Depuis l’aube des temps, l’être humain a cherché de quoi expliquer son existence… De quoi accepter une destinée déraisonnable en se créant mille et une croyances. Parmi celles- ci, les astres et leurs influences ont toujours eu énormément de succès !
Il fut un temps où, pour de simples raisons alimentaires, je rédigeais chaque mois, dans des revues érotiques, un horoscope… Signe par signe… Sans y croire du tout, et m’étonnant des « retours » qui m’étaient faits sur la justesse de mes observations plus ou moins ésotériques… En fait, cela m’amusait… Oui, je m’amusais à écrire un peu n’importe quoi, en sachant que d’aucuns et d’aucunes allaient se reconnaître dans mes mots sans d’autre base que mon imagination.
Eh bien, Bruno Gilson, dessinateur quelque peu iconoclaste, fait de même dans ce livre bien plus souriant qu’érotique. Quoique… Les « profils » de chaque signe sont, bien évidemment, axés sur la chair et ses plaisirs, le tout illustré par des pin-up aux atours à peine présents, aux atouts, donc, dévoilés impudiques et charmeurs… Les dessins de Gilson, dans la filiation évidente avec Walthéry (qui a quelque peu participé à cet album, d’ailleurs), sont sexy, sans aucun doute. Plus que cela, même ! Ils rendent hommage à une féminité quelque peu caricaturale sans doute, mais avec un sens de la dérision et du second degré bien assumé.
Les dessins s’amusent, comme le texte… A rêver, érotiquement, à parler plus de lit que d’ambitions humaines… A balader les héroïnes « astrales » dans des décors et des lieux qui, symboliques de différentes mythologies, de différents pays, ne sont là que pour accentuer encore un peu plus les plastiques de ces jeunes femmes si peu farouches, mais dont on devine qu’elles sont infiniment plus maîtresses que soumises.
Du côté des textes, Gilson s’essaie parfois à une forme poétique érotique elle aussi… Mais, surtout, il part des commentaires habituels dans vos journaux ou sur certaines antennes radios, pour les détourner avec une sorte de délectation adolescente…
Cela dit, je ne peux que m’étonner qu’un éditeur laisse passer des fautes d’orthographes grosses comme des maisons !
Mais bon, ne boudons pas notre plaisir, dans une société où le plaisir, justement, se retrouve de plus en plus vilipendé par la « bonne pensée » !
Un livre-disque pour enfants, « à l’ancienne » ! Un premier chapitre qui met en place des personnages qui ont tous un beau relief ! Une vraie réussite !!!
Les plus anciens se souviennent de ces disques vinyles pour enfants qui étaient en même temps des livres illustrés, souvent des « Disney », de petit format… On écoutait l’histoire, on la suivait en tournant les pages. Sans télé, sans consoles, on s’enfouissait dans des mondes nouveaux, toujours renouvelés, ceux de l’imaginaire. Ceux de l’enfance…
« Zélie la pirate », c’est donc une sorte de retour aux sources des âges premiers de l’existence, ces âges qui ont le besoin de pouvoir rêver, de pouvoir s’inventer sans cesse, de pouvoir s’émerveiller.
Bien sûr, n’oublions pas « Emilie Jolie », l’espèce de symphonie de l’époustouflant Philippe Chatel, ni, plus récemment, « Le soldat rose ». Mais il s’agissait là, dès le départ, de contes pour enfants imaginés comme des spectacles.
Avec Zélie, tel n’est pas le cas.
C’est un livre, un livre audio, avec une histoire construite, avec des chansons, mais surtout avec une aventure, une vraie, à taille d’enfance !
Zélie, c’est une adolescente qui, du haut de ses quinze ans, vit dans une famille décomposée. D’un côté, sa mère, commerçante tranquille. De l’autre, son père, Pirate de haute volée. Elle passe la moitié de son temps chez l’un, l’autre moitié chez l’autre, et ses préférences vont, incontestablement, à l’univers marin de son père, le capitaine Mac Pherson. Mais ce père ne veut pas que sa fille suive le même chemin que lui, et il la confie, loin des combats possibles, à un homme d’équipage, Barbemolle, et à un perroquet géant, Hashtag.
Vous voyez, tous les ingrédients d’une bonne histoire de pirates sont en place. Il n’y manque qu’un méchant, qui va prendre les traits de Charles de la Mare de l’Etang Sec, second du capitaine.
Dès lors, il va y avoir kidnapping du perroquet, explication du secret de navigation du père de Zélie, et, bien évidemment, combat à l’épée qui va prouver que Zélie a tout pour être une grande pirate et prendre le relais de son père, très bientôt ! Il va y avoir aussi le premier amour de Zélie, sa première déchirure amoureuse, également, et la découverte des papillons dans la tête et de l’horreur de la trahison, et la conscience que la vie se doit de dépasser les seules apparences…
Ce conte musical et écrit est le fait de quatre personnes, de quatre complices : Aurélie Cabrel, Esthen Dehut, Bruno Garcia, et Olivier Daguerre.
C’est vraiment toute une équipe qui est aux commandes de ce livre-disque, dans sa conception comme dans sa réalisation, avec des musiciens talentueux. C’est vrai qu’on s’attarde surtout, quand on parle de cette pirate Zélie, sur une des auteurs : Aurélie Cabrel. Mais c’est une erreur… Certes, il s’agit de la fille de Francis Cabrel (qui signe une courte préface et gratte un peu de la guitare dans le disque), mais ce livre ne doit rien à cette filiation médiatisée.
C’est un excellent livre-disque, un récit linéaire avec un beau lot d’action et de bons sentiments, avec des chansons bien écrites, littérairement et musicalement, avec des illustrations souriantes et superbement colorées, qu’on doit à Guylaine Lafleur et Aurélie Cabrel. Et j’aime assez la voix de la chanteuse, Nathalie Delattre, qui a un timbre rieur proche de celui de Sabine Paturel.
N’hésitez pas, donc, à offrir ce livre à vos enfants et petits-enfants, à le lire et l’écouter en leur compagnie, devant un poste de télé éteint… En attendant que paraisse le deuxième chapitre d’une bien belle découverte !
Et n’hésitez pas non plus à aller voir la « bande de lancement de cet audio-livre plus que souriant !
Jacques Schraûwen
Zélie la pirate : chapitre 1 (auteurs : Aurélie Cabrel, Esthen Dehut, Bruno Garcia, et Olivier Daguerre – éditeur : Baboo Music)
Un personnage sombre, cruel, fidèle à la nouvelle qui lui a donné vie !
C’est en 1924 que le Comte Zaroff a vu le jour, dans une nouvelle de Richard Connell. C’est en 1932 que ses chasses ont fait l’objet d’un film. Et voilà aujourd’hui ce tueur impitoyable au centre d’une bd aux accents violents…
1932… Le général Zaroff cultive sa nostalgie de la grande Russie dans une île au large des côtes du continent américain. Entouré de quelques fidèles et de ses chiens, il passe le temps avec une sorte de noblesse détachée. Il passe le temps, surtout, en assouvissant le plus souvent possible ses talents de chasseur, ses besoins pervers de traquer des proies particulières. Des proies humaines…
Dans cet album, ce personnage pratiquement psychopathe n’est pas à l’image de ce que le film en a fait dans les années trente. Pour Sylvain Runberg et François Miville-Deschênes, les deux auteurs de ce livre, il s’agissait, d’abord et avant tout, de revenir aux sources originelles de cet anti-héros, tueur en série pour le plaisir de faire et de voir souffrir son humain gibier.
L’alchimie qui permet à un album bd de « sortir du lot » est indéfinissable, bien entendu. Certains éléments, par contre, sont importants pour que tel soit le cas. Et parmi ceux-ci, il en est un, essentiel : la création d’un ou de plusieurs personnages, caractères même, attachants pour de bonnes ou mauvaises raisons !
Et il ne fait aucun doute que la stature de Zaroff en fait un axe central puissant, intéressant. Et formidablement ambigu, également !
Ce qui est étonnant, dans ce livre, d’ailleurs, c’est qu’il n’y a pratiquement que des « méchants »… Ce sont eux, en tout cas, qui construisent l’action, qui créent la narration: Zaroff, bien sûr, mais aussi un des hommes qu’il tue, dès les premières pages et qui s’avère être un mafieux notoire, et, enfin, la fille de ce mafieux, la belle Fiona.
Au début du livre, on voit Zaroff plonger dans une sorte de dépression, à la suite d’un échec dans une de ses chasses. Ensuite, à l’arrivée de Fiona, tous ses instincts se réveillent. Mais du fait même de son ambiguïté, on ne saura jamais vraiment s’il prend la défense de sa famille, menacée par Fiona et sa bande, ou par goût du défi et par plaisir de la chasse !
La totalité de ce récit, ou presque, se vit (et se meurt…) dans la jungle. Pour rythmer l’action, il a fallu aux deux auteurs un sens aigu du dialogue, avec des mots qui, d’une certaine manière, s’échappent de la moiteur et de l’horreur pour tisser quelques ponts entre hier, cette dictature de la terreur incarnée par Zaroff, et le monde d’aujourd’hui. C’est que Zaroff, noble russe, est un être extrêmement cultivé. Et c’est peut-être cette culture, et son amour pour les écrits de Marc-Aurèle, qui, justement, nous le rendent intéressant à défaut d’être sympathique.
Ce qui m’a frappé aussi, dans ce livre, c’est la présence des animaux. Compagnons de la jungle, certes, mais aussi compagnons de l’homme, de Zaroff, allant de la fidélité à la haine, et toujours nourris de cruauté, celle de l’homme ou celle de la nature et de ses lois immuables. Il y a les chiens et les jaguars, superbement dessinés, et les crocodiles. Ils participent tous à la haine et à la cruauté qui forment véritablement la trame de fond de ce récit. Il y a la vie, il y a la mort…
Trois narrations, en fait, construisent cet album. Il y a le scénario lui-même, d’abord, Il y a le dessin, ensuite. Il y a enfin la couleur. Et ces trois nécessités narratives se superposent avec une seule et même volonté, celle de la gradation… Gradation des mots, des situations, du trait, de la mise en couleurs… Et c’est cet ensemble qui, d’ailleurs, fait la vraie qualité de ce livre. Un livre qui peut, c’est vrai, mettre mal à l’aise, un livre qui, reconnaissons-le, s’apparente parfois, au fil des scènes pratiquement cinématographiques, à un certain cinéma de série Z… Mais un livre qui se lit malgré tout avec plaisir. Celui des yeux, aussi, devant un dessin réaliste aux visages particulièrement et extrêmement expressifs ! Miville-Deschênes adore dessiner les animaux, il adore aussi dessiner les regards!…
Même si on peut regretter quelques raccourcis dans le scénario, à la fin surtout, ce Zaroff ne manque pas d’intérêt. Tueur en série à l’infinie cruauté, assassin par désir, homme de pouvoir aux sentiments à la fois absolus et ambigus, il est omniprésent dans ce livre. Il est le cœur du récit. Et la fin de cette histoire est une superbe fin « ouverte », qui donne l’envie de savoir ce que Zaroff, dans ces années trente aux USA, va devenir…
Jacques Schraûwen
Zaroff (dessin: François Miville-Deschênes – scénario: Runberg et Miville-Deschênes – éditeur: Le Lombard)