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Au Chant Des Grenouilles : 1. Urania, La Sorcière

Une série dans laquelle chaque album est dessiné par un artiste différent… Un monde imaginaire dont je vous invite à découvrir l’initiale, dans un premier tome lumineux… Un premier tome paru dans deux colorisations différentes.

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Une lapine sorcière… Un conte qu’elle raconte à un public jeune et anthropomorphique et dans lequel la peur est omniprésente… Une porte à ne jamais ouvrir, parce qu’elle donne sur un monde aux secrets indicibles… Et un concours de cuisine !

Aux commandes graphiques de ce premier volume, Florent Sacré, venant du monde des jeux vidéo :

La première évidence de ce livre, c’est que le monde dans lequel cette aventure nous entraîne semble fait pour un public jeune, et les personnages comme les décors, fouillés, se baladent du côté de Disney, de Hausman…

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Mais la deuxième évidence, à la lecture de ce tome, c’est que cet univers s’adresse aussi à un public adulte, un public qui sait que, dans les contes de l’enfance, la peur est un élément moteur de l’aventure et de l’apprentissage. Et cet univers, Florent Sacré le crée avec un plaisir évident:

Le scénario de Barbara Canepa et Anaïs Halard mélange, ainsi, le merveilleux et le fantastique, pour un récit qui, au-delà des codes des histoires que l’on raconte depuis toujours aux enfants, nous parle d’amitié, dans une aventure qui devient une quête, moins identitaire que s’ouvrant sur le monde.

Mais ces codes propres aux grands conteurs des siècles derniers sont bien présents. Et l’histoire qui nous est contée est comme un petit combat quotidien et tranquille d’enfants contre la peur que le monde leur impose, contre la méchanceté toujours prête à détruire toutes les amitiés…

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Et cette alchimie existe, incontestablement, grâce également au dessin, dans ce premier volume, de Florent Sacré qui parvient à créer une ambiance, un monde, une géographie :

Je le disais, en début de cette chronique, ce premier volume est sorti de presse de deux manières différentes… De deux prix différents aussi… Personnellement, je préfère l’édition en sépia… Et le superbe cahier graphique qui, en fin d’album, nous fait entrer dans les coulisses de ce livre, de cette aventure éditoriale et artistique aussi…

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Je pense, en effet, que le talent du dessinateur, ancré à la fois sur des décors imaginaires étonnants, improbables, et des éclairages extrêmement variés, je pense que ce talent de travail sur la lumière prend tout son sens avec ces teintes qui ne cherchent aucun effet et accompagnent les mots comme le dessin à la perfection. Florent Sacré:

Au niveau du scénario, et plus loin que la simple anecdote d’un concours de cuisine, les autrices s’amusent à multiplier les angles de vue, ai-je envie de dire, à dépasser le canevas classique d’une aventure animalière, en parlant par exemple de cette fameuse porte à ne pas ouvrir, et qui est sans doute celle des souvenirs… Des bons, oui, mais des mauvais aussi, peut-être, capables d’empêcher de vivre. Et, dans ce scénario, il y a cette volonté, écrite, d’arrêter de parler comme des grands !

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Ce qui, dès l’abord, est évident également dans ce livre, donc dans cette série, c’est l’importance capitale de la Nature. Avec, par exemple, des planches pratiquement didactiques, dues à un complice de plus, Giovanni Rigano. Des planches pratiquement encyclopédiques consacrées à des recettes de grand-mère, à découvrir, en fait, les mille possibles de la nature qui nous entoure sans jamais nous enfermer. Et là aussi, le dessin est essentiel. Florent Sacré:

Et c’est aussi avec ce mélange de gentille didactique et de récit passionnant, presque adolescent, que ce chant des grenouilles s’adresse à des adultes qui n’ont pas effacé les émerveillements de leurs enfances enfuies…

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Oui, ce livre nous raconte le début d’une histoire dont on devine qu’elle va s’animer dans mille et une directions… Et, finalement, le personnage central, oui, c’est cette nature, mais sans idéologie politiquement écologique ! Les auteurs nous ouvrent les yeux, simplement, en nous faisant sourire de tout le visage… Parce que cette nature est celle d’un fantastique, je le disais, influencé, lui, par des ambiances chères à Poe ou à Ray, par exemple. Parce que cette nature est aussi, culturellement parlant, sans cesse symbolique, dans le récit comme, finalement, dans la vie de tout un chacun !

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J’aurais pu vous parler des quelques albums déjà parus… Mais j’ai eu le plaisir, dans la librairie « Profil BD » de Ath, de rencontrer Florent Sacré, de l’interviewer… Et, en définitive, ce sont ses mots à lui qui ont rythmé cette chronique…

Jacques et Josiane Schraûwen

Au Chant Des Grenouilles : 1. Urania, La Sorcière (dessin : Florent Sacré et Giovanni Rigano – scénario : Barbara Canepa et Anaïs Halard – éditeur : Oxymore – 56 pages)

Revoir Comanche – Romain Renard reçoit le Prix Atomium Fédération Wallonie-Bruxelles

Revoir Comanche – Romain Renard reçoit le Prix Atomium Fédération Wallonie-Bruxelles

Tout le monde a déjà parlé de ce livre, je le sais bien… Il a remporté le prix Rossel, l’année dernière… Et, en outre, vous savez le peu d’importance que j’attache aux récompenses de toutes sortes. Mais ici, avec cet album, cette pléthore de « reconnaissances » fait croire que le neuvième art n’est, finalement, pas uniquement affaire mercantile… Et je prends plaisir à remettre en lumière cette chronique vieille de plusieurs mois…

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Depuis les débuts de Romain Renard, j’ai eu à cœur de souligner ses immenses qualités… Depuis toujours, je n’ai jamais caché la passion que j’avais et que j’ai toujours pour un autre dessinateur, Hermann… Et ici, dans un chef d’œuvre total, ces deux univers se mélangent… Je ne peux donc qu’en dire tout le bien que j’en pense !

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Même si, sur le site du Lombard, on parle d’un western, tout comme on parle aussi d’un roman graphique, avec cet album exceptionnel, véritablement exceptionnel, on se trouve dans un autre univers. L’univers d’un auteur complet, d’un scénariste, d’un dessinateur, d’un musicien, d’un artiste n’ayant pas peur de montrer ses admirations. On se trouve en présence d’un album de bd, simplement, dans lequel le thème du western n’est, finalement, qu’un simple rapport avec le passé. La thématique de ce livre est universelle, elle parle de la fuite du temps, de la mort inexorable, de l’amour, de la haine, de la mémoire et de ses fidélités. Ce livre nous parle de nos propres angoisses à toutes et à tous.

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Remettons le récit que nous offre Roman Renard dans son contexte… « Comanche », c’est une série western qui a vu le jour dans les années 70, sous la plume de Greg et le pinceau d’Hermann. Une série western qui s’éloignait de tout ce qui, dans ce domaine, existait déjà, de Blueberry à Jerry Spring. Pendant plus de 20 albums, si ma mémoire ne me trahit pas, on a pu suivre un vrai récit adulte, dans un ranch tenu par une femme, la belle Comanche, un récit d’aventures, bien évidemment, mais aussi un récit qui abordait de front le thème du racisme. Une bande dessinée qui mettait en avant quatre personnages dont on n’imaginait pas, jusque-là, qu’ils puissent être les héros d’une série à succès : une femme, un cow-boy iconique, un Noir, un Indien…

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Et dans cet album, on retrouve Red Dust, le cow-boy créé par Hermann, des années plus tard, en un début de vingtième siècle dans lequel il se sent ne plus exister. Un homme âgé qui, ours tapi dans sa tanière, attend la mort… Un homme qui a changé de nom, aussi, comme s’il avait voulu tout effacer de son passé… Un homme dont l’existence, il le sait, n’a rien eu d’héroïque et ne mérite pas que quiconque puisse s’y intéresser.

Et voici qu’arrive une jeune femme enceinte, Vivienne, une bibliothécaire qui fait un travail sur la réalité au-delà des légendes, du « far-west ». Et elle annonce à Red Dust que, dans ses recherches, elle avait voulu retrouver les membres de ce ranch oublié, le Triple Six, mais que Comanche, sa belle propriétaire, ne répondait à aucun message.

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Red Dust, aux profondeurs de sa vieillesse, n’a jamais oublié cette époque lointaine de son existence… Il ne la magnifie pas, loin s’en faut, mais il ne la renie nullement… Et ce qu’il ne renie pas non plus, c’est le mot « fidélité », surtout à l’égard de Comanche, cette femme qu’il a fuie, pour ne pas, sans doute, lui avouer son amour… Et cet homme bourru, carré, aux cheveux blancs, à la moustache presque conquérante, va accompagner cette jeune femme inconnue jusqu’au ranch de sa jeunesse, traversant plusieurs états, ne reconnaissant rien, sauf les paysages peut-être, de ses vingt ans… Et même s’il est en route vers cette jeunesse qui fut sienne, il est surtout en quête de lui-même… Comme s’il avait besoin, hanté par des fantômes, de conclure sa vie par des retrouvailles avec ce qu’elle aurait pu être…

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Il y a dans ce livre bien des chemins ouverts par Romain Renard. Un auteur qui crée une bande-son pour ce qui est une longue balade dans un monde qui se meurt, avec des « héros » qui n’y sont déjà presque plus vivants. Une musique profonde… De cette country ayant un jour ouvert ses rythmes à la révolte… Dylan, Pete Seeger, Cohen, et bien d’autres, choisis par Romain Renard ou par nos souvenances musicales de lecteurs, accompagnent ainsi la longue marche de Red Dust vers son ultime destin.

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Le dessin de Romain Renard devient ainsi une partition qui mêle l’image, le son, le rêve, la réalité, l’espérance et le désespoir. L’amour et la mort, également, et l’amitié et la haine, toutes des réalités qui dépassent le temps de vivre…

C’est un livre envoûtant… C’est un livre qui, graphiquement, atteint des niveaux de narration et de beauté jamais égalés jusqu’ici. C’est un livre dans lequel souffle le vent du désert, dans lequel, sans avoir l’air d’y toucher, son auteur touche à l’infini, à l’éternité, à la nécessité d’ouvrir les yeux… C’est un livre qui, au travers de petites touches, de petits récits vécus le long de la route, dessine en effet les pourtours d’une société malade, déjà, d’elle-même…

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Et puis, et j’allais dire surtout, c’est un livre qui, à sa façon, rend hommage à l’immense Hermann, lui qui a hissé la bande dessinée réaliste en des sommets de qualité que d’aucuns, de nos jours, osent critiquer… Hermann est présent partout dans cet album. Parce que Red Dust, sans doute, lui ressemble, physiquement sans doute, mais moralement aussi… Red Dust, qui donne à un bébé le nom de son père, qu’il semble à peine murmurer : Hermann… Comme pour nous dire, les yeux dans les yeux, que rien jamais ne se termine, et que la mémoire, bien plus qu’un hommage, est ce qui sous-tend cet album de bande dessinée qu’il ne faut, à aucun prix, rater !

Jacques et Josiane Schraûwen

Revoir Comanche (auteur : Romain Renard – éditeur : Le Lombard – octobre 2024 – 150 pages)

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L’Edition BD : petit coup de gueule !

J’ai eu, hier, une petite discussion sympa avec un éditeur… Et l’envie m’est venue de vous parler un peu de la manière dont je vois la bd aujourd’hui, une bd qui, sachez-le, soyez-en certains, me passionne toujours autant !

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L’édition bd a de moins en moins de succès, économiquement parlant, me dit-on. On peut en imputer la faute à bien des choses, le succès du manga, par exemple. Cette bd venue du Japon et qui se construit à partir de codes très précis : des dessins qui se ressemblent tous un peu (beaucoup), des histoires qui s’adressent frontalement aux sensations et sentiments des jeunes lecteurs : romance, romantisme, action, un peu d’horreur, de fantastique, d’érotisme gentil, des personnages récurrents, des albums vite lus, une psychologie élémentaire, les mouvements et leurs caricatures prenant le pas sur les dialogues. Et, dans ce fouillis de non-créations, il y a quand même toujours des vraies pépites également !

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En même temps, les éditeurs franco-belges ne se posent pas la question de savoir ce que leurs lecteurs aiment naturellement, et donc ce qui est « vendable »… Les éditeurs « savent » ce que leurs acheteurs « doivent » aimer ! D’où toutes ces séries qui finissent par toutes se ressembler, et dont les scénarios, à force de vouloir étonner, tournent en rond… D’où le nombre incalculable de « romans graphiques » devant lesquels Eisner doit se retourner dans sa tombe, des bds volumineuses, qui se prennent très très très au sérieux, des dessins qui semblent être faits sur le coin d’une table après une bonne biture… Attention, je ne généralise pas, et dans le tas, il y a des vraies pépites, des vraies « œuvres » qui ne dépendent pas de la mode… Et j’en parle, souvent, dans mes chroniques… Et j’en parlerai toujours…

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Sans vouloir dire qu’il faudrait revenir aux bases de la bd, je pense quand même qu’il faudrait ne pas renier ce qu’est la bande dessinée : un média facile d’accès, un média à la fois littéraire et graphique, un média qui doit être lisible, un média qui ne tient pas compte des modes toujours passagères ni des idéologies quelles qu’elles soient, un média qui ne peut exister qu’avec de véritables créateurs, tant pour le dessin que pour le scénario, un média qui se doit d’être « ouvert », et donc varié, un média qui est celui d’un plaisir immédiat, un média qui doit tout aux libraires.

Et cela, ce n’est plus du tout le cas. Regardez les tables de la plupart de libraires spécialisés en neuvième art… Bien sûr, il y aura toujours des Largo machinchose de plus en plus formatés, ben sûr il y aura toujours des histoires de cul, de violence et de fric orchestrées par Van Hamme et consorts, bien sûr il y aura toujours des « artistes » qui se prennent pour les gourous de la bande dessinée. Bien sûr, il y aura toujours des livres sérieux… Mais, s’il vous plaît, mesdames et messieurs de l’édition, n’en faites pas, n’en faites plus le fil conducteur de votre travail qui est de plus en plus mercantile et de moins en moins artistique ! Que Sfar existe, d’accord… Mais Hermann aussi… Et Servais… Qu’on parle en bd de féminisme, c’est naturel et souhaitable, mais qu’on laisse des gens comme Catel, Kamari ou Schmitt le faire, elles qui sont de vraies artistes… C’est dans la variété, dans le respect des lecteurs auxquels rien n’est à imposer, que pourra se détruire cette routine qui est vôtre, depuis quelques petites années… Cette indifférence qui, vous le remarquez d’ailleurs, vous fait perdre ce qui semble vous tenir le plus à cœur : de l’argent…

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Je parle de variété… Simplement parce que, à partir du moment où le monde culturel manufacture son boulot, il participe à une entreprise de vidange intellectuelle de la société…

Je parle de respect, aussi… Celui qui est dû aux auteurs, évidemment… Celui qui est dû aux lecteurs, bien entendu… Celui qui est dû aux libraires, aussi ! Quand mon amie Eliane a été enterrée, je ne pense pas avoir croisé quelque représentant de l’édition bd que ce soit !

Cela dit, ce respect passe aussi par les « critiques » et « chroniqueurs » qui, tellement souvent, se contentent, en quelque lignes, de réécrire le dossier de presse ou, pire encore, la quatrième de couverture… Et voilà pourquoi je me permets aujourd’hui de me laisser aller à un coup de gueule qui, ma foi, me fait beaucoup de bien!

Jacques et Josiane Schraûwen