Jim: « Une Nuit à Rome » (tome 3) et « L’Amour (en plus compliqué) »

Jim: « Une Nuit à Rome » (tome 3) et « L’Amour (en plus compliqué) »

Jim, auteur prolifique s’il en est, nous offre un troisième épisode de sa nuit à Rome… Des personnages vieillissants… Et, en même temps, un recueil de nouvelles souriantes et grinçantes… A découvrir, en sa compagnie, dans cette chronique!

Une nuit à Rome – © Jim/Grandangle

Romantisme et érotisme, féminité et poésie, réalisme et sexualité : Jim continue, dans un style reconnaissable entre tous, à nous faire croire en une certaine éternité de l’amour, ou du désir, en tout cas !
Raphaël, cette fois, fête ses cinquante ans… A Rome, bien évidemment, avec des amis. Avec l’espérance aussi d’y voir arriver Marie, qu’il a invitée. Marie qui se demande si le fait d’accepter ces retrouvailles proposées ne va pas tout détruire du souvenir de leur passion puissante, étrange, éphémère autant que sans cesse présente aux mémoires de son corps. Aux mémoires de leurs deux corps qui ne veulent rien oublier des étreintes fabuleuses qui firent de leurs rêves, au fil des années et de leurs rencontres sans lendemain, des instants de fulgurances charnelles totalement partagées.
Tout est donc, ici, dans cette peur de Marie de renouer avec un passé à qui elle aimerait redonner vie, mais qui, en même temps, l’angoisse par l’inéluctable vieillissement de leur improbable couple…
Comme à son habitude, Jim s’approche au plus près de ses personnages, aimant décrire, sans jugement aucun, leurs quotidiens mêlés… Aimant aussi continuer à idéaliser son héroïne Marie, qui, puisque aimée et désirée par son héros comme par lui, ne vieillit pas vraiment.

Jim: les personnages et le quotidien
Jim: Marie

 

Une nuit à Rome – © Jim/Grandangle

Comme à son habitude également, Jim ne dissocie pas le cœur du corps, le sentiment de l’étreinte, l’idéal du désir. La sexualité est omniprésente, dans les dialogues comme dans le dessin, même si celui-ci parvient toujours à magnifier les gestes de l’amour ! Le physique du sentiment, ainsi, occupe la place centrale de cette série qui, sans rebondissements narratifs, parvient à donner existence à des héros de papier qui, finalement, nous ressemblent à toutes et à tous…

Jim: la sexualité, l’érotisme

Une nuit à Rome – © Jim/Grandangle

Il y a dans le traitement narratif de cette histoire en plusieurs albums, en plusieurs époques, en plusieurs âges, une construction proche, parfois, des codes du  » roman-photo « . Avec une différence, malgré tout, puisque les personnages de Jim ne  » posent  » pas, ils vivent, bougent, s’aiment, se fuient, se retrouvent… Ils ne sont pas uniquement des ombres de papier… Ils sont surtout des êtres humains qui, à l’instar de Jim, à l’instar également de ses lecteurs, vieillissent !
Il y a dans la quête de Raphaël et de Marie, avec la présence de la mort dès le début de ce livre, une hantise du vieillissement, incontestablement, qui correspond, bien sûr, à l’histoire qui nous est racontée, mais aussi aux caps de l’âge que franchit son auteur, Jim !

Jim: roman-photo

 

Une nuit à Rome – © Jim/Grandangle

Ce qui différencie aussi le style de Jim de celui des romans-photos, c’est le traitement de la couleur. Les nuits de Rome, au fil des albums, au fil des âges donc, s’éclairent différemment, ont d’autres présences. Des présences rêvées, sans doute, des lumières imaginées plus que regardées, des couleurs, en tout cas, qui accompagnent le récit et même, parfois, en accentuent les ambiances, évitant ainsi une redondance dans le propos qui pourrait fatiguer et éloigner le lecteur.

Jim: la couleur

 

L’Amour (en plus compliqué)

Jim: « Une Nuit à Rome » (tome 3) et « L’Amour (en plus compliqué) » – © Tous droits réservés

En plus de ce troisième volume d’une histoire à succès, Jim inaugure également une nouvelle collection chez son éditeur, une collection de  » textes « …  » L’amour (en plus compliqué)  » est un recueil de nouvelles, courtes qui, toutes, parlent bien évidemment de l’obsession première de Jim : l’amour, le désir, le plaisir, la fuite, la trahison, l’éternité !
Mais le ton, ici, est très différent. Ce sont des toutes petites histoires, oui, qui privilégient le dialogue à l’image, en quelque sorte, et au sein desquelles Jim ose infiniment plus d’humour que dans ses bandes dessinées…
Tranches de vie, elles aussi, les nouvelles de ce recueil se lisent facilement, et révèlent une part cachée des talents de Jim… L’écriture fait évidemment partie de son existence d’auteur, mais il est intéressant, ici, d’en découvrir quelques belles promesses.

 

Jacques Schraûwen
Jim :  » Une Nuit à Rome : Livre 3  » et  » L’Amour (en plus compliqué)  » (auteur : Jim – éditeur : Bamboo)

Une nuit à Rome – © Jim/Grandangle

Undertaker : 4. L’Ombre D’Hippocrate

Undertaker : 4. L’Ombre D’Hippocrate

Un croque-mort atypique, dans un des meilleurs westerns qui soient, un méchant souriant dans un album superbe :

 » L’Ombre d’Hippocrate « , dont les auteurs parlent dans cette chronique!…

Jonas Crow, le personnage central de cette série, est un héros totalement à part dans l’univers du western. Croque-mort itinérant, il vend ses services à qui en a besoin, côtoyant ainsi des familles en deuil qui ne sont pas toujours particulièrement respectueuses de leur défunt ! Au fil de ses pérégrinations, lui qui, solitaire, n’avait comme compagnon qu’un vautour, se voit obligé de poursuivre son chemin avec deux femmes très différentes l’une de l’autre.

Les aventures que vit Jonas se construisent par cycles de deux albums. Dans le premier cycle, on le voyait donc passer de la solitude à un compagnonnage obligatoire… Dans le deuxième cycle, qui se termine avec cette  » Ombre d’Hippocrate « , on peut presque dire que la boucle est bouclée, puisque, finalement, il se retrouve seul…

Mais avec Xavier Dorison au scénario, les choses ne peuvent pas être aussi claires que cela, et n’avoir qu’une seule finalité.

Construisant un scénario en s’inspirant à la fois du western à la Leone et des thèmes abordés dans les westerns américains de la fin des années 60, Xavier Dorison aime toujours dépasser les simples apparences pour amener le lecteur à se poser des questions sur son personnage central d’abord, sur la vie, la mort, ensuite…

Dans ce quatrième volume, on en apprend plus, c’est vrai, sur le trajet qui a conduit Jonas à vivre sans cesse aux côtés de la mort, Mais bien des silences existent encore quant à son passé, quant à ses besoins fondamentaux, quant à ses rapports, étroits, avec la vie et la mort…

Undertaker, c’est une réussite aussi et surtout grâce à la véritable complicité qui existe entre un dessinateur, un scénariste, et une coloriste.

Xavier Dorison: le scénario
Xavier Dorison: des questions, encore et toujours…

Cela dit, dans ce quatrième tome, même si Jonas reste, avec ses deux compagnes de route, le moteur essentiel et évident de l’intrigue, c’est  » L’Ogre  » qui occupe tout l’espace. Par sa stature, d’abord… Par sa personnalité de médecin assassin et pervers, ensuite… Par les liens qu’il crée avec aujourd’hui, enfin… On ne peut que penser à la guerre 14/18 et aux gueules cassées qui obligèrent la médecine à faire d’immenses progrès, on ne peut que penser également aux expériences médicales des médecins nazis, expériences qui se continuèrent, on le sait maintenant, en Amérique latine largement après la guerre 40/45…

Le coup de maître des deux auteurs, Xavier Dorison au scénario et Ralph Meyer au dessin, c’est de nous donner le portrait de cet ogre sans aucun manichéisme, en en faisant même, physiquement, un personnage souriant, presque jovial. Et ce n’est qu’en allant au-delà des seules apparences qu’on peut en saisir toutes les facettes, horribles, foncièrement, peut-être encore plus par les excuses presque humanistes que formule ce médecin psychopathe…

Xavier Dorison: l’Ogre
Ralph Meyer: l’Ogre

Les scénarios de Xavier Dorison m’ont très souvent enthousiasmé, et c’est encore le cas ici, avec un anti-héros absolument hors des sentiers battus, et de ce fait d’autant plus attachant…

Mais il faut aussi souligner la qualité du dessin de Ralph Meyer. Dans un style qui réussit avec une facilité apparente à mêler le classicisme de la construction et la modernité de la narration, il effectue, dans cette série, un travail de découpage inspiré, certes, par le cinéma, mais rendant hommage, également, de bout en bout, à des grands westerns dessinés du passé, comme Jerry Spring, Comanche ou Blueberry…

Pour parler de souffrance, de mort, il évite tout voyeurisme gratuit, sans pour autant taire, graphiquement, les dérives de l’Ogre…

Il faut insister aussi sur la façon qu’il a, et qui n’est pas tellement répandue que ça, de considérer chaque planche comme un tout, comme une  » unité  » narrative de mouvement, de plans différents et complémentaires.

Ralph Meyer: le dessin

       Undertaker 4 – © Dargaud

 

Et puis, je le disais plus haut, il y a la couleur…. Caroline Delabie, complice fréquente de Ralph Meyer, a beau dire qu’elle s’efface derrière le travail de Meyer et Dorison, il n’en demeure pas moins que sa manière de créer la couleur dans cette série résulte d’une vraie collaboration et d’une réelle inventivité, créativité. La façon dont elle traite les ombres, par exemple, ou les paysages, qu’ils soient de nuit ou de jour, est absolument remarquable…

J’ai toujours adoré les westerns, que ce soit au cinéma ou en bande dessinée. Un western, c’est une tragédie à la grecque, mais une tragédie qui ouvre des portes vers le monde qui est le nôtre. Les thèmes qu’aborde ce genre littéraire, graphique et cinématographique sont des thèmes d’abord et avant tout humains, des thèmes qui nous parlent de l’homme face à des événements qui le dépassent mais qui l’obligent à se révéler à lui-même !

Et à ce titre, Undertaker est, soyez-en certains, une série qui ne peut qu’avoir sa place, et parmi les meilleures, dans votre bibliothèque !

 

 

Jacques Schraûwen

Undertaker : 4. L’Ombre D’Hippocrate (dessin : Ralph Meyer – scénario : Xavier Dorison – couleur : Caroline Delabie – éditeur : Dargaud)

Un amour de Stradivarius

Un amour de Stradivarius

Stradivarius… Voilà un nom que tout le monde connaît. Mais qui donc était-il, ce luthier exceptionnel ?… Voici une partie de son portrait… Et vous pourrez écouter, dans cette chronique, les auteurs parler de ce livre aux couleurs transparentes…

L’histoire qui nous est racontée ici n’a rien à voir avec une biographie, loin s’en faut, puisque le récit ne couvre qu’une année de l’existence de celui dont le nom reste attaché à tout jamais à la musique.

Tout commence en 1701, tout finit en 1702, à Crémone, ville de Lombardie dans laquelle Stradivarius et son fils sont les meilleurs luthiers du monde.

Crémone pourrait n’être qu’une cité de calme et de torpeur, d’art et de musique, si le roi français, Louis XIV, ne décidait d’une guerre qu’on a appelée la guerre de succession d’Espagne.

Stradivarius, ainsi, va se trouver confronté à l’horreur d’un conflit sans honneur, à l’aide d’un noble français et de sa nièce, une adorable jeune aventurière qui séduit le fils du luthier.

Stradivarius est veuf… Il prie, comme pour ne pas oublier celle qui fut son épouse… Il dort, il mange, il travaille, il rêve pour continuer à exister. Et dans les remous de cette guerre, il va se retrouver, se restaurer à lui-même, et redécouvrir l’amour entre les bras et contre les courbes de cette jeune femme dont rêve aussi son fils.

La situation pourrait être, dans le scénario, terriblement graveleuse, s’ouvrant aussi à des affrontements dignes d’un vaudeville, mais il n’en est rien, et Fabien Tillon, le scénariste, a choisi tout au contraire la voie d’une narration tranquille, voire même amusée !

Cela dit, son scénario, même s’il ne couvre qu’une année de l’existence de Stradivarius, est fouillé au niveau de la documentation, c’est évident. La manière dont il parle, par exemple, de tout ce qui construit un violon, jusqu’à l’âme, est presque didactique. La façon, par contre, dont il nous raconte les rapports étroits, intimes, charnels et amoureux, entre les formes d’une femme alanguie et le violon dont elle devient modèle, cette manière-là est, elle, terriblement sensuelle et poétique.

Ce qu’il faut aussi souligner dans cet album, c’est le soin mis par Tillon au travail des dialogues, du langage plus généralement….

Fabien Tillon, le scénariste

 

Comme dans toute bande dessinée qui s’intéresse à l’art, à l’histoire de l’art même, il n’est pas évident de trouver un dessin qui ne dénature pas le sujet.

Gaël Remise, sans aucun doute, n’a pas un style graphique conventionnel. On pourrait même dire que son dessin semble quelquefois maladroit, presque enfantin dans les mouvements, dans les scènes épiques aussi. Mais c’est cette simplicité du regard qui en fait toute la qualité, finalement.

On n’est pas, loin s’en faut, dans le réalisme pur, et les décors comme les personnages sont sans cesse distordus, comme vus au travers d’une espèce de kaléidoscope qui, en multipliant les points de vue, restitue l’ensemble d’un lieu, d’un personnage !…

Comme dans le scénario, cependant, la documentation a été importante, et se ressent dans les paysages, dans les décors, dans les lieux intimes.

Mais ce qui est le plus important, dans le dessin de Gaël Remise, dans son  » réalisme revisité « , c’est l’utilisation qu’il fait de la couleur. Ses aquarelles ont une espèce de transparence, et leur présence, en débordements des traits, donc loin, très loin de la ligne claire, cette présence est en grande partie responsable du charme opéré par cet album.

Gaël Remise, le dessinateur

C’est, il y a quelques mois déjà, à la Foire du Livre de Bruxelles que j’ai rencontré ces deux auteurs. Une rencontre qui m’a permis de découvrir d’une part un album que je ne connaissais pas mais qui m’a immédiatement séduit, d’autre part une maison d’édition qui m’était elle aussi inconnue.

Et j’espère que cette petite chronique va vous permettre de faire, comme je l’ai fait, une bien agréable découverte !…

 

Jacques Schraûwen

Un amour de Stradivarius (dessin : Gaël Remise – scénario : Fabien Tillon – éditeur : nouveau monde graphic)