VERTIGES

VERTIGES

Un superbe album consacré à Jean-Marc Rochette, qui appartient à l’histoire de la bande dessinée moderne, puisqu’il fit partie de l’équipe essentielle de la revue « A Suivre ».

Vertiges © D. Maghen

Mais c’est surtout un artiste inclassable, qui a participé à des aventures graphiques très différentes les unes des autres : Edmond le cochon, Le Transperceneige, Aile Froide…

Vertiges © D. Maghen

C’est un touche-à-tout, en effet, pour qui plusieurs scénaristes ont livré quelques-uns de leurs meilleurs textes…. Et le Transperceneige reste comme une des oeuvres majeures d’une science-fiction recentrée sur l’humain, au contraire de ce que faisaient alors Bilal et Mézières par exemple. Une des rares réussites, aussi, en tant qu’adaptation cinématographique.

Rochette, c’est un artiste, au sens premier du terme, un de ces êtres humains qui est d’abord et avant tout un regard, un regard qui devient tangible grâce au dessin, à la bd, à l’illustration ou, mieux encore peut-être, grâce à la peinture.

Vertiges © D. Maghen

Et ce livre-ci, Vertiges, a deux qualités.

La première, c’est de nous faire découvrir de l’intérieur l’homme Rochette, grâce à une longue interview au cours de laquelle il se montre encore mieux, peut-être, que dans ses livres autobiographiques.

La seconde, c’est de nous montrer toute la puissance de ses tableaux, qui, abstraits et lyriques, sont porteurs d’imprévu, d’envoûtement, de vertige. Et, étrangement, de réalisme, comme l’étaient les œuvres magistrales de Mathieu. Soulignons, à ce sujet, l’extraordinaire qualité des photos de Thomas Hennocques, qui restitue à la perfection au papier la sensation de la matière posée à même la toile !

Vertiges © D. Maghen

Dans ce livre, à la page 58 très exactement, on voit la planche peut-être la plus symbolique de l’œuvre de Jean-Marc Rochette : un enfant qui approche la main d’un tableau, dans un musée. Le noir et blanc de la vie réelle face à la couleur lumineuse de l’art… C’est sans doute la définition qu’on peut donner de Rochette, un artiste tout en oppositions, tout en contrastes.

Jean-Marc Rochette
Jean-Marc Rochette © J.J. Procureur

Jacques Schraûwen

Vertiges : Jean-Marc Rochette (éditeur : Daniel Maghen – entretien avec Rebecca Manzoni – 176 pages – date de parution : novembre 2019)

Vertiges © D. Maghen
Une Vie de Moche

Une Vie de Moche

Féminité, différence, féminisme…

Un roman graphique qui nous permet de découvrir les remous humains et sociologiques qui ont conduit notre société à devenir celle qu’elle est aujourd’hui. Un roman graphique plein de sensibilité…

Une Vie de Moche © Marabulles

Un roman graphique, c’est, tout simplement, une bande dessinée d’un format plus grand, plus long, et qui, souvent, s’écarte des habitudes de scénario et de graphisme. C’est un mot qui a été inventé, si ma mémoire est bonne, par Will Eisner, et qui, depuis, sert à qualifier des œuvres de toutes sortes et, très souvent malheureusement, pas très lisibles ! Comme si le terme « roman » pouvait permettre d’être aussi nul que Moix et certains de ses semblables ! Mais le livre dont je vais vous parler n’a besoin d’aucun alibi et n’a rien d’un objet « bobo à la mode », loin de là !

« Une Vie de Moche », c’’est l’histoire de Guylaine.

Guylaine qui, petite fille, découvre un jour que son prénom rime avec « vilaine ». Elle le découvre par les quolibets des gamins de son âge, par les mots quelque peu gênés et faits de lieux communs que répondent ses parents aux questions qu’elle leur pose sur son physique.

Et ce livre la suit de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, de la maturité jusqu’à la vieillesse, tout au long de 60 années d’existence, donc d’Histoire du vingtième siècle, d’histoire de la femme dans la société, d’histoire du regard porté sur la féminité, d’histoire du féminisme.

Une Vie de Moche © Marabulles
François Bégaudeau : la laideur
François Béaudeau : du cas particulier au féminisme

A partir d’un cas particulier, il s’agit donc pour les auteurs, le scénariste-écrivain François Bégaudeau et la dessinatrice Cécile Guillard, de parler du regard… Celui qu’on pose, toutes et tous, sur ceux qui nous entourent, et qui, presque toujours, est un regard-jugement… Ils ont voulu aller au-delà des apparences, en les dénonçant, mais, aussi et surtout, en nous montrant qu’au fil du temps, ces apparences, ces codes de vivre-ensemble, changent.

Et à ce titre, le dessin de Cécile Guillard est particulièrement efficace. Lecteur, devant le visage de Guylaine qu’elle dessinne, on se pose la question de savoir pourquoi elle se trouve laide… Et le dessin de Cécile Guillard ne la montre laide, vraiment, différente en tout cas, qu’au fil du temps, qu’au moment de l’âge mûr. Vieillir, pour le personnage central de ce livre, c’est s’enfoncer d’abord dans sa différence, avant de pouvoir se découvrir d’autres horizons, d’autres miroirs. Plus qu’un livre sur un parcours humain, il s’agit ici d’un livre sur le temps qui passe et sur les codes humains qui changent…

Une Vie de Moche © Marabulles
Cécile Guillard : dessiner les âges de la femme
Cécile Guillard : la couleur

Abordant une soixantaine d’années de l’existence d’une femme, de l’évolution d’une société, ce roman graphique se devait de ne pas être simpliste tout en allant à l’essentiel du propos sans se perdre en chemin. C’est pour cela que le texte y a énormément d’importance. Bien sûr, il n’évite pas les stéréotypes, puisqu’il est aussi le regard d’un auteur masculin sur le trajet humain d’une femme. Mais il s’efforce, avec réussite, à nous montrer l’image d’une société qui minimise la femme et en fait, au sens large du terme, un objet de désir. Avec réussite, oui, puisque les auteurs nous racontent et nous montrent qu’il est possible de sortir du canevas des conventions sociétales.

Le texte, vous l’aurez compris, est un texte vraiment écrit. Un texte qui s’envole vers des notions philosophiques comme l’existentialisme : l’être et le paraître !

Une Vie de Moche © Marabulles
François Bégaudeau : le langage
François Bégaudeau : le regard et l’existentialisme

Même si cet album pèche par une sorte de manichéisme, ou, plutôt, de volonté à tout prix de convaincre, son propos sur la « différence » est important, au travers d’un texte extrêmement construit, au travers d’un graphisme au sépia envoûtant et d’une belle efficacité, au niveau des regards par exemple.

Et j’ai aimé aussi la relation à l’Art qui ponctue ce livre, et qui montre que, finalement, tout acte créatif est libérateur !

Jacques Schraûwen

Une vie De Moche (dessin : Cécile Guillard – scénario : François Bégaudeau – éditeur : Marabulles)

Une Vie de Moche © Marabulles
La Vie Hantée D’Anya

La Vie Hantée D’Anya

Anya est une adolescente presque comme toutes les adolescentes… Mais elle est d’origine russe, elle vit aux Etats-Unis, et elle a pour amie un fantôme… Tout cela se mêle à un quotidien pas toujours aisé à vivre !

Vera Brosgol, l’auteure de ce livre, y parle de ce qu’elle connaît, puisqu’elle est arrivée de Russie à l’âge de cinq ans : Anya, incontestablement, doit lui ressembler énormément !

La Vie Hantée D’Anya © Rue De Sèvres

L’adolescence n’est jamais facile à vivre. La difficulté est encore plus grande quand on a un « accent », quand on se sent mal dans sa peau à cause de ce qu’on pense être quelques kilos en trop, quand, dans le cadre scolaire, on ne se sent pas vraiment dans son élément, quand on fume pour faire comme tout le monde, quand, enfin, les voies de l’amour et de l’amitié ne sont pas évidentes à défricher, loin s’en faut !

Mais sa vie va changer du tout au tout, grâce (ou à cause ?…) d’un accident… Elle tombe dans une sorte de puits naturel, elle se blesse, et, allumant son briquet, elle découvre un squelette… Un squelette dont émane la forme translucide d’un fantôme, d’une jeune fille qui lui dit être morte assassinée il y a un siècle.

On sauve Vanya qui, sans s’en rendre compte, emporte un petit os du squelette de « son » fantôme. Un fantôme, dès lors, qui peut quitter son antre et accompagner l’adolescente dans sa vie de tous les jours.

L’accompagner, et l’aider, scolairement entre autres. L’aider, aussi, à oser aborder un garçon qui fait frissonner son cœur.

Nourrie de légendes et de fantastique, Vanya va décider de mener son enquête sur l’assassinat de son invisible amie, persuadée qu’en découvrant qui l’a tuée, cela va lui permettre de trouver la paix, définitivement.

Mais ce dont Vanya ne se rend pas compte, c’est que ce fantôme, Emily, la coupe peu à peu de ce qu’étaient ses quotidiens, ses habitudes. Et peu à peu, elle se rend compte que quelque chose cloche… Les conseils amoureux de la diaphane Emily la poussent presque dans les bras d’un garçon au machisme évident, qui collectionne les aventures sexuelles en se fichant de tout sentiment.

Et ce qu’elle découvre, dans les archives du journal local, au sujet du passé d’Emily va pousser Alya à agir, à se battre, à se retrouver elle-même, tout en changeant son regard sur les autres.

La Vie Hantée D’Anya © Rue De Sèvres

C’est un album sympathique, au rythme parfaitement maîtrisé. Une histoire qui commence comme un conte, qui continue comme une quête identitaire, qui se termine dans le fantastique le plus noir. Et tout cela est traité par Vera Brosgol avec un dessin clair, en noir et blanc, qui mêle les influences du comics à l’américaine (mais sans effets spéciaux) et la simplicité des mangas (mais sans simplisme).

C’est un roman graphique vif, sans ostentation, qui nous montre, le plus naturellement du monde une aventure qui n’a rien de naturel mais qui, pourtant, se révèle être le récit d’une évolution humaine au travers de ses rencontres, de ses peurs, de ses sentiments.

C’est un petit roman graphique accessible à tous les jeunes de l’âge de Vanya, et à leurs parents aussi !

C’est une très bonne surprise ! Avec une belle osmose entre le graphisme et l’écriture…

Jacques Schraûwen

La Vie Hantée D’Anya (auteure : Vera Brosgol – éditeur : Rue De Sèvres – 223 pages – date de parution : août 2019)

La Vie Hantée D’Anya © Rue De Sèvres