Guy – un film étonnant aux envoûtements tranquilles…

Guy – un film étonnant aux envoûtements tranquilles…

Oui, voici une chronique qui n’a strictement rien à voir avec la BD ! Mais ne vous en étonnez pas, pas trop en tout cas.

Au profond de ce site, je parle essentiellement, il est vrai, de bande dessinée. Mais ce qui m’intéresse, dans la vie, de plus en plus, c’est de partager mes coups de cœur, nés du hasard bien souvent. Et ce film, qui date de 2018, en fait partie, croyez-moi !

copyright Lutz

Le temps ne nous a pas permis, à mon épouse et moi, de reprendre avec passion les chemins des salles obscures. Ce qui nous y attirait, jeunes mariés, c’étaient des films d’auteur… Bunuel et les charmes cyniques de sa bourgeoisie, Zulawski et ses œuvres hystériques et largement surfaites, les Kurosawa, les Fellini, les Bergman, les films de Deville…

Les années passant, pour mille et une raisons, c’est chez nous, sur notre petit écran, que nous avons continué à suivre l’évolution du cinéma. Enfin, quand je dis « évolution », c’est pour ne pas utiliser un terme plus cru ! Avec, quand même, l’utilisation des VHS et des DVD !

Mais on avait envie, vraiment, profondément, non pas de retrouver notre jeunesse, mais de retrouver le plaisir de la découverte en allant voir des films « différents », sans super-héros, sans scénarios tous semblables, sans « remake » imbéciles du style du pitoyable West Side Story…

Et GUY faisait partie des films qu’on a eu envie de voir, grâce aux bandes annonces, grâce à son thème qui lorgnait vers certaines techniques narratives de Godard, avant qu’il se prenne pour lui-même. Et puis, ce titre nous faisait penser à un ami, un vrai, toujours présent dans nos conversations de vieux couple malgré sa mort…

copyright lutz

Et donc, ce film a été télévisé, hier soir, sur la troisième chaîne de la rtbf.

Je me dois de faire un aveu, d’abord… Depuis le 18 mai dernier, la télévision ne fait plus du tout partie de mes quotidiens. Je n’ai plus réussi à regarder sur mon petit écran (pas si petit que ça…) une émission complète, un film jusqu’à sa fin, voire même un match de foot…

Et hier soir, dans mon fauteuil, je m’attendais à la même chose, à une lassitude rapide, à du zapping fatigué et fatigant.

Eh bien, ce ne fut pas le cas ! Le thème de ce film, son choix dans la construction, dans le découpage, ses interprétations surprenantes, l’utilisation d’une caméra subjective, tout cela réussit, de bout en bout, et sans final attendu, à créer une ambiance, d’une part, à tracer le portrait du vieillissement humain, d’autre part, à montrer aussi et sans aucun jugement de valeur l’importance que la chanson a dans la vie de tous les jours et de tout un chacun.

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Le thème est d’une belle simplicité

Gauthier, un jeune homme, a appris, à la mort de sa mère, qui était son père… Guy Jamet, chanteur qui eut ses succès importants dans les années 60-90. Et ce jeune homme va, sous le prétexte d’un documentaire, chercher à découvrir qui est ce père qui ne le connaît pas. Et ce sans lui dire jamais ce secret qui devrait ou qui pourrait pourtant les réunir.

Mais nous ne sommes pas dans un cinéma romantico-feel-good. Nous ne sommes pas dans du polar, non plus.

C’est un film-portrait… Ou plutôt, c’est un film qui parvient à dresser le portrait d’un homme au travers d’une suite de tranches de vie. Et, ce faisant, à esquisser en même temps le double paysage d’une époque révolue d’abord, celle la jeunesse de ce chanteur, et celui du monde actuel, ensuite, et de ses oublis.

France – 1h41 – sortie 29 aožt 2018 – 2018 – RŽalisateur: Alex Lutz – ScŽnaristes: Alex Lutz – Ana•s Deban – Thibault Segouin – LEGENDE PHOTO: Julien Clerc – Dani – Alex Lutz – AVEC: Alex Lutz: Guy – Dani: Anne-Marie – Julien Clerc –

On peut se dire que, de nos jours, la chanson est de plus en plus formatée… On peut se rappeler que, comme le dit Julien Clerc, la génération des chanteurs que représente, à sa manière, le personnage central de ce film, était une génération de femmes et d’hommes de scène beaucoup plus que de disques…  Julien Clerc, d’ailleurs, qui fait plus qu’une apparition dans ce film, le disait il y a peu dans une interview. Mais ce film d’Alex Lutz n’a rien de nostalgique. Il dresse un état des lieux, en quelque sorte, et, spectateurs, on ne peut que penser, au travers du personnage du chanteur Guy Jamet, à celles et ceux dont les musiques et les mots continuent à nous accompagner tout au long de notre vie… Comme Jean-Claude Rémy par exemple, qui fit l’objet d’une bd à ne pas rater de Didier Tronchet.

https://bd-chroniques.be/index.php/2020/11/16/le-chanteur-perdu/

https://bd-chroniques.be/index.php/2022/05/27/petit-eloge-de-la-chanson-francaise/

A sa sortie, je me rappelle que tous les médias ont mis en évidence la qualité exceptionnelle de l’interprétation d’Alex Lutz, acteur et réalisateur. Et c’est vrai qu’est fabuleuse sa façon de faire vivre un chanteur qu’on pense has been mais qui a toujours un vrai public, physiquement, dans ses mimiques, dans les mouvements incessants de sa bouche. C’est vrai aussi qu’Alex Lutz nous surprend par la vérité des chansons qu’il chante… Avec Julien Clerc, avec Dany… Et son interprétation extrêmement retenue de « Montréal » de Charlebois est un petit bijou.

Je n’irais pas jusqu’à dire que tout cela est superflu. Mais tout cela n’est là que pour mettre en évidence un homme, qui se sait artiste sans spécialement en avoir le don ou le talent, un homme qui a conscience de ses failles, un homme qui a aimé et qui continue à vouloir être aimé… Les présences sur l’écran de Nicole Calfan et Dany, à ce titre, réussissent la magie de faire comprendre ce que furent leurs passés communs avec une pudeur exemplaire, et sans aucun voyeurisme. Une fameuse gageure réussie alors que le traitement de ce film, la caméra-reportage dans tous les plans, était propice à une approche sans relief d’une réalité humaine particulière.

copyright Lutz

Un film qu’on aime, c’est toujours la résultante de mille et un hasards.

C’est aussi la rencontre que, spectateur, on fait avec des femmes et des hommes de chair et de sang qui, d’évidence, nous ressemblent ou expriment les sentiments que nous ressentons.

« Guy », c’est le miroir de nos âges, c’est un film qui parle bien plus de la mort que de la mode, qui raconte de l’amour les errances et les arcs-en-ciel, c’est un film sur la vieillesse qui na rien de décrépit, ni de pitoyable…

« Guy », c’est un film dans lequel je me suis plongé avec le plaisir de l’amertume, le bonheur de la mémoire et la tristesse de toute absence… Un film superbement réussi ! Et que j’aurais tant aimé regarder avec mon épouse.

Jacques et Josiane Schraûwen

Guy, un film de et avec Alex Lutz de 2018

Soixante printemps en hiver

Soixante printemps en hiver

Une histoire d’habitudes trop lourdes, d’âges qui ne veulent plus de passé, une histoire de rêves éteints… En voici ma chronique, douce-amère, et une interview, à écouter, des autrices de cet album.

copyright Dupuis

Des rêves éteints, oui, comme nous en avons, toutes et tous… Des déceptions, donc, dont Josy, l’héroïne de cette bande dessinée, fait porter le poids aux autres…

Soixante printemps, c’est son âge. Soixante ans, c’est aussi, pour elle, l’entrée dans l’hiver de son existence. Au début de ce livre, on la découvre le jour de son anniversaire, et elle annonce à sa famille qu’elle part. Sans explication, elle prend sa valise, monte dans un vieux minibus, démarre, et s’en va.

copyright Dupuis

Les raisons de ce départ, on les découvre dans l’album, par petites touches. 35 ans de mariage, la lassitude, les routines, les habitudes, l’impression de ne pas vraiment vivre. Le besoin, pour Josy, d’exister, enfin, pour elle. Elle rencontre une jeune mère célibataire qui vit sur un parking dans sa caravane, un groupe de femmes qui, comme elle, ont un jour claqué toutes les portes sur leurs passés, des femmes qui sont « celles qui ont quitté et qui n’ont pas attendu de l’être » !

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Ce livre est tranquille… Il nous raconte une suite de petites tranches de vie, il nous restitue, en quelque sorte, une forme de fait divers très quotidien et sans péripéties spectaculaires.

C’est, d’évidence, un livre de femmes. C’est aussi, à mon avis, un récit qui ne montre qu’une réalité un peu tronquée.

35 ans de mariage sont gommés, sans que les auteures ne s’intéressent à ce qui est le ferment d’un couple, à ce qui devrait l’être, en tout cas, l’amour. Certes, Josy est attachante, certes son histoire est une fable dans laquelle tout le monde peut, en partie, se reconnaître. En partie, oui…

Mais il est aussi des départs, parfois, qui sont définitifs et font comprendre ce que c’est qu’aimer… Et les autrices de cet album nous donnent à lire un livre sans amour, un livre qui met face à face des égoïsmes pluriels, un livre qui est une vision très sombre du couple… Oui, même si Ingrid Chabert m’a dit le contraire dans l’interview qu’elle m’a accordée, je maintiens mon avis : Josy renie tout ce qu’elle a été, et, de ce fait, elle s’enfouit volontairement dans une forme d’égoïsme majeur, puisqu’elle rejette toutes les raisons de son départ sur les « autres » !…

Ingrid Chabert

Vous l’aurez compris, je suis assez mitigé… Mais c’est aussi, cependant, un livre que j’ai vraiment aimé lire. On peut ne pas partager un avis et accepter que cet avis soit donné, à condition qu’il le soit avec talent… Et c’est bien le cas dans ce livre-ci.

Un livre qui, chez moi, a mis le doigt sur des douleurs personnelles, parce qu’il m’a fait comprendre combien certaines personnes, dont je suis, ont de la chance de vivre, avant un ultime départ, ce qu’est la fusion amoureuse.

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Une telle histoire s’adresse à l’intime de chacun. C’est sa force, et c’est aussi ce qui en fait une lecture intéressante parce qu’ouverte à des vraies réflexions. Sur ce qu’est l’amour, entre autres, qui ne peut exister dans la solitude ou la fuite, quoi qu’en pense Josy ! Quoi qu’en pense aussi Saint-Exupéry, l’auteur d’un des aphorismes les plus cons qui soient : « S’aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction » ! N’en déplaise à cet auteur stupidement encensé, ne pas se regarder l’un l’autre, c’est refuser d’aimer et d’être aimé !

Cela dit, encore une fois, le scénario est parfaitement construit, linéaire, intelligent… Très humain, aussi, dans l’intérêt qu’Ingrid Chabbert porte à ses personnages.

COPYRIGHT Dupuis

Quant au dessin, il est parfait. Aimée De Jongh parvient, d’album en album, à étonner, à évoluer graphiquement de manière à donner un ton particulier à chaque histoire qu’elle dessine. Son trait et ses couleurs sont pudiques, elle donne vie, véritablement, à des personnages de papier qui ont de la consistance, de l’humanité.  C’est un très bon album, et c’est une dessinatrice exceptionnelle ! Le titre est poétique… Le dessin d’Aimée De Jongh aussi !

Aimée De Jongh

Mais c’est, je maintiens, un livre à lire avec recul, avec une envie de dépasser l’histoire anecdotique qui nous y est racontée, avec le besoin de plonger en nous, et de vouloir faire de nos quotidiens, surtout amoureux, un feu aux braises toujours ensoleillées.

Un livre à lire, pour en tempérer ce que je continue à appeler une forme d’égoïsme, en écoutant Jacques Brel nous chanter « Quand on n’a que l’amour », ou nous dire qu’il faut bien du talent « pour être vieux sans être adulte »… En écoutant Jean Ferrat, enfin, qui ose dire avec Aragon, comme je le fais, à celle qu’on aime (ou à celui..) : « Que serais-je sans toi » !

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Jacques et Josiane Schraûwen

Soixante printemps en hiver (dessin : Aimée De Jongh – scénario : Ingrid Chabbert – éditeur : Dupuis/Aire Libre – 117 pages – mai 2022)

Bob et Bobette : Le Vroum-Vroum-Club

Bob et Bobette : Le Vroum-Vroum-Club

Cette chronique est un hommage, à sa manière, à une série que mon épouse, qui s’en est allée dans des pays qu’on ne sait pas, aimait… Elle en était fan, totalement… Cette chronique est un hommage à Josiane, mais aussi à ce qui est populaire, simplement, marqué d’une appartenance profonde au quotidien d’une région, d‘un pays… Un hommage, aussi, à ce verbe tant et tant de fois trahi : AIMER…

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Aimer une femme, un homme, un ami, un livre, une œuvre d’art… Aimer se passionner pour quelqu’un, quelqu’une, quelque chose. Dans « Le Dîner de Cons », le seul être attachant, c’est le con… Celui que les autres définissent comme étant tel. Celui qui, pourtant, est le seul à être capable de passion, tout simplement…

Combien de fois n’ai-je pas entendu des remarques désobligeantes sur les albums de Bob et Bobette : mal écrits, moralistes, pleins de fautes d’orthographe, bâclés, typiquement appartenant à ce qu’on peut appeler la bande dessinée flamande ! Comme s’il pouvait y avoir des bandes dessinées différentes ! Il y a des cultures différentes, et il est essentiel, pour être un humain « debout » d’être capable de les accepter, de les comprendre, de les aimer ! Dans la vie quotidienne comme dans le neuvième art !

C’est de cela qu’il s’agit quand on s’intéresse, vraiment, à l’œuvre majeure de Willy Vandersteen : la culture populaire, la vraie, celle qui s’adresse aux gens, ceux de tous les jours… Qui privilégie l’enfance à « l’adultité »…

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Je le disais plus haut : cette série populaire a vu, depuis quelques années, des aventures parallèles, par des auteurs extérieurs à ce qu’on peut appeler le studio Vandersteen.

Et c’est d’un de ces livres que je veux vous parler.

Au scénario de ce Vroum-vroum-club, Yann… Un auteur qui, depuis des années, occupe une place de choix dans le monde des scénaristes… Parfois très sérieux, parfois beaucoup moins, mais toujours soucieux de mêler à ses histoires des références, des provocations parfois, des sourires toujours, des réflexions plus inattendues aussi…

Avec cet album-ci, il reste pareil à lui-même, tout en respectant réellement les codes de la série dans laquelle il se plonge avec délice…

Nous sommes dans les années 60, on parle des Beatles, de la possible invention d’un téléphone portable… Une jeune héritière est enlevée, on demande une rançon pharamineuse, et Bob et Bobette vont s’envoler vers les Etats-Unis, grâce au professeur Barabas.

Et là, plongée à la fois dans le présent et le passé… Le passé de la série, également, avec des références appuyées et parfaitement réussies au « Teuf-teuf-club », un des meilleurs albums de Vandersteen, datant de 1954 (année de ma naissance, tiens…).

Yann ne se contente pas, d’ailleurs, d’insister sur le fait qu’il faut lire et relire ce fameux Teuf-teuf-club ! Il nous remet aussi en mémoire le tout aussi époustouflant « Mousquetaires endiablés »…

C’est cela qui fait tout le plaisir de cet album-ci, aussi : le fait que Yann s’y investisse avec ses souvenirs, ses âmes d’enfant qu’il n’a jamais perdues. Mais mitonnant le tout de dérision, de péripéties et de rebondissements qui s’amusent à jouer avec les codes habituels de la narration, rappelant, en quelque sorte, les trucs et ficelles d’une certaine forme ancienne de ligne claire.

Et le dessinateur Gerben Vakema joue le jeu, lui aussi, réussissant à mélanger une forme de nostalgie à un sens moderne de la mise en scène, de la construction des mouvements, des approches des mimiques des personnages également.

Il en résulte un humour à l’ancienne, mais modernisé dans son fond, gaulois parfois, avec des jeux de mots typiquement belges (Trek ta plan, non peut-être…), avec un très volontaire et très réjouissant sens du politiquement incorrect : de la misogynie très années soixante, et aussi des réflexions qui vont en faire bondir certains comme « cannibales congolais ». Avec cette petite phrase que je ne peux m’empêcher de vous offrir : «… une forme particulièrement maléfique de magie de décervelage de notre époque… la télévision » !  Mais aussi avec une morale de fin dans le vrai style de ce que pratiquait le maître Vandersteen !

Soulignons, enfin, le petit hommage au passage à la belle Natacha de Walthéry !

copyright éditions Standaard

« Le Vroum-Vroum-Club » est un livre comme je les aime… Et je suis heureux, aujourd’hui, d’avoir pris le temps d’en parler ici, de vous donner l’envie, je l’espère, de le lire. D’avoir réussi, tout simplement, à faire de ce lieu de chroniques un endroit où parler, en fond, de l’amour que j’éprouve pour mon épouse, dont le dernier voyage me laisse désemparé…

Jacques Schraûwen (et Josiane…)

Le Vroum-Vroum-Club (dessin : Gerben Vakema – scénario : Yann – éditions Standaard – 48 pages – 2021)

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