Amy Pour la vie

Amy Pour la vie

Un livre intelligent et tolérant ! Un livre, tout simplement, tous publics, qui fait du bien.

copyright Bamboo

Dans cet album, on découvre une petite fille de 12ans, la brune Amy. On peut dire d’elle qu’elle pratique au quotidien la joie de vivre. Et pourtant, cela ne devrait pas être chose facile, puisqu’Amy est non-voyante. Et c’est son existence au jour le jour qu’on découvre dans ce livre qui, même s’il est destiné à un jeune public, se doit d’être lu par toute une chacune, par tout un chacun !

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Il est vrai que tout cela pourrait donner lieu à un livre mélo, et cela ne l‘est nullement !

L’éditeur Bamboo a l’habitude de proposer des livres pour jeunes, en surfant sur la mode des gags en une page : les blagues de Toto, les Profs, les joueurs de foot, ou de rugby, que sais-je encore… Et j’avoue que ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, comme on dit, même si certaines de ces séries à succès sont réussies, dans le genre.

Mais Bamboo, c’est aussi l’éditeur d’une série exceptionnelle qui parle d’une adolescente qui vit en hôpital, avec d’autres enfants, pour soigner son cancer : « Boule à Zéro », de Ernst et Zidrou. Là aussi, on se retrouve face à un sujet qui aurait pu être larmoyant et qui est, tout au contraire, d’une tendresse fabuleuse.

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Tout comme ce livre-ci !

On y suit, de page en page, Amy et son chien guide dans la rue, à l’école, avec ses copains, faisant du sport… Plus que des gags, je dirais que ce sont des petites tranches de vie souriantes. Amy va à l’école avec son chien, ce qui provoque un intérêt de la part des profs et de la direction, mais aussi de la part des autres élèves qui font, soudain, de la salle de classe une ménagerie…

Je le disais, rien de larmoyant, même quand Amy et son chien Kita participent à des classes vertes et que l’adolescente se sent « hors-jeu » à cause de son handicap. Mais ses amis lui rendent le sourire en transformant cette classe verte en une classe noire, toutes lumières éteintes le soir, pour que chacun puisse découvrir, réellement, ce que c’est que de ne pas voir… Ce livre, c’est vraiment un ami pour la vie, un ami pour la vue… Et des amitiés qui, pour utopiques qu’elles soient dans la réalité, malheureusement, font réfléchir et donnent l’espoir d’un monde qui peut devenir meilleur.

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Il n’y a finalement rien d’enfantin, dans ce livre…

Et le côté bande dessinée se complète par des fiches pédagogiques sérieuses, mais traitées avec simplicité… Au sujet des chiens guides, bien sûr, mais pas uniquement. Comment, par exemple parler à une personne aveugle… Il faut lui dire quand on sourit, quand on s’en va…

Et ce qui est à souligner, vraiment, c’est l’humour simple et gentil. Dans le scénario, d’abord, avec un sens très « parlé » de l’écriture et des dialogues. Dans le dessin, évidemment, qui n’est jamais caricatural et qui, non réaliste, réussit de ce fait à faire passer des messages importants.

Je dirais que, à sa manière, ce livre fait l’éloge de la différence… Nous pose la question de savoir ce qu’est la normalité. Au travers, par exemple, de cette réflexion de la part de Louka, un ami d’Amy : « on n’est jamais obligé de faire comme tout le monde »…

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Oui, c’est un livre agréable, qui fait du bien, qui nous fait croire que nous pouvons rendre notre monde plus habitable qu’il ne l’est…

Jacques et Josiane Schraûwen

Amy pour la vie (dessin, Cécile – scénario : Derache et Cazenove – (très jolies) couleurs : Annelise Sauvêtre – éditeur : Bamboo – 56 pages – avril 2022)

Melvile : L’histoire de Ruth Jacob

Melvile : L’histoire de Ruth Jacob

Une ville… Une histoire d’amour… Des absences… Et la mémoire, toujours plurielle…

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Dans cette « série » d’albums écrits, racontés, dessinés, mis en musique par Romain Renard, on se plonge dans une forme de bande dessinée extrêmement originale.

D’abord parce que c’est une ville qui en est l’héroïne. Une ville de province, ici, ailleurs, n’importe où, une ville dans laquelle les habitants deviennent les témoins de leur propre existence, avec indifférence parfois, avec révolte de temps en temps, avec un besoin de fuite, de retour, également.

Chacun des tomes de cette série s’axe autour d’un récit central, un récit « humain ». Mais on a vraiment l’impression que Romain Renard est bien plus qu’un conteur… Il est, en quelque sorte, le chroniqueur d’un lieu dans lequel son âme s’est enfouie en même temps que ses personnages.

Je ne vais pas vous résumer cette histoire de Ruth Jacob… Les livres de Romain Renard doivent se découvrir, lentement, patiemment, passionnément… Il faut, lecteur, prendre le temps d’en appréhender le rythme, les rythmes. Parce que l’important, dans ces livres, dans celui-ci, aussi, ce n’est pas l’anecdote, mais c’est ce qu’elle peut révéler de nos propres failles, de nos propres souvenances.

copyright Le Lombard

Traitée comme peut l’être un documentaire télévisé, avec un dessin aux couleurs essentielles, avec une musique à télécharger et écouter, cette histoire se balade et nous balade entre passé et présent. Elle nous promène dans des enfances qui, finalement, ressemblent aux nôtres.

On pourrait presque parler, ici, de réalisme magique, de cette façon d’écrire chère à Johan Daisne, écrivain flamand à redécouvrir, lui qui fut odieusement trahi par le cinéaste Delvaux et son très mauvais « Un soir un train »…

C’est vrai qu’il y a de la magie… Mais quotidienne, pas du tout « fabriquée ». Ce livre n’est pas, même si le traitement graphique peut le faire penser, un livre « fantastique ». C’est un livre totalement réaliste… Un livre qui aborde des thèmes extrêmement variés, comme l’irresponsabilité, la religion, le désir, la haine, l’engagement, mais comme parties prenantes, tout simplement, de toute humanité…

copyright Le Lombard

Romain Renard est un auteur totalement atypique. Je me souviens du spectacle musical et « filmé » qu’il avait créé pour un de ses précédents albums, un spectacle que j’avais été voir avec mon épouse au centre culturel de Saint-Gilles… Nous avions découvert là quelque chose qui restait de la bande dessinée sans l’être encore véritablement…

Atypique, oui. Passionnant, tel est cet auteur inclassable, que j’ai interviewé, et que, dès lors, je vous invite à écouter…

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Jacques et Josiane Schraûwen

Melvile : L’histoire de Ruth Jacob (auteur : Romain Renard – éditeur : Lombard – janvier 2022 – 400 pages)

Romain Renard
Londonish – un livre adorablement amoral !

Londonish – un livre adorablement amoral !

L’amitié, l’amour, les ravages du temps qui passe, les Stones et les Beatles… Une reconversion dans le crime de haut vol… La retraite n’est pas vraiment triste du côté de Londres !

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J’ai toujours aimé ces livres qui, sans en avoir l’air, aiment ruer dans les brancards, aiment mêler les genres, aiment surprendre, voire même provoquer.

J’ai toujours aimé être surpris, oui… Et comment ne pas l’être avec cette bande dessinée dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est atypique !

Atypique, mais « traditionnelle » dans son découpage, dans sa narration parfaitement assumée et assurée entre passé et présent.

Atypique parce que les trois personnages principaux de cet album ne sont ni beaux ni séduisants, ni jeunes ni bobos, ni bien-pensants ni adeptes de Panurge. Ils sont (presque) normaux, avec leurs failles, leurs mensonges, leurs désirs oubliés, leurs passions reniées…  et leurs mensonges !

copyright Bamboo

Trois personnages, oui…

Glenn, retraité et pauvre, avec l’impression horrible d’avoir raté sa vie.

Jude… La femme que Glenn a aimée, aime encore… Mais qui s’est mariée avec un autre, quarante ans auparavant.

Cet autre, c’est Max, tenancier d’un pub totalement voué au culte des Beatles et du Sergent Pepper.

Dans ce pub, Max va organiser une soirée en costume, pour honorer encore et encore les Beatles… Mais cette soirée va devenir le point d’orgue de ces trois existences mêlées, de leurs secrets inavoués et sans doute inavouables !

Et puis, il y a le hasard. Celui qui permet à Glenn de devenir un livreur de mallettes dont il ne connaît pas le contenu, mais dont il sait pertinemment que c’est illégal. Il y a un mort, aussi… Un cadavre à faire disparaître, un cadavre, surtout, qui finit par donner à nos trois amis des idées pas très orthodoxes !

copyright bamboo

Un petit vieux tranquille, qui ne l’est pas vraiment… Un couple modèle qui cultive l’ennui bien plus que la passion… Des Beatles et des Stones qui sont peut-être des symboles détournés… Tout ce livre nous entraîne, en fait, dans une approche sombre et pessimiste de ce que sont les apparences, toujours mensongères, une approche qui, par des allers-retours narratifs entre passé(s) et présent, donne chair à des êtres de papier dans lesquels on ne peut que se reconnaître, en partie.

Est-ce une fable ?… Non, pas vraiment… Mais une manière peu conventionnelle de parler du vieillissement, de parler de l’amour, de l’amitié. De la haine, aussi… De la société et de ses dérives, également. Peu conventionnelle, pessimiste, sans aucun doute, mais avec un humour qui lie à merveille la sauce de ce récit !

Un récit, je le disais, qui mélange les genres et le fait avec talent.

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Le scénariste, Philippe Charlot, aime prendre son temps pour installer ses personnages… Il le fait avec talent, réussissant à créer petit à petit, avec un sens de la progression absolument réussi, une ambiance différente, réussissant à transformer un portrait presque sociologique et simplement humain en un polar et en un roman noir à l’américaine… On a toujours l’impression, avec lui, qu’il aime autant surprendre qu’être surpris par les méandres de son imagination.

Le dessin de Miras, lui, d’un semi-réalisme efficace parfois très proche de la caricature, est d’une superbe fluidité, d’une belle construction, aussi. D’une couleur, en outre, qui donne un relief évident aux objets et aux personnages de cet album !

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L’immoralité est une des composantes de la personnalité, probablement.

L’amoralité, elle, est un choix… Un choix passionnant, passionné, passionnel… Et c’est elle, cette façon que l’homme peut avoir de se vouloir exister sans dépendre d’une morale qui, de toute façon, est toujours la morale des autres, c’est cette amoralité, oui, qui est le centre de gravité de cet album, c’est elle qui permet finalement, à l’Amour, majuscule, de redevenir une réalité !

Jacques et Josiane Schraûwen

Londonish (dessin : Miras – scénario : Philippe Charlot – éditeur : Grandangle – 72 pages – janvier 2022)