de ces éléments connus et reconnus pour les mettre en scène, certes, mais en privilégiant, de bout en bout, l’humain… Les rapports entre les êtres, la présence de l’amour, sous toutes ses formes, le deuil, celui de la mort, celui de l’absence, celui de la fuite, celui de la différence non assumée, non acceptée.
Et dans cette démarche de plonger des personnages différents les uns des autres dans des réalités tout simplement quotidiennes, Gwénola Morizur a trouvé en la personne de Marie Duvoisin la complice parfaite ! Aucune fausse note n’est à mettre en évidence, en effet, dans ce livre, qui évite à la fois le misérabilisme ambiant et le pessimisme de mise de plus en plus dans notre société à la recherche d’elle-même, dans ce livre dans lequel les mots, ceux de tous les jours, ceux de la simplicité, se mélangent intimement à une narration graphique somptueuse et sans effets spéciaux.

Nos embellies – © Bamboo/Grandangle

Une embellie, c’est sans aucun doute ce dont rêvent bien des gens, de nos jours… Ce dont rêve tout le monde, finalement, dans cet univers qui est nôtre et qui se contente tellement souvent de discours à la place des gestes, un univers dans lequel ceux qui sont différents, quelle que soit cette différence, ont de moins en moins voix au chapitre…
Une embellie, pour que la vie, pendant quelques instants seulement peut-être, se révèle à elle-même comme riche de possibles.
Une embellie pour apprivoiser le temps qui, de toute manière, accompagne nos pas et les accompagnera toujours.
Et ce qui est remarquable aussi, dans ce livre, c’est que chaque personnage a ses propres attentes, ses propres espoirs déçus, ses propres interrogations désespérées. Et que l’embellie, pour chacun d’entre eux, ne peut apparaître qu’à la seule condition où, toutes et tous, sont capables de se regarder l’un l’autre et d’oublier leurs seules dérives…

Nos embellies – © Bamboo/Gandangle

 » Nos Embellies « , c’est ce que je pourrais appeler un livre convivial… Un livre qui conjugue à tous les temps, à tous les modes, le verbe espérer… Un livre qui, graphiquement, nous immerge dans des existences qui connaissent ou découvrent l’importance de l’environnement… Un livre qui laisse aussi la place au rêve, et à la beauté d’un rêve qui s’accomplit, même si ce n’est que dans l’éphémère du sourire…
Si Lily, le personnage central de cet album, n’avait pas voulu répondre à l’envie du gamin Balthazar de vivre un Noël à la montagne, dans la neige, aucune embellie n’aurait pu avoir lieu…
Oui, c’est un livre extrêmement  » positif « , un livre qui fait du bien, un livre qui nous montre que même l’hiver peut être infiniment ensoleillé !

Jacques Schraûwen
Nos Embellies (dessin : Marie Duvoisin – scénario : Gwénola Morizur- éditeur : Bamboo/Grandangle)

40 Éléphants : 2. Maggie, Passe-Muraille

40 Éléphants : 2. Maggie, Passe-Muraille

Un gang exclusivement féminin, dans les bas-fonds de Londres… Un scénariste efficace, une dessinatrice au talent évident… Deux auteurs à écouter dans cette chronique !…

 


 40 éléphants©grandangle

Kid Toussaint est un scénariste qui aime à aventurer ses mots et ses idées dans bien des directions différentes… On lui doit par exemple une incursion dans la Grande Histoire, avec l’excellent « Brûlez Moscou », on lui doit aussi les aventures féminines, féministes et policières de « Holly Ann », ou l’univers fantastique de Magic 7, ou les affres de la guerre avec le superbe « Brûlez Moscou ».
De manière générale, Kid Toussaint a une prédilection pour des aventures à intégrer dans des époques historiques précises, et sa façon d’aborder ainsi l’Histoire dite majuscule au travers de récits à taille humaine ne manque jamais d’intérêt.
C’est encore le cas, ici, avec cette série qui nous plonge dans le Londres du début du vingtième siècle. Qui nous y fait découvrir aussi et surtout un groupe de femmes qui, sous des dehors parfois très conventionnels, se révèlent de dangereuses criminelles, capables de tout, même du pire ! Dans son scénario, Kid Toussaint a choisi d’éviter tout romantisme inutile… Ces 40 éléphants, femmes de la truanderie profonde, opposées aux 40 voleurs, sont des voleuses, des tueuses, des femmes sans foi ni loi…
Pour construire cette série, narrativement, Kid Toussaint et Virginie Augustin ont partagé des références identiques, celles du cinéma des années trente, ce cinéma noir qui n’hésitait pas à forcer le trait mais sans jamais tomber dans la seule caricature… Des références qui leur permettent, à tous deux, de se lancer dans des cadrages puissants, dans des ruptures de ton et de graphisme, avec une véritable musique intérieure qui rythme les deux premiers albums…

Kid Toussaint: le scénario et les deux références


 40 éléphants©grandangle

Cela dit, Kid Toussaint a un autre plaisir, dans pas mal de ses albums, celui de multiplier les personnages. Sans pour autant faire ce qu’on pourrait appeler des bd « chorales », il adore placer ses personnages centraux dans des environnements desquels ils doivent se distancer pour exister pleinement.
Il y a là une gageure, toujours, pour les dessinateurs qui travaillent avec lui : parvenir à ne pas perdre le lecteur en cours de route et lui permettre de reconnaître chaque personnage sans devoir sans cesse revenir en arrière dans sa lecture.
Et Virginie Augustin, avec des codes de couleur, par exemple, mais aussi et surtout avec la force évocatrice de son dessin, y arrive sans aucun problème. Et elle réussit ainsi à nous montrer des femmes normales, qui appartiennent à différentes couches de la population, sans jamais les caricaturer, et qui, toutes, sont reconnaissables. Même si, dans chacun des deux albums déjà parus, c’est une femme qui occupe de manière évidente le devant de la scène.

Virginie Augustin: les personnages et les gens normaux


40 éléphants©grandangle

Une bande dessinée, c’est une histoire écrite…. C’est aussi, surtout peut-être, du dessin qui donne vie à un récit de façon efficace et, ma foi, artistique… C’est enfin l’ajout de la couleur qui peut, certes, se révéler inutile ou, comme ici, devenir totalement et véritablement compagne de la narration !
Hubert connaît le dessin de Virginie Augustin… Et c’est à un travail artistique qu’il se livre pour, non seulement, créer des ambiances, mais faire de ces ambiances un élément moteur du récit, de son évolution, de sa construction.

Virginie Augustin: la couleur

 40 éléphants©grandangle

Dans cette série, deux albums, donc, sont parus. « Florrie, doigts de fée », le premier volume, mettait en scène une jeune femme acceptée par la bande des 40 éléphants. Une jeune femme dont on découvrait qu’elle était, en fait, une « indicatrice » de police, à la recherche de la vérité sur la disparition d’un enfant qui lui était proche, et manipulée par un policier soucieux, peut-être aussi, de l’aider dans sa quête.
Dans le deuxième volume, « Maggie, passe-muraille », on assiste, évidemment, à la suite de l’enquête entamée dans le premier opus. Mais cette enquête, et son aboutissement, ne sont là, en tout état de cause, que comme alibis à une narration qui fait la part belle à la lutte entre les gangs, à la violence, au meurtre, le tout au long d’une construction presque théâtrale, ou plutôt proche, cette fois, des feuilletons cinématographiques et littéraires du début du vingtième siècle.
Et dans ce qui est un premier cycle (je l’espère… ), l’intérêt ne faiblit à aucun moment, tant grâce au scénario, et singulièrement aux dialogues, que grâce au dessin.

Kid Toussaint: la narration

Le dessin de Virginie Augustin associé au scénario de Kid Toussaint forment la trame, dans cette série, de ce qu’on peut appeler une vraie et belle réussite !
Il y a du rythme, de l’action, du sentiment, de la haine, de la mort, du silence, des larmes… Il y a le portrait d’une époque, un portrait qui se refuse à l’angélisme comme au voyeurisme.
Et j’espère et j’attends que d’autres portraits de femmes viennent bientôt compléter le tableau haut en couleurs de ce gang féminin des 40 éléphants !

Jacques Schraûwen
40 Éléphants (dessin : Virginie Augustin – scénario : Kid Toussaint – couleurs : Hubert – éditeur : Bamboo/Grandangle)

La Mère Et La Mort / Le Départ

La Mère Et La Mort / Le Départ

On connait les rapports étroits qui existent, en Amérique latine, entre vivants et morts, et les hommages presque carnavalesques que font ceux qui sont à ceux qui ont été…

Le départ – © Le Tripode

Et cet album baroque participe pleinement à ce miroir constant qu’offre la vie de l’au-delà, qu’offre l’ailleurs de l’ici.
Deux Argentins et un Mexicain se sont emparés du thème du deuil, dans ce qu’il peut avoir de plus horrible, de plus injuste même, pour nous livrer deux récits courts aux textes plus que discrets, au graphisme inspiré et puissant.
Deux histoires qui se font face, par les mots comme par le dessin, et qui parlent d’une même réalité : la perte d’un enfant par une mère prête à tout pour le retrouver et lui redonner vie.
Dans  » La mère et la mort « , le texte est de l’Argentin Alberto Laiseca, et nous raconte le périple d’une mère à qui la mort va rendre son fils, une restitution que cette mère paiera de sa chair.
On est dans la tragédie à la grecque, sans aucun doute, le voyage aux enfers pour retrouver l’être aimé, et l’inéluctable destin d’une telle quête inhumaine.  Ce qui pourrait être un conte du dix-huitième siècle devient, par la magie du dessin, quelque chose d’indéfinissable, un récit dont tous les personnages, même vivants, portent déjà les stigmates de la mort, un récit dont les paysages, les vêtements et les mouvements des lieux traversés ne peuvent que faire penser à des guerres toujours impitoyables.

La mère et la mort – © Le Tripode

Le deuxième récit, qui fait miroir au premier, et se lit en retournant le livre sur lui-même, se construit autour d’un texte du Mexicain Alberto Chimal illustré également par Nicolás Arispe.
On n’est plus dans une ambiance de guerre, mais, tout au contraire, dans une situation d’aujourd’hui : un tremblement de terre qui détruit maisons et paysages, qui détruit aussi de façon définitive la vie et ses espérances. Et dans cette histoire, une mère attendrit la Mort qui redonne vie à son enfant. Mais si l’âme anime le corps de ce  » revenu d’ailleurs « , la chair, elle, n’est que lente pourriture…
Le dessin se fait ici tout aussi baroque et symbolique, fouillé et  » fantastique  » que dans le premier récit, mais avec une certaine dose d’humour noir, macabre même, qui accentue encore les questionnements que nous impose cet ouvrage.

La mère et la mort – © Le Tripode

Entre l’espoir déçu d’un au-delà possible et l’impitoyable et inévitable destruction du corps, ce livre étrange et prenant est un livre d’illustrateur bien plus que de dessinateur de bande dessinée. C’est un livre d’artiste, aussi et surtout. Et il est remarquable de voir que des écrivains s’y effacent, grâce à une immédiateté de leurs textes, pour laisser le dessin tout raconter, tout montrer, tout imposer du rythme comme du contenu.
On est dans le baroque, oui, on est aussi dans l’expressionnisme allemand de l’entre-deux-guerres, on est tout autant dans des descriptions qui sont celles des grands graveurs français du dix-neuvième siècle.
On se trouve surtout, dans ce livre d’art qui n’a pas peur de la laideur, dans une œuvre qu’on ne peut définir que d’une seule manière : en soulignant sa force évocatrice, la simplicité du texte, le flamboiement à la fois vivant et morbide du dessin !
C’est un livre qu’on lit, qu’on feuillette, qu’on relit, c’est un livre qu’on a du mal à abandonner, c’est un dessinateur à découvrir, ABSOLUMENT !

Jacques Schraûwen
La Mère Et La Mort / Le Départ (dessin : Nicolás Arispe – textes : Alberto Laiseca et Alberto Chimal – éditeur : Le Tripode