Spirou : L’Espoir Malgré Tout

Un livre à lire et relire, intelligent, souriant, passionnant !

Emile Bravo, que vous pouvez écouter dans cette chronique, reprend l’histoire de Spirou et la mêle à la grande Histoire, celle de la guerre 40/45 et de l’occupation de la Belgique par les Allemands.

 

Spirou©Dupuis

La démarche d’Emile Bravo, il y a dix ans, a été simple : retrouver Spirou en 1938, et imaginer ce qu’il a fait, ce qu’il a vécu jusqu’en 1946… Le reprendre à sa création, et en restituer l’histoire, qui le mène de l’enfance à l’âge adulte.
 » Le journal d’un ingénu  » nous révélait les années d’avant-guerre et la manière dont Spirou les vivait, humainement, amoureusement aussi… et politiquement, d’une certaine manière !
Avec  » L’espoir malgré tout  » et les trois autres albums qui vont suivre, on se retrouve en pleine guerre, pour ce qui est une continuité du récit entamé il y a dix ans bien plus qu’une suite.
Spirou est un adolescent qui gagne sa vie en étant groom dans un hôtel de Bruxelles, le Moustic. D’où sa tenue mythique, et son fameux calot rouge. Il est l’ami de Fantasio, un grand garçon dégingandé, grand gaffeur, et qui se pense journaliste.
Deux personnages qui, au fil des 80 ans d’existence de Spirou, ont bien évolué, et dont on prend plaisir, incontestablement, à découvrir l’évolution. Toutes les évolutions…
Spirou se construit, espiègle au grand cœur…
Fantasio, lui, même s’il a l’âge adulte, n’est qu’un vieil adolescent, tel que, d’ailleurs, Jijé l’avait créé…

Spirou©Dupuis

 

SPIROU
FANTASIO

 

Spirou est un gamin, oui, qui cherche à comprendre, qui observe, qui s’engage mais presque inconsciemment.
Face à l’honneur et à la patrie, il voit la mort, la haine, les larmes.
Savait-on, en Belgique, ce qui se passait comme horreurs racistes en Allemagne, ou voulait-on, simplement, ne pas savoir ? Cette question, comme d’autres qui concernent le quotidien des populations occupées, sous-tend le quotidien décrit par Emile Bravo.
Vivant, dans un premier temps, les grisailles encore souriantes de la drôle de guerre, Spirou et Fantasio vont devoir, très vite, prendre les routes de l’exode.
Mais ne croyez pas, cependant, que ce livre est sombre, aussi sombre que la  » bête immonde  » qu’on y voit en marche pour conquérir le monde.
Spirou est et reste un gamin ingénu, souriant, un gamin qui mûrit, parce que les événements l’y obligent. Un gamin qui privilégie l’amitié, même vis-à-vis d’un Fantasio qui, fantasque et irréfléchi, se révèle parfois particulièrement antipathique !
Emile Bravo multiplie, avec une facilité déconcertante, les références, tout au long d’un dessin qui rend un hommage inventif à Jijé et Franquin. Et il a un sens aigu du dialogue, avec des accents, parfois, à la Audiard, ou à la Janson, il a un sens aigu également du jeu des situations, et le mélange des mots et des actions provoque, de page en page, bien des sourires.
Spirou, c’est un héros pour tous les âges, et ce livre est aussi un livre d’humour, parce que l’humour, toujours, sans être moralisateur, désamorce l’horreur !

Spirou©Dupuis

HUMOUR

 

Nous sommes donc, au début de ce livre, en janvier 40, et tout le monde a une totale confiance dans les forts belges censés arrêter la déferlante allemande.
Mais voilà, l’Histoire en décide autrement, et Spirou et Fantasio se retrouvent sur les routes de l’exode, comme des milliers et des milliers de Bruxellois, de Belges.
Ces routes sont des routes bombardées, mais elles permettent aussi, et malgré tout, quelques belles rencontres… Des enfants perdus, un paysan lucide et intellectuel, par exemple…
Et Emile Bravo profite de cette errance pour rappeler que la frontière française fut fermée pendant un certain temps aux migrants réfugiés belges… Le temps passe, les mentalités, elles, ne changent jamais vraiment…
Fidèle aux événements qui servent de décor au récit, le scénario, ainsi, remet les réalités de cette époque en perspective.
Cela dit, ce livre est d’abord et avant tout une aventure humaine et humaniste.
Il y a des rencontres, des coups de foudre, des amourettes, des larmes…
il y a le retour à Bruxelles, il y a le scoutisme et, en face, un mouvement de jeunesse belgo-nazi, il y a des références à Hergé, et à son personnage de Tintin qui continue à faire rêver les jeunes dans un journal, Le Soir (volé), aux mains de l’occupant… Un journal, d’ailleurs, dans lequel travaille finalement Fantasio qui n’y voit aucun mal…
C’est un portrait d’une époque, un portrait qui semble tracé au vitriol…
Un portrait qui crée des liens avec notre aujourd’hui, et qui nous montre que le « politiquement correct » n’est jamais le bon chemin de vie à prendre !

 

Spirou©Dupuis

HISTOIRE HUMANISME

 

Emile Bravo est un dessinateur extrêmement talentueux. Son dessin, vif, classique et pourtant sans cesse inventif, rend plus qu’hommage à se grands aînés, Jijé et Franquin. Ce dessin les continue, en quelque sorte, et le graphisme de Bravo devient comme un langage, foisonnant de détails parfois, privilégiant cependant, toujours, l’humain par rapport au décor.
La manière dont le récit utilise les couleurs n’a rien de gratuit, elle non plus. Les Allemands qui sont montrés, hommes et matériel militaire, le sont de façon à faire ressentir profondément le poids de l’occupation. Un poids plus moral que physique, souvent.
Et puis, il y a la colorisation générale, un peu désuète, mais d’une richesse évidente, due à Fanny Benoit… Et le papier, aussi, choisi pour avoir presque l’impression, en lisant cet album, de toucher un vieux livre oublié. De redécouvrir Spirou comme être humain à part entière!…

 

Spirou©Dupuis

DESSIN
COULEUR DU PAPIER

 

Bien sûr, comme dans tout livre, on peut trouver quelques petites choses à reprocher à cet album… Trop de texte, à certains moments, par exemple…. Mais même ce texte qui, parfois, prend beaucoup de place, participe pleinement à la construction d’une histoire passionnante, intelligente, souriante, historique, et, ma foi, ouverte à tous les publics… Ce Spirou-ci est vraiment un petit bijou, à tous les points de vue… Il se doit d’avoir sa place dans toutes les bibliothèques bd dignes de ce nom !…

Jacques Schraûwen
Spirou : L’Espoir Malgré Tout (auteur : Emile Bravo – couleurs : Fanny Benoit – éditeur : Dupuis)

 

Emile Bravo

Les Schtroumpfs : 60 ans!

Les Schtroumpfs : 60 ans!

Un succès mondial, des animations, et l’occasion de redécouvrir leurs six premières apparitions dans les mini-récits du journal de Spirou !

Un peu de nostalgie… Beaucoup de plaisir, aussi… Et une « Schtroumpf Expérience », très bientôt, qui va vous permettre de vous immerger dans l’univers de ces petits lutins bleus aux caractères bien définis.

Les Schtroumpfs©Dupuis

C’est le 23 octobre 1958, très exactement, que Peyo a donné vie au premier Schtroumpf, dans une histoire de Johan et Pirlouit, « La flûte à six trous ».
Personne n’aurait pu imaginer, à l’époque, que ces personnages étranges au nom imprononçable, lutins vivant en communauté dans un Moyen-Age non réaliste, allaient connaître en quelques années un succès tel que Peyo, leur créateur, devra se consacrer totalement à leur existence.
Ce succès est dû à un dessin, tout en rondeur, à une dynamique graphique simple sans jamais être simpliste, à des scénarios accessibles à tous mais lisibles, toujours, à plusieurs niveaux, et, donc, plaisant autant aux adultes qu’à leurs enfants. Ce succès tient aussi à la codification personnalisée de tous les membres de cette communauté, chacun étant ainsi un peu l’archétype caricatural et amusé de réalités humaines que chacun connaît : il y a le schtroumpf grognon, le schtroumpf à lunettes, toujours moralisateur, le schtroumpf gourmand, le Schtroumpf costaud, etc.
Et aujourd’hui, donc, quelque cinq mois avant l’officialisation de leur soixantième anniversaire, plusieurs hommages leur sont d’ores et déjà rendus.

 

Il y a d’abord une exposition à Paris, au Centre Wallonie-Bruxelles, jusqu’au 28 octobre… Une exposition qui replace, avec intelligence mais aussi de manière ludique, Peyo à sa place dans la grande Histoire du neuvième art.
Il y a déjà un avion, l’Aérosmurf, qui fait partie de la flotte de Brussels Airlines.
Il y aura, à partir du 9 juin, à Bruxelles Expo, une « Schtroumpf expérience » (http://www.smurfexperience.com/) qui permettra à tout un chacun, adultes et enfants, de vivre, de l’intérieur, l’existence des Schtroumpfs.
Et puis, il y a la réédition, chez Dupuis, en petit format, des six premières histoires mettant en scène, comme héros à part entière, les Schtroumpfs. C’étaient des mini-récits, qu’il fallait découper au milieu du journal de Spirou, et construire soi-même. Des mini-récits qui se laissent (re)découvrir avec un vrai plaisir ! Et qui permettent d’admirer, dans toute sa simplicité, le talent exceptionnel de Peyo.

 

Les Schtroumpfs©Dupuis

Ce qui fait aussi que ces petits héros sont toujours d’actualité, ce sont les thèmes abordés dans chaque album, des thèmes qui restent d’actualité, et qui l’étaient déjà dans ces six premiers petits volumes. « Les Schtroumpfs noirs » parlent de la haine et de la solidarité, « Le centième Schtroumpf » aborde le thème de la différence, « L’œuf et les Schtroumpfs » nous parle de l’ambition et de ses dangers…
Au-delà des films américains qui, ces dernières années, ont à mon humble avis terni l’image originelle de ces lutins belges, Les Schtroumpfs participent pleinement de tout ce qui fait la richesse et la qualité de la bande dessinée « tous publics ». Et on ne peut qu’avoir envie de leur souhaiter un bon anniversaire, et de leur en espérer encore bien plus !… De relire leurs anciennes (mais non vieillies !…) aventures, et de les faire lire à nos enfants et petits-enfants !…

Jacques Schraûwen
Les Schtroumpfs noirs, Le voleur de Schtroumpfs, L’œuf et les schtroumpfs, Le faux Schtroumpf, La faim des Schtroumpfs, Le centième Schtroumpf – Auteur : Peyo (et Yvan Delporte) – éditeur : Dupuis

Chronique publiée sur le site RTBF info, le 27 mai 2018 à 12h44

Saskia des Vagues

Saskia des Vagues

Une jeune femme belle comme la mort… Un amour détruit, une vengeance, un ultime amour impossible… Une aventure passionnante et passionnée !

 

Saskia – © Lucien Rollin

Il s’agit d’une réédition… Mais d’une réédition qui, sans aucun doute possible, nous fait découvrir ou redécouvrir un livre étonnant, d’une belle réussite graphique, et dont le scénario, nourri de légendes et de culture, est un petit bijou…
L’édition originale date de 1997, et elle fut publiée chez Dargaud.
Cette édition-ci s’apparente, en fait, à un tirage de luxe… Un format agrandi (35×27) qui met en évidence toute la qualité du travail du dessin, de la mise en page, de la mise en scène, même… Un noir et blanc qui, tantôt, se veut presque transparent, et, tantôt, dessine les contours du réel, du rêve et du cauchemar avec une intensité remarquable… Lucien Rollin est un ciseleur de situations, de visages, de paysages, et, à ce titre, ce livre-ci, qui est peut-être son meilleur, peut s’inscrire aux côtés des auteurs qui, dans les années 80 et 90, ont réinventé la bande dessinée classique, en y ajoutant les ingrédients du fantastique, du merveilleux et de l’horreur. Comès, Servais, Marc-Renier sont cousins de Rollin…

 

Saskia – © Lucien Rollin

L’histoire de cet album mélange, comme toujours avec le superbe scénariste Pierre Dubois, la réalité historique et l’imaginaire débridé, la  vérité et le fantasme, l’ici et l’ailleurs. Une jeune femme va se marier… Son futur époux, un jeune marin plein d’ambition, se fait gruger par ceux en qui il faisait confiance. Et le bateau qu’il a armé est incapable de résister aux assauts d’un pirate. Avant même les noces, la mort remplace l’amour…
Saskia, la jeune fiancée éperdue de douleur, fait de cette souffrance l’instrument d’une quête au bout de laquelle seule la destruction des âmes et des corps sera effective. Elle s’offre à un autre pirate, apprend avec lui les puissances de la mer et du combat, de l’abordage et du pouvoir, de la haine et du courage, de la beauté et de la laideur. Et elle se venge, impitoyable…
Jusque là, le récit pourrait n’être qu’une simple aventure marine, dont le thème principal reste, au-delà des péripéties, l’amour et la mort toujours intimement mêlés. Mais c’est oublier que Pierre Dubois est aux commandes du scénario, et que la mort, chez lui, ne peut que devenir plus qu’un thème, et prendre image grâce à la légende. Le  » Hollandais volant  » apparaît, et avec lui l’évidence d’un lieu où les âmes et les corps ne sont pas encore totalement dissociés par l’ailleurs. L’évidence aussi d’étreintes improbables desquelles aucune naissance ne pourra jaillir…

 

Saskia – © Lucien Rollin

Saskia, c’est une histoire de sentiments, de sensations, d’impossibilités à assouvir ses désirs essentiels, c’est l’histoire de la vie se confrontant sans cesse aux vagues et aux tempêtes du deuil, donc de l’impitoyable.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Avec un tout petit bémol, malgré tout ! Le dialogue utilise beaucoup d’expressions de patois flamand, et c’est normal, cela fait partie de la qualité historique de ce qui nous est conté ici. Mais il eût été bienvenu, je pense, de laisser quelques notes de bas de page pour que le chant sourd et lourd de cette langue puisse être accessible à tout le monde.
Mais ce n’est qu’une minuscule critique face à un livre qui, en objet du neuvième art, ne pourra que trouver sa place dans toutes les bibliothèques de bd dignes de ce nom !

Jacques Schraûwen
Saskia des Vagues (dessin : Lucien Rollin- scénario : Pierre Dubois – couleur de la couverture : Jean-Jacques Chagnaud – éditeur : La Fée Emer)