Les Editions Paquet et les voitures

Les Editions Paquet et les voitures

Trois albums délassants

Paquet©Paquet

LISEZ ! C’est et ce sera toujours la manière la plus agréable, la plus intelligente, la plus culturelle de passer le temps ! LISEZ pour le plaisir, simplement. LISEZ en n’hésitant pas à commander à votre libraire les livres qui vous attirent.

Betsy 3 © Paquet

Les Aventures de Betsy : 3. Contre La Montre

(dessin : Jérome Phalippou – scénario : Olivier Marin – couleurs : Fabien Alquier – éditeur : Paquet – 56 pages – avril 2019)

Betsy, jeune femme blonde aux appas évidents, ne vit que pour l’automobile. Ce sont les vieilles voitures, en effet, qui la font frémir. Et c’est en allant chercher une superbe Talbot pour le riche collectionneur Fritz Schlumpf qu’elle va se retrouver au sein d’une aventure qui va mêler espionnage, URSS, course automobile, prison, prise d’otage et poursuites endiablées !

Betsy 3 © Paquet

Betsy en est à sa troisième aventure. Et elle retrouve dans cet album une autre héroïne des éditions Paquet, la brune journaliste Margot.

Cette série met en évidence, d’abord et avant tout, des modèles de voiture assez exceptionnels, avec, en outre, un petit dossier qui termine l’album et qui concerne trois des modèles découverts au fil de l’aventure de Betsy.

Le dessin est vif, les personnages sont souvent cadrés de près, la couleur aime jouer avec les ombres, et le scénario, qui aurait pu être touffu, voire confus, parvient sans peine à être accessible. C’est de la bonne bd de distraction, une distraction bienvenue en ces temps de confinement !

Gipar 8 © Paquet

Une Aventure de Jacques Gipar : 8. L’Écho De La Taïga

(dessin : Jean-Luc Delvaux – scénario : Thierry Dubois – couleur : Béa Constant – éditeur : Paquet – 48 pages – janvier 2020)

Nous sommes en 1956. Le Camarade Staline est mort il n’y a pas très longtemps. Jacques Gipar, journaliste d’investigation, enquête sur le kidnapping de la fille de Vladimir Ouliakoff, Russe Blanc patron du journal « L’écho de la Taïga. Une enquête journalistique musclée, avec coups de feu, espionnage et attentats, avec une belle Russe pour aider Jacques Gipar, avec des communistes zélés et des policiers qui ne le sont pas assez. Et avec, bien entendu, des poursuites en voiture au long des rues de Paris. Mais ici, pas de bolides, mais des voitures « normales » dans ces années-là.

Gipar 8 © Paquet

Les éditions Paquet, depuis leur tout début, adorent les voitures, et il y a un petit côté nostalgique, toujours, avec la série « Jacques Gipar ». Un côté nostalgique aussi au vu du scénario et du dessin qui lorgnent, de manière totalement assumée, vers la bd des années 50/60. Ce n’est pas du Gil Joudan, c’est évident, cela n’en a pas le génie graphique et scénaristique, mais c’est de la bonne bd, passionnante, entraînante, avec un dessin et un scénario parfaitement efficaces. Peu de décors, le récit servant surtout à nous montrer des voitures qui, ainsi, deviennent personnages à part entière.

Ce n’est pas un one-shot… Et on ne peut qu’attendre la suite avec une certaine impatience !

Caldi 8 © Paquet

Mauro Caldi : 8. La Mamma

(dessin : Michel Constant – scénario : Denis Lapière – couleur : Béa Constant – éditeur : Paquet – 48 pages – septembre 2019)

Et nous voici encore dans les années 50. Et nous voici toujours dans le monde de la voiture, de la course automobile plus particulièrement. Mais avec une série qui met moins en évidence la voiture que la passion qu’on peut éprouver pur elle. Mauro Caldi est un amoureux de la conduite automobile, en effet, et cette passion l’entraîne depuis huit albums déjà dans des aventures souvent à la frontière de la loi. Et c’est encore le cas ici, avec un mafieux notoire, possesseur d’une belle collection de bolides, dont une Ferrari qui va participer au grand prix de Monza. Rouler sur ce circuit mythique, c’est un des rêves du du jeune Mauro Caldi. Et pour pouvoir le réaliser, il va accepter la proposition de Don Rossellini : s’occuper pendant toute une journée de la mère de ce mafieux, une Mamma à l’italienne, comme dans les films de Fellini… Bien entendu, tout ne va aller comme sur des roulettes, loin s’en faut ! Il va y avoir de la castagne, des poursuites, un cadavre (peut-être) dans le coffre d’une voiture, l’une ou l’autre histoire d’amour… et énormément d’humour, comme toujours dans cette série !

Caldi 8 © Paquet

Michel Constant et Denis Lapière « tiennent » parfaitement leur personnage et l’époque de ses exploits. Il n’y a pas de temps mort, il y a un dessin qui aime s’approcher du plus près des personnages, qui aime aussi les décors. Il y a un scénario qui s’axe d’abord et avant tut sur les personnages.

De ces trois albums dont j’avais envie de vous parler aujourd’hui, c’est incontestablement celui que je préfère, celui qui, tout en étant un parfait divertissement, nous offre aussi le portrait d’une région et d’une époque pas tellement lointaine…

Jacques Schraûwen

Bastien Vivès : trois livres pour un érotisme réinventé…

Bastien Vivès est un auteur superbement doué. C’est aussi un artiste qui refuse toute routine. Et il le prouve dans trois livres étonnants, à ne surtout pas mettre entre toutes les mains : « Le Chemisier », « Petit Louis » et « La décharge mentale ».

Le Chemisier © Casterman

Le Chemisier (éditions Casterman)

Séverine est une étudiante comme toutes les étudiantes. Ou presque… Elle a l’impression, souvent, d’être invisible, de n’avoir, dans l’existence des autres, à commencer par celle de son compagnon, aucune importance, aucune utilité.
A l’occasion d’un baby-sitting, la petite fille dont elle s’occupe est malade et vomit sur elle. Elle reçoit un chemisier banc, en soie, pour rentrer chez elle. Et c’est à partir de ce moment que les regards vont enfin se poser sur son corps, s’intéresser à ce qu’elle est… Les regards d’un prof, des amis, des passants, d’un flic rencontré par hasard. Ses propres regards, aussi, aux miroirs de ses quotidiens.
L’habit fait le moine… La soie, en tout cas, donne peu à peu à Séverine une confiance en elle qui l’étonne et qui, progressivement, lui offre des désirs de liberté, dans tous les domaines de l’existence.
Autour d’elle, tout le monde semble sans cesse  » branché  » : internet, téléphone, téléchargements, télé, tablette… Avec son chemisier, Séverine apporte dans ce monde, qui était le sien, une ouverture, une porte vers le réel, ce réel fait de chairs, fait de mots, fait de plaisirs à créer.
Elle perd toutes ses inhibitions, ses tabous, et, avec la logique de son corps trop souvent oublié, par les autres comme par elle, Séverine se lance à la découverte de sa sexualité, elle se fait exploratrice de la jouissance et du partage de sentiments et/ou de sensations…
Ce  » Chemisier  » est un album érotique, oui, sans aucun doute, avec une narration graphique efficace et limpide… Une narration, oui, parce que l’érotisme, finalement, n’est dans ce livre qu’un des axes du récit.  » Le Chemisier  » nous parle d’aujourd’hui, du regard, de l’amour, de l’actualité, de la souffrance, du désamour, de l’éducation et de l’éveil à la sexualité, du féminisme aussi. Et de la lente déshumanisation due à des progrès technologiques qui oublient l’humain et ses partages…


Le Chemisier © Casterman

 

Petit Paul (éditions Glénat)

Avec ce livre-ci, c’est de manière totale que Bastien Vivès nous livre une série de tableaux intimes résolument et profondément érotiques, pornographiques même. Mais à la façon d’un Apollinaire, celui des  » Mémoires d’un jeune Don Juan « . C’est-à-dire avec démesure, avec un humour de situation qui désamorce un propos qui, autrement, aurait été peut-être trop direct.
Petit Paul est un garçon de la campagne quelque peu différent de ses petits camarades… La nature l’a en effet doté d’un organe intime d’une taille plus qu’imposante, et d’une réactivité exceptionnelle à toute présence féminine quelque peu libérée et dénudée.
Bien entendu, on peut s’étonner que Bastien Vivès ait choisi un enfant comme héros charnel de ce livre. Mais il s’agit, pour lui, de s’inscrire dans la grande tradition d’un érotisme à la française, qui eut ses beaux jours au début du vingtième siècle. Et la dérision qui accompagne chaque petite tranche de vie de ce Petit Paul fait sourire avec délice souvent ! Petit Paul est le récit d’un éveil, éveil à la vie et à tous ses délires… Un éveil dans lequel la morale n’a pas grand-chose à voir… Ni le sérieux, d’ailleurs !

 

Petit Paul © Glénat

La décharge Mentale (éditions bd-cul)

Cette petite maison d’édition annonce la couleur tout de suite, c’est évident !
Mais avec Bastien Vivès, il y a toujours de l’étonnement au rendez-vous, et des références aussi…
L’histoire est simple, linéaire. Roger, déprimé, rencontre, par hasard, Michel, un ami qu’il n’a plus vu depuis des années. Et Michel ramène son copain retrouvé jusque chez lui. Et là, il fait la connaissance de l’épouse de Roger, et de ses trois filles… Un quatuor de charme, un quatuor qui semble ne fonctionner, intellectuellement et socialement, qu’au travers du plaisir sexuel. Un plaisir à donner plus qu’à recevoir. Ces quatre femmes, aux âges très différents les
uns des autres, sont un peu les vestales de l’amour physique autant que des hommes à qui elles offrent leurs talents.
Ici aussi, la référence littéraire est bien présente. On ne peut pas ne pas penser à Pierre Louÿs et à son livre  » Trois filles de leur mère « .
Mais là où, avec Pierre Louÿs (et ceux qui l’ont illustré, comme Pichard, entre autres), le sexe à la chaîne prenait une allure vénale, triviale, là où l’humour était souvent scatologique et exclusivement provocateur, ici, le talent de Bastien Vivès est, encore une fois, de nous offrir des portraits plus que des actions, et de le faire avec un humour décalé qu’il prend plaisir, sans aucun doute, à souligner dans les expressions des visages de ses protagonistes… Et même si l’action  » X  » est bien présente, Bastien Vivès parvient à nous parler de la famille, du rôle de l’homme, et de la nécessité de ne pas vouloir imposer à l’être aimé sa propre notion de l’amour.

 

la décharge mentale © BD-Cul

 

Trois livres, assez différents les uns des autres… Trois livres qui illustrent la phrase d’André Breton : « la pornographie, c’est l’érotisme des autres »…
Trois livres qui ont pourtant plusieurs points communs.
Le sexe, l’érotisme, et, oui, la pornographie, d’abord. Ce ne sont pas des albums immoraux, mais bien plus amoraux. Et c’est, outre le dessin de Vivès, une des grandes qualités de ce trio d’albums que cette attaque souriante, presque rabelaisienne des codes du bien-penser…
Un autre point commun, c’est la référence constante à quelques dessinateurs, comme Varenne qu’il faudra bien un jour ou l’autre redécouvrir !
Il y a aussi les découpages cinématographiques de Bastien Vivès, qui impriment un rythme à la fois soutenu et aérien à son dessin et à ses récits.
Et puis, il y a, avouons-le, une obsession assumée pour les appas féminins opulents… Une obsession qui fait penser, ma foi, à Tex Avery…
Trois livres, donc, étonnants, presque complémentaires tout compte fait…
A réserver, c’est une évidence, à un public adulte ! Et tolérant…

Jacques Schraûwen

Le Dernier des Mohicans et Carmen

Le Dernier des Mohicans et Carmen

Deux romans exceptionnels, deux illustrateurs tout aussi extraordinaires… Des cadeaux somptueux à faire, et à se faire !…

 

Carmen (auteur : Prosper Mérimée – illustrateur : Benjamin Lacombe – éditeur : Soleil/Métamorphose)

 

Carmen©Soleil/Métamorphose

 

On ne peut pas dire que Prosper Mérimée, auteur pourtant adulé au dix-neuvième siècle, soit encore beaucoup lu de nos jours… On retient de lui ce fameux titre, Carmen, moins à cause de sa longue nouvelle qu’en raison de l’opéra de Bizet.

Pourtant, cet opéra n’est, finalement, qu’une adaptation très succincte du livre originel. Bizet et son librettiste n’ont retenu, finalement, que le côté « grand spectacle » de l’histoire racontée par Mérimée, son aspect romanesque, voire romantique.

Et il est vrai que, par la trame de ses constructions littéraires, par la façon dont Mérimée amène le lecteur à une conclusion souvent tragique, cet écrivain peut se rattacher à l’école romantique. Mais il s’en écarte résolument par ce qu’on pourrait appeler un manque de style et qui n’est qu’une façon simple de transposer en mots les réalités qu’il a croisées. A ce titre, il se révèle plus réaliste que romanesque.

Dans « Carmen », il s’agit pour lui de nos conter, certes, l’histoire d’une femme fatale, d’un grand bandit amoureux de cette femme, et d’un narrateur qui, tout en racontant ce qu’il vit et a vécu, se veut observateur plus qu’acteur. Là, Mérimée touche presque à la tragédie à la grecque, le chœur étant occupé par tous les personnages secondaires.

On peut dire de Mérimée qu’il était un puriste de la langue, bien plus que Victor Hugo qui, d’ailleurs, ne l’estimait que bien peu ! Puriste, oui, parce qu’il ne s’est jamais emberlificoté dans des grandes tirades, préférant la formule rapide, celle qui, en un éclair, définit un paysage, une sensation, une péripétie…

Le plus beau des hommages qui lui a été fait a sans doute été de l’essentiel Paul Léautaud, qui disait de lui que ses livres ressemblaient à « une causerie », et qu’ils avaient ainsi une « grande chance » d’être des chefs-d’œuvre »…

Cet album-ci, réalisé avec soin, tant dans la présentation que dans le fond, vient donc à son heure pour rappeler que le roman du dix-neuvième siècle n’a rien, finalement, de désuet ou d’obsolète.

Et quand je parle de la forme de ce livre, je parle, bien évidemment, des illustrations de Benjamin Lacombe, un auteur dont la personnalité jaillit autant dans ses dessins en couleur que dans ses dessins en noir et blanc. On peut retrouver chez lui une filiation avec les grands peintres du dix-neuvième siècle qui, comme Mérimée en littérature, étaient capables, en quelques traits, en quelques lumières, de définir totalement un sujet. Je pense à Rops, par exemple…

 

 

Le Dernier des Mohicans (auteur : James Fenimore Cooper – illustrateur : Patrick Prugne – éditeur : Margot)

 

 

 

Le Dernier des Mohicans© Margot

 

Rien que de voir le titre de ce livre me sont remontées en mémoire bien des sensations, bien des nostalgies. Je devais avoir quelque chose comme dix ou onze ans quand j’ai lu ce roman, dans une édition, je m’en souviens parfaitement, à la reliure ressemblant à du cuir rouge…

C’était pour moi l’époque des films de cow-boys, ceux avec Gary Cooper ou James Stewart. Ces films épiques et souvent manichéens avec les bons Américains et les mauvais Indiens !

Et voilà que Fenimore Cooper, en racontant une histoire, elle aussi épique, remettait en quelque sorte en perspective mes certitudes enfantines. Il y avait des Indiens nobles, et d’autres pas, tout comme des hommes blancs dignes et d’autres répugnants…

C’est dire que, écrit au début du dix-neuvième siècle, ce roman dénotait, par un vrai sens de l’humanisme et de la tolérance, avec les productions littéraires de l’époque lorsqu’elles s’intéressaient aux « sauvages » à la peau rouge !

Historique de par sa trame, la guerre entre Français et Anglais à même le territoire du nouveau monde, ce livre est, de par sa forme, un véritable livre d’aventures… On y parle de haine, de tendresse, de courage, de vengeance, de luttes, de rencontres humaines capables de dépasser les simples différences de la langue ou de la race… On y parle de mort, aussi, synonyme de fin d’un peuple, donc d’une culture, donc d’un patrimoine… Autant de thèmes, en définitive, extrêmement actuels !

Et dans cette édition-ci, ces thèmes sont illustrés par un des tout grands noms de la bande dessinée et de l’illustration, Patrick Prugne, un dessinateur amoureux depuis totalement du monde des premiers habitants de l’Amérique et du Canada. Avec un sens du mouvement, avec un plaisir à dessiner des visages, avec un bonheur à éviter de temps à autre la couleur pour nous révéler, en des noirs et blancs presque discrets, toute l’étendue de son talent, Prugne parvient, entièrement, dans ce livre, à nous le rendre lisible, à le dépoussiérer…

 

Ne passez pas à côté de ces deux livres… Loin de toute nostalgie, en fait, ils sont des portes ouvertes sur l’imaginaire, le rêve, et le talent !

 

Jacques Schraûwen