Un Jour Sans Jésus

Un Jour Sans Jésus

Une relecture quelque peu iconoclaste d’une résurrection dont on n’a pas fini de parler, mais une relecture, d’abord et avant tout, hilarante !…

Nous sommes, bien évidemment, en 33 après Jésus-Christ. Et ce fameux Jésus, crucifié, mort et enterré, n’en a pas fini de faire des siennes ! Son corps, pourtant bien enfermé dans un caveau, a disparu, et le bruit de sa résurrection commence à enfler dans les ruelles de Jérusalem, ce qui ne plaît ni à Pilate, ni à Hérode.

Il faut dire que ce Jésus, entouré de ses apôtres, n’a pas lésiné sur les moyens, en quelques petites années, pour qu’on le considère comme un prophète ! La disparition de son corps ne peut qu’apporter bien des ennuis au pouvoir en place, c’est évident !

D’ailleurs, pourquoi parler de résurrection ?…. Ne serait-ce pas un coup de Judas le Galiléen (qui n’a strictement rien à voir avec Judas l’apôtre, ni avec aucun autre Judas, quel qu’il soit, et ils sont nombreux !…), Judas le Galiléen, oui, réfugié Dieu sait où et révolutionnaire et avide de pouvoir ? Ne serait-ce pas un coup de Barabbas, lui qui a été libéré par la foule sans tête (comme le disait Béart…) à la place de Jésus ? Ne serait-ce pas, simplement, un coup des apôtres pour faire croire à un miracle ? Ou des Zélotes toujours prêts à se battre pour une quelquonque liberté?

En tout cas, dans le bouillonnement de ce début d’ère chrétienne, les Romains comme les Zélotes, les apôtres comme les marchands du temple qui sont obligés de solder à 29,99 deniers leurs reliques, tout le monde recherche cette dépouille plus que symbolique !

Dans le deuxième volume de cette série qui doit en compter 6 (deux de plus que les testaments, et un album paraissant chaque mois), les enquêtes parallèles des apôtres, de Ponce Pilate, de Hérode, de Salomé, de Judas le Galiléen continuent de plus belle, sans aucun résultat. Et l’idée vient à l’occupant romain que, finalement, les apôtres ont peut-être tout simplement mangé, en cannibales religieux, le corps de leur prophète ! Une prophète qui, lors du dernier repas pris avec ses apôtres, leur en avait pratiquement donné l’idée, d’ailleurs, en leur disant  » prenez et mangez, ceci est mon  corps, etc., etc.  » !

Ce qui est étonnant dans cette série, c’est qu’au-delà de l’humour, parfois très potache, reconnaissons-le, mais toujours hilarant, la base historique, elle, est réelle, et particulièrement ben rendue. Nicolas Juncker, le scénariste, aime la grande Histoire, et il l’a prouvé avec le très bon album  » Fouché « . Mais ici, même si la trame du récit reste fidèle à l’époque, à l’Histoire, le traitement de ce récit n’a strictement rien de sérieux. Jeux de mots, situations abracadabrantes, personnages caricaturés aux trognes et aux expressions démesurées, tout est fait pour démystifier le propos, c’est certain, mais sans pour autant le dénigrer, ce qui est un vrai tour de force !

Le dessin de Pachéco ne brille pas par son originalité, certes, et les couleurs sont attendues. Mais c’est ce qu’il fallait pour donner un rythme continu à cette série, croyez-moi !… Des gros plans expressifs, des paysages ensoleillés, des mouvements rapides, tout est fait, dans ce graphisme et cette colorisation, pour que l’œil glisse sur l’histoire, rapidement, s’arrête aux dialogues ciselés dans le matériau de l’humour, pour ensuite revenir au dessin…

Vous voulez passer du bon temps ?…. Achetez ces deux albums, et les autres suivants à paraître ! Epîtres ou nouveaux évangiles, le message qu’apporte ce  » Jour sans Jésus  » est celui du sourire, plus fort, finalement, que toute bêtise humaine !

 

Jacques Schraûwen

Un Jour Sans Jésus (dessin : Chico Pacheco – couleur : Angélique Césano – scénario : Nicolas Juncker – éditeur : Vents d’Ouest)

Un Million d’Eléphants : un album intelligent et une petite exposition bien sympathique à Bruxelles !

Un Million d’Eléphants : un album intelligent et une petite exposition bien sympathique à Bruxelles !

C’est un pays, le Laos, qui est le personnage central de ce livre. Un pays, ses habitants, et une dessinatrice à la poursuite de ses racines et de son histoire…

 Un million d'éléphants Un million d’éléphants – © Futuropolis

Ce sont 80 années d’Histoire que visite ce roman graphique, 80 années qui virent s’animer, de révolutions et de changements philosophiques et politiques, une région du monde qu’on appelait Indochine du temps de la colonisation française.

Résumer le vécu des deux familles que Vanyda et Cornette nous invitent à suivre, de génération en génération, tient de l’impossible, c’est évident. Et ce Million d’éléphants, symbole du Laos, est un livre qu’il faut prendre le temps de lire, de regarder, dans lequel il est doux, d’une certaine manière, de se plonger. Doux, mais aussi brutal, tant il est vrai que la réalité quotidienne et politique de ce pays d’Asie du Sud-Est s’est construite, en un siècle, à force d’injustice, de luttes de pouvoir, d’idéologies déshumanisées.

Mais la qualité de ce livre est de ne pas laisser ses lecteurs se perdre en route. De ne pas les lasser non plus, même si les personnages se multiplient, à chaque génération. Jean-Luc Cornette, en fait, a accompagné le désir profond de Vanyda en parvenant à écrire un scénario qui laisse la place, d’abord et avant tout, à des êtres humains qui, tous, appartiennent à l’histoire qui a construit la personnalité de Vanyda.

Pour l’un comme pour l’autre, il s’est agi de parler d’humanité, même dans une ambiance qui s’ouvrait sur des paysages aux guerres incessantes.

Vanyda et Jean-Luc Cornette: le scénario

Jean-Luc Cornette et Vanyda: du scénario au dessin…

Dans ce livre, outre le panorama historique de presque un siècle de grande Histoire, deux thèmes servent à rythmer le récit tout en lui donnant une véracité profonde.

Le premier de ces thèmes, c’est bien évidemment la politique, l’avènement du communisme, un communisme qui était source d’espoir avant que de se faire instrument de dictature.

Mais de par leur voyage au Laos, de par leur volonté de s’intéresser aux gens plus qu’à leurs dirigeants, Vanyda et Cornette réussissent, avec simplicité, à éviter l’écueil du jugement. Pour nous parler de communisme, Jean-Luc Cornette utilise la proximité, temporelle comme humaine.

Le second thème omniprésent, c’est la religion, une religion faite de prières à la limite de la superstition très souvent, pratiquement toujours même, mais une religion qui, depuis toujours, tempère pour les Laotiens toutes les vicissitudes de l’existence. Et cette espèce de fatalisme se retrouve dans le scénario, certes, mais aussi dans le dessin de Vanyda, un dessin aux couleurs tout en transparences sensuelles, dans les décors plus encore que dans la description des personnages.

On sent vraiment, dans ce livre, plus qu’une complicité entre ses deux auteurs : une participation à une même aventure, humaine et faite aussi d’intimité…

Jean-Luc Cornette: le communisme

Vanyda: la religion

Bien sûr, au-delà de la fiction assumée par les auteurs, une fiction qui cependant prend toutes ses sources dans la réalité des gens et de leur pays, et de leurs politiques qui n’ont jamais réussi à ce que toutes les ethnies soient reconnues comme égales au Laos, au-delà de ce qu’on pourrait appeler un ensemble d’anecdotes historiques, c’est aussi un livre qui parle d’identité.

Peut-être, et surtout même…

Vanyda, par son dessin, par l’humilité d’un scénario qui s’est mis à son service également, nous permet, lecteurs envoûtés par ses couleurs et la simplicité de son dessin, lecteurs tout aussi envoûtés par la multiplicité de personnages ayant une véritable présence, Vanyda, par la magie de cette narration autant graphique qu’écrite, a créé, en quelque sorte, un miroir dans lequel elle se retrouve enfin, avec ses passés, avec ses présents aussi. Un miroir qu’elle tend, en même temps, vers toutes celles et tous ceux que le temps et l’Histoire majuscule ont déracinés !

Vanyda et Jean-Luc Cornette: une quête identitaire

Disons les choses comme elles le sont :  » Un million d’éléphants  » n’est pas un livre  » facile « . De par ses thèmes identitaires et historiques sans cesse mêlés, de par l’aspect choral de sa construction narrative aussi, il demande indubitablement une disponibilité intellectuelle et sensitive de la part de ses lecteurs. Mais alors, croyez-moi, le plaisir est au rendez-vous. Un plaisir qui s’ouvre sur la grande Histoire, sur mille petites histoires, qui se livre à la poésie, aussi, à la nature, à la légende…

 

Et je vous invite à vous rendre à Bruxelles, à la Librairie Flagey, sur la place du même nom, pour y admirer quelques originaux de ce livre, qui vous permettront de découvrir toute la technique de lumière et de couleurs de Vanyda…

 

Jacques Schraûwen

Un Million d’Éléphants (dessin : Vanyda – scénario : Jean-Luc Cornette – éditeur : Futuropolis – janvier 2017)