Tous Nos Étés – Les souvenirs, les regrets, les tristesses… La vie !

Tous Nos Étés – Les souvenirs, les regrets, les tristesses… La vie !

J’aime les livres, je le dis souvent, qui laissent parler l’émotion, le cœur, avant tout le reste. Et c’est bien le cas avec ce livre, tout en demi-teintes, tout en tendresse, tout en sourires…

copyright grandangle

Comme chaque année, ou presque, la « famille » se retrouve, pour les vacances d’été, dans une maison qui est la leur, héritage en copropriété, en quelque sorte. Seulement, voilà, cela devrait être le dernier été vécu dans ce lieu porteur de tant de rêves et de tant de réalités… Une affaire d’héritage, oui, un oncle voulant vendre pour récupérer sa part et vivre sa vie, avec de neuves attaches.

Et c’est donc aux feux de ce dernier été que les auteurs de cet album nous offrent un livre choral… Un livre aux personnages assez nombreux, dont les destins, confondus, ne le sont cependant que par des réalités différentes vécues. Au centre de cette famille dans laquelle le mot « union » n’est pas une expression toute faite, il y a Julie. Du haut de ses trente ans, elle est enceinte. Elle est aussi, surtout peut-être, veuve… Et ce lieu loin des routines de la vie de tous les jours, c’est le cocon dans lequel elle aurait voulu, elle aurait aimé se perdre, un cocon solide et irréel en même temps, un endroit dans lequel le temps s’arrête au gré des souvenirs.

copyright grandangle

Pour elle, et grâce à cette famille qui l’entoure, survivre, c’est vivre quand même. Pour elle, le projet de devoir ne plus jamais revenir en cet endroit où elle vécut son amour, c’est une souffrance réelle. Mais une souffrance qu’elle montre peu… Porteuse à la fois d’un deuil et d’une vie à venir, Julie est peut-être la seule à sentir que cette maison a d’autres secrets que les siens… D’autres passés… Des secrets qui amènent les auteurs de ce livre à user d’une narration parfois déroutante, remontant dans le temps au rythme de souvenances qui, étrangement, ne sont pas uniquement celles de Julie… N’est-ce pas cela aussi, être vivant : dépendre de vies dont on n’a aucune idée…

copyright grandangle

Et, ce faisant, c’est un peu de l’Histoire qui est abordée, celle de 1959, celle de 1968. Ce faisant, c’est une sorte de long poème graphique que les auteurs nous offrent. Un poème, oui… Un de ces textes dans lesquels il faut s’enfouir pour en découvrir les mouvances, les impossibles rimes, les douceurs, les extravagances, les folies… Les routines, aussi… La poésie, c’est un lac sans fond dans lequel, en se plongeant, on se retrouve, on se découvre… La poésie de la mémoire, dans ce livre, c’est celle aussi d’un rythme ensoleillé qui entraîne les lecteurs dans une forme d’existence à la fois tranquille et unique…

copyright grandangle

Il y a dans cet album une vraie tendresse dont peu d’auteurs en bd sont capables… Et elle se dévoile au travers d’une description de la vérité d’une famille, dans laquelle il n’y a rien de formaté, dans laquelle, surtout, chaque membre a sa propre personnalité, son propre vécu. Il en résulte, au niveau du texte, du dialogue, l’utilisation d’un langage simple, quotidien… Emouvant aussi, comme cette question et sa réponse :

  • Tu vas mieux ?
  • On essaie.

Et s’il est vrai que la mort est omniprésente dans ce livre, il est tout aussi vrai qu’elle devient un vecteur de transmission, de continuité entre les âges et les gens… D’éternité, en quelque sorte. Oui, ce livre est un livre sur l’Amour, au-delà du temps, de tous les temps !

copyright grandangle

Le texte de Séverine Vidal, vous l’aurez compris, m’a superbement séduit… Il en va de même pour le dessin de Victor L. Pinel… On y ressent véritablement l’ambiance lumineuse et parfois en demi-teintes de ces vacances au soleil que nous avons toutes et tous un jour vécues… Ses couleurs sont un outil graphique essentiel à la sensation et l’émotion du temps qui passe… Son trait, semi-réaliste, permet de ne rien alourdir d’un sujet qui, tout compte fait, touche de très près à la vie de tout un chacun. Et son travail sur les visages et, plus précisément encore, sur les bouches de ses personnages, permet un vrai mouvement au sein de chaque planche…

copyright grandangle

Un très bon livre… Un livre à la fois souriant et émouvant, un livre « positif », mais loin des modes qui nous imposent de l’être… Un livre humain, tout simplement, dans lequel, comme dans la « vraie vie », les souvenirs sont de l’infini les mille survies…

Jacques et Josiane Schraûwen

Tous Nos Étés (dessin : Victor L. Pinel – scénario : Séverine Vidal – éditeur : Grandangle – 160 pages – juillet 2024)

Les Vents Ovales – 1. Yveline

Les Vents Ovales – 1. Yveline

Deux villages se font face, en une région où le ballon ovale est roi… Mais ce livre, fort heureusement, n’a rien à voir avec un hommage appuyé au rugby !…

copyright dupuis

J’avoue que mon tempérament extrêmement peu soucieux du sport m’a freiné dans l’approche de ce livre… Le rugby, présent dès la couverture, est pour moi une occupation aux multiples règles incompréhensibles pour le commun des mortels… Donc, me taper 128 pages ancrées dans ce sport venu d’ailleurs, cela ne m’enthousiasmait pas du tout ! Mais bon, je m’y suis mis, parce que je voulais comprendre pourquoi Aude Mermilliod et JeanLouis Tripp, que j’ai rencontrés et dont j’ai aimé les talents, se sont lancés dans une telle aventure ! Et je ne regrette pas, loin s’en faut, cette lecture !

copyright dupuis

Tout se déroule à Larroque et Castelnau, petits villages réunis par un pont sur la Garonne. Ils ont, en ce lieu précis de la France, un point commun : le rugby. Mais voilà, leurs équipes respectives se traînent lamentablement, chacune, dans les tréfonds de la qualité que l’on attribue à ce sport viril.

Donc, oui, le rugby va servir de trame à ce que les deux scénaristes, Tripp et Mermilliod, ont décidé de nous raconter. Mais le rugby, dans ce récit, n’est pas un révélateur narratif, mais un décor dans lequel les auteurs peuvent placer, comme en une mise en scène plus cinématographique que théâtrale, leurs personnages et leur imposer le rythme du récit qu’ils veulent leur faire vivre…

copyright dupuis

Un récit humain… Une série d’existences quotidiennes, simples, sans effets spéciaux, sans grandes aventures aux héroïsmes préfabriqués… Des tranches de vies qui se mêlent, s’affrontent, s’émerveillent d’elles-mêmes.

Et subissent, avec l’inconscience de l’essentiel, les réalités d’une époque bien précise de notre histoire proche, subissent et battent en brèche, sans ostentation… Ce premier tome nous plonge ainsi, en compagnie d’Yveline, prête à des études loin de chez elle, de Monique, amoureuse d’un instit de « gauche » alors qu’elle est fille d’un homme aux convictions ancrées dans la droite, d’un curé entraîneur de rugby, de Pascal, d’Eric, dans une année charnière de l’après-guerre…

Ce premier volume nous emmène en 1967, dans une société engoncée dans ses habitudes, dans ses certitudes, et qui ne ressent que très peu les soubresauts d’une jeunesse avide d’indépendance et de libertés à conquérir…

copyright dupuis

Avant la révolution de 1789, les prémices étaient nombreuses, initiées par des intellectuels, des philosophes, des scientifiques. Avant 1968, le monde policé et sûr de lui n’a pas remarqué que ce n’étaient pas les intellectuels qui commençaient, doucement, sans bruit, à ruer dans les brancards, mais les « petits », les jeunes, les gens sans importance, les sportifs découvrant dans le sport des valeurs que la « République » n’avait pas, des presque adultes découvrant que l’Amour était aussi, et d’abord peut-être, charnel, des jeunes femmes osant se révolter contre l’immuable loi de la famille, des gens de tous les jours pour qui les convictions politiques se faisaient peu à peu armes pacifiques de combats essentiels.

copyright dupuis

C’est une série bd chorale, dont le personnage principal est une époque… Ce premier tome nous emmène donc en 1967, de mai à septembre, du mariage d’Elvis Presley à la poussée du parti communiste aux élections cantonales en France. Les scénaristes, ainsi, ont construit leur livre en chapitres mensuels avec, à chaque fois, une page rappelant, pour le mois concerné, quelques événements importants… Les scénaristes, surtout, parviennent, avec une complicité évidente, avec un mélange de visions, féminine et masculine, que l’on ressent à la lecture de ces « Vents ovales » à nous restituer des ambiances et des réalités subjectives avec une belle précision… Le dessinateur, HORNE, quant à lui, évite tous les clichés, comme le font également Aude Mermilliod et JeanLouis Tripp. Son graphisme a le charme des illustrations que l’on trouvait dans les livres et les revues de cette époque si proche et si lointaine en même temps. Son réalisme est tranquille et lumineux, et il parvient avec une facilité déconcertante à nous restituer, par l’image, cette année 1967 annonciatrice de bien des changements de société… Et puisque j’ai parlé de son côté lumineux, il faut souligner que la couleur de Delf ajoute un côté presque magique à  ce dessin, en une osmose maîtrisée…

copyright dupuis

En 1967, j’avais 13 ans. J’avais des parents pétris de certitudes venues de leur propre jeunesse, ce temps lointain où la guerre leur avait volé une partie d’eux-mêmes. Mais j’avais, aussi, heureusement, des professeurs qui n’ont pas attendu les remous à venir pour éveiller plus mon esprit de préadolescent que ma propension à aimer les mathématiques !

De ce fait, en lisant ce livre, c’est un peu vers mon enfance que je me suis enfui… En y trouvant, étrangement, des sensations, des sentiments, des révoltes même que ma mémoire avait décidé d’ignorer.

C’est donc, vous l’aurez compris, un excellent livre que ces « Vents Ovales »… Un livre historique dans le seul sens valable que je donne à ce terme : raconter la vie quotidienne plutôt que les méandres du « people », des guerres ou de la politique !

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Vents Ovales – 1. Yveline (dessin : Horne – scénario : Mermilliod et Tripp – couleur : Delf – éditeur : Dupuis/Aire libre – avril 2024 – 136 pages)

Sous Terre Pour Survivre : 1. Pogrom

Sous Terre Pour Survivre : 1. Pogrom

Un livre de plus sur la guerre 40-45 et ses massacres ?… Non, un premier album d’une histoire dans laquelle cette guerre nous est montrée à hauteur d’enfance…

copyright Flachs

Nombreux sont les livres consacrés à la guerre, à la résistance, à l’horreur de la shoah… Parmi eux, nombreux sont les vrais chefs d‘œuvre d’intelligence et d’émotion, comme « Irena », ou « Les enfants de la résistance ». D’autres livres, un peu trop nombreux à mon goût, nous racontent des histoires héroïques… Certes, l’héroïsme a existé, mais je ne pense pas qu’il soit de bon ton, aujourd’hui, d’essayer d’en refaire une valeur ! D’autres livres, aussi, dressent un portrait froid de cette époque, un portrait sans âme, purement historique. A mon humble sentiment, ces livres me semblent assez inutiles, comme « Oradour » de Miniac et Marivain.

copyright lamiroy

D’autres livres, enfin, sacrifient à une mode, à un mouvement de l’actualité, comme toutes ces bandes dessinées consacrées à Oradour, ou aux résistants de l’Affiche Rouge… Même si, parmi ces derniers albums, certains sont des vraies réussites, je pense que d’autres sont simplement l’essai de quelques-uns de se donner une bonne conscience !

Ce livre-ci, que j’ai décidé de partager avec vous, est étonnant de lucidité, d’émotion, oui, ingrédient essentiel à la réussite de toute réalisation artistique… C’est un livre de mémoire, construit comme l’est la mémoire humaine, avec des allers-retours incessants entre ce qui fut et ce qui est… Avec des souvenirs qui sont tantôt ceux d’images, de lieux, de bruits, tantôt ceux de peurs, de fuites, de douleur, tantôt encore de visages, de noms, de gestes…

copyright lamiroy

Ce livre nous raconte les souvenances de Gisèle Flachs qui fut enfant en Pologne et puis en Ukraine, Juive sous le pouvoir absolu d’une idéologie dont la répugnance n’arrête pas de vouloir ressurgir (et y arrive bien trop aux quatre horizons de notre planète, sous l’œil indifférent de l’ONU et de toutes les « démocraties » bien-pensantes) ! Gisèle Flachs, une petite fille à qui l’Histoire a volé son enfance… Une petite fille qui a survécu, envers et contre tout, et qui a raconté son histoire, bien plus importante que l’Histoire majuscule, dans un livre extrêmement simple, extrêmement puissant.

copyright lamiroy

David Peeters, l’auteur de cette « adaptation », en trois volumes je pense, nous parle, en fait, de la non-disparition du chagrin… De la nécessité, pour exister plutôt qu’être, de refuser les mémoires officielles, fonctionnarisées… De ces cimetières qui sont parfois la conscience du temps qui passe… Du déni des gens bien-pensants, aussi : « Les camps ?… Jamais entendu parler ! »… De la peur, de l’espoir, de la désespérance devenant une nécessité de vie…

Ce faisant, David Peeters évite la facilité d’un récit linéaire chronologiquement parlant. Il dessine au rythme d’une mémoire qui n’est pas la sienne, mais qu’il s’approprie avec une véritable amitié, ai-je envie de dire. Il remet les choses en place, et nous parle des gens normaux, de ces civils, aussi, qui furent des masses à accepter la haine comme conduite quotidienne, des civils oui, qui ne furent pas moins dégueulasses que les hommes en uniforme nazi.

copyright lamiroy

David Peeters a derrière lui une existence bien remplie, dans le monde de la cuisine, de la peinture, de l’érotisme, de l’édition, de la bd. Ici, avec un dessin qui évite toutes les caricatures, toutes les démesures, avec un récit qui, totalement, s’inscrit dans une volonté d’humanisme, il arrive à une maîtrise de son graphisme en noir et blanc imposante… Bien sûr, on y trouve des références, une filiation, avec des auteurs comme Comès ou Chabouté. Mais sa façon de construire son histoire, de la découper, de créer des planches aux perspectives proches du style des comics américains, tout cela rend son travail, artistique mais aussi humain, d’une belle originalité.

copyright lamiroy et flachs

Un excellent livre, vous l’aurez compris. Un de ces livres qui provoque chez les lecteurs des interrogations, des remises en question, des moments de silences réfléchis… Un livre que, je pense, on ne peut pas « critiquer », mais bien « chroniquer »… C’est-à-dire en parler comme un simple lecteur qui, face à une œuvre, quelle qu’elle soit, se décide de parler de lui, de ses sensations, de ses idées.

Un excellent livre, oui… Intelligent et graphiquement abouti… Un livre qui devrait, je pense, se retrouver bien vite en bonne place dans votre bibliothèque…

Jacques et Josiane Schraûwen

Sous Terre Pour Survivre : 1. Pogrom (auteur : David Peeters – éditeur : Lamiroy – avril 2024 – 114 pages)