copyright cfc

Un baba au rhum – entre mémoire et présent, un portrait de femme au rythme de la souvenance

Il ne s’agit pas ici de bande dessinée, mais d’un livre écrit par une femme russe, une graveuse, ayant quitté, il y a des années, son pays natal.

copyright krasnova

Et elle nous livre des parts éparses de sa mémoire, illustrées par certaines de ses gravures… Dans « Un baba au rhum », Ludmila Krasnova nous parle d’elle, au travers de souvenirs qui lui viennent au bout des doigts sans chronologie, au seul rythme d’une souvenance presque poétique. La Belgique est, désormais, son pays, mais à aucun moment elle n’efface son passé, et ses présents sont ainsi dévoilés, par petites touches d’une poésie évidente, au travers du prisme du souvenir. Au-delà de l’exil volontaire, c’est de la vérité de l’existence qu’elle nous parle.

copyright krasnova

Ludmila Krasnova nous parle de ses origines russes, de son exil, de son existence en « Occident », de sa nécessité à transmettre à ses enfants la culture qui forme l’écheveau de ses racines, elle nous parle de sa langue…Elle parle aussi de l’actualité, de la guerre avec l’Ukraine. C’est là un sujet essentiel pour elle, un sujet qu’elle aborde en retranscrivant une conversation qu’elle a eue, par internet, avec son frère, resté en Russie… Une conversation qui lui fait mal… Qui révèle que les idéologies, dans une même famille, dans une fratrie, peuvent s’affronter, se perdre dans les méandres de la haine la plus incompréhensible. D’un côté il y a un homme russe qui se veut défenseur d’une sainte patrie, de l’autre côté, une artiste belgo-russe que la violence et les pouvoirs des armes dégoûtent profondément… Ce passage dans son livre, après tous ses souvenirs d’enfance, forme comme un point d’orgue qui la révèle, sans doute, encore plus, encore mieux, avec une humanité que j’ose appeler resplendissante…

copyright cfc

Pour mieux encore entrer dans son monde, je vous propose, tout simplement, d’écouter Ludmila Krasnova dans une interview à la fois sérieuse et souriante…

Ludmila Krasnova

Jacques et Josiane Schraûwen

Un baba au rhum, un livre de Ludmila Krasnova, paru à Bruxelles aux éditions CFC.

Boule à Zéro – 11. Le Grand Bain

Boule à Zéro – 11. Le Grand Bain

« Bamboo », ce n’est pas Dupuis… Et les grondements imbéciles d’une influenceuse restent lettres mortes pour un éditeur qui sait que Ernst et Zidrou sont les auteurs d’une série bd exceptionnelle et essentielle !

copyright bamboo

« Boule à Zéro », c’est une série qui nous raconte les aventures, appelons cela de cette manière, d’une gamine atteinte du cancer et passant de nombreuses années en hôpital… C’est une série qui, avec une intelligence et une « empathie » évidentes, évite les écueils du mélo facile pour éveiller nos yeux et nos âmes, nos cœurs et nos sourires…

copyright Bamboo

Dans le numéro précédent, Zita, cette gamine adolescente qui a l’apparence d’une fille de sept ans mais qui est une vraie adolescente, apprend qu’elle est guérie… Ou, en tout cas, en rémission et pouvant sortir de ce lieu qui a été son univers pendant tellement longtemps… Dix ans dans un hôpital, dans un étage consacré aux enfants malades, gravement malades…

Dans cet épisode-ci, intitulé le grand bain, Zita découvre la vie, la vraie vie, celle qui se vit dans un monde sans malades, sans infirmières, sans médecins. Sans les amis qui étaient les siens, cette bande de malades, comme elle, dont elle était devenue la guide, la cheffe, pour des 400 coups pleins de folie, pleins de tendresse, plein de vie !

copyright bamboo

Parce que c’est cela, la force et la puissance de cette série, de ses auteurs, Zidrou au scénario et Ernst au dessin, que de nous montrer la maladie et la mort des enfants, de le faire sans inutile pudeur, de nous parler, ainsi, de la désespérance, mais de le faire en nous racontant un quotidien dans lequel les gosses restent des gosses, avec le besoin de bouger, de faire des bêtises, mais d’avoir peur, aussi, et d’oser l’humour face à la camarde omniprésente.

copyright bamboo

Après dix années de ce qu’on appelle un combat contre la maladie, c’est à un apprentissage total du verbe vivre que Zita va se trouver confrontée… C’est ce que nous raconte ce livre, en montrant aussi cette attitude normale de la part de Zita, de couper les ponts avec l’hôpital… Elle qui était le sourire de ses camarades d’étage leur manque, terriblement… Elle était un peu leur âme… Et dans ce livre-ci, cette rupture est difficile à supporter, pour ses camarades, et également pour les lecteurs que nous sommes. Oui, dans ce onzième volume, l’ambiance est très différente… Zita va devoir, non pas se réinventer, mais accepter de nouvelles amitiés… Non pas se reconstruire, mais partir simplement à la recherche d’une part d’elle qu’elle ne connaissait pas et qui, ma foi, n’est pas évidente à supporter !

copyright bamboo

Et tout cela, la vie à l’école, les méchancetés gratuites de gosses dans la cour de récréation, Ernst, de son dessin tout en simplicité et en lumière, le retranscrit avec une tendresse qui estompe le propos parfois proche d’une forme de désespérance. Zidrou, lui, fait cette fois moins preuve de son humour percutant pour laisser la place à une forme de mélancolie, mais de mélancolie souriante ! Avec, toujours, ces clins d’œil qui sont la caractéristique de son écriture… Le collège dans Lequel Zita se retrouve ne s’appelle-t-il pas le Collège Deliège ?… Zita n’a-t-elle pas, d’ailleurs, à l’instar de Bobo, l’envie de s’en échapper ?

Et tout le récit reste toujours étonnamment proche de la réalité… Tout en finesse… Tout en envies de partages, de mains tendues… Tout aussi avec cette constatation sans cesse sous-jacente que les racines individuelles, même avec le refus de certaines mémoires, ne peuvent être que multiples !

copyright bamboo

Ce tome 11, différent dans son empreinte comme dans sa thématique, est, sans aucun doute, un superbe livre, qui fait mal, qui fait sourire, qui donne l’envie de découvrir la suite de cette plongée dans la vie… Et je maintiens ce que je dis depuis des années : cette série est et reste la série la plus réussie, la plus intelligente, la plus humaine, la plus tolérante, la plus humaniste militante, depuis très, très, très longtemps !!!

Jacques et Josiane Schraûwen

Boule à zéro : 11. Le Grand Bain (dessin : Ernst – scénario : Zidrou – éditeur : Bamboo – mars 2025 – 46 pages)

Corbeyran’s Classic Fantastic – Les classiques du fantastique

Corbeyran’s Classic Fantastic – Les classiques du fantastique

Quand un scénariste se donne le plaisir de sacrifier à sa passion, cela donne une petite anthologie de ses goûts de lecteur… Et huit dessinateurs différents !

copyright kalopsia

Je ne vais pas m’amuser ici à répertorier les plus de 400 scénarios dont Corbeyran est l’auteur. Du haut de ses soixante ans, on peut dire, assurément, qu’il a marqué, à sa manière, le monde de l’édition BD… Avec des thématiques très différentes les unes des autres et, le plus souvent, populaires aussi… On peut retenir de son œuvre pléthorique quelques très belles réussites… Je pense à ses « Paroles de… »… A la superbe série, aussi, « Le cadet des Soupetard », avec Berlion au dessin… A côté de cela, force est de reconnaître qu’il s’est également de temps en temps fourvoyé, voire perdu… Et c’est tous ces chemins-là qui construisent une oeuvre, ne véritable oeuvre!

copyright kalopsia

Sans doute Boule et Bill n’avaient-ils pas besoin de renaître de leurs cendres… A mon avis du moins… Sans doute, en se penchant sur le vin, s’est-il un peu trop senti proche, scénaristiquement parlant, de Van Hamme (dont il a pris le relais dans « Mystery »). Mais dans une foule de livres dont il est l’auteur, il y a « Les Stryges », les « Sales Mioches », et pas mal, finalement, de petits bijoux servis par des dessinateurs infiniment talentueux…

copyright kalopsia

Dans cet album-ci, Corbeyran veut partager avec ses lecteurs une de ses passions… Le fantastique a nourri son imaginaire, depuis toujours, même s’il n’a pas occupé le première place dans ses productions. Mais il est évident qu’un auteur, quel qu’il soit, nourrit toujours ses écrits, ses œuvres, ses imaginaires de tout ce qu’il a lu auparavant, de tout ce qu’il lit encore. Et Corbeyran l’avoue, dès l’entrée de ce livre : il nous présente huit adaptations de nouvelles d’écrivains sans lesquels il n’existerait pas…

Huit écrivains « fantastiques »… Mais d’un fantastique anglo-saxon, exclusivement… D’où cette petite remarque de ma part : le sous-titre « les classiques du fantastique » est quelque peu mensonger… Où sont les Jean Ray, les Thomas Owen, les Claude Seignolle, les Marcel Béalu, les Gérard Prévot, les Gustav Meyrinck ? Pourquoi dénier ainsi, en une petite formule lapidaire, le fantastique européen, tellement différent de celui qui nous vient de l’autre côté de l’Atlantique ?

copyright kalopsia

Je referme cette parenthèse, rapidement, parce que, finalement, en faisant cet album, je pense que Corbeyran a voulu rendre hommage au môme qu’il a été, et à une forme de bd qui l’a enchanté comme elle a enchanté toute une génération… Les « magazines » Eerie, Creepy, par exemple, avec des révélations de dessinateurs qui ont marqué totalement l’histoire de la bd américaine en dehors du circuit des superhéros… Corben entre autres, y a peaufiné un art qui a définitivement marqué les possibles narratifs, expressionnistes, du dessin.

Et donc, c’est un peu une renaissance d’un de ces magazines qu’on tient entre les mains avec ce livre. Avec des adaptations très différentes les unes des autres, par la façon dont Corbeyran les a travaillées, par la manière aussi, bien évidemment, dont huit dessinateurs ont pris en charge ces adaptations. Pour Poe, il y a un vrai respect du texte original, mais avec peut-être trop de raccourcis… Avec Lovercraft, j’ai l’impression que son adaptation prouve que cet écrivain qui fut sans doute génial, qui fut sans doute fou, est impossible, définitivement à adapter, en bd comme au cinéma. Avec Howard, Corbeyran nous fait découvrir un dessinateur, Gajic, au talent classique rendant à merveille les ambiances à la fois glauques et quotidiennes d’un récit horrifique et tranquille en même temps. Dans son adaptation de Le Fanu, on ne peut qu’admirer le sens des couleurs. James et Hodgson sont également présents au fil des pages de cette petite anthologie subjective…

copyright kalopsia

Les fins des nouvelles ici adaptées sont toutes, à leur manière, « ouvertes ». Ce qui permet, comme dans toute œuvre fantastique, au lecteur de participer, en quelque sorte, à l’histoire racontée. Comme nous sommes dans un fantastique américain, la thématique première, en dessin comme en scénario, tourne autour des monstres, c’est une évidence. Et je mets en avant le dernier chapitre de ce livre, inspiré par Howard, et qui me semble le plus réussi ! Par un scénario fluide, d’une part, et un dessin de Nicolas Guénet qui, avec une réussite parfaite, rend hommage à Richard Corben… Et ce qui fait le plaisir à lire cet album, c’est aussi le fait d’y trouver différents styles, littéraires et graphiques, qui ressemblent à un puzzle (incomplet) de ce que peut être une forme précise (et réductrice) du « fantastique » !

copyright kalopsia

Un livre intéressant, donc… Inégal, bien évidemment, comme le sont, finalement, toutes les anthologies, depuis toujours… Avec, et c’est un de mes regrets, quelques fautes d’orthographe qui ont arrêté mon regard, de ci de là… Un livre qui m’a donné l’envie de replonger dans Frazetta, Corben, et bien d’autres, de replonger en pays de nostalgie, oui, de me souvenir de ces frissons que, ado, j’adorais ressentir en souriant…

Jacques et Josiane Schraûwen

Corbeyran’s Classic Fantastic – Les classiques du fantastique (scénario : Corbeyran – dessin : huit auteurs – éditeur : Kalopsia – mars 2025)