Astérix : L’Iris Blanc

Astérix : L’Iris Blanc

Quarantième album des aventures du petit Gaulois super-dopé… Et, pour une fois depuis bien longtemps, une bonne surprise !

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Il serait malvenu, sans aucun doute, en parlant des trop nombreux albums de cette série publiés après la mort de René Goscinny, d’oser en comparer les scénarios (à commencer par ceux d’Uderzo lui-même) à ceux de celui qui reste un des maîtres de la bd…

Cela dit, je l’avoue : comme bien des amateurs du neuvième art atteints d’une forme de collectionnite aigüe, j’ai continué inlassablement à acheter chaque nouvel album d’Astérix. Je n’ai pas aimé, j’ose le dire, les tomes dus au seul Uderzo. J’ai encore moins aimé les autres tomes nés de collaborations que j’ai trouvées, pour le moins, saugrenues, pour le plus, inutiles !

J’ai d’ailleurs ici dit tout le mal que je pensais du Griffon ! Et que je pense toujours !

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Eh bien, je me dois aujourd’hui de souligner la vraie qualité de cet « iris » !

Certes, le dessin de Didier Conrad n’a pas le souffle qu’avait celui d’Uderzo, et je le trouve même souvent tristounet à cause d’un incontestable manque de décors, eux qui aéraient naturellement, sans artifice, chaque planche. Mais les personnages, eux, restent fidèles (cette fois) à ce qu’ils étaient avec Uderzo.

La vraie bonne surprise vient du scénario. Même si, reconnaissons-le, il s’essouffle et se vide quelque peu de sa consistance initiale… Fabcaro, auteur très prolifique depuis le début de notre vingt-et-unième siècle, n’a pas toujours fait dans la dentelle, mais a toujours privilégié l’humour… Entre autre, l’humour bobo et simpliste avec des albums dans lesquels chaque planche voit un unique dessin se répéter, tandis que le texte, lui, change… De la bd à l’envers qui a vu pas mal de critiques s’extasier… Mais selon un système dont je trouve qu’il tourne très très très rapidement en rond… Et à une forme de paresse graphique!

On peut dire de Fabcaro qu’il est étonnant de le voir aux commandes d’un album classique d’un grand classique de la bd !

En fait, Fabcaro a le sens de l’humour… Et sans doute aime-t-il aussi les défis… Il a donc relevé le gant et nous a concocté un Astérix qui renoue, d’une part, avec la critique acerbe de notre société, et, d’autre part, avec l’humour des mots, cet humour qui était, avec la tendresse, la marque de fabrique de Goscinny.

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Bien sûr, il n’a pas la culture latine que Goscinny avait, et qui lui permit de faire des jeux de mots lisibles à plusieurs niveaux. Les amusements de Fabcaro, cependant, retrouvent pleinement l’esprit et le rythme même des éclats de rire que provoquait Goscinny.

Cela fait des années que Fabcaro expérimente les possibles de son talent un peu dans tous les sens, et, ici, il me semble qu’il a trouvé un terrain de jeu où il peut vraiment surprendre ses lecteurs ! Et, sans doute, se surprendre lui-même…

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Alors, oui, j’aime cet « Iris blanc »… J’aime les dérives de notre monde qui y sont mises en évidence, avec un humour qui ne s’interdit pas la méchanceté pour être encore plus lucide… J’aime que soit battue en brèche la bonne pensée à la mode, la positivation des discours et des tristes habitudes, le tourisme, l’art, la ville, la politique, la cuisine moderne, les « bobos », oui, aussi… J’aime le dessin qui, s’attachant aux visages, aux physionomies, accompagne avec réussite les calembours du texte… J’aime la couleur de Mébarki qui est totalement fidèle au style de toujours de cette série… Sans doute reste-t-il encore beaucoup de chemin à faire, mais cette fois, la route est bien entamée…

Uderzo et Goscinny, les vrais parents d’Astérix

Donc, en conclusion, je dirais qu’Astérix renaît enfin des cendres de Goscinny… Sans vouloir lui ressembler, mais en retrouvant, enfin, simplement, le plaisir de faire sourire, voire même de faire rire…

Jacques et Josiane Schraûwen

L’Iris Blanc (dessin : Didier Conrad – scénario : Fabcaro – couleur : Thierry Mébarki – éditeur : Hachette – octobre 2023 – 48 pages)

Marie Et Les Esprits – spiritisme et science, une cohabitation difficile

Marie Et Les Esprits – spiritisme et science, une cohabitation difficile

Rodolphe, QUE VOUS POUVEZ ECOUTER DANS CETTE CHRONIQUE, scénariste prolifique, a souvent pris plaisir au cours de sa carrière à mêler à des récits réalistes des évasions fantastiques. C’est encore le cas ici !

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Mais cette fois, c’est en s’inspirant exclusivement de ce qu’on peut appeler, sans doute, une vérité historique : l’intérêt que quelques-uns des plus grands scientifiques du début du vingtième siècle ont porté au spiritisme, aux échanges avec l’au-delà, à l’ésotérisme…

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Les plus grands scientifiques, oui, puisqu’il s’agit, dans cet album, du couple des Curie. Nous sommes en 1905. Auréolés de gloire par un prix Nobel partagé à deux, Marie et Pierre Curie se laissent tenter par une sorte d’enquête consacrée à « l’inconnu », aux phénomènes psychiques, aux ectoplasmes, à la paranormalité…

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Résolument scientifiques et usant de toutes les techniques et technologies que la science leur permet, ces deux scientifiques mondialement reconnus vont, avec une rigueur totale, se plonger dans un monde qui, à sa manière, va les faire douter de la science face à tout ce qui touche à la mort et aux possibles de l’après.

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Marie Curie, enfant, rêvait souvent de sa mère décédée, fantôme rêvé auquel elle disait que les morts n’avaient pas à revenir, qu’ils n’en avaient pas le droit. Ce fut ce passé, ce souvenir, probablement, qui la poussa à accepter de participer aux recherches de la très sérieuse « Society For Psychical Research ».

Et, donc, c’est de cette époque de sa vie, et de celle de son mari, que nous parle ce livre, extrêmement fouillé, historiquement parlant.

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Je ne vais pas essayer, ici, de vous résumer ce livre, cette époque d’expériences, de témoignages, au cours de laquelle une medium très connue alors, Eusapia Palladino, fut analysée longuement. C’est en lisant cet album intéressant, passionnant même, que vous pourrez découvrir ces années d’expériences étranges, et vous faire vous-mêmes votre opinion sur ce mélange entre science et paranormalité…

Parce que c’est là, véracité ou fantasme, que se situe la réussite de ce livre : dans le mélange qu’a réussi à faire Rodolphe de cet aspect ésotérique, fantastique osons le dire, d’une part, et d’autre part, du quotidien de tous les protagonistes de ce récit. Avec l’aide du dessinateur Olivier Romain, dont le graphisme classique, un peu guindé comme l’étaient les personnages de ce temps, se colle parfaitement à l’ambiance du texte, à la narration de cette aventure presque improbable. Ses décors sont essentiels à la lumière de cet album, sans aucun doute possible… Mais les personnages aussi, reconnaissables…

Conan Doyle, Henri Bergson (prix Nobel de littérature), Charles Richet (prix Nobel de physiologie et de médecine) font partie de ces gens connus et reconnus osant, en une époque où la science prenait de plus en plus la place de la foi, s’intéresser à l’invisible, donc, oui, aussi aux religions et à leurs croyances.

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Il y a, dans la construction narrative de ce livre, une honnêteté incontestable dans le propos. Que j’épingle avec cette phrase dite par Pierre Curie : « On est presque sûrs de nos observations. Mais seulement ‘presque’. Toujours ‘presque’. » !

Cet album dépasse ainsi la simple narration « historique » pour s’intéresser à des questionnements qui sont aussi les nôtres. Ne sommes-nous pas toutes et tous habités par les fantômes de celles et ceux que nous avons aimés, profondément, véritablement aimés ?

Le paranormal, pivot de ce livre, n’est-il pas ce qui nous interpelle également ?

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S’il fallait trouver une morale à cette histoire de Marie et Pierre Curie, on pourrait dire qu’« à ce jeu, on peut très vite se prendre… Se faire avoir… Se perdre… Ou pas… »

Ce livre est un jeu, oui, raconté, décrit, vécu par des personnages qui ont du corps, qui, historiquement, nous sont connus. Un jeu qui, finalement, soulève des angoisses et des espérances universelles, et qui font partie intégrante de l’humanité depuis qu’elle existe.

Un jeu grave, donc, dont Rodolphe m’a parlé, et que je vous propose d’écouter, ici, in extenso…

Rodolphe

Jacques et Josiane Schraûwen

Marie Et Les Esprits (dessin : Olivier Roman – scénario : Rodolphe – couleurs : Cerise – éditeur : Anspach – octobre 2023 – 56 pages)

Et pour écouter ma chronique radio, suivez le lien: chronique

Spirou Et La Gorgone Bleue – deux héros dans un monde en manque d’héroïsme !…

Spirou Et La Gorgone Bleue – deux héros dans un monde en manque d’héroïsme !…

Et voici le retour de deux des personnages les plus emblématiques du neuvième art… Un retour loin des tristes délires trop souvent imposés à ces deux héros de papier, un retour gagnant grâce à Yann et Dany ! YANN qui est à écouter dans cette chronique, qu’on se le dise !…

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Au départ de cette nouvelle aventure, il y a une enquête journalistique de Seccotine, qui la plonge dans le monde très moderne des « éco-terroristes ». Dont un groupe, dirigé par la ténébreuse Gorgone bleue, semble soutenu, voire financé, par le Comte de Champignac.

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Abandonnant leur doux farniente, et prenant le relais de la journaliste, pour des raisons à découvrir dans cet album, Spirou et Fantasio vont se plonger dans un combat contre un industriel pour qui l’écologie ne peut être utile que si elle rapporte fric et pouvoir, un homme d’affaires qui est le maître universel de la malbouffe, et pour qui, à l’instar d’un certain Trump qui a servi de Modèle graphique à Dany pour le dessiner, la société ne peut être que vassale de ses ambitions !

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Avec Yann au scénario, on sait qu’on ne va pas s’ennuyer, qu’il va y avoir, au long des pages, des dizaines de clins d’œil, de références, que l’humour bon enfant et l’humour vache vont se mélanger, que l’aventure sera reine, certes, mais délirante, surtout, et toujours, d’une manière ou d’une autre, axée sur ce qu’est notre monde actuel, sur ce qu’il est en train de devenir, sur ce qu’il nous impose de plus en plus.

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Avec Dany au dessin, on sait aussi que nos regards de lecteurs ne peuvent que sourire, et être éblouis par une maîtrise que nul ne peut contester. Et c’est un vrai plaisir que de voir Spirou et Fantasio se coltiner avec, dans leur environnement proche, des femmes de tous styles, de tous âges, de toutes convictions, et toutes, surtout, dessinées avec un sens de la beauté évident…

Et l’association entre ces deux véritables « auteurs » nous offre donc ce livre étonnant… Etonnant, oui, parce que fidèle au Spirou de Jijé et, surtout, de Franquin, dans le mouvement, dans les gags, dans l’omniprésence de l’aventure. Etonnant, passionnant, jouissif ! Spirou et Fantasio se trouvent confrontés à deux courants d’idée tout compte fait aussi dangereux l’un que l’autre pour la planète peut-être, pour l’âme surtout !

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Et tout notre petit monde va se retrouver épinglé dans cet album haut en couleurs… L’argent et le pouvoir, seuls buts, finalement, des deux côtés de la barrière entre les éco-terroristes et l’industrie à outrance… Les médias et l’éthique, qui font de moins en moins bon ménage… L’insolence de la politique, des réseaux sociaux qui leur sont inféodés, du formatage qui en est une des résultantes déshumanisantes… La pollution, le combat idéologique… On tire tous azimuts, dans ce Spirou, et, bon Dieu, qu’est-ce que ça fait du bien !

Spirou est toujours observateur, toujours lucide aussi, aux côtés d’un Fantasio toujours à la fois déjanté et très sérieux. J’ai pensé, en lisant ce livre, à leur aventure, il y a bien longtemps, avec un char rescapé de la deuxième guerre mondiale…

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Et puis, aussi, qu’est-ce qu’on s’amuse dans cette aventure qui réussit à mêler classicisme et modernité… Il y a par exemple les remarques de Spip, insolentes, avec des jeux de mots à double sens souvent… Il se rattache ainsi à la la famille de la coccinelle de Gotlib ou aux petits personnages de bas de case de la Jungle en Folie de Godard et Delinx. Il y a les caricatures faites par Dany, de Hugues Dayez ou de Thierry Bellefroid par exemple. Il y a les références nombreuses, parfois réservées à la petite Belgique comme « mon cœur saigne »… Le texte est un petit bijou de précision, comme dans une bonne pièce dite de boulevard… Le dessin, lui, que d’aucuns tristounets vont qualifier de sexiste, est d’une splendide lumière, d’un art consommé du paysage, d’une qualité dans le mouvement, d’un travail sur les ombres et les pénombres qui mérite le respect…

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La quatrième de couverture, en outre, nous met l’eau à la bouche, en nous promettant une suite possible…. Pour en savoir plus, écoutez cette interview que Maître Yann a bien voulu m’accorder…

Jacques et Josiane Schraûwen

Spirou Et La Gorgone Bleue (dessin et couleur : Dany – scénario : Yann – éditeur : Dupuis – septembre 2023 – 88 planches)

Une interview in extenso de Yann