Pump : Un Si Gentil Garçon…

Pump : Un Si Gentil Garçon…

Un western, simplement… Mais qui s’écarte assez bien des normes du genre, entre autres en faisant des faux semblants un moteur du récit.

copyright anspach

La préface de l’éditeur, tout comme le titre d’ailleurs, tentent de faire croire que ce récit est plus qu’inspiré par le passé familial d’un certain Donald Trump. Personnellement, je dirais qu’il y a dans cette « accroche » éditoriale essentiellement le besoin mercantile peut-être de vouloir coller, même de loin, à la recherche de tout ce qui peut encore plus mettre en évidence les, comment dire, incohérences du président le plus « étrange »( ?) des Etas-Unis !

Je veux bien croire qu’au départ du scénario de ce premier tome de « Pump », il y a un petit quelque chose concernant l’origine de la famille du Donald non disneyen que tout le monde connaît… Mais, honnêtement, objectivement, cela n’a strictement aucune importance dans cette histoire qui, vieille comme le monde, nous raconte l’ascension, en un moment précis de l’Histoire, d’un personnage hors du commun. Le moment précis, c’est l’Amérique de la fin du dix-neuvième siècle. Le personnage, c’est Edward G. Pump, un manipulateur pervers avide de richesse, sans doute, de pouvoir surtout.

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Je disais : une histoire vieille comme le monde… Et, dès lors, comment ne pas trouver dans cette histoire des références à ce qui a déjà été dit, raconté, montré. Ce qui, d’ailleurs, est une réalité à découvrir dans l’immense majorité des livres paraissant en libraire, bandes dessinées ou pas ! Mais au-delà d’une impression de déjà lu ou déjà vu, au-delà des constructions narratives habituelles de tous les westerns dessinés depuis Jijé, Hermann et Giraud, il y a dans ce Pump une vraie qualité scénaristique. Rodolphe est un de ces scénaristes incapables de rester dans les clous, de se plonger dans une construction imaginative et littéraire préétablie. Et ce à quoi il s’attache dans ce livre-ci, c’est au portrait de face, sans faux-fuyant d’un personnage pervers, vicieux, narcissique, arriviste… Il éloigne ainsi son scénario des poncifs du genre western. Il rend, ainsi, ce livre plus qu’agréable à lire…

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Tout commence par une attaque de diligence… Un seul survivant : un jeune blondinet qui décide de changer de vie en s’appropriant l’identité du neveu d’une des victimes. Il y a là une petite réminiscence de Martin Guerre, ou d’une nouvelle de Fredric  Brown, par exemple. Mais cette référence laisse vite la place à un « roman de mœurs », parce que ce blondinet, recueilli par le shérif, va utiliser les femmes de la maison, l’épouse et la fille de ce shérif, pour grimper les échelons de la petite société de cette petite cité… Là, on se trouve plus dans l’univers de Bel Ami ou, mieux encore, dans celui du Mouton Enragé de Michel Deville. En disant cela, ne croyez pas que je critique négativement le scénario de Rodolphe ! Que du contraire : Sa culture générale, son sens de l’ellipse font merveille dans cet album où les faux-semblants deviennent les miroirs déformés de tout un chacun…

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Le but de ce charmant et séduisant garçon est le pouvoir. Son intelligence, c’est d’avoir compris que les femmes, dans l’ombre d’une société machiste, sont des êtres de chair auxquels il peut, jeune tourtereau souriant, faire croire, dans un lit, à des sentiments qui ne sont pour lui que des marche pied… Et ce que j’aime dans le scénario de Rodolphe, c’est qu’il est limpide, qu’il coule de source, et que le suspense ne vient pas des finalités de son non-héros mais de la manière dont il va arriver à ses buts… Ce que j’aime dans ce scénario aussi, c’est l’érotisme sans fioritures qui en émaille, de ci de là, les péripéties… Pump va créer un bar-bordel, et la vie de cette ville va s’en trouver chamboulée, on le sent, c’est évident !

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Le dessin de Laurent Gnoni mérite également d’être souligné. Là où l’éditeur choisit de louer son livre par un Nom connu de tout le monde, on pourrait croire, devant une couverture superbe, que Gnoni va faire du Blueberry… Mais il n’en est rien, et c’est là ce que j’aime vraiment dans cet album : il nous parle des apparences, des faux-semblants, et il en est également un, de par sa pseudo-thématique annoncée en préface, et par une couverture extrêmement réussie, mais ouvrant sur un style graphique incontestablement personnel. Gnoni ne fait pas du « western »… Il dessine des gens, des humains, et il le fait en approchant son regard, donc celui des lecteurs, des visages de ses modèles… Certes, il y a des scènes « classiques » de western, mais il y a surtout, et grâce à ce graphisme, une ambiance qui dépasse le western pour s’attarder, en douceur ai-je envie de dire, sur les mécanismes qui font d’un jeune adulte beau et souriant un être aux perversités totales… Et si le dessin de Gnoni évite, pudiquement, ces perversités, il n’évite pas, et c’est tant mieux, les lumières et les mouvances des corps s’aimant sans amour…

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Il y a, en fin d’album, comme dans toute bonne bd belgo-française, une porte de sortie qui appelle une suite… Et, ma foi, après avoir regretté cette accroche éditoriale anti-Trump finalement inutile, j’ai pris un vrai plasir à lire ce premier volume, et, d’ores et déjà, j’attends de voir comment Rodolphe et Gnoni vont continuer à donner vie à ce si gentil garçon, bel ami de bien des femmes à venir, sans doute…

Jacques et Josiane Schraûwen

Pump : Un Si Gentil Garçon… (dessin : Laurent Gnoni – scénario : Rorolphe – éditeur : Anspach – septembre 2025 – 46 pages)

Belfort Et Lupin : SOS Carpe Diem

Belfort Et Lupin : SOS Carpe Diem

Une bande dessinée « tous publics », réalisée en collaboration avec le Château de Versailles : un album qui fait véritablement plaisir ! A découvrir, donc…

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Je vous emmène donc, si vous le voulez bien, à Versailles… Et je le fais en compagnie de Belfort et de Lupin, un chien et un loup… Le chien, Belfort, vit dans l’environnement immédiat de Louis XIV, le loup, Lupin, vit dans le parc. Belfort devrait être bien policé, il est en fait rétif à la « bonne tenue », et Lupin, qui devrait être un carnassier féroce est, tout au contraire, un animal libre aimant tous les autres animaux.

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Et dans ce joyau historique et architectural, le Roi Soleil doit recevoir l’ambassadeur de Perse, en vue de signer des accords importants. Il s’agit donc de l’éblouir… Et, pour ce faire, il faut que les grandes eaux de Versailles, ces fontaines sublimes, fonctionnent toutes ensemble lorsque cet ambassadeur se promènera dans les jardins de ce château exceptionnel.

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Et, bien sûr, les choses ne vont pas se passer aussi simplement ! Sinon, évidemment, il n’y aurait pas d’histoire ! Lupin et Belfort, en se baladant, remarquent que leurs amies les carpes, et leurs œufs prêts à éclore, manquent cruellement d’eau dans leur bassin ! Et ce sont eux, le loup et le chien, qui vont donc parvenir à ce que les fontaines de Versailles se remettent à jaillir avec leurs jeux étincelants et accrochant en arcs-en-ciel les lumières de Versailles. Il s’ensuit des rencontres avec les animaux du château, un éléphant, entre autres, il s’ensuit la difficulté pour des animaux de comprendre le fonctionnement de ces fontaines et bassins innombrables. Mais, comme dans les contes de nos enfances, tout va, évidemment, se terminer bien !

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C’est vraiment une petite histoire bien gentille ! Le dessin de « Lesdeuxpareilles », non réaliste, dans la veine de Disney, est souple, d’une belle lumière, les personnages sont attachants, les décors sont vibrants, et la couleur attire le regard. Le scénario de Stehly est bien construit, plein de bons sentiments, totalement adapté à un public jeune. Mais je tiens à souligner que ce livre a été fait, comme je le disais plus haut, en partenariat avec le Château de Versailles ! Et, de ce fait, cet album a également un côté didactique. Comment toutes ces fontaines, célèbres dans le monde entier, fonctionnent-elles ? C’est raconté dans la bd… C’est également expliqué dans un dossier qui termine ce livre… Les enfants et leurs parents, ainsi, y découvriront quelques trésors technologiques qui datent d’il y a bien longtemps !

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Et j’avoue que j’ai autant aimé, vieil adulte, cette bd que le petit dossier qui l’accompagne ! Une bd qui renoue, à sa manière, et avec une belle réussite, avec ce qu’était le neuvième art à sa création : des récits dessinés et destinés à un jeune lectorat !

Jacques et Josiane Schraûwen

Belfort Et Lupin : SOS Carpe Diem (dessin : Lesdeuxpareilles – scénario : T. J. Stehly – éditeur : Dupuis – 2025)

Constance et les ombres – tome 1

Constance et les ombres – tome 1

Une nouvelle série qui s’initie dans un album « tous publics » que les adolescents comme leurs parents aimeront…

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Une petite fille naît dans une demeure luxueuse du début du vingtième siècle. Et déjà l’accompagne, invisible pour tout le monde sauf pour elle, un monstre velu à la dentition terrible, aux mains ornées de griffes capables de lacérer n’importe qui, n’importe quoi… Mais ce monstre est gentil… Il est là pour aider cette enfant à grandir loin des dangers qui la menacent, comme ils menacent, finalement, toutes les enfances… Et la menace qui hante la petite Constance prend la forme, dans ses cauchemars, dans une forme rêvée de la réalité aussi, d’une meute de loups féroces, prêts à toutes les cruautés…

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Le scénario d’Ingrid Chabbert parvient, très vite, à faire monter une forme de tension… Et le récit qu’elle nous offre est tout à fait susceptible, c’est évident, de plaire à un large public, un public adolescent d’abord, de cet âge où l’existence, depuis toujours, se fait révolte contre un monde (trop) bien établi.

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Ce monde, dans cet album, est celui des parents de Constance. Toute adolescence ne se construit-elle pas, d’ailleurs, dans les affrontements qu’on peut avoir, qu’on doit avoir, avec ceux qui nous ont mis au monde ?… La famille proche de Constance est formée par une mère sans beaucoup de tendresse, par un père sérieux, sévère même, riche sans doute, travailleur efficace certainement, par une servante, Eugénie, qui est la seule à témoigner d’une véritable affection pour la petite fille, et par Louis, le grand frère de Constance.

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Constance est une petite fille qui grandit, une gamine qui glisse d’un monde à l’autre, de celui de l’enfance à celui d’un âge menant inexorablement à celui qu’on dit adulte. Son frère meurt… Et ce décès transforme la vie de Constance, qui ne peut plus sortir de chez elle, qui se sent prisonnière, qui est sans cesse rabrouée par sa mère, usant de laudanum, et par son père. Constance n’a de liberté qu’aux instants où elle peut lire, s’enfouir en d’autres vies que la sienne, terne malgré une maison somptueuse et des vêtements qui l’habillent de grâce et de printemps.

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Et reviennent dans sa vie de presque jeune femme ses cauchemars… Ses visions… Ces fameux loups… Et revient son adorable monstre prêt à tout pour l’aider, et sans doute pour la sauver… Le scénario est d’une belle efficacité. Il se fait linéaire, malgré les années qui passent au fil du récit… Il fait penser à toute cette littérature anglo-saxonne mettant en scène des enfants : Peter Pan, un peu, Alice beaucoup, et puis Dickens et Mark Twain… Ce sont, plus que des influences, des références à une façon universelle que les écrivains ont toujours eue d’approcher les univers perdus, et rarement paradisiaques, de l’enfance. Ingrid Chabbert use d’un langage simple sans jamais être simpliste, pour aborder, par petites touches, des réalités adolescentes et, ma foi, d’y mettre en évidences des « valeurs »… Grandir, vieillir, c’est le lot de chacune, de chacun. Et ce livre nous dit, calmement, et de façon tantôt symbolique tantôt bien réelle, que nul ne peut vieillir sans « quelqu’un » à ses côtés…

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Ce quelqu’un, c’est ce monstre… Ce quelqu’un, c’est aussi Tim, un garçon bien réel… Ce quelqu’un, c’est également les Loups, les parents, tous ces éléments négatifs qui construisent une vie sans idéalisation de son déroulement. Le talent de la scénariste, c’est de faire de tout cela une entité qui, bien plus que tenir la route, se fait passionnante, je dirais « tranquillement » passionnante… Et le talent de la dessinatrice Luisa Russo, dont le dessin, personnel pourtant, oscille entre les artifices mangas et ceux de Disney, son talent, oui, c’est de créer un monde réel, par un dessin non réaliste… Un univers qui n’est pas celui des Bisounours, mais qui, en faisant un peu peur, fait aussi sourire, réfléchir… Avancer dans la vie, sa propre vie, qu’on ait 7 ou 77 ans !….

Jacques et Josiane Schraûwen

Constance et les ombres – tome 1 (dessin : Luisa Russo – scénario : Ingrid Chabbert – éditeur : Dupuis – 2025 – 72 pages)