Il avait 69 ans. Imprégné de la culture japonaise, il est un des rares mangakas à avoir réussi à rendre ses livres totalement universels, sans jamais renier qui il était ni où il vivait !
On a souvent dit de lui qu’il était le plus européen des auteurs de bande dessinée japonaise. Et c’est vrai que c’est en Europe, grâce entre autres à Moebius (qui, par ailleurs, lui avait écrit un scénario…), que ce Japonais tranquille, serein, presque effacé même, c’est vrai que c’est dans la vieux continent qu’il a atteint une vraie notoriété.
D’abord, sans doute, parce qu’il s’est toujours démarqué de l’espèce de démesure caricaturale de la grande majorité de ses collègues auteurs de mangas. Même lorsqu’il a abordé des histoires de samouraïs, c’était avec une certaine retenue graphique, refusant le spectaculaire jusque dans les combats. Pourtant, pas question de parler de style épuré lorsqu’on veut définir son dessin ! C’est un graphisme clair, sans ostentation, qui s’intéresse en même temps, et c’est là une particularité rare dans le monde du neuvième art, en même temps, oui, et avec la même intensité, à ses personnages et aux environnements dans lesquels ils évoluent, vivent, et s’émerveillent…
L’émerveillement, oui, celui de la poésie quotidienne, celui d’un regard toujours capable de s’étonner devant un objet, un plat, un enfant, une vieille personne croisée, un chien…
La manière simple et immédiate dont Taniguchi dessinait lui a permis de construire des scénarios toujours exclusivement à taille humaine. Dans tous les mondes qu’il a abordés, et ils sont nombreux, il a toujours réussi à éviter l’écueil du tape-à-l’œil. Western, polar, livre de samouraïs, errances aux routines de la ville, tout lui était prétexte, le plus simplement du monde, à décrire de la beauté les mille méandres.
Avec Jirô Taniguchi disparaît un artiste complet, un de ces hommes qui, jamais, ne disparaissent derrière leur œuvre.
De » L’homme qui marche » au » Sommet des dieux « , de » La montagne magique » aux » Années douces « , de » Tomoji » à » Quartier lointain » et au » Gourmet solitaire « , la marque de talent, de génie d’écriture et de narration qu’il a imprimée dans cet art que l’on dit neuvième, cette marque-là restera à l’instar des plus grands, de Franquin à Eisner, en passant par Hergé et quelques autres…
Jacques Schraûwen