Marie Et Les Esprits – spiritisme et science, une cohabitation difficile

Marie Et Les Esprits – spiritisme et science, une cohabitation difficile

Rodolphe, QUE VOUS POUVEZ ECOUTER DANS CETTE CHRONIQUE, scénariste prolifique, a souvent pris plaisir au cours de sa carrière à mêler à des récits réalistes des évasions fantastiques. C’est encore le cas ici !

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Mais cette fois, c’est en s’inspirant exclusivement de ce qu’on peut appeler, sans doute, une vérité historique : l’intérêt que quelques-uns des plus grands scientifiques du début du vingtième siècle ont porté au spiritisme, aux échanges avec l’au-delà, à l’ésotérisme…

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Les plus grands scientifiques, oui, puisqu’il s’agit, dans cet album, du couple des Curie. Nous sommes en 1905. Auréolés de gloire par un prix Nobel partagé à deux, Marie et Pierre Curie se laissent tenter par une sorte d’enquête consacrée à « l’inconnu », aux phénomènes psychiques, aux ectoplasmes, à la paranormalité…

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Résolument scientifiques et usant de toutes les techniques et technologies que la science leur permet, ces deux scientifiques mondialement reconnus vont, avec une rigueur totale, se plonger dans un monde qui, à sa manière, va les faire douter de la science face à tout ce qui touche à la mort et aux possibles de l’après.

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Marie Curie, enfant, rêvait souvent de sa mère décédée, fantôme rêvé auquel elle disait que les morts n’avaient pas à revenir, qu’ils n’en avaient pas le droit. Ce fut ce passé, ce souvenir, probablement, qui la poussa à accepter de participer aux recherches de la très sérieuse « Society For Psychical Research ».

Et, donc, c’est de cette époque de sa vie, et de celle de son mari, que nous parle ce livre, extrêmement fouillé, historiquement parlant.

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Je ne vais pas essayer, ici, de vous résumer ce livre, cette époque d’expériences, de témoignages, au cours de laquelle une medium très connue alors, Eusapia Palladino, fut analysée longuement. C’est en lisant cet album intéressant, passionnant même, que vous pourrez découvrir ces années d’expériences étranges, et vous faire vous-mêmes votre opinion sur ce mélange entre science et paranormalité…

Parce que c’est là, véracité ou fantasme, que se situe la réussite de ce livre : dans le mélange qu’a réussi à faire Rodolphe de cet aspect ésotérique, fantastique osons le dire, d’une part, et d’autre part, du quotidien de tous les protagonistes de ce récit. Avec l’aide du dessinateur Olivier Romain, dont le graphisme classique, un peu guindé comme l’étaient les personnages de ce temps, se colle parfaitement à l’ambiance du texte, à la narration de cette aventure presque improbable. Ses décors sont essentiels à la lumière de cet album, sans aucun doute possible… Mais les personnages aussi, reconnaissables…

Conan Doyle, Henri Bergson (prix Nobel de littérature), Charles Richet (prix Nobel de physiologie et de médecine) font partie de ces gens connus et reconnus osant, en une époque où la science prenait de plus en plus la place de la foi, s’intéresser à l’invisible, donc, oui, aussi aux religions et à leurs croyances.

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Il y a, dans la construction narrative de ce livre, une honnêteté incontestable dans le propos. Que j’épingle avec cette phrase dite par Pierre Curie : « On est presque sûrs de nos observations. Mais seulement ‘presque’. Toujours ‘presque’. » !

Cet album dépasse ainsi la simple narration « historique » pour s’intéresser à des questionnements qui sont aussi les nôtres. Ne sommes-nous pas toutes et tous habités par les fantômes de celles et ceux que nous avons aimés, profondément, véritablement aimés ?

Le paranormal, pivot de ce livre, n’est-il pas ce qui nous interpelle également ?

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S’il fallait trouver une morale à cette histoire de Marie et Pierre Curie, on pourrait dire qu’« à ce jeu, on peut très vite se prendre… Se faire avoir… Se perdre… Ou pas… »

Ce livre est un jeu, oui, raconté, décrit, vécu par des personnages qui ont du corps, qui, historiquement, nous sont connus. Un jeu qui, finalement, soulève des angoisses et des espérances universelles, et qui font partie intégrante de l’humanité depuis qu’elle existe.

Un jeu grave, donc, dont Rodolphe m’a parlé, et que je vous propose d’écouter, ici, in extenso…

Rodolphe

Jacques et Josiane Schraûwen

Marie Et Les Esprits (dessin : Olivier Roman – scénario : Rodolphe – couleurs : Cerise – éditeur : Anspach – octobre 2023 – 56 pages)

Et pour écouter ma chronique radio, suivez le lien: chronique

Réfugiés climatiques et castagnettes – un livre humaniste et, donc, important !

Réfugiés climatiques et castagnettes – un livre humaniste et, donc, important !

Changement climatique… Les pays du sud de l’Europe sont horriblement touchés… Voici le moment d’une nouvelle immigration !

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Je n’ai jamais été très « fan » des livres traitant des sujets « à la mode », quel qu’en soit le thème. Et donc, ici, j’avoue avoir hésité avant de me plonger dans cette histoire en deux volumes. Eh bien, j’avais tort ! C’est un excellent récit, intelligent, ouvert, lumineux, humoristique, linéaire, et qui nous parle, profondément, à toutes et tous, au-delà de la simple actualité, et loin des Greta et compagnie !

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C’est vrai que cette actualité semble de plus en plus prendre vie : l’immigration climatique ! Il va falloir, plus que probablement, gérer dans les années à venir une nouvelle forme de solidarité, et cela dans un monde qui, reconnaissons-le, a perdu depuis longtemps le sens de ce mot !

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Certes, on défile « contre » le réchauffement climatique ! On suit aveuglément quelques gourous auto-proclamés, tout en permettant à nos pouvoirs de continuer à ne surtout pas s’attaquer aux vrais problèmes et à privilégier, à force d’idéologies de plus en plus puantes, l’économie par rapport à l’humain ! On défile, on chante, on danse dans les rues, on fait de l’écoterrorisme une nouvelle religion, on contribue à faire porter la responsabilité de tout ce qui fait peur aux seuls citoyens, ceux d’hier, surtout, les « boomers » !… Mais en même temps, on n’a aucun regard pour le sdf qui meurt au jour le jour juste à côté de nos sublimes manifs !… Et on continue à voter pour les mêmes pantins des mêmes multinationales sans âme…

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Cela dit, pour en revenir à cette bande dessinée, n’ayez pas peur d’un album militant, lourd et pesant. Avec David Ratte, la critique sociale est toujours au rendez-vous, mais elle l’est avec sourire, avec émotion, avec une forme de dérision aussi. Mais avec un vrai regard sur le monde dans lequel nous (sur)vivons.

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Au départ du récit qu’il nous offre, une hypothèse probable : les habitants de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal doivent abandonner leurs terres. En France, un décret paraît : « Quiconque disposant d’un logement suffisamment grand devra héberger un ou plusieurs réfugiés climatiques sous peine de poursuites ». Le domicile devenant ainsi, de fait, le lieu privilégié de l’identité…

Louis Clémant-Barbier, un jeune homme de « bonne famille » bien-pensante, donc profondément égoïste, se voit ainsi obligé d’accueillir dans son appartement une vieille Espagnole. Ce sont d’ailleurs tous les appartements de son immeuble qui sont ainsi réquisitionnés. Et chacun va devoir, non pas s’habituer, mais, tout simplement, « changer », dans ses convictions, dans ses habitudes, dans le sens qu’on peut donner au mot « richesse »!

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A partir de ce postulat de base, David Ratte nous raconte une histoire de « double intégration », puisque les réfugiés climatiques obligent, à leur manière, les gens qui les accueillent à intégrer dans leurs quotidiens leurs cutures, leurs manières de vivre, de tout faire pour que vivre reste vivable. C’est en sorte le combat entre un quotidien à partager et la forme latente du racisme…

David Ratte, à sa façon, nous réapprend à tendre la main. Ou, en tout cas, loin de toute polémique, à avoir envie de le faire, à dépasser les apparences et les indifférences, tellement de mise de nos jours, pour espérer un monde un tant soit peu meilleur.

Son scénario, tel une fable moderne, nous fait le portrait éclaté d’une société également éclatée. Ces deux albums nous parlent ainsi de découvertes toujours possibles, de soi et des autres, de sentiments, même amoureux, même déçus, d’émotions qui, exacerbées, retrouvent leur sens premier.

Avec un dessin extrêmement expressif, parfois proche d’une forme tranquille de caricature, David Ratte, en idéaliste quelque peu utopique, donc essentiel, nous raconte la vie telle qu’elle pourrait être. Le tout avec un graphisme souriant, lumineux, avec un sens profond de l’approche de ses personnages par leurs gestuelles et leurs regards.

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Un très bon diptyque, donc, vous l’aurez compris, qui ne donne pas de leçon, loin de là, mais nous pousse, tranquillement, sereinement même, à réfléchir à notre place, à chacune, à chacun, dans un monde qui, qu’on le veuille ou non, est en train de doucement s’approcher d’un grand et ultime chambardement !

Jacques et Josiane Schraûwen

Réfugiés climatiques et castagnettes (auteur : David Ratte – histoire complète en deux tomes – éditeur : Bamboo Grandangle – 2022 et 2023)

Red Creek Shuffle – années 50, guerre froide, polar et sf…

Red Creek Shuffle – années 50, guerre froide, polar et sf…

Red Creek. 1959. Une petite ville au fin fond des Etats-Unis. Des cadavres, un flic raciste, un détective privé sans ambition, une journaliste, elle, ambitieuse… Voilà tous les ingrédients de cet album passionnant !

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Résumer la carrière du prolifique scénariste Eric Corbeyran est chose impossible, tant il a exercé son talent dans bien des domaines de la bande dessinée, dans des thématiques extrêmement variées. S’il fallait malgré tout trouver un fil conducteur, une unité dans ses scénarios, sans doute faudrait-il la rechercher dans sa manière de s’intéresser à ses personnages. Quel que soit le décor dans lequel il nous entraîne, il le fait toujours en s’approchant du plus près possible des (anti-)héros de ses récits… Le vin ou l’Histoire, le fantastique ou l’humour, la bd sociétale ou la bd de délassement pur, tout cela est pour lui un prétexte à inventer des hommes et des femmes auxquels, parfois avec un sens évident de la caricature, il aime donner vie.

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Graphiquement, même si ses scénarios appellent le plus souvent un dessin réaliste, il aime surtout des dessinateurs qui accompagnent différemment ses mots, ses intrigues. Je me souviens, quant à moi, avoir été séduit par l’excellent « Lie de Vin », dessiné par Berlion, par le « Maître chocolatier » se déroulant à Bruxelles, par sa participation à l’album « Paroles de taulard ». A chaque fois, on ressent véritablement le soin que Corbeyran met à s’entourer de gens qui aiment voyager dans ses univers…

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C’est encore le cas ici, avec Chico Pacheco dont les influences américaines sont indubitables. On se retrouve dans l’univers des comics, par le découpage comme par le trait. Je ne parle pas des resucées sans fin des super-héros, mais dans ces histoires américaines, souvent glauques, dans lesquelles la nuit et ses ombres occupent toujours une place prépondérante, avec des sensations d’angoisse alimentées par des perspectives et des découpages qui aiment le vertige…

A ce titre, il faut souligner, dans cet album, le travail remarquable du coloriste Cyril Saint-Blancat. Il ne cherche à aucun moment à éblouir et se met au service de l’histoire… Ses gris mêlés de bleu, traversés ici et là de couleurs chaudes, rythment véritablement le récit.

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Un récit que le dessinateur a parsemé de plusieurs sourires graphiques, comme des hommages… A Torpedo, bien évidemment, de Bernet. Mais aussi aux Dalton de Morris… Ce sont les plus évidents, mais il y en a d’autres, en référence aussi au cinéma noir des années 50 !

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Cela dit, que nous raconte cet album hétéroclite mais passionnant ?

A Red Creek, existe une usine étrange dont personne ne sait ce à quoi elle travaille, ce à quoi elle sert.

A Red Creek existe une casse de voitures dont on se demande ce qu’elle peut faire dans ce bled pourri loin de tout…

A Red Creek, il y a des meurtres sanglants, des cadavres mutilés, et un shérif qui n’en a rien à faire. Après tout, les victimes ne sont que des membres de minorités, les Noirs, les Indiens, les Latinos…

A Red Creek, il y a aussi des disparitions qui n’intéressent d’aucune manière la police ronronnant dans une sorte de léthargie dont on devine qu’elle est bien payée…

Et le privé comme la journaliste qui y arrivent ne sont que deux fouille-merde qui, peu à peu, en s’associant, vont s’enfouir dans une réalité peu ragoutante… Et particulièrement pourrie, politiquement et humainement parlant…

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Et c’est au cours de cette enquête conjointe que le récit commence à délirer… Au-delà des crimes horribles, c’est dans un monde de compromissions, certes, que les deux enquêteurs se glissent… Mais un monde profondément ancré dans une guerre froide aux méchants Russes en face des à peine moins méchants Américains…

Et puis, les années 50, ce sont, littérairement parlant, les années d’apogée de la science-fiction, avec Fredric Brown, Ray Bradbury, Isaac Asimov, avec la peur de la population face aux ovnis, aussi…

 Et « Red Creek Shuffle » devient alors, avec un humour morbide et pratiquement influencé par le manga actuel, une histoire qui mélange plusieurs thématiques, avec un plaisir évident de la part des auteurs, et sans jamais perdre le lecteur au passage !

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Bouquin étonnant, ce livre inattendu est à la fois un hommage à la littérature et au cinéma de ces années 50 et un excellent moment de délassement, de plaisir, même hanté par des monstres et des flots de sang…

A découvrir, sans aucun doute !

Jacques et Josiane Schraûwen

Red Creek Shuffle (dessin : Chico Pacheco – scénario : Eric Corbeyran – couleurs : Cyril Saint-Blancat – éditeur : l’aqueduc bleu – janvier 2023 – 156 pages)