Habemus Bastard – Deux albums pour un polar endiablé et iconoclaste

Habemus Bastard – Deux albums pour un polar endiablé et iconoclaste

Un tel titre ne cache pas, en effet, que le récit dans lequel on va se plonger se fiche totalement de la bienséance, détournant sans détours la fameuse annonce de l’élection d’un nouveau pape.

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Oui, avec ce diptyque, vous allez pouvoir vous plonger dans un récit pour le moins iconoclaste ! Ce n’est pas d’un pape qu’il s’agit dans cette histoire, dont le deuxième et dernier volume s’intitule « un cœur sous une soutane ». Ce n’est d’ailleurs nullement d’un homme de Dieu qu’il s’agit ! Mais d’un homme de main qui débarque dans une petite cité, sous le nom de Père Philippe… Et au début de l’histoire, tout ce qu’on sait, c’est qu’il fuit quelque chose… Quelqu’un… Et que ce tueur à gages pense trouver, en jouant le rôle d’un prêtre, un abri sûr…

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Disons-le tout de suite : ce mélange entre deux mondes, celui de la religion et celui des truands, ce n’est pas une nouveauté. Le cinéma, par exemple, a utilisé bien des fois cette thématique faite d’opposition de réalités, d’idéologies, d’univers même. Les exemples ne manquent pas : La Main gauche du seigneur, par exemple, avec Humphrey Bogaert… Ou Pale Rider de et avec Clint Eastwood… Ou encore la nuit du chasseur avec Robert Mitchum… Mêler ainsi la religion et la violence n’est, c’est vrai, pas chose nouvelle, ni dans le cinéma, ni dans la littérature… La série Soda ne nous montre-t-elle pas, avec talent, depuis des années, les aventures d’un policier qui se fait passer pour un prêtre?

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Et donc, qui dit thème connu, impose, pour qu’un album nouveau mérite le détour, d’indubitables qualités. Et c’est le cas ici, avec le dessin de Sylvain Vallée, le scénario de Jacky Schwartzmann et les superbes couleurs d’Elvire De Cock. Ce livre, résolument, se veut totalement amoral, immoral même… Ce n’est pas de sabre et de goupillon qu’on parle, mais de flingue et de crucifix. Le scénario est touffu, semble filer dans tas de sens différents, dans des tas d’histoires qui paraissent n’avoir aucun rapport entre elles et s’entremêlent jusqu’à une fin en apocalypse encore plus iconoclaste que tout le reste de cette mini-série en deux albums ! Il y a des morts, de la drogue, des jeunes pas du tout paumés, des entrepreneurs véreux, des truands avides de vengeance, des paroissiens étonnés… Il y a un dialogue à la Audiard, l’humour des mots en moins mais le réalisme sanglant en plus… Cela aurait pu être une histoire très noire, et ce l’est en partie, mais en lorgnant vers Tarentino et son ami Rodriguez…

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Avec des planches éclatées comme l’est l’action, avec des jeux de perspective nombreux, avec un graphisme au plus près des expressions des personnages, ce livre est enthousiasmant ! Une belle réussite, sans aucun doute possible ! Endiablée, l’histoire qu’il nous raconte nous emporte de bout en bout sans temps mort. Tous les personnages créés au fil des pages, truands notoires, gitans, croyants, athées, profiteurs, même les plus humbles, les plus éphémères dans la trame du récit, ont une vie propre, un langage personnel, une manière de bouger qui fait qu’ils ne sont jamais uniquement des silhouettes ! Et le travail du scénario comme celui du dessin, parvient à créer plusieurs univers côte à côte sans que le lecteur, jamais, ne s’y perde.

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Une excellente histoire en deux tomes, donc, qui vous fera passer, j’en ai la certitude, d’excellents moments !

Jacques et Josiane Schraûwen

Habemus Bastard (dessin : Sylvain Vallée – scénario : Jacky Schwartzmann – couleurs : Elvire De Cock – éditeur : Dargaud – deux tomes – octobre 2024)

Au Pied Des Etoiles – Face à face et côte à côte pour deux auteurs très différents l’un de l’autre

Au Pied Des Etoiles – Face à face et côte à côte pour deux auteurs très différents l’un de l’autre

Un professeur de physique, José Olivares, propose à deux artistes du neuvième art d’aller regarder les étoiles au Chili, et de les dessiner. Nous sommes en 2019. Cinq ans plus tard, voici ce qu’a été ce voyage en humanité…

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Il y a donc, d’abord, ce rêve étrange d’un professeur : faire découvrir à ses élèves le désert d’Atacama au Chili, là où se trouvent les plus grands observatoires sur terre. Atacama, la « porte du ciel »… Et ce prof de Grenoble parvient à convaincre deux auteurs complets, deux auteurs de bd, Emmanuel Lepage et Edmond Baudoin, d’aller donner vie à ce rêve… Deux générations différentes, deux styles graphiques totalement différents aussi, deux approches de la narration presque opposées…

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Un projet étrange… Un projet fou… Qui aurait dû prendre vie dès 2020, mais qui a été retardé à cause de la crise du covid, d’abord, à cause du cancer, ensuite et surtout, face auquel Emmanuel Lepage a dû se battre. Un combat dont il est sorti avec la volonté, farouche, vivante, de le faire, ce voyage au Chili, dans lequel vivent, sous les étoiles, en même temps les survivants, victimes ou bourreaux, d’une dictature répugnante… Et ce voyage, à deux, s’est réalisé finalement en 2021. Pour regarder les étoiles et les dessiner ? Oui… Mais ce but initial a très vite laissé la place à un dialogue entre deux artistes, à deux monologues dessinés et écrits se répondant l’un à l’autre parfois, à deux fusions d’idées, parfois également.

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Il en résulte ce livre… Un livre qui est bien plus qu’un simple exercice de style, bien plus aussi qu’un moment d’existences éphémère. Dans le désert chilien, sous le ciel étoilé, les mots et les dessins échangés parlent d’un autre infini que celui du firmament… C’est un livre dans lequel l’émotion et le sentiment se conjuguent avec un humanisme simple, une amitié sans fioritures. C’est un livre qui redéfinit le sens même du mot « voyage », c’est un album qui parle du besoin de vérité, d’art, de culture, de combat, de résistance, de refus du renoncement. De politique, aussi, loin des salons feutrés d’une Europe à la recherche d’elle-même…

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Oui, c’est un livre profondément humain, un livre de confidences que se font Baudoin et Lepage, l’un à l’autre, et chacun à lui-même. Oui, c’est un livre de voyage, au sens le plus total du terme : des paysages, des traces à même l’âme et la chair, des mots et des dessins qui, sous une forme quelque peu anarchique, révèlent deux hommes debout face à la vie, à ses failles, à ses éblouissements aussi… Une œuvre atypique qui enrichit encore un peu plus le catalogue des superbes éditions Futuropolis !

Jacques et Josiane Schraûwen

Au Pied Des Etoiles (auteurs : Edmond Baudoin et Emmanuel Lepage – éditeur : Futuropolis – 264 pages – mars 2024)

Michetz : la disparition d’un dessinateur atypique

Michetz : la disparition d’un dessinateur atypique

La bande dessinée est bien plus affaire d’auteurs que d’éditeurs… Elle devrait l’être, en tout cas. Avec Michetz, c’est un véritable style graphique qui disparaît et rejoint l’ailleurs…

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Il avait 73 ans. Il avait passé 18 années dans ce qu’on appelait à l’époque le Congo Belge, dans la province du Katanga, y trouvant cette lumière qu’ensuite il a apprivoisée dans ses œuvres.

Des œuvres qui ne sont pas très nombreuses, il faut le reconnaître… Toutes, ou presque, habitées par sa passion pour le Japon médiéval, sa culture, ses codes extrêmement particuliers. Kogaratsu, ainsi, riche de 14 volumes, est une œuvre dessinée qui enfouit son auteur comme ses lecteurs dans ce pays de guerriers et de lettrés.

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Il est également auteur de quelques autres albums, avec l’ami Yann par exemple. Il est surtout aussi présent dans le monde des porte-folio et des illustrations, son sens du réalisme allié à un trait d’une extraordinaire souplesse et lumière y faisant merveille.

Un auteur complet, sans aucun doute, que le monde de l’édition ne concernait pas vraiment, ce qui en faisait, comme je le dis plus haut, un artiste atypique. Mais formidablement doué !

Jacques et Josiane Schraûwen

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