Bruissements d’ailes dans les méandres de la bande dessinée…

Bruissements d’ailes dans les méandres de la bande dessinée…

Dans une chanson de Jean-Claude Darnal, un gamin répondait au magicien qui lui demandait ce qu’il voulait : « Dites-moi m’sieur, faites que j’ sois un oiseau… »

L’oiseau, lien entre terre et ciel, entre chair et esprit… Omniprésent dans l’art et, singulièrement, dans la bande dessinée.

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C’est le cas dans des séries qu’on peut appeler animalières… Je pense à Chlorophylle de Macherot… A Canardo, aussi, de Sokal, personnage mythique du neuvième art, canard désabusé dans un monde tellement proche du nôtre… A une série récente, proche, scénaristiquement parlant, de Orwell, et intitulée « Le château des animaux », de Delep et Dorison, dont une des héroïnes est une poule résistant à la dictature.

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L’oiseau, dans le neuvième art, c’est également cette existence extérieure à laquelle accrocher ses rêves, comme le grand aigle de Yakari. L’oiseau peut se faire symbole d’une vie différente avec laquelle dialoguer, comme chez Schulz, avec l’amitié entre Snoopy et l’oiseau Woodstock. La différence de langage, d’existence, dans cette rencontre entre un chien et un oiseau, devient ainsi le vecteur de la tolérance.

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L’oiseau, cela peut être aussi le miroir des sentiments du personnage central (et de son auteur !). Voyez la mouette de Gaston, de l’inégalable et inégalé Franquin !

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Et puis, il y a l’oiseau comme fugace élément de décor. Je pense aux Tuniques Bleues de Lambil, albums dans lesquels, selon les propres dires du dessinateur, il se repose des uniformes et de la guerre en dessinant, ici et là, des petites scènes champêtres. C’est flagrant aussi chez Olivier Rameau, de Greg et Dany, une série poétique dans laquelle les objets et les animaux participent à la magie du récit. Et les mondes de Hausman sont pleins, eux, d’oiseaux porteurs d’imaginaire…

Dans les livres réalistes, il en va de même : Yslaire, Lepage, Chabouté, Pé, aiment les mouvements des oiseaux qui réussissent, par leur seule présence, à rythmer le dessin…

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Mais les oiseaux de la bd peuvent aussi être porteurs de symbolismes plus adultes… Le corbeau du Teuf Teuf club, de Willy Vandersteen, me faisait, enfant frémir de peur… Chez Comès, dans L’ombre du corbeau, cet oiseau couleur de nuit se fait le témoin d’une guerre aux tueries impitoyables.

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Dans la série western Undertaker, de Meyer et Dorison, le compagnon de l’anti-héros, un croque-mort, c’est un vautour, tout simplement… Hommage, en passant, à Lucky Luke dont les albums nous montrent souvent, unis, croque-morts et vautours.

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Il y a également Les sept vies de l’Epervier, série historique de Juillard, et l’excellent Kraa de Sokal, albums dans lesquels l’humain et l’oiseau voient leurs existences se mêler intimement…

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Mais le maître dessinateur animalier de la bande dessinée, c’est sans doute Jean-Claude Servais… Et il est un de ses livres dans lesquels les oiseaux deviennent messagers de la tolérance, de la réflexion, d’une forme de philosophie : L’assassin qui parle aux oiseaux.

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Je ne peux pas ici oublier Jacques Tardi, qui a publié un petit livre de 25 pages muettes, 20 ans en mai 1871, un vrai chef d’œuvre de narration simple sans être simpliste… Un homme, à la fin de sa vie, va accomplir un geste qu’il s’était promis de faire. Et de chez lui jusqu’au Père Lachaise, il est accompagné par une jeune femme, la mort, et par un corbeau… Et symboliquement, ce corbeau observe une fin de vie, sans plus, comme un enfant qui, grâce à un magicien, a pu se transformer en oiseau….

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Et voilà, la boucle de cet article sans prétention est ainsi bouclée…

Jacques et Josiane Schraûwen

Jeremiah – 40. Celui Qui Manque

Jeremiah – 40. Celui Qui Manque

Quarantième album d’une série phare de la bande dessinée !

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Avant de chroniquer cet album d’Hermann, permettez-moi d’abord un petit coup de gueule !

Ici et là, chez « d’éminents collègues », je vois fleurir depuis quelques mois des avis négatifs sur le dessin d’Hermann. Ici, on parle de proportions ratées, là, de mises en scène bâclées, ailleurs de faiblesse dans le scénario.

En fait, en lisant ces avis « éclairés », on se trouve en face de gens aigris probablement, ou en mal de lecteurs aimant les polémiques, des gens trouvant sans doute le dessin des « Sfar et compagnie » parfaits, des gens qui, finalement, prennent leur pied, avec des mots incertains, à accuser Hermann de vieillir !

Il fut un temps où on disait qu’on ne pouvait pas vivre dans le passé. Aujourd’hui, on cherche à nous obliger à vivre sans passé ! Et donc sans mémoire… Et donc sans jamais mettre le talent en perspective…

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Voilà ! Foin de ces experts intellectuellement impotents et déjà vieux sans jamais avoir été jeunes ! Après cette mise en bouche, en mots plutôt, passons, voulez-vous, à ce Jeremiah numéro 40. Et pour ce faire, commençons justement par parler du « passé ».

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Lorsque cette série a vu le jour, elle était une sorte de récit d’aventures postapocalyptiques, dans un proche futur trouvant ses bases dans une réinvention du western.

Au fil des années, Hermann a gardé son univers déshumanisé, mais en le démesurant. Il a aussi fait de l’amitié entre Jeremiah et Kurdy la seule vraie constante narrative, en laissant l’action, l’aventure pure et dure n’être là que comme environnement. Kurdy et Jeremiah ne sont peut-être, après tout, que la continuation graphique et littéraire d’Hermann lui-même.

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Mais cela fait, évidemment, que cette série, tout compte fait ancrée dans les questionnements et les angoisses des années 80, se soit faite peu à peu très différente.

C’est ainsi que, progressivement, le Hermann classique de Comanche a disparu pour laisser la place à un artiste complet, à un dessinateur, certes, mais aussi à un maître de la peinture et de la lumière. Un artiste, oui, se laissant de plus en plus aller, d’album en album, à une sorte d’inspiration immédiate. On ne peut que remarquer, également, l’importance de plus en plus grande qu’a prise la couleur… Une présence absolument époustouflante dans ce quarantième album, où les réalités se font perdues dans des brouillards de poussière jusqu’aux dernières planches s’acceptant lumineuses…

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Dans cet album, un album dans lequel Jeremiah est « celui qui manque », le lecteur doit se laisser emmener par des ambiances bien plus que par des péripéties. Kurdy se retrouve seul… Et il n’est plus que la moitié de lui-même… Et c’est d’amitié, de solitude, d’absence, donc de mort, que parle ce livre. Amour… Amitié… Oui, et tout y participe ici où, une fois de plus, la couleur occupe une place prépondérante.

C’est à travers elle, et elle seulement peut-être, qu’on peut appréhender cet album.

Et puis, il y a le dessin d’Herman… Sa façon de perdre ses personnages dans des brumes presque palpables… Sa façon de trouver, jusque dans ce que d’aucuns appellent la laideur l’infini de la beauté… Sa manière exceptionnelle de rythmer son récit par l’approche qu’il fait, graphiquement, des regards de ses personnages…

Avec Hermann, on quitte les seuls codes de la bande dessinée pour en accepter d’autres, dans la filiation de peintres comme Schiele incontestablement, Munch peut-être, Grosz certainement…

Dans la série « Jeremiah », Hermann s’est mis progressivement en roue libre. Et c’est ce qui fait que, dans ce quarantième album, il n’a jamais été aussi moderne ! Il y dessine l’amitié et l’absence, comme Brel la chantait…

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Voilà… Suis-je trop admiratif ?

Non… Je me suis contenté, dans cette chronique, de répondre au seul sentiment important dans l’existence, le plaisir !

Plaisir d’aimer un des trois ou quatre dessinateurs essentiels du neuvième art… Plaisir de rendre hommage à un talent exceptionnel, et qui ne faiblit pas, n’en déplaise aux pisse-froid qui, de nos jours, se multiplient et veulent tout régenter, justement, du plaisir que peut et doit donner la lecture !

Jacques et Josiane Schraûwen

Jeremiah – 40. Celui Qui Manque (auteur : Hermann – éditeur : Dupuis – octobre 2023 – 46 pages)

Berlin 61 – Les aventures de Kathleen dans un livre totalement belge

Berlin 61 – Les aventures de Kathleen dans un livre totalement belge

De la bd belge, en effet ! Avec le cinquième volume d’une série qui nous fait voyager des années 40 aux années 60.

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Dans les albums précédents, on a vue Kathleen grandir, mûrir, d’enfant devenir femme, le tout dans un environnement proche toujours de la Belgique. On l’a connue enfant, oui, hôtesse de l’air, hôtesse d’accueil, journaliste au fil de ses aventures précédentes. Ici, dans Berlin 61, on la retrouve loin de ses habitudes dans une sorte de parenthèse professionnelle. Elle revient de vacances, dans un train-couchettes.

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Elle y rencontre une violoniste qui disparaît sans laisser d’autre trace que son instrument de musique. Et bien évidemment, Kathleen va vouloir la retrouver… Ce qui va la conduire jusqu’à Berlin où le mur de la honte vient d’être construit… Et la voici plongée, en l’an de grâce 1961, en un lieu où se vit au présent l’Histoire du monde !

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Il s’agit ici d’un récit d’espionnage, un peu comme ces romans de gare vite achetés avant un voyage en train. Une aventure avec des espions, donc, dans un environnement historique qui, graphiquement en tout cas, se veut fidèle à la réalité, à la vérité du temps qui passe…

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Une construction qui plaît à Baudouin Deville, le dessinateur, une narration qui lui permet, sans doute, de s’évader de notre univers de plus en plus étriqué…

Baudouin Deville

Baudouin Deville est un dessinateur classique, sans aucun doute. Son dessin ne cherche pas à « éblouir », mais à raconter, simplement, avec à la fois beaucoup de sérieux et un sourire tranquille…Il aime dessiner les décors urbains, les lieux, les rues, et tout ce qui, dans ces paysages citadins, permet de cerner la vérité d’une ville…

Baudouin Deville

Ce dessin classique n’en est pas pour autant figé. Au fil des années qui défilent dans l’existence de l’héroïne, Baudouin Deville parvient aussi à rendre compte de l’évolution de la société.

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Le point fort de Baudouin Deville, dans ce livre, c’est de recréer les détails quotidiens de cette époque, l’année 1961, au travers des décors, des personnages et de leurs attitudes. Il nous offre ainsi ce qu’on pourrait appeler une suite d’instantanés de la vie d’hier et, ce faisant, il nous fait toucher du doigt, aussi, à certaines avancées sociétales, le couple, les relations amoureuses, la liberté individuelle, ou la place de la femme dans la société… Ce côté quelque peu sociologique fait partie du plaisir de dessiner de Baudouin Deville…

Baudouin Deville

Je vous l’ai dit, Baudouin Deville est un artiste classique. Je le disais aussi, il ne cherche à aucun moment les effets spéciaux, les perspectives non réalistes. Il aime, comme il le dit, poser ses planches et prendre le temps d’en faire comme des instantanés des existences qu’il nous montre.

Baudouin Deville

Etre classique, ce n’est être ennuyeux pour autant ! Et son talent à dessiner des paysages, larges, ouverts sur le rêve en quelque sorte, fait merveille, ici et là, dans chacun de ses albums… Dans le prochain, par exemple, avec cette illustration somptueuse !

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Une série qui se laisse lire, même si le scénario, parfois, prend des libertés pas très compréhensibles avec la vérité historique. Le mot phallocrate, par exemple, utilisé dans ce Berlin 61 comme s’il s’agissait d’un mot usuel de l’époque, n’a vraiment eu cours qu’en 1968. Tout comme le mot machiste qui se cantonnait, au début des années 60, en Amérique latine. Mais ne boudons pas notre plaisir. C’est une série agréable à lire, et, il faut insister sur ce fait, c’est une série formidablement colorisée, avec talent, par Bérengère Marquebreucq. Une série totalement belge, scénariste, dessinateur, coloriste, et éditeur !

Jacques et Josiane Schraûwen

Berlin 61 (dessin : Baudouin Deville – scénario : Patrick Weber – coloriste : Bérengère Marquebreuxq – éditeur : Anspach – novembre 2023 – 64 pages)

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