Pompéi – 1. Assa

Pompéi – 1. Assa

Un péplum de plus ?… Non… Plutôt une aventure humaine en une époque précise, une aventure condamnée, le lecteur le sait, à finir sous une lave sans âme…

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Il faut, dans la vie, comme dans ses lectures, être éclectique ! Et j’aime passer de livre en livre tout en m’aventurant dans des univers différents. Et l’Histoire, la grande histoire, peut souvent apporter, en bande dessinée, des ouvertures narratives intéressantes, lorsqu’elles prennent le temps, simplement, de laisser parler l’imagination tout en respectant les réalités historiques du récit.

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Et donc, j’ai aimé découvrir cette série naissante, qui a comme cadre Pompéi juste avant l’éruption du Vésuve, en 79 après Jésus-Christ. L’originalité de cette série va résider, déjà, dans le fait que chaque album sera à lire comme un one-shot. Chaque tome, en effet, sera consacré à un seul destin, un homme ou une femme enferrés dans les réalités d’une ville aux codes sociaux bien établis, juste avant que le volcan ne détruise tout.

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Ce premier volume met en scène Assa, esclave d’un riche notable, amoureuse du fils de ce dernier, et, de ce fait, revendue dans un lupanar par un père qui ne veut pas de mésalliance ! Pour Rudi Miel, co-scénariste, il s’agit à la fois de ne pas cacher ce qu’était la réalité de Pompéi, mais, en même temps, de parler de sentiments universels.

Rudi Miel

Des réalités et des sentiments universels, oui, et qui, de page en page, éveillent des échos très contemporains. Très proches, donc, de nos propres questionnements quant à la vengeance, l’amour, la haine, la trahison, le monde adulte bien installé et tellement sûr de lui…

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Dans ce livre, on dépasse ainsi, par petites touches, une sorte de Roméo et Juliette qui n’auront pas besoin de se suicider, dans la mesure où les cendres et la lave s’en occuperont très bien ! Mais ce n’est pas l’aventure revisitée de ces deux amants mystiques que nous raconte cet album… Puisque l’Amour, pour Assa, est impossible, et que l’élu de son cœur, Aurelius, a vite fait de l’oublier entre d’autres bras.

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Bien des thèmes, donc, sont abordés dans ce livre, qui laisse quand même la part belle à une aventure parfois impudique, une aventure vécue dans des décors et dans un environnement que les auteurs ont pris plaisir à recréer avec justesse de ton, et justesse historique. Le travail de Paolo Grella, le dessinateur, avec un sens aigu de l’importance des couleurs, est à souligner. Je parlais de thématiques très contemporaines, comme celle de la culture, par exemple, l’essence de l’art mettant du baume au cœur mais inutile socialement… N’en est-il pas, de plus en plus, de même aujourd’hui? Poser la question, c’est y répondre!

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Le scénario est linéaire, le dessin et les couleurs sont d’un réalisme passionnant, offrant au récit des rythmes réels… Cela dit, ce livre est fictionnel, véritablement…

Fabienne Pigière

Un livre intéressant, qui ressemble un peu à une mise en bouche en attendant que le repas arrive… Le monde de Pompéi et de ses destins emmêlés les uns aux autres sous les puissances de la mort, est ici esquissé plus que primordial… Mais je pense que les albums suivants sauront encore mieux mêler Histoire et fiction, pour nous offrir des personnages qui, comme Assa, ont de la chair… Scénaristiquement… Et graphiquement aussi !

Jacques et Josiane Schraûwen

Pompéi – 1. Assa (dessin : Paolo Grella – scénario : Fabienne Pigière et Rudi Miel – éditeur : Anspach – mai 2025 – 56 pages)

Pico Bogue – 16. Haïku

Pico Bogue – 16. Haïku

Il y a de ces livres que j’aime laisser traîner sur un meuble, longtemps, avant de les lire… Pour le plaisir de l’attente… Pour la certitude d’y trouver une part de bonheur simple, celui de l’intelligence, de l’humour et du partage… C’est le cas, toujours, avec chaque album de l’exceptionnel Pico Bogue !

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Je me souviens de la première fois où nous nous sommes vus, Dominique Roques et Alexis Dormal, les créateurs de Pico, et nous-mêmes, mon  épouse et moi… Une petite fête de la bd dans la maison communale de Saint-Gilles, à Bruxelles. Ils étaient là, assis côte à côte en attente de gens curieux de leur album… Josiane et moi, nous nous sommes approchés… Nous avons feuilleté le livre… Et, très vite, tous les deux, nous avons été séduits par le dessin de ce personnage, Pico Bogue, par les mots qui étaient les siens. Nous avons acheté l’album… Et quelque temps plus tard, j’en ai parlé sur le site culturel de la rtbf. Je me rappelle aussi que la journaleuse responsable alors du site culturel m’a écrit que cette chronique était stupide, que ce personnage de Pico Bogue n’avait aucun avenir, que le dessin n’était qu’une resucée de ce qui existait déjà !

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Pas mal d’années plus tard, Pico Bogue existe toujours, il continue à voir le monde avec le regard d’une enfance aux essentielles lucidités, il en est au seizième épisode de ses frasques et de ses réflexions qui me font, ainsi qu’à des milliers et des milliers de lecteurs, sourire, plaisir, réfléchir… Qui me font du bien, tout simplement ! Et la journaleuse, elle, continue sans doute à végéter dans l’univers clos de ses certitudes imbéciles…

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Qui est Pico Bogue ? Un gamin qui vit en famille, avec ses parents, avec sa petite sœur Ana, un gamin espiègle qui va à l’école, qui a ses copains, très différents de lui… Un gamin comme tous les autres, mais qui, par la magie d’une scénariste, Dominique Roques, par le talent d’un dessinateur, Alexis Dormal, devient le miroir de nous-mêmes, lecteurs-spectateurs replongeant, le temps de quelques pages, dans les univers déraisonnables de nos vieilles enfances !…

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Dans ce seizième album, la recette reste la même… Et c’est tant mieux ! Des petites scènes, des échanges de mots au quotidien, des décors qui ont presque autant d’importance que les personnages, et, surtout, un jeu double, celui des mots d’une part, celui des dessins d’autre part. Oui, Dominique Roques et Alexis Dormal sont bien plus que complices ! Ils réagissent l’un à l’autre sans cesse, le talent de chacun magnifiant celui de l’autre… Force est de reconnaître que dans bien des séries, on peut se lasser… Mais il n’en est rien avec Pico Bogue, comme il n’en a jamais été rien avec Mafalda ou Snoopy, par exemple ! Lorsque l’alchimie de la création est parfaite, l’étonnement est toujours au rendez-vous de la lecture ! L’étonnement et le plaisir !

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Dominique Roques, la scénariste, est amoureuse des mots, et donc de la vie. Et sa façon, simple et lumineuse, de mettre en scène des concepts étymologiques ou même sémantiques est d’une superbe légèreté ! De sophismes en symbolismes, de réflexions philosophiques en observations de la vie de tous les jours, elle nous fait sourire, toujours… Même en nous parlant de choses graves, Dominique Roques parvient à être objective sans jamais sacrifier aux modes, sans chercher à être « positive » ! Et les aquarelles d’Alexis Dormal ont la même légèreté… Je vous parlais d’alchimie, et c’est bien de cela qu’il s’agit : une manière d’aborder la vie comme le travail faite de deux réalités artistiques différentes s’unissant à la perfection.

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Dans ce seizième album, Pico Bogue découvre ce qu’est le Haïku… Ce gamin ne « s’embête pas à se demander s’il est intelligent », ce gamin comprend, sans avoir besoin de l’exprimer, que la poésie est un chemin idéal pour exister aux regards des autres, au regard de soi-même aussi ! Cela dit, n’ayez aucune crainte : ce livre n’a rien d’une approche théorique d’une forme asiatique de la poésie ! Ce livre, tout au contraire, rythme la vie racontée par le rythme de l’écriture, de la poésie, donc de l’existence… En outre, alors que les règles prosodiques du Haïku sont très précises (3 vers, le premier de 5 pieds, le deuxième de 7, le troisième de 5), les poèmes écrits et dits par Pico comme par sa maman sont bien pus anarchiques dans leur construction ! Ils sont, disons-le, libres, essentiellement libres, comme l’est, toujours, le ton de cette série bd indispensable !

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Par la grâce des mots comme par celle du dessin et de la couleur, Pico Bogue appartient à ce que l’univers du neuvième art peut avoir de plus intéressant, de plus intelligent, de plus beau à lire et à regarder ! Ce n’est pas une série d’humour consacrée à l’enfance, c’est une série souriante qui nous ouvre les yeux d’album en album, et nous remet en mémoire les enfances qui sont nôtres…

Jacques et Josiane Schraûwen

Pico Bogue : 16. Haïku (dessin : Alexis Dormal – scénario : Dominique Roques – éditeur : Dargaud – septembre 2024 – 48 pages)

Nuits Romaines – Un polar très noir superbement dessiné !

Nuits Romaines – Un polar très noir superbement dessiné !

J’ai toujours aimé la littérature policière… J’ai, de ce fait, toujours adoré me plonger dans des polars du neuvième art… Avec « Nuits Romaines », je suis comblé ! Un scénario simple mais extrêmement bien construit, et un graphisme exceptionnel !

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Le personnage central est un flic plus très jeune, mais loin d’être vieux, fumeur invétéré, désespéré et désespérant. Un flic paumé qui, après plus de vingt ans d’enquêtes glauques dans la glauque ambiance des nuits romaines, sait que « le cauchemar jamais ne s’apaise ». Et sa nouvelle enquête le désespère encore plus : il s’agit d’enfants assassinés… Il s’agit d’un tueur de mômes… Il s’agit de « l’homme en noir » qui va, jusque dans les rêves de Flavio, ce flic, réveiller ses angoisses les plus sombres.

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Un tueur d’enfants… Un policier désabusé et hanté par le mal… Une ville sublime qui se révèle, la nuit venue, un décor presque fantomatique, pratiquement fantastique… Un dessinateur qui se laisse aller à de la folie visuelle exceptionnellement efficace… Tous les ingrédients sont en place pour que ce livre soit une sorte de « comics » américain. Mais il n’en est rien ! Là où les comics multiplieraient les démesures graphiques, les plans impossibles, le découpage bling-bling, ce livre choisit les chemins de l’ambiance, les routes sinueuses de la nuit, les paysages citadins qui ne sont qu’esquissés… Même en usant des codes du roman noir américain, cet album se révèle résolument européen… Et si tape-à-l’œil il y a, c’est au service, et uniquement au service, de l’histoire qui y est racontée…

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« On s’est habitués au mal », dit Flavio, se perdant dans une enquête aux certitudes soudain trop criardes. Il se souvient de toutes ces mères auxquelles il a promis de rendre vivants leurs enfants… Et il sait que « les promesses ne sont pas là pour qu’on les tienne »… Luigi Boccia, le scénariste, esquisse le profil d’un flic à la Chandler, à la Carter Brown… Il nous plonge dans une ambiance qu’on pourrait croire à la Stephen King, et il le fait pour mieux nous jeter en pâture à un quotidien sournois et inacceptable… Réel… Il attache son récit exclusivement aux gestes et aux mots de son personnage central, construisant sa narration au fil de petites touches éparses qui peu à peu racontent l’histoire sans jamais perdre le lecteur…

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Le dessin d’Alessandro Manzella est étonnant… Superbement étonnant… C’est un dessin qui se blottit derrière la couleur, qui, parfois, rappelle les bandes dessinées sud-américaines des années 60/70… Mais c’est un graphisme qui empoigne le lecteur dès la première page, et ne le lâche plus au fil des planches ! Je dirais qu’il y vraiment un jeu, dans la couleur de Manzella, d’ombres et de lumières, avec une façon moderne, en quelque sorte, de perpétuer les clairs-obscurs chers aux peintres vénitiens, entre autres.

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Les profils des personnages sont parfois à peine esquissés, s’enfouissant aux méandres d’une peinture qui est, peut-être, l’élément essentiel du dessin, donc du récit… Et il y a véritablement un travail « sombre » de cette couleur, avec des visages qui s’en échappent en gros plans, avec l’omniprésence des cigarettes et des néons qu’on voit briller dans l’ombre opaque de la nuit… Au fil des pages, donc de l’enquête, les personnages deviennent de plus en plus visibles, présents, « dessinés »… Obligeant ainsi le lecteur à mieux entrer encore dans leurs quotidiens, dans leurs folies, dans le « mal »…

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« Il y une grande différence entre vivre et survivre, mais à la fin, il n’y a pas d’autre choix que de s’y faire. » Cette phrase ponctue à sa manière une histoire horrible mais réaliste… Et je ne sais pas si c’est volontaire ou s’il s’agit d’une erreur d’impression, mais il y a, dans le texte, vers le milieu du livre, une seule petite phrase écrite en rouge… « on peut rien faire » ! Quatre mots qui, à leur manière, racontent l’inutilité de toute action face à l’innommable…

Ce livre est un polar sublime dans sa forme, simple mais juste dans son récit… C’est aussi un album qui, totalement, appartient à l’Art… Le neuvième en l’occurrence, mais aussi celui d’une forme de peinture qui emporte le lecteur sans jamais lui lâcher la main ni le regard !

Jacques et Josiane Schraûwen

Nuits Romaines (dessin : Alessandro Manzella – scénario : Luigi Boccia – éditeur : Mosquito – mars 2025)