20 ans en mai 1871 – Tardi, Paris, la Commune, en 25 dessins

20 ans en mai 1871 – Tardi, Paris, la Commune, en 25 dessins

Jacques Tardi, passionné et passionnant au fil de toutes ses thématiques, nous raconte ici, sans aucun mot, ce qui n’est qu’une anecdote… Donc, ce qui est vraiment important !

copyright Tardi

Il est de bon ton, aujourd’hui, de dire que l’artiste belge Frans Masereel est l’inventeur du roman graphique (Terme pour lequel, je l’avoue, je n’ai strictement aucune affinité… Sauf lorsqu’il s’agit des romans graphiques de Eisner.)… J’avoue en avoir marre de ces gens qui réinventent l’Histoire, même celle de l’art, pour qu’elle corresponde à leurs besoins de mettre tout un chacun dans des casiers bien précis…

Ce qui est vrai, c’est que Masereel, époustouflant graveur, a publié en 1918 un livre intitulé « 25 images de la passion d’un homme », le premier roman sans paroles moderne, comme le dit avec justesse Martin de Halleux, l’éditeur de ce livre de Tardi.

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Un éditeur qui a donc créé, en hommage à Masereel, une collection qui s’appelle « 25 Images », et dont les contraintes imposées aux dessinateurs sont d’une totale simplicité : un récit en 25 images, une seule image par page, sans aucun mot, et uniquement en noir et blanc.

Et, en connaissant un tout petit peu l’œuvre de Tardi, on ne peut pas s’étonner de sa présence dans cette collection étonnante… Artistiquement originale… Graphiquement ouverte à des talents extrêmement différents les uns des autres.

Et, toujours en connaissant l’œuvre de Tardi, on ne peut pas s’étonner non plus de lui voir, pour ce faire, choisir un de ses thèmes de prédilection : la Commune de Paris et ses horreurs officielles…

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Le héros de ce petit livre a eu vingt ans en mai 1871, c’est-à-dire pendant cette semaine de terreur orchestrée par le pouvoir politique, celui de l’innommable Adolphe Thiers… Lui qui fit abattre, contre les murs du cimetière du Père-Lachaise, 147 communards. Lui qui repose avec une ostentation répugnante sous un mausolée prétentieux dans ce même cimetière !

Le héros de Tardi, l’anti-héros plutôt, se lève un matin, traverse Paris, en boitillant. Il va jusqu’en ce cimetière, jusque devant cette tombe symbole d’une révolution de plus que l’Histoire a ratée… Il a un geste à accomplir, rien de plus, rien de moins.

Ce personnage est un homme de tous les jours, vieilli, un homme qui n’aura jamais son nom dans les manuels officiels de l’Histoire toujours revisitée… Un homme qui, un jour, a pris, face à lui-même et aux disparus de ses vingt ans, un engagement… Un engagement qu’en 25 dessins il va tenir…

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Bien sûr, il va s’en trouver pour dire que Jacques Tardi nous invite, une fois de plus, à le suivre dans les méandres de sa vision du passé… Mais chez ce dessinateur d’exception, rien n’est jamais gratuit, rien n’est jamais le seul fruit d’une seule obsession de thèmes à aborder.

Au-delà du côté « instantané » d’une existence, d’un acte isolé de révolte, Tardi nous parle de la fidélité à des idées, de celle, surtout, à des humains. Il nous parle, plus encore, de la mémoire, essentielle à toute intelligence… En marchant à travers les rues de Paris, en prenant le métro, en claudiquant vers un but qu’il est seul à connaître, cet individu simple, vivant dans une maison de banlieue, nous raconte sa vie… Ses souvenirs, inscrits à même chacun de ses pas, à même son visage fatigué aux traits tirés.

Tardi, ainsi, nous parle de nous-mêmes, avec simplicité. Sa bd est un portrait, celui d’une ville, celui d’un homme, celui de l’humanité… Ne sommes-nous pas toutes et tous des errants en des pays où la souvenance nous offre des fantômes vivants ?…

Oui, ce livre est le récit quotidien d’une ultime vengeance, et, de dessin en dessin, voir le personnage de la mort accompagner les pas de cet ancien de la Commune, et lui montrer un sablier dans lequel le temps ensablé disparaît inéluctablement, c’est rendre ce récit dessiné proche de tout un chacun…

Nos défaites et nos victoires, nos colères et nos renoncements, nos Amours enfuis, enfouis en des terreaux qui n’appartiennent qu’à nous, c’est tout cela, en définitive, que Jacques Tardi dessine… Pour nous, pour lui…

Et c’est en cela que ce petit livre va occuper une place importante dans l’œuvre de ce dessinateur qui, lui, sera toujours présent dans la belle et grande histoire de la bande dessinée !

Jacques et Josiane Schraûwen

20 ans en mai 1871 (auteur : Jacques Tardi – éditeur ; Martin de Halleux – septembre 2023)

Saint-Malo – De la préhistoire à nos jours

Saint-Malo – De la préhistoire à nos jours

A quelques jours du « Quai Des Bulles » en une ville où se balader et toujours un plaisir, je vous invite à vous plonger dans une bd qui nous raconte cette cité bretonne !

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Saint-Malo… Son Histoire, ses légendes, ses héros, ses « petites gens » aussi… C’est tout cela que Pascal Bresson nous permet de découvrir, avec l’aide de sept dessinateurs, en un album qui se construit en neuf tableaux.

Des tableaux, oui, comme au théâtre, puisque le fil rouge, l’élément narratif conducteur de ce livre, c’est un personnage qui, du haut de ses tréteaux, théâtralise le récit qu’il nous fait de quelques époques clés de l’Histoire de Saint-Malo.

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Robert Le Corsaro, épique acteur, se balade et nous balade ainsi entre mythes et réalités, au gré de l’Histoire et de ses imaginaires. Il nous raconte une ville, de siècle en siècle, de guerre en guerre, de roi en roi, de révolution en empire. Et, ce faisant, c’est un large panorama qu’il nous propose d’un lieu mythique, en effet, et de ses habitants, et, donc, d’une part importante du patrimoine de la France, de la Bretagne, de tous nos souvenirs d’enfance et de ses rêves d’aventures corsaires.

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Robert Le Corsaro, le théâtreux, est un guide. Et la visite à laquelle il nous convie commence à la préhistoire avec celui qui fut peut-être l’aïeul de tous les habitants de cette cité. Il nous mène ensuite dans les rapines des Vikings et la sauvegarde de reliques sacrées. Et puis, c’est l’invasion anglaise, l’apogée du commerce, des chiens comme protecteurs des biens et de la cité. C’est aussi un incendie terrible, c’est le célèbre Duguay-Trouin, la révolution française et la Terreur, Surcouf, la guerre 40-45…

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Ce livre, c’est de la bonne bd à la fois historique et à la fois soucieuse de nous montrer comment vivaient réellement les habitants de Saint-Malo aux quotidiens de leurs histoires.

Mais c’est aussi un livre didactique, puisque des petits textes qui n’ont rien de pédant introduisent, historiquement parlant, chacun des tableaux-chapitres.

Et puis, c’est un vrai plaisir que de pouvoir se plonger dans les dessins de Fino, de Rollin, d’Antoane, de Michaud, etc.

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Enfin, c’est un livre qui, mieux qu’un guide officiel, nous donne l’envie d’aller dans la cité de Saint-Malo pour la découvrir, la redécouvrir, et s’y perdre au long des ruelles dans lesquelles chaque pierre se révèle, finalement, véritablement patrimoniale.

Jacques et Josiane Schraûwen

Saint-Malo – De la préhistoire à nos jours (scénario : Pascal Bresson – dessins : divers auteurs– documentaires : Béatrice Merdrignac – éditeur : petit à petit – avril 2023 – 80 pages)

Tintin – numéro spécial 77 ans

Tintin – numéro spécial 77 ans

Un album « hommage » à des auteurs qui ont fait, jusqu’en 1988, les beaux jours de bien cds enfances… Un album nostalgique ?… Oui, sans aucun doute. Mais pas uniquement !…

copyright moulinsart-le lombard

Ce sont 80 auteurs, dessinateurs et scénaristes, qui illustrent cette nostalgie. Des auteurs qui ont, certes, grandi en lisant les pages d’un magazine désormais défunt, mais des auteurs, aussi, beaucoup plus jeunes… Et ces rencontres entre un passé révolu et des artistes d’aujourd’hui forment une sorte de paysage improbable d’une aventure littéraire exceptionnelle : celle de la bande dessinée.

copyright moulinsart-le lombard

Ce livre, épais de quelque 400 pages, ne se contente pas de dessins… Il s’ouvre d’ailleurs sur un article de Daniel Couvreur qui, dans un style vif, documenté, nous parle de l’univers de Tintin, en nous disant qu’il s’enrichit du temps qui passe. Un article de fond, donc, qui est un peu comme un panégyrique d’Hergé et de son œuvre. C’est son admiration pour un artiste qui occupe une place importante dans le monde du neuvième art qui transparaît au travers des propos de Daniel Couvreur, peut-être parfois trop louangeurs. Mais c’est, je le répète, un article honnête et extrêmement bien fouillé.

(Romain Renard) copyright moulinsart-le lombard

Plus loin dans l’album, un deuxième article vient tempérer le portrait encenseur du « maître » Hergé. Un article de Jérôme Dupuis, intitulé « Les fabuleuses aventures du journal Tintin ». Un texte dans lequel l’auteur nous dresse le portrait d’un journal et de sa vie au quotidien, ai-je envie de dire… Un article dans lequel la figure emblématique d’Hergé nous est montrée sans fards… Sans faux-semblants… Hergé n’était pas un saint, loin de là, et Jérôme Dupuis nous le montre en maître incontesté (et obligatoirement incontestable et donc à contester) d’une ligne éditoriale (et graphique) qu’il imposait fermement. Les conflits furent nombreux entre Hergé et ses « employés », et plusieurs nous sont racontés dans cet article… Mais ce qui nous y est aussi et surtout raconté, c’est le creuset extraordinaire qu’a été le magazine Tintin, sous Hergé, mais aussi sous des rédacteurs en chef comme Greg. C’est après Hergé, en effet, que sont nées des bandes dessinées, dans les pages de « Tintin », qui, peu à peu, ont transformé les petits mickeys bien- pensants en œuvres de plus en plus adultes dans leurs thématiques, mais toujours destinées à tous les publics…

(Ers) copyright moulinsart-le lombard

Un troisième article analyse de manière sérieuse, avec des interviews, ce que fut la place de la femme dans le journal des jeunes de 7 à 77 ans. Anne-Claire Norot  fait œuvre, en quelque sorte, d’historienne de la bd, à travers le prisme d’une évolution qui ne fut pas toujours aisée, loin s’en faut, évolution sociétale et, donc également, artistique… Il y eut des présences féminines dans les récits parus dans «Tintin », mais correspondant toujours à une époque bien précise… Chez Michel Vaillant comme chez Modeste et Pompon, les femmes sont secondaires… Quant aux autrices, c’est avec Liliane Funcken qu’elles ont commencé, discrètement, à se révéler, jusqu’à ce que naissent, de nos jours, des autrices exceptionnelles comme Alix Garin, Mobidic, Clara Lodewick, et bien d’autres encore.

(Dutreuil) copyright moulinsart-le lombard

Un dernier article, de Julien Bisson, nous montre que, certes journal pour jeunes, Tintin s’est quand même très souvent ouvert à des thèmes sérieux, au fil des époques traversées par ce magazine… « La multiplicité des genres », pour les scénarios comme pour les graphismes, a permis aux lecteurs de découvrir des personnages comme « Simon du Fleuve », « les Scorpions du désert », et l’époustouflant et trop oublié « Martin Milan » (oublié, oui, jusque dans les pages de cet hommage…).

(Zuttion) copyright moulinsart-le lombard

Cela dit, cet album-hommage est surtout un objet « dessiné » qui mérite le détour, largement ! Et qu’il y ait des oubliés, comme Christian Godard, Dany Futuro, Chick Bill, et d’autres, c’est tout compte fait normal… Tant et tant d’artistes importants, essentiels parfois, sont passés par les pages de ce journal dont les héros réussissent encore et encore, pour ma plupart d’entre eux, à ne pas vieillir!

Comme dans toute « anthologie », il y a bien évidemment des « nouvelles dessinées » qui déplairont à certains, qui en hérisseront aussi d’autres… Mais l’avantage d’un album comme celui-ci, c’est aussi de pouvoir zapper, se promener…

Zapper… C’est, par exemple, un peu ce qu’a fait Boucq en baladant son Jérôme Moucherot chez Franquin, chez Tibet, chez Hermann et Rosinski !

(Boucq) copyright moulinsart-le lombard)

Et, honnêtement, que de belles surprises dans ce livre !… Je suis certain que chacun y trouvera, avec et sans nostalgie, son bonheur, son plaisir de lecteur en tout cas. Comment, par exemple, ne pas être séduit par Philippe Foerster s’appropriant l’univers de Clifton ?

(Foerster) copyright moulinsart-le lombard

Comment ne pas être ému, aussi, par Alix Garin nous montrant Franquin face à Pompon… Il y a là, en quelques traits simples, la transcription, presque muette, d’une émotion profonde… D’une relation presque intime entre un auteur et son personnage…

(Garin) copyright moulinsart-le lombard

Je ne vais pas vous citer tous ceux qui m’ont ébloui… Ils ne m’ont pas, non, replongé dans mon enfance de lecteur, mais, tout au contraire, ils m’ont rappelé qu’être lecteur, c’est d’abord être curieux, c’est aussi devenir ouvert à de nouvelles formes de récits… Tout en continuant à garder ses anciens goûts quand même ! Et c’est cela, sans aucun doute, la force et l’intelligence de cet album que de varier les plaisirs en nous baladant, lecteurs, dans des tas d’univers qui, finalement, nous ressemblent… Et, ce faisant, de nous rappeler que c’est dans la différence, des genres, des auteurs, des gens que l’on croise, que l’indifférence peut être niée…

(Henriet) copyright moulinsart-le lombard

Un livre indispensable pour tous les amateurs de BD… Et même si je ne comprends pas qu’aucun « hommage » au personnage titre ne se trouve dans les pages de cet album, je ne peux que vous recommander chaudement de vous plonger dans les découvertes infinies que propose ce livre !

Jacques et Josiane Schraûwen

Tintin – numéro spécial 77 ans (éditeur : Le Lombard et Moulinsart – 400 pages – 2023)