Les Vents Ovales – 1. Yveline

Les Vents Ovales – 1. Yveline

Deux villages se font face, en une région où le ballon ovale est roi… Mais ce livre, fort heureusement, n’a rien à voir avec un hommage appuyé au rugby !…

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J’avoue que mon tempérament extrêmement peu soucieux du sport m’a freiné dans l’approche de ce livre… Le rugby, présent dès la couverture, est pour moi une occupation aux multiples règles incompréhensibles pour le commun des mortels… Donc, me taper 128 pages ancrées dans ce sport venu d’ailleurs, cela ne m’enthousiasmait pas du tout ! Mais bon, je m’y suis mis, parce que je voulais comprendre pourquoi Aude Mermilliod et JeanLouis Tripp, que j’ai rencontrés et dont j’ai aimé les talents, se sont lancés dans une telle aventure ! Et je ne regrette pas, loin s’en faut, cette lecture !

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Tout se déroule à Larroque et Castelnau, petits villages réunis par un pont sur la Garonne. Ils ont, en ce lieu précis de la France, un point commun : le rugby. Mais voilà, leurs équipes respectives se traînent lamentablement, chacune, dans les tréfonds de la qualité que l’on attribue à ce sport viril.

Donc, oui, le rugby va servir de trame à ce que les deux scénaristes, Tripp et Mermilliod, ont décidé de nous raconter. Mais le rugby, dans ce récit, n’est pas un révélateur narratif, mais un décor dans lequel les auteurs peuvent placer, comme en une mise en scène plus cinématographique que théâtrale, leurs personnages et leur imposer le rythme du récit qu’ils veulent leur faire vivre…

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Un récit humain… Une série d’existences quotidiennes, simples, sans effets spéciaux, sans grandes aventures aux héroïsmes préfabriqués… Des tranches de vies qui se mêlent, s’affrontent, s’émerveillent d’elles-mêmes.

Et subissent, avec l’inconscience de l’essentiel, les réalités d’une époque bien précise de notre histoire proche, subissent et battent en brèche, sans ostentation… Ce premier tome nous plonge ainsi, en compagnie d’Yveline, prête à des études loin de chez elle, de Monique, amoureuse d’un instit de « gauche » alors qu’elle est fille d’un homme aux convictions ancrées dans la droite, d’un curé entraîneur de rugby, de Pascal, d’Eric, dans une année charnière de l’après-guerre…

Ce premier volume nous emmène en 1967, dans une société engoncée dans ses habitudes, dans ses certitudes, et qui ne ressent que très peu les soubresauts d’une jeunesse avide d’indépendance et de libertés à conquérir…

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Avant la révolution de 1789, les prémices étaient nombreuses, initiées par des intellectuels, des philosophes, des scientifiques. Avant 1968, le monde policé et sûr de lui n’a pas remarqué que ce n’étaient pas les intellectuels qui commençaient, doucement, sans bruit, à ruer dans les brancards, mais les « petits », les jeunes, les gens sans importance, les sportifs découvrant dans le sport des valeurs que la « République » n’avait pas, des presque adultes découvrant que l’Amour était aussi, et d’abord peut-être, charnel, des jeunes femmes osant se révolter contre l’immuable loi de la famille, des gens de tous les jours pour qui les convictions politiques se faisaient peu à peu armes pacifiques de combats essentiels.

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C’est une série bd chorale, dont le personnage principal est une époque… Ce premier tome nous emmène donc en 1967, de mai à septembre, du mariage d’Elvis Presley à la poussée du parti communiste aux élections cantonales en France. Les scénaristes, ainsi, ont construit leur livre en chapitres mensuels avec, à chaque fois, une page rappelant, pour le mois concerné, quelques événements importants… Les scénaristes, surtout, parviennent, avec une complicité évidente, avec un mélange de visions, féminine et masculine, que l’on ressent à la lecture de ces « Vents ovales » à nous restituer des ambiances et des réalités subjectives avec une belle précision… Le dessinateur, HORNE, quant à lui, évite tous les clichés, comme le font également Aude Mermilliod et JeanLouis Tripp. Son graphisme a le charme des illustrations que l’on trouvait dans les livres et les revues de cette époque si proche et si lointaine en même temps. Son réalisme est tranquille et lumineux, et il parvient avec une facilité déconcertante à nous restituer, par l’image, cette année 1967 annonciatrice de bien des changements de société… Et puisque j’ai parlé de son côté lumineux, il faut souligner que la couleur de Delf ajoute un côté presque magique à  ce dessin, en une osmose maîtrisée…

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En 1967, j’avais 13 ans. J’avais des parents pétris de certitudes venues de leur propre jeunesse, ce temps lointain où la guerre leur avait volé une partie d’eux-mêmes. Mais j’avais, aussi, heureusement, des professeurs qui n’ont pas attendu les remous à venir pour éveiller plus mon esprit de préadolescent que ma propension à aimer les mathématiques !

De ce fait, en lisant ce livre, c’est un peu vers mon enfance que je me suis enfui… En y trouvant, étrangement, des sensations, des sentiments, des révoltes même que ma mémoire avait décidé d’ignorer.

C’est donc, vous l’aurez compris, un excellent livre que ces « Vents Ovales »… Un livre historique dans le seul sens valable que je donne à ce terme : raconter la vie quotidienne plutôt que les méandres du « people », des guerres ou de la politique !

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Vents Ovales – 1. Yveline (dessin : Horne – scénario : Mermilliod et Tripp – couleur : Delf – éditeur : Dupuis/Aire libre – avril 2024 – 136 pages)

Sous Terre Pour Survivre : 1. Pogrom

Sous Terre Pour Survivre : 1. Pogrom

Un livre de plus sur la guerre 40-45 et ses massacres ?… Non, un premier album d’une histoire dans laquelle cette guerre nous est montrée à hauteur d’enfance…

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Nombreux sont les livres consacrés à la guerre, à la résistance, à l’horreur de la shoah… Parmi eux, nombreux sont les vrais chefs d‘œuvre d’intelligence et d’émotion, comme « Irena », ou « Les enfants de la résistance ». D’autres livres, un peu trop nombreux à mon goût, nous racontent des histoires héroïques… Certes, l’héroïsme a existé, mais je ne pense pas qu’il soit de bon ton, aujourd’hui, d’essayer d’en refaire une valeur ! D’autres livres, aussi, dressent un portrait froid de cette époque, un portrait sans âme, purement historique. A mon humble sentiment, ces livres me semblent assez inutiles, comme « Oradour » de Miniac et Marivain.

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D’autres livres, enfin, sacrifient à une mode, à un mouvement de l’actualité, comme toutes ces bandes dessinées consacrées à Oradour, ou aux résistants de l’Affiche Rouge… Même si, parmi ces derniers albums, certains sont des vraies réussites, je pense que d’autres sont simplement l’essai de quelques-uns de se donner une bonne conscience !

Ce livre-ci, que j’ai décidé de partager avec vous, est étonnant de lucidité, d’émotion, oui, ingrédient essentiel à la réussite de toute réalisation artistique… C’est un livre de mémoire, construit comme l’est la mémoire humaine, avec des allers-retours incessants entre ce qui fut et ce qui est… Avec des souvenirs qui sont tantôt ceux d’images, de lieux, de bruits, tantôt ceux de peurs, de fuites, de douleur, tantôt encore de visages, de noms, de gestes…

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Ce livre nous raconte les souvenances de Gisèle Flachs qui fut enfant en Pologne et puis en Ukraine, Juive sous le pouvoir absolu d’une idéologie dont la répugnance n’arrête pas de vouloir ressurgir (et y arrive bien trop aux quatre horizons de notre planète, sous l’œil indifférent de l’ONU et de toutes les « démocraties » bien-pensantes) ! Gisèle Flachs, une petite fille à qui l’Histoire a volé son enfance… Une petite fille qui a survécu, envers et contre tout, et qui a raconté son histoire, bien plus importante que l’Histoire majuscule, dans un livre extrêmement simple, extrêmement puissant.

copyright lamiroy

David Peeters, l’auteur de cette « adaptation », en trois volumes je pense, nous parle, en fait, de la non-disparition du chagrin… De la nécessité, pour exister plutôt qu’être, de refuser les mémoires officielles, fonctionnarisées… De ces cimetières qui sont parfois la conscience du temps qui passe… Du déni des gens bien-pensants, aussi : « Les camps ?… Jamais entendu parler ! »… De la peur, de l’espoir, de la désespérance devenant une nécessité de vie…

Ce faisant, David Peeters évite la facilité d’un récit linéaire chronologiquement parlant. Il dessine au rythme d’une mémoire qui n’est pas la sienne, mais qu’il s’approprie avec une véritable amitié, ai-je envie de dire. Il remet les choses en place, et nous parle des gens normaux, de ces civils, aussi, qui furent des masses à accepter la haine comme conduite quotidienne, des civils oui, qui ne furent pas moins dégueulasses que les hommes en uniforme nazi.

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David Peeters a derrière lui une existence bien remplie, dans le monde de la cuisine, de la peinture, de l’érotisme, de l’édition, de la bd. Ici, avec un dessin qui évite toutes les caricatures, toutes les démesures, avec un récit qui, totalement, s’inscrit dans une volonté d’humanisme, il arrive à une maîtrise de son graphisme en noir et blanc imposante… Bien sûr, on y trouve des références, une filiation, avec des auteurs comme Comès ou Chabouté. Mais sa façon de construire son histoire, de la découper, de créer des planches aux perspectives proches du style des comics américains, tout cela rend son travail, artistique mais aussi humain, d’une belle originalité.

copyright lamiroy et flachs

Un excellent livre, vous l’aurez compris. Un de ces livres qui provoque chez les lecteurs des interrogations, des remises en question, des moments de silences réfléchis… Un livre que, je pense, on ne peut pas « critiquer », mais bien « chroniquer »… C’est-à-dire en parler comme un simple lecteur qui, face à une œuvre, quelle qu’elle soit, se décide de parler de lui, de ses sensations, de ses idées.

Un excellent livre, oui… Intelligent et graphiquement abouti… Un livre qui devrait, je pense, se retrouver bien vite en bonne place dans votre bibliothèque…

Jacques et Josiane Schraûwen

Sous Terre Pour Survivre : 1. Pogrom (auteur : David Peeters – éditeur : Lamiroy – avril 2024 – 114 pages)

3 cases pour une chute : Reloaded – chronique express pour un livre express

3 cases pour une chute : Reloaded – chronique express pour un livre express

Amateurs d’humour déjanté, de provocation gratuite, de sourires jaunes, ce livre ne pourra que vous plaire !

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J’ai toujours préféré Serre à Sempé, Topor à Allais, Léautaud à Gide, Pierre Tombal à Cédric, Blanche Gardin à Elmaleh…

J’ai toujours aimé que les conventions et la « bonne pensée » soient battues en brèche par des histrions iconoclastes…

Et c’est bien le cas dans cette série dont le troisième album vient de sortir !

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3 Cases pour une chute, cela fait référence, bien évidemment, à ces strips qui, il y a pas mal d’années, fleurissaient au bas des pages de la presse quotidienne… Max l’explorateur, Professeur Nimbus, Hagar du nord, par exemple, ou même les Peanuts.

3 Cases pour une chute, c’est un pied de nez fait à celles et ceux qui aiment s’écouter parler, se regarder dessiner, et qui tirent en longueur un « gag » pour leur propre plaisir.

3 Cases pour une chute, c’est le chemin le plus court entre une situation donnée, sa mise en absurdie, et sa ponctuation inattendue, donc amusante.

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A un peu plus de 35 ans, L’Abbé, l’auteur complet (et très peu ecclésiastique) de cette série et donc, singulièrement, de ce troisième opus, a trouvé dans l’esprit « potache » de Fluide Glacial un terreau où pouvoir faire pousser les fleurs vénéneuses de son humour souvent cruel, toujours en opposition avec les convenances, les conventions, le politiquement correct.

Potache, oui ! Agressif aussi, parfois… Trivial, également, graveleux pourquoi pas ! L’humour de L’Abbé file dans tous les sens, avec une concision qui le rend encore plus efficace.

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Et il le fait avec d’autant plus d’efficacité que son dessin, dans la lignée d’un trait à la Larcenet, ne cherche aucun tape-à-l’œil. Il est souple, bon enfant, passe-partout, pour des gags qui, eux, ne peuvent que, humoristiquement, choquer quelques belles âmes stéréotypées !

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Une bonne série, qui ne s’essouffle pas, un troisième tome qui ne manque ni de piment ni d’absurde… Un humour comme je l’aime : qui va droit au but, qui ne cherche pas à plaire, qui aime choquer ! Et bon Dieu, qu’est-ce que cela fait du bien de sourire à ces clins d’œil qui font oublier les conneries politiciennes ou sportives qui envahissent nos quotidiens !

Jacques et Josiane Schraûwen

3 cases pour une chute : Reloaded (auteur : L’Abbé – éditeur : Fluide Glacial – juillet 2024 – petit format 96 pages)