Streamliner : 1. Bye-Bye Lisa Dora

Streamliner : 1. Bye-Bye Lisa Dora

Le désert, un garage perdu loin de tout… et une course de vitesse qui attire une foule dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est particulièrement bigarrée !… Une aventure sans règles et terriblement  » sexy  » !

Pour les non-initiés, le titre de cet album, premier d’un diptyque, pose question… On devine, bien entendu, en feuilletant l’album, qu’il s’agit de vitesse, de vitesse pure même, de voitures et de motos aux moteurs gonflés, de rassemblements d’humains avides de sensations fortes dans une ambiance de liberté… Mais le streamliner, au départ, c’était d’abord un  » mouvement  » mêlant une forme d’art et une forme de science…

Fane: Que signifie « Streamliner »?

 

Faire des courses de vitesse sur des grandes pistes ou dans des déserts… et c’est bien de cela qu’il s’agit dans cet album, puisque c’est dans une station-service miteuse entourée de sable brûlant de de quelques rochers dangereux que le récit nous emmène. Cette station-service sans aucun intérêt, où pratiquement personne, jamais, ne s’arrête, est tenue par un homme et sa fille. Un homme accroché à ses bouteilles et à ses souvenirs militaires et qui a placé un vieil avion en guise d’enseigne de sa station, de sa propriété. Et sa fille, mignonne, jeune, très féminine, mais aussi très décidée.

Et débarque dans ce lieu improbable Blly Joe, un chef de bande qui vient y organiser une course sauvage, ouverte à qui veut.

A partir de ce moment-là, les personnages et les situations vont se multiplier, et le livre va dresser des tas de portraits hauts en couleur. Il y a des fous d’automobile, mais il y a aussi de superbes amazones chevauchant des motos aux allures infernales, il y a une ancienne compagne de Billy Joe, il y a le passé qui ressurgit pour le vieil O’Neil, propriétaire, il y a l’obligation pour sa fille de s’affirmer et s’engager. Il y a aussi un peu de polar, puisque vient se réfugier dans cette propriété privée un homme que l’on soupçonne d’être un terrible assassin. Il y a aussi, donc, des policiers sous couverture venus pour empêcher ce tueur d’agir encore. Et puis, il y a les médias qui voient là l’occasion de faire une télé réalité phénoménale susceptible de leur apporter succès, gloire et argent !

La force de Fane, scénariste et dessinateur, c’est de ne jamais se perdre, ni perdre les lecteurs surtout, dans ce fouillis de personnages. Son dessin différencie parfaitement tous les protagonistes, et son scénario parvient à faire parler chacun de ses héros ou anti-héros d’une manière différente.

Sa force, aussi, c’est de créer un univers qui ne peut que faire rêver, même ceux qui ne sont pas particulièrement attirés par les grosses cylindrées et les muscles roulant sous les tatouages ! Un univers avec ses règles, certes, mais des règles qui sont uniquement celles d’une certaine forme de respect, et qui n’ont rien à voir avec quelque morale que ce soit. Un univers dans lequel la seule loi voudrait être celle de la liberté, avec tous les risques qu’elle peut entraîner. Mais ce sont des risques acceptés, voire voulus par chacun !

Et s’il fallait parler de codes narratifs, on pourrait rapprocher cet album des grands westerns de l’histoire du cinéma, très certainement.

Fane: les personnages
Fane: comme dans un western

 

En lisant ce  » Streamliner « , on ne peut pas remarquer quelques influences. Ou des parallélismes, plutôt. Avec James Dean, avec Peter Fonda, ou Steve McQueen, dans l’univers du cinéma. Avec Tarentino aussi, évidemment, de par le thème traité et de par l’ambiance qui règne au fil des pages de ce livre. De par la présence féminine aussi, hyper sexy souvent, fougueuse toujours.

On pourrait aussi, dans certains des personnages, parler d’une influence de Forest, dans la manière peut-être de silhouetter les personnages…

Mais il n’y a rien de voyeur, étrangement, on se trouve plutôt, même, dans une espèce d’ode aux  » pin-up  » qui fleurissaient dans tous les garages au cours des années 50.

Il y a aussi une certaine pudeur en ce qui concerne la violence. Et le dessin de Fane évite ainsi toute vulgarité et tout voyeurisme.

Fane: violence et charme

 

 

Construit en chapitres, tous agrémentés de pleines pages très  » vintage  » et très agréables à l’œil, cet album est d’une belle intensité. Une intensité accentuée, avec un talent artistique certain, par la mise en couleur. Dans ce domaine, on peut dire que le travail d’Isabelle Rabarot est d’une qualité telle qu’on ressent presque l’effet de la chaleur, qu’on entend presque le vent souffler dans le sable ou dans les rochers.

 » Streamliner « , c’est de la bonne bd qui sent bon le sable chaud et qui met en évidence des filles jolies, mais actives, des femmes qui prennent le pouvoir sans vergogne sur les machos ! C’est de l’aventure, qui ne se prend pas au sérieux, et qui se laisse lire, croyez-moi, avec un vrai plaisir ! Du très très très beau boulot !

 

Jacques Schraûwen

Streamliner : Bye-Bye Lisa Dora (auteur : Fane – couleur : Isabelle Rabarot – édit eur : Rue De Sèvres)

Les Seigneurs de la Terre : 2. To Bio Or Not To Bio

Les Seigneurs de la Terre : 2. To Bio Or Not To Bio

Nous vivons une époque étrange. Rarement, à l’échelle de la planète, les productions agricoles n’ont été aussi importantes, trop même, qu’aujourd’hui. Des pays croulent sous le poids d’une surproduction qui ne se partage qu’infiniment peu avec les autres pays, qui, eux, vivent au quotidien les réalités d’une presque famine.

Nos pays occidentaux deviennent, en même temps, de plus en plus  » bio « . Pas toujours par idéal, loin s’en faut, mais par une nécessité économique de trouver une valeur ajoutée à des métiers, ceux de paysan, de maraîcher, d’éleveur, qui ne permettent plus de vivre décemment. Les grandes multinationales sont passées par là, la grande distribution aussi, en parallèle de la démission de plus en plus évidente des pouvoirs que l’on dit politiques et qui ne réussissent plus à gérer  » la vie du quotidien  » !

Où se trouve l’avenir ? Dans le retour à la terre, dans la volonté de recréer des filières aujourd’hui disparues et réellement ouvertes aux citoyens ?

Les auteurs de cette série nous offrent des portraits, rien de plus, sans jugement. Sans, non plus, fermer la porte à toutes les utopies de l’existence.

Et là où on aurait pu n’avoir qu’un livre « bobo » et politiquement correct, voire une espèce de pensum dessiné au seul but didactique, ces deux auteurs ont réussi, tout au contraire, à créer une histoire à taille humaine, mais une histoire accrochée à l’Histoire de notre société contemporaine en incontestable mutation.

Les seigneurs de la terre © Glénat

Réconcilier un pays et son agriculture : mission impossible ?

Peut-être, peut-être pas…

Toujours est-il qu’ici, en effet, les lieux communs sont battus en brèche. Quand on parle de bio, par exemple, on s’extasie dans les salons et les cuisines, on ne jure que par la pureté, le naturel des aliments que cette filière nous permet. C’est oublier que l’environnement agricole est envahi de pesticides qui, qu’on le veuille ou non, finissent par se retrouver dans nos assiettes, même bios.

On s’extasie, dans les maisons bourgeoises de nos cités, de la multiplication des coopératives agricoles, en parlant de vraie démocratie, de liberté de production, et on oublie que ces coopératives sont de plus en plus dépendantes du marché, de la rentabilité, de la fluctuation au niveau international du prix des matières premières.

 

Et c’est là que ce livre me plaît vraiment : tout en dessinant le paysage de notre agriculture, il n’embellit à aucun moment les choses.

Le scénariste, Fabien Rodhain, réussit un beau tour de force dans cette série, celui de nous raconter une histoire d’homme à la poursuite de lui-même et obligé, progressivement, à des choix qui influeront toute son existence, et en même temps à se faire didactique pour raconter aussi la réalité des campagnes sans lesquelles les villes n’existeraient pas, et à le faire sans aucune pédanterie ni intellectualisme inutile.

Le dessinateur, Luca Malisan, a choisi la voie d’un réalisme tout en évidence, nimbé de couleurs chaudes, avec des plans variés qui permettent de briser les aspects parfois trop statiques de la narration, avec un graphisme plus léché pour tout ce qui est retour au passé.

Et ces deux auteurs réussissent ainsi à créer une série intelligente, intéressante, passionnante, en nous racontant aussi des histoires vraiment humaines, dans lesquelles amour, passion, famille se mêlent intimement !

Jacques Schraûwen

Les seigneurs de la terre (dessin : Luca Malisan – scénario : Fabien Rodhain – éditeur : Glénat)

Ecoutez ci-après l’interview du scénariste, Fabien Rodhain…

 

Les Aventures de Spirou : Le Maître des Hosties Noires (Spirou Au Kongo Belche)

Les Aventures de Spirou : Le Maître des Hosties Noires (Spirou Au Kongo Belche)

Un album somptueux du mythique groom s’aventurant dans l’ancienne colonie belge, et, en parallèle, une exposition à Bruxelles jusqu’au 29 janvier : une double actualité à ne rater sous aucun prétexte !

Plusieurs couvertures pour un même album… Dont une qui, directement inspirée par Hergé, s’ouvre sur une traduction en bruxellois des péripéties vécues par Spirou, en 1947, dans les profondeurs d’un Congo colonial !

Il est de bon ton, depuis quelques années, lorsqu’on aborde l’époque colonialiste, de se croire obligé de porter un jugement péremptoire sur l’attitude du colonisateur vis-à-vis du colonisé. Et même si, bien évidemment, tout ce qui touche, de près ou de loin, à l’asservissement de l’homme par l‘homme ne peut qu’être inacceptable, il est tout aussi évident que l’honnêteté intellectuelle impose aussi de se replacer dans une perspective historique réelle.

Et c’est bien le cas, ici, dans cet album qui voit Spirou, Fantasio, Spip, et la Femme Léopard s’enfoncer dans la brousse congolaise.

Pas de jugement a posteriori, non, mais, par contre, une restitution extrêmement fidèle de ce qu’était le Congo Belge en ces années de juste après-guerre !

J’en veux pour témoins, par exemple, que les auteurs nous y parlent de Kinshasa comme étant un quartier de Léopoldville, rien de plus à l’époque, ou qu’ils nous parlent également de la langue véhiculaire du Katanga, le kiswahili, et pas le terme erroné utilisé depuis les années 80, Swahili, ou encore la manière dont les Congolais appelaient les missionnaires, les pères blancs : bwana monpé…

Ce respect pourrait n’être que nostalgique, mais il n’en est rien. Yann est un scénariste qui, toujours, même au travers de scénarios extrêmement datés dans l’Histoire, éprouve le besoin d’y placer des ponts avec le monde d’aujourd’hui, et c’est bien le cas ici.

Et le propos aurait pu déboucher, dans cette aventure, sur l’horreur, puisqu’on y parle de vrais méchants, d’anciens nazis, par exemple ! Mais là aussi, Yann a à cœur de ne pas trahir le personnage de Spirou, qui se doit d’être porteur d’aventure et, surtout, d’humour ! Ce qui ne l’empêche pas, malgré tout, de faire quelques réflexions d’abord et avant tout humanistes.

Yann: se replonger dans l’époque8…

Olivier Schwartz: les rapports avec le monde d’aujourd’hui

Yann: l’humour

L’histoire racontée par les deux compères, Olivier Schwartz et Yann, met en scène des tas de personnages à la fois caricaturaux et pleins de références, qu’elles soient historiques, littéraires ou cinématographiques.

Il y a un  » chef  » qui est un mélange caricatural entre Lumumba, Tshombé et Mobutu. Il y a des anciens nazis recyclés dans la construction d‘une arme redoutable. Il y a un missionnaire blanc tout en rondeurs assumées. Il y a des sorciers africains, des combats, des crocodiles, des lions, des éléphants, des tribus sauvages, des coutumes ancestrales refusées par une Congolaise de Belgique.

Il y a des méchants qui ne le sont pas vraiment, finalement, sauf ceux qu’on ne voit pas et qui étaient les tortionnaires des camps de concentration, des tortionnaires qu’on mentionne à peine en fin d’album.

En fait, ce qui caractérise cet album, c’est qu’il est passionnant de bout en bout. Passionnant, dans le sens complet du terme ! Empli de passion, une passion qu’ont les deux auteurs vis-à-vis de leur histoire, vis-à-vis du personnage dont ils sont  » locataires « , vis-à-vis de leur collaboration plus que complice.

Une passion qui se devine de page en page, au travers de l’osmose entre textes et dessin, entre décors et mise en évidence de certains dialogues par l’absence, justement, de décors.

Une passion amusée, aussi, dans la construction narrative de cet album. Il y a l’histoire principale, bien entendu. Il y a aussi celle qu’on devine entre Spirou et une jeune femme. Il y a enfin une autre aventure qu’on peut lire en lisant uniquement les bas de cases : les amours de Spip, ses réflexions, un peu à la manière, de la coccinelle qui était chère à Gotlib. Et là également, on sent que les deux auteurs s’en sont donné à cœur joie !

Yann et Schwartz: la passion

Yann et schwartz: les textes, Spip…

 

Yann est un scénariste qui a toujours (ou presque !…) réussi à m’enthousiasmer, quel que soit le sujet qu’il décide d’aborder.

Olivier Schwartz, lui, appartient, sans aucun doute possible, à une famille de dessinateurs soucieux de  » raconter  » en dessins des histoires souriantes, fouillées. Je dirais que son style mêle ceux de Jijé (le personnage de Youma, par exemple), de Franquin (la profusion des détails…), et la folie iconoclaste de Chaland. Sans oublier Hergé qui, au passage, semble nous honorer de sa présence au travers d’une couverture étonnante et lumineuse !

Olivier Schwartz: le dessin

Mais cet album possède, à mes yeux en tout cas, une qualité supplémentaire, et essentielle même ! Puisque Spirou est un héros typiquement belge, bruxellois même de par l’hôtel où il travaille, il lui fallait un profond ancrage de belgitude aussi, et cet ancrage se fait, dans cet album, grâce à une version traduite en bruxellois, une version qu’aucun Belge digne de ce nom ne peut rater !

Joske Maelbeek s’est attelé à la tâche, avec un entrain et une joie communicatifs ! Et pour que personne ne se perde en cours de route, il a ajouté, en fin d’album, un long glossaire qui, à la lecture, se révèle savoureux, lui aussi !

Le patois bruxellois rejoint ainsi la passion (encore elle, oui !…) que Yann a toujours cultivée à l’égard de la langue, des idiomes, des particularités régionales du langage.

Yann: la langue

 Joske Maelbeek: la traduction en bruxellois

 Qu’ajouter d’autre sinon souligner la qualité de la couleur, celle du lettrage également, dû à Philippe Glogowski.

Je parlais plus haut dans cette chronique de fidélité historique. Elle existe aussi dans le dessin, dans la reproduction des objets africains, par exemple. Et vous pourrez en juger par vous-mêmes en vous rendant rue des Minimes, à Bruxelles, à la galerie Mestdagh, spécialisée dans l’art africain, et qui accueille une exposition de plusieurs dessins originaux de cet excellent et réjouissant album !

 

Jacques Schraûwen

Les Aventures de Spirou : Le Maître des Hosties Noires (Spirou Au Kongo Belche) (dessin : Olivier Schwartz – scénario : Yann – traducteur en bruxellois : Joske Maelbeek – couleurs : Laurence Croix – éditeur : Dupuis)

Lien vers la galerie Mestdagh