Marc Wasterlain, un dessinateur pour jeune public ?… Pas seulement !
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Reconnaissons-le : le Docteur Poche vivait dans un univers fantastique, magique, farfelu, poétique, mais dans lequel la gent féminine n’avait qu’une toute petite place.
Reconnaissons-le aussi : Jeannette Pointu, accorte certes, n’en est pas moins, d’abord et avant tout, une aventurière. Mais une aventurière aux vêtements révélateurs, déjà, de tout l’intérêt graphique que son créateur porte à la morphologie féminine. Que Marc Wasterlain porte à la féminité !
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Et il le prouve, dans ce carnet de dessins qui ne s’intéressent qu’aux dames.
Ne vous attendez pas, cependant, à un livre au réalisme torride, à l’érotisme sournois ! Il n’y a rien de sournois ni de vulgaire dans l’approche que fait Wasterlain des femmes qu’il a croisées, rencontrées, imaginées. Il n’y a que l’envie de leur rendre, à toutes, un véritable hommage tranquille.
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Ce sont des dessins tranquilles, oui, souriants souvent, sexy mais jamais exclusivement. Ce sont des portraits, rapides comme des instantanés, qui nous donnent à voir des femmes au quotidien de leurs gestes. À nous amener, lecteurs, à aller au-delà des seuls miroirs de l’apparence.
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Ces femmes croisées, ici dans leur intimité, là dans la gestuelle la plus naturelle de la vie sociale, réussissent toutes à attirer nos regards, à se révéler, dans leur normalité, tout simplement, sans effets… J’ai beaucoup aimé, par exemple, cette page où, entre deux tableaux de Picasso, une femme en sous-vêtements affriolants, l’air à la fois serein et ennuyé, nous prouve qu’il y a mille manières de considérer la beauté, l’érotisme, le désir.
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C’est bien de cela qu’il s’agit, finalement ; la Beauté ! Mais pas celle que les modes cherchent à imposer plus qu’à magnifier, non ! La beauté sans fards, la beauté de la nudité, la beauté tantôt gracile tantôt ronde, la beauté des regards et des sourires… La beauté, oui, dans toute sa vérité…
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Avec un style reconnaissable entre tous, avec sérieux ou avec humour, Wasterlain nous dresse, à sa façon, un panorama de la féminité, toujours multiple, toujours essentielle, n’en déplaise aux tristes moralisateurs qui, de nos jours, pullulent de plus en plus !
Un livre, donc, à feuilleter avec plaisir, simplement, et pour le plaisir…
Jacques et Josiane Schraûwen
Carnet de dames (dessin : Marc Wasterlain – couleur : Oriana Esposito – éditeur : éditions du tiroir – 2022 – 50 pages)
Toutes les bandes dessinées, n’en déplaise à quelques critiques à la culture limitée, ne demandent pas que ne soient utilisés à leur lecture que quelques neurones sans mémoire ! C’est le cas de cet album, étrange mais envoûtant.
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Sans doute se trouve-t-on dans les années trente, quelque part en Allemagne. Dans un train, un vieil écrivain se demande si ce qu’il a écrit, avec passion ou par nécessité, par jeu ou volonté, si les mots qui ont été les siens, poèmes classiques ou modernes, si toute cette littérature l’a conduit plus loin qu’en son départ.
Dans son compartiment, un homme attire son attention. Monocle et air hautain, cet inconnu, soudain, réveille en lui l’envie d’écrire. Le besoin d’écrire…
Mais on l’attend. Un ami communiste, dans une auberge campagnarde.
Mais l’ami n’est pas là, pas encore en tout cas. Et l’écrivain, devant son verre de vin, commence son roman. Il donne un nom à cet inconnu, « M », et les premiers mots de son livre en devenir sont : « une histoire d’amour, d’innocence et de dépravation en des temps de pestilence ».
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Immédiatement, les références sont évidentes… M, comme le personnage de Fritz Lang… Et un dessin puissant qui fait penser au cinéma expressionniste allemand… Et une serveuse, dans cette auberge, dont le nom, Lore, fait penser à l’acteur Peter Lorre…
Cependant, à partir de cette trame référentielle, Jean-Louis Schlesser au scénario et Marc Angel au dessin ne se contentent pas d’une plongée littéraire dans un monde aux contours précis. Ils s’amusent même, de page en page, à perdre le lecteur dans deux univers parallèles qui s’entrechoquent sans jamais cependant se fondre l’un à l’autre.
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Deux univers parallèles, oui.
Il y a celui qu’imagine et écrit l’écrivain, un récit qui dévoile une Allemagne s’enfonçant dans le nazisme, un récit qui « danse au bord d’un précipice ». L’histoire, faisant penser à la fois à l’Ange Bleu et à Cabaret (références cinématographiques, encore…), d’une chanteuse de bouge, Perla, que M va sortir de la drogue pour en faire une vedette, avant de la rejeter aux abîmes de la dépendance… C’est là, sans aucun doute, une fable sur cette Allemagne qui accepte, avec l’illusion d’un courage qui n’est que le réel d’une lâcheté, le faux miroir du pouvoir de Hitler, sans se rendre compte que les promesses de renouveau vont se transformer, brutalement, en une apocalypse répugnante…
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Mais il y a aussi l’autre univers, celui du présent des personnages. Celui de cette auberge loin de tout, mais dans laquelle, déjà, le nazisme s’installe peu à peu… Celui de cet homme qui écrit… Celui de cette serveuse qui se prend au jeu et qui veut se retrouver dans ce roman, sous les traits, bien sûr, de la belle éperdue et perdue Perla…
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Ces deux histoires cohabitent sans heurts, grâce à une utilisation du dessin extrêmement réussie… Un noir et blanc agressif, anguleux, presque brut, d’une part, pour ce « présent » qui se construit, et une sorte de noir et blanc estompé, tel un lavis discret et presque poétique, pour ce qui est écrit, ce qui est raconté, ce qui est imaginaire…
Mais où se trouvent, finalement, la fiction et la réalité, et des barrières existent-elles vraiment entre la création d’un artiste mettant en scène une artiste, et un quotidien dans lequel le merveilleux n’existe qu’en rêve ?
Parce que c’est là, sans doute, que ce livre, parfois obscur, quelque peu difficile d’accès, prend tout son envol : c’est le processus de la création que les auteurs nous donnent à voir, à découvrir. Le processus de la création, oui, de toutes les créations, même, qu’elles soient littéraires ou politiques ai-je envie de dire. L’écrivain est le protecteur de ses personnages, il en devient le responsable, il finit par en être la victime. Les autres « humains » de ce livre, tels la belle Lore, jouent le jeu, jouent un jeu, les pieds ancrés dans le réel. De cette façon, les auteurs de cet album qui étonne, qui désarçonne, qui envoûte cependant, nous montrent des portraits de sentiments plus que de personnages, des portraits de désirs tus et inavouables, des portraits qui révèlent les limites de toute écriture, voire de tout engagement.
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Certes, ce n’est pas un livre aisé. Mais c’est un livre qui montre que la bande dessinée est un art à part entière, un art qui prend vie quand il pose des questions sans spécialement y apporter des réponses, quand il ose se balader dans d’autres arts dont il devient le reflet sans cesse changeant. Le monocle de Von Stroheim n’y est qu’un symbole de plus, celui de la cohabitation, historiquement courte, de deux mondes, l’ancien qui participe consciemment à l’avènement du nouveau… Du nouvel ordre !
A lire, à savourer, en se laissant entraîner comme on se laisse emporter devant un tableau que l’on aime… Et grâces soient rendues à Mosquito, éditeur courageux et intelligent…
Ces dernières années, plusieurs séries se sont axées sur la grande Histoire et les enfants amenés à la subir… C’est encore le cas, ici, de manière réussie…
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Et ces enfants, on les retrouve, au printemps 1789, dans le faubourg saint Antoine, à Paris, un quartier dans lequel cohabitent différentes classes sociales : des ouvriers, des artisans, des miséreux, et des patrons fortunés, aussi, dont un certain Réveillon, l’homme la plus riche du quartier. Y vivent un artisan et son fils Michel, un gamin de onze ans curieux de tout ce qui est technique nouvelle. Un gamin qui adore se plonger dans un traité de serrurerie.
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Et puis, il y a Charlotte, voleuse de haut vol, du même âge que Michel. Mais elle ne fait pas partie, elle, des privilégiés de la vie, et sur les toits de Paris, dans un refuge secret, l’abri des enfants perchés dont elle la cheffe.
Charlotte est libre comme le vent, comme l’enfance, Michel rêve d’engins à inventer et veut faire de son enfance un pays de magie quotidienne. Et ces deux enfants, bien évidemment, sont amenés à se rencontrer…
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Seulement, on se trouve en 1789… En une année où l’enfance n’a plus vraiment le temps de rêver, de se rêver. Au cours d’une émeute, près de la Bastille, le père de Michel disparaît. Le gamin doit être placé dans un orphelinat dont il réussit à s’échapper avec comme but de retrouver son père. Et c’est au cours de sa fuite qu’il fait la rencontre de Charlotte. Celle-ci, avec sa bande d’enfants perchés, va l’accueillir dans leur repaire sur les toits de la cité.
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Et au-delà de cette aventure, ce livre aborde aussi la grande Histoire. Sur fond de crise sociale, d’inégalités profondes, de misère insoutenable, l’auteur de ce livre, Bordas, nous fait entrer, à travers des regards d’enfants, dans une époque qui va changer la face de la France, de l’Europe : l’année de la Révolution française.
Ce livre est un premier tome. Un premier opus dans lequel Bordas nous présente et met en scène tous les protagonistes de son récit, en les ancrant, grâce aux décors fouillés entre autres, dans cette année pivot de l’Histoire de France. Il le fait sans caricature ni manichéisme. Il le fait avec un dessin qui allie plusieurs influences, dont celle du manga dans son découpage des séquences mouvementées. Il le fait avec des tas de détails, aussi, dont on devine, à la lecture, qu’ils trouveront leur place dans les albums suivants. C’est une série qui commence lentement, mais qui est pleine de promesses, sans aucun doute. Une série dessinée avec souplesse, vivacité, et colorisée avec un vrai sens du rythme et d’une certaine pudeur, aussi…
Bordas, l’auteur
Livre de présentation, dans lequel ne font encore que se deviner des relations et des péripéties qui, on le sent, on le sait, prendront vie dans les tomes suivants, ces enfants perchés de la révolution est une belle surprise… Un album qui donne envie de vite connaître la suite de l’histoire qui y est racontée, une histoire pour enfants et parents ! Une histoire dont le récit va continuer à éveiller chez les lecteurs, très certainement, des échos très actuels…
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Jacques et Josiane Schraûwen
Les Enfants perchés de la Révolution : 1. L’Affaire Réveillon (auteur : Bordas – éditeur : Casterman – janvier 2023 – 64 pages dont un dossier historique de 4 pages)