Le Retour

Le Retour

Une île, paradisiaque… Des promoteurs, vénaux… Un artiste à la poursuite égocentrique de ses racines… Au total, un livre excellent, le roman dessiné d’un lieu et d’une vie !

Cristobal, c’est un artiste, mondialement connu, comme Christo, d’une certaine manière ! Une icône de l’art moderne ! Et c’est sur l’île où il est né qu’il revient, à la recherche de ses racines.

Seulement, en mettant les pieds sur cette île paradisiaque, nimbée de soleil, ce qu’il voit, ce sont des constructions sans âme, destinées à accueillir un tourisme de masse.

L’artiste qu’il est, peintre, sculpteur, ne peut accepter ce qu’il considère comme la démolition d’un univers de beauté pure. Et donc, il s’engage, artistiquement et politiquement, pour éviter ce qui serait l’enlaidissement de son enfance ! Avec l’aide d’amis artistes, et avec les conflits qui ne peuvent que naître entre des célébrités soucieuses de leur hégémonie, il se lance dans une entrep^rise utopiste et dangereuse !

Peut-on, au niveau de l’art, imposer au monde une vision de son avenir, ou, mieux encore, de son présent ? A-t-on le droit, au nom d’une manière personnelle d’envisager la beauté et la liberté, d’obliger tous les regards à partager cette vision ?

Les thèmes abordés dans cet album sont nombreux… Fable sur l’art, sur la politique, sur notre manière de vivre le tourisme, sur ce qu’est la démocratie, sur ce qu’est la jalousie, ce  » Retour  » ne manque ni d’intelligence ni de rythme, loin s’en faut !

Duhamel: les thèmes

C’est un livre touffu, indubitablement…  Il y a l’art… La politique, le tourisme, l’enfance battue…. On pourrait, dans les premières pages, se demander, c’est vrai, ce que l’auteur, Duhamel, a voulu faire comme livre !

Mais c’est d’abord et avant tout un livre sur l’aujourd’hui, sur la mégalomanie, sur l’égocentrisme, sur les réseaux sociaux qui décident de toute reconnaissance publique, sur la déshumanisation, sur la communication…

C’est un livre passionnant, parce qu’il touche vraiment à tout ce qui fait notre présent ! Et qu’il réussit même à parler d’amour, de passion, de quête identitaire, de recherche à la fois du bonheur, pour soi, pour les autres, et d’impossibilité à y parvenir.

Je ne dirais pas que c’est un roman graphique, mais c’est un roman dessiné, très artistique, qui nous livre une histoire avec de la réflexion, de l’humour, des paysages somptueux, une imagination artistique débridée, et, surtout, des personnages que l’on sent, envers et contre tout, véritablement vivants !…

Duhamel: le personnage central

Deux moments de vie sont racontés dans cet album. Il y a d’abord, en couleurs lumineuses, tout le trajet du personnage central, de son retour sur l’île jusqu’à sa mort dans un accident de voiture. Il y a ensuite l’enquête actuelle qui naît de cette mort suspecte et qui, elle, se dessine en camaïeu…

C’est un livre très littéraire, dans lequel la couleur est essentielle, dans lequel le dessin, proche de celui de l’école de Charleroi, ajoute de part en part une touche d’humour sans laquelle le récit aurait pu manquer de rythme. C’est à ce titre qu’on peut parler vraiment de travail du dessin en accompagnement des mots et des idées!

Duhamel: graphisme et scénario

 » Le Retour  » est de ces livres qu’on ne referme pas sans prendre le temps d’y réfléchir. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est nullement une œuvre difficile d’accès, loin de là ! C’est un livre résolument contemporain, résolument amusant, traditionnel dans sa forme, beaucoup moins dans son propos. Un très très bon album de bd que je ne peux que vous conseiller !

 

Jacques Schraûwen

Le Retour (auteur : Duhamel – éditeur : Bamboo/Grand Angle – janvier 2017)

Le Règne : 1. La Saison des Démons

Le Règne : 1. La Saison des Démons

Fable écologique, série d’aventures fantastiques animalières, ce Règne s’ouvre par un premier volume au rythme soutenu, aux personnages attachants.

Cette bd post-apocalyptique nous emmène dans un monde –le nôtre- où l’homme semble avoir disparu. Le monde animal, par contre, s’est humanisé, totalement : vêtements, station debout, langage, cultures différentes d’un clan à l’autre, et, surtout, violences et luttes incessantes, à l’image des modèles que, pourtant, tous refusent !

C’est que l’homme, certes disparu, reste omniprésent dans ce monde où les auteurs nous emmènent à leur suite, un univers dans lequel se vit un grand exode.

Parce que l’héritage premier de l’humain, c’est un climat qui n’est, à certains moments de l’année, que folie meurtrière. Et ce sont ces déversements naturels de folie que chacun veut fuir, en se rendant dans un lieu, le Shrine, où, sous la protection d’une religion dont on ne sait rien sinon qu’elle est servie par de redoutables moines guerriers, on peut être à l’abri des fléaux climatiques qui approchent, enflent, hurlent déjà le long des traces des fuyards.

Le scénario de Sylvain Runberg crée un environnement qui est celui des ruines de notre civilisation. Et le dessin de Boiscommun réussit à faire de ce décor un élément moteur du récit, puisqu’on y aperçoit, ici et là, les vestiges de ce qui nous est connu, voitures désossées, reliefs d’habitats humains… Et la manière dont Olivier Boiscommun humanise les personnages nombreux de ce premier volume d’une série pleine de promesses, cette façon qu’il a de construire une bande dessinée animalière est d’une vraie et belle originalité.

Sylvain Runberg: un scénario animalier

Olivier Boiscommun: dessiner les animaux…

 

Le Règne, c’est celui de ce dieu vers lequel se dirigent tous les personnages de ce livre. Des personnages parmi lesquels se trouvent ceux dont on devine qu’ils vont être le pivot des albums à venir, trois mercenaires… Trois êtres qui ont gardé de l’ancienne humanité des valeurs de courage, de fidélité, d’honneur, ce qui fait d’eux de redoutables guerriers.

Le règne, c’est aussi celui d’une nature qui continue à se venger de toute vie qui le perturbe, un peu comme si la planète Terre s’était révélée être une entité vivante, elle aussi.

Le règne, c’est la nécessité qu’ont ces non-hommes de cultiver des lois et des règles qui ne peuvent que les contraindre à de nouveaux esclavages.

Le règne, c’est un scénario qui, d’évidence, est une fable, une fable peine d’aventure, une fable dont la morale est simple : que faisons-nous, aujourd’hui, toutes et tous, pour éviter le total chaos à venir ? Une fable, oui, mais qui laisse la place, essentiellement, à l’action, puisque ce n’est que d’elle, finalement, que peut venir la réflexion.

Le règne, c’est aussi un dessin animalier particulièrement réussi. Tant dans l’expression des mille et un personnages que dans le travail du décor, tant dans le sens du mouvement que dans celui de la construction d’une planche.

L’histoire qui nous est racontée est sombre… Le dessin, par contre, a choisi de ne pas l’être, pratiquement à aucun moment. La couleur est  » ronde « , elle joue sur la profondeur et la transparence, elle est feutrée, adoucissant en quelque sorte le poids des combats et des peurs, la présence des larmes et l’absence d’humanisme.

Sylvain Runberg: une fable

Olivier Boiscommun: le dessin et la couleur

Ce qui est étonnant dans cet album, et ce qui en fait peut-être une des qualités essentielles, c’est que son sujet nous est proche. Et que le fait de nous montrer une planète de laquelle l’homme semble avoir totalement disparu n’empêche nullement sa présence… Invisible, oui, mais pesante… Les tempêtes qui approchent, les éléments qui vont, on le sait, se déchaîner, tout cela, c’est et cela reste l’Homme, majuscule, profondément haï…

Une autre présence, continuelle, dans cet album, et qui le rend proche de tout un chacun, c’est la mort… Elle rythme incessamment le récit qui nous est offert, elle frappe à tort, à travers, avec soin, avec brutalité, avec horreur, avec nécessité. Elle est sans doute l’héritage le plus évident d’une pseudo-humanité disparue !

Sylvain Runberg: l’homme, la mort, l’humanisme

 

Sylvain Runberg est un scénariste qui parvient à aborder bien des thèmes différents, avec une vraie propension à user du fantastique. Il le fait à merveille, soutenu par Olivier Boiscommun dont on oublie, ici, le réalisme puissant du dessin qu’il utilisait par exemple dans  » Meutes  » pour lui découvrir un graphisme tout en finesse qui, cependant, n’estompe rien de l’horreur qu’il nous raconte !

Un livre passionnant, dont on ne peut qu’attendre, d’ores et déjà, la suite !…

 

Jacques Schraûwen

Le Règne : La Saisons des Démons (dessin : Olivier Boiscommun – scénario : Sylvain Runberg – éditeur : Le Lombard)