copyright centre de prévention du suicide

Bandes dessinées anciennes : Vivre ? – Un livre ancien, un livre intelligent…

Ce livre date d’il y a presque quinze ans. Je l’ai découvert lors de la fête de la BD, à Bruxelles… Et je pense que cet album mérite de ne pas être oublié, pour plusieurs raisons…

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La première raison, et la plus importante sans doute, c’est son sujet : le suicide ! Oui, cette réalité dont les médias nous parlent, de temps en temps, comme pour se donner l’alibi de la réflexion sociétale et humaniste… Cette réalité qui touche, de nos jours, dans un silence souvent terrible, bien des gens, de toutes les générations, de toutes les origines sociales, cette volonté qu’a un être humain à décider de quitter définitivement le monde des vivants. Un monde dans lequel il ne se sent plus la possibilité d’exister…

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Edité par le Centre de prévention du suicide, en 2010, cet album n’a pas été destiné à la vente. Il a été, si mes renseignements sont bons, distribué dans des bibliothèques, des centres médicaux, des manifestations publiques. On peut aujourd’hui le retrouver, je pense, en cherchant un peu… Son but était de faire réfléchir, d’ouvrir les yeux, simplement, sans discours moralisateur, sans appel de fonds, sans d’autre ambition que de laisser 13 dessinateurs de bd et un scénariste nous livrer leurs réactions dessinées face au suicide…

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Quatorze auteurs, oui, qui, chacun à sa manière, se sont interrogés sur ce qu’est ce geste ultime, sur ce qu’il peut représenter, pour eux-mêmes, pour celles et ceux qui l’ont accompli, pour celles et ceux qui s’en sont revenus de ce lieu entre mort et vie, pour celles et ceux qui en ont été les compagnons ou les observateurs. Cela fait une couverture de Schuiten, d’abord, et, ensuite, douze récits rapides, incisifs parfois, poétiques aussi, douze petites histoires dessinées qui sont autant de jalons, non pas pour comprendre le geste du suicide, mais pour en approcher les méandres…

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Ne cherchez pas dans ce livre un quelconque « message » bien structuré, bien scénarisé… Chaque auteur, et on le sent de page en page, a eu la liberté de nous offrir un propos sans jamais chercher à l’édulcorer… Cela fait des récits positifs, cela fait des récits pleins de regrets, cela fait des récits sombres et puissants, cela fait un livre hétéroclite qui, finalement, nous parle de nous, de nos propres angoisses, de nos propres manques d’attention, aussi, parfois, souvent…

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Avec un album tel que celui-ci, ouvrant ses pages à plusieurs auteurs, on ne peut, lecteur, qu’apprécier certains chapitres, en aimer moins d’autres, c’est évident. Et c’est aussi la force de ce bouquin, justement, de ne rien imposer comme regard, comme réflexion. Encore moins comme « morale » ou jugement. Cédric Hervan nous décrit le suicide comme un dernier voyage conscient… Dimitri Piot nous raconte la nécessité, presque poétique, de retrouver le bonheur que la mort de l’aimée a effacé… Cédric Manche nous raconte le hasard qui peut arrêter ce qui semble inéluctable… Bernard Swysen construit une sorte d’enquête policière autour d’une mort volontaire… Jean-Marc Dubois, avec un dessin aux somptueux aplats de noir, nous parle de la mémoire peut-être plus forte que la mort… Marianne Duvivier, dans un style poétique qui lui appartient totalement, réussit à faire croire en l’espérance… Johan De Moor s’essaie à l’humour presque potache… Etienne Schréder parle de lui, et de la force de l’écriture, de la lecture… Renaud Collin et Vincent Zabus dessinent et écrivent la nécessité de l’écoute, la simple écoute de l’autre… Xavier Löwenthal réussit à mettre le doigt sur l’indifférence, cette terrible indifférence qui fait de la mémoire une force inutile… Romain Renard, en touches extrêmement sensitives, aborde la thématique des tentatives de suicide. Et l’excellent Maxime De Radiguès clôture ce livre avec la simple nécessité de l’amitié, de contacts réels entre les vivants…

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Le voyage dans les paysages de la mort volontaire ne m’a pas été douloureux… Il m’a fait comprendre, et qui n’a pas besoin de comprendre, que le suicide est une route qu’on peut emprunter, sans espoir de retour, pour bien des raisons… Il m’a fait réfléchir à mes propres désespérances… A mes propres errances… Au besoin de l’âme de se trouver des raisons d’exister…

Ce livre est important, parce que non moralisateur, seulement ouvert à la réalité que les médias, aveugles tellement souvent, ne rendent visible qu’au travers de chiffres, de statistiques froides et formatées… Le suicide, la mort en général, ce ne sont pas des chiffres… Ce sont des drames, ce sont des volontés, ce sont des départs foudroyants. Ce sont des gestes qui, autour de nous, existent, et qui pourraient être évités, parfois, si nous prenions simplement le temps d’ouvrir les yeux.

D’aimer…

Jacques et Josiane Schraûwen

Vivre ? (album collectif édité en 2010 par « Centre de Prévention du Suicide »02 650 08 69 – ligne de crise 0800 32 123

Tous Nos Étés – Les souvenirs, les regrets, les tristesses… La vie !

Tous Nos Étés – Les souvenirs, les regrets, les tristesses… La vie !

J’aime les livres, je le dis souvent, qui laissent parler l’émotion, le cœur, avant tout le reste. Et c’est bien le cas avec ce livre, tout en demi-teintes, tout en tendresse, tout en sourires…

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Comme chaque année, ou presque, la « famille » se retrouve, pour les vacances d’été, dans une maison qui est la leur, héritage en copropriété, en quelque sorte. Seulement, voilà, cela devrait être le dernier été vécu dans ce lieu porteur de tant de rêves et de tant de réalités… Une affaire d’héritage, oui, un oncle voulant vendre pour récupérer sa part et vivre sa vie, avec de neuves attaches.

Et c’est donc aux feux de ce dernier été que les auteurs de cet album nous offrent un livre choral… Un livre aux personnages assez nombreux, dont les destins, confondus, ne le sont cependant que par des réalités différentes vécues. Au centre de cette famille dans laquelle le mot « union » n’est pas une expression toute faite, il y a Julie. Du haut de ses trente ans, elle est enceinte. Elle est aussi, surtout peut-être, veuve… Et ce lieu loin des routines de la vie de tous les jours, c’est le cocon dans lequel elle aurait voulu, elle aurait aimé se perdre, un cocon solide et irréel en même temps, un endroit dans lequel le temps s’arrête au gré des souvenirs.

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Pour elle, et grâce à cette famille qui l’entoure, survivre, c’est vivre quand même. Pour elle, le projet de devoir ne plus jamais revenir en cet endroit où elle vécut son amour, c’est une souffrance réelle. Mais une souffrance qu’elle montre peu… Porteuse à la fois d’un deuil et d’une vie à venir, Julie est peut-être la seule à sentir que cette maison a d’autres secrets que les siens… D’autres passés… Des secrets qui amènent les auteurs de ce livre à user d’une narration parfois déroutante, remontant dans le temps au rythme de souvenances qui, étrangement, ne sont pas uniquement celles de Julie… N’est-ce pas cela aussi, être vivant : dépendre de vies dont on n’a aucune idée…

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Et, ce faisant, c’est un peu de l’Histoire qui est abordée, celle de 1959, celle de 1968. Ce faisant, c’est une sorte de long poème graphique que les auteurs nous offrent. Un poème, oui… Un de ces textes dans lesquels il faut s’enfouir pour en découvrir les mouvances, les impossibles rimes, les douceurs, les extravagances, les folies… Les routines, aussi… La poésie, c’est un lac sans fond dans lequel, en se plongeant, on se retrouve, on se découvre… La poésie de la mémoire, dans ce livre, c’est celle aussi d’un rythme ensoleillé qui entraîne les lecteurs dans une forme d’existence à la fois tranquille et unique…

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Il y a dans cet album une vraie tendresse dont peu d’auteurs en bd sont capables… Et elle se dévoile au travers d’une description de la vérité d’une famille, dans laquelle il n’y a rien de formaté, dans laquelle, surtout, chaque membre a sa propre personnalité, son propre vécu. Il en résulte, au niveau du texte, du dialogue, l’utilisation d’un langage simple, quotidien… Emouvant aussi, comme cette question et sa réponse :

  • Tu vas mieux ?
  • On essaie.

Et s’il est vrai que la mort est omniprésente dans ce livre, il est tout aussi vrai qu’elle devient un vecteur de transmission, de continuité entre les âges et les gens… D’éternité, en quelque sorte. Oui, ce livre est un livre sur l’Amour, au-delà du temps, de tous les temps !

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Le texte de Séverine Vidal, vous l’aurez compris, m’a superbement séduit… Il en va de même pour le dessin de Victor L. Pinel… On y ressent véritablement l’ambiance lumineuse et parfois en demi-teintes de ces vacances au soleil que nous avons toutes et tous un jour vécues… Ses couleurs sont un outil graphique essentiel à la sensation et l’émotion du temps qui passe… Son trait, semi-réaliste, permet de ne rien alourdir d’un sujet qui, tout compte fait, touche de très près à la vie de tout un chacun. Et son travail sur les visages et, plus précisément encore, sur les bouches de ses personnages, permet un vrai mouvement au sein de chaque planche…

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Un très bon livre… Un livre à la fois souriant et émouvant, un livre « positif », mais loin des modes qui nous imposent de l’être… Un livre humain, tout simplement, dans lequel, comme dans la « vraie vie », les souvenirs sont de l’infini les mille survies…

Jacques et Josiane Schraûwen

Tous Nos Étés (dessin : Victor L. Pinel – scénario : Séverine Vidal – éditeur : Grandangle – 160 pages – juillet 2024)

Les Vents Ovales – 1. Yveline

Les Vents Ovales – 1. Yveline

Deux villages se font face, en une région où le ballon ovale est roi… Mais ce livre, fort heureusement, n’a rien à voir avec un hommage appuyé au rugby !…

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J’avoue que mon tempérament extrêmement peu soucieux du sport m’a freiné dans l’approche de ce livre… Le rugby, présent dès la couverture, est pour moi une occupation aux multiples règles incompréhensibles pour le commun des mortels… Donc, me taper 128 pages ancrées dans ce sport venu d’ailleurs, cela ne m’enthousiasmait pas du tout ! Mais bon, je m’y suis mis, parce que je voulais comprendre pourquoi Aude Mermilliod et JeanLouis Tripp, que j’ai rencontrés et dont j’ai aimé les talents, se sont lancés dans une telle aventure ! Et je ne regrette pas, loin s’en faut, cette lecture !

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Tout se déroule à Larroque et Castelnau, petits villages réunis par un pont sur la Garonne. Ils ont, en ce lieu précis de la France, un point commun : le rugby. Mais voilà, leurs équipes respectives se traînent lamentablement, chacune, dans les tréfonds de la qualité que l’on attribue à ce sport viril.

Donc, oui, le rugby va servir de trame à ce que les deux scénaristes, Tripp et Mermilliod, ont décidé de nous raconter. Mais le rugby, dans ce récit, n’est pas un révélateur narratif, mais un décor dans lequel les auteurs peuvent placer, comme en une mise en scène plus cinématographique que théâtrale, leurs personnages et leur imposer le rythme du récit qu’ils veulent leur faire vivre…

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Un récit humain… Une série d’existences quotidiennes, simples, sans effets spéciaux, sans grandes aventures aux héroïsmes préfabriqués… Des tranches de vies qui se mêlent, s’affrontent, s’émerveillent d’elles-mêmes.

Et subissent, avec l’inconscience de l’essentiel, les réalités d’une époque bien précise de notre histoire proche, subissent et battent en brèche, sans ostentation… Ce premier tome nous plonge ainsi, en compagnie d’Yveline, prête à des études loin de chez elle, de Monique, amoureuse d’un instit de « gauche » alors qu’elle est fille d’un homme aux convictions ancrées dans la droite, d’un curé entraîneur de rugby, de Pascal, d’Eric, dans une année charnière de l’après-guerre…

Ce premier volume nous emmène en 1967, dans une société engoncée dans ses habitudes, dans ses certitudes, et qui ne ressent que très peu les soubresauts d’une jeunesse avide d’indépendance et de libertés à conquérir…

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Avant la révolution de 1789, les prémices étaient nombreuses, initiées par des intellectuels, des philosophes, des scientifiques. Avant 1968, le monde policé et sûr de lui n’a pas remarqué que ce n’étaient pas les intellectuels qui commençaient, doucement, sans bruit, à ruer dans les brancards, mais les « petits », les jeunes, les gens sans importance, les sportifs découvrant dans le sport des valeurs que la « République » n’avait pas, des presque adultes découvrant que l’Amour était aussi, et d’abord peut-être, charnel, des jeunes femmes osant se révolter contre l’immuable loi de la famille, des gens de tous les jours pour qui les convictions politiques se faisaient peu à peu armes pacifiques de combats essentiels.

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C’est une série bd chorale, dont le personnage principal est une époque… Ce premier tome nous emmène donc en 1967, de mai à septembre, du mariage d’Elvis Presley à la poussée du parti communiste aux élections cantonales en France. Les scénaristes, ainsi, ont construit leur livre en chapitres mensuels avec, à chaque fois, une page rappelant, pour le mois concerné, quelques événements importants… Les scénaristes, surtout, parviennent, avec une complicité évidente, avec un mélange de visions, féminine et masculine, que l’on ressent à la lecture de ces « Vents ovales » à nous restituer des ambiances et des réalités subjectives avec une belle précision… Le dessinateur, HORNE, quant à lui, évite tous les clichés, comme le font également Aude Mermilliod et JeanLouis Tripp. Son graphisme a le charme des illustrations que l’on trouvait dans les livres et les revues de cette époque si proche et si lointaine en même temps. Son réalisme est tranquille et lumineux, et il parvient avec une facilité déconcertante à nous restituer, par l’image, cette année 1967 annonciatrice de bien des changements de société… Et puisque j’ai parlé de son côté lumineux, il faut souligner que la couleur de Delf ajoute un côté presque magique à  ce dessin, en une osmose maîtrisée…

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En 1967, j’avais 13 ans. J’avais des parents pétris de certitudes venues de leur propre jeunesse, ce temps lointain où la guerre leur avait volé une partie d’eux-mêmes. Mais j’avais, aussi, heureusement, des professeurs qui n’ont pas attendu les remous à venir pour éveiller plus mon esprit de préadolescent que ma propension à aimer les mathématiques !

De ce fait, en lisant ce livre, c’est un peu vers mon enfance que je me suis enfui… En y trouvant, étrangement, des sensations, des sentiments, des révoltes même que ma mémoire avait décidé d’ignorer.

C’est donc, vous l’aurez compris, un excellent livre que ces « Vents Ovales »… Un livre historique dans le seul sens valable que je donne à ce terme : raconter la vie quotidienne plutôt que les méandres du « people », des guerres ou de la politique !

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Vents Ovales – 1. Yveline (dessin : Horne – scénario : Mermilliod et Tripp – couleur : Delf – éditeur : Dupuis/Aire libre – avril 2024 – 136 pages)