Marcel Pagnol en Bande Dessinée

Marcel Pagnol en Bande Dessinée

Cinq albums sont déjà parus dans cette collection de chez  » Grand Angle « . Cinq livres ensoleillés, qui fleurent bon le romarin et qui se lisent avec l’accent…

Deux scénaristes, Serge Scotto et Eric Stoffel  (par ailleurs également dessinateurs) se sont attelés à la tâche difficile mais passionnante d’adapter Marcel Pagnol en bande dessinée. Et reconnaissons-le, leurs scénarios sont extrêmement bien construits, tout comme les dessins de leurs complices graphistes. Eric Hübsch, Morgann Tanco et A. Dan se sont parfaitement immergés dans un univers foisonnant de personnages, d’une part, mais surtout de sensations, le tout baigné dans une véritable sensualité campagnarde et souriante.

Marcel Pagnol appartient à l’histoire du cinéma comme de la littérature. Raimu et Fernandel, sans aucun doute possible, ont trouvé avec lui quelques-uns de leurs meilleurs rôles.

On peut dire de cet auteur qu’il était un touche-à-tout, mais un touche-à-tout de génie qui a eu besoin, tout au long de son existence comme de son œuvre, de rester proche de ce qu’il connaissait profondément : la Provence, les garrigues, l’air chargé de soleil et de senteurs multiples, les petites gens ancrées dans la nature, et, comme le disait Bécaud, l’accent qui, sans cesse, se promène bien au-delà des seuils marchés.

Pagnol ne s’est jamais non plus contenté de ronronner dans un bien-être tranquille né de ses succès. Il aimait se renouveler, changer ses points de vue, en quelque sorte.

Et l’adapter en bande dessinée n’est donc pas du tout une hérésie, loin s’en faut ! Ce serait plutôt, à mon avis, une relecture de ses livres, une relecture qui vaut bien mieux, d’ailleurs, que toutes les dernières réalisations cinématographiques censées lui rendre hommage.

Adapter Pagnol, c’est adapter sa langue, ses descriptions, son rythme aux lenteurs calculées, ses impressions sans cesse partagées. Adapter Pagnol, c’est, pour les scénaristes, le laisser, tout simplement, encore et encore parler.

Eric Stoffel: adapter Pagnol

Et pour arriver au résultat final, c’est-à-dire quelques albums déjà qui sentent bon l’aventure quotidienne humaine, il a fallu, évidemment, une collaboration étroite entre les scénaristes et les dessinateurs, tant au niveau du découpage, de la mise en scène, que de la couleur. Une collaboration qui atteint parfaitement son but : nous livrer des albums passionnants, même si, pour nombre d’entre nous, les livres originels ont fait partie des lectures de notre enfance

Eric Stoffel: du scénario au dessin

On peut se poser la question de savoir si, de nos jours, Pagnol peut encore plaire. Lire ces albums, c’est avoir, tout de suite, la réponse à cette interrogation. Oui, Pagnol est et restera toujours un formidable raconteur d’histoires. Des histoires qui, tantôt rythmées, tantôt plus contemplatives, ont toutes un point commun : celui de mettre l’humain au centre de tout. L’humain, oui, sous toutes ses formes, avec ses qualités, ses défauts, ses ambitions (comme dans Topaze), ses failles (comme dans Merlusse). L’humain qui, à aucun moment, ne renie l’enfance qui fut la sienne.

La richesse d’écriture de Pagnol ne perd rien de sa force évocatrice dans les adaptations dessinées qui en sont faite aujourd’hui. Et, de dessin en dessin, de paysage en décor intérieur, c’est sa présence, souriante, qui continue à occuper l’essentiel de la place !

Eric Stoffel: des histoires et un homme…

Une des grandes caractéristiques de Pagnol, également, c’est l’humour… Il suffit de se souvenir du  » Schpountz  » pour se rappeler tout le talent de Pagnol pour réussir à mêler, intimement, le drame, le mélodrame et le rire le plus tonitruant.

Il en va de même dans ses livres, bien sûr. Et il fallait qu’il en soit ainsi également dans ces albums de bande dessinée !

C’est le cas, mais de façon moindre que dans les films et les romans de Pagnol. On rit, certes, mais on sourit, surtout. Et ce malgré les thèmes abordés qui, souvent, n’ont rien de spécialement réjouissant, comme dans Topaze par exemple. On sourit, on s’amuse, on aime, lecteurs étonnés, se plonger dans des histoires anciennes qui, étrangement, n’ont rien de daté !…

Eric Stoffel: le rire de Pagnol

On peut dire, sans risque de se tromper, que cette série d’adaptations vaut le détour, pour les amoureux de la Provence, du soleil, de la langue chantante qui est le lien entre tous ses habitants. Pour tous les publics, aussi, tous les âges.

Pour tous ceux, finalement, pour qui le neuvième art est d’abord et avant tout un plaisir de lecture, de regard, de sentiment !

 

Jacques Schraûwen

Marcel Pagnol en bande dessinée (éditions Bamboo/Grand Angle)

Rose : 1

Rose : 1

Qui n’a pas rêvé de pouvoir se dédoubler et de pouvoir ainsi découvrir l’intimité des  » autres  » ?… Mais pour Rose, ce n’est pas un rêve. Et cette réalité va peser lourd sur sa jeune existence.

« Je est un autre » (Rimbaud)

Voilà bien longtemps que la mère de Rose est morte, la laissant seule avec ce don étrange qui lui fait fuir, sur commande, le monde tangible de la réalité quotidienne pour celui de la vie de ceux qui l’entourent, de ceux qu’elle croise. Et voilà que son père, ancien policier, meurt aussi, assassiné, lui léguant un ancien collègue séduisant, des questions sans réponses, une maison et ses étranges locataires. Etranges, oui, puisqu’il s’agit de fantômes, des ombres perdues entre l’ici et l’ailleurs et que Rose, seule, peut voir, regarder, avec lesquels Rose, seule, peut parler, dialoguer.

Et puis il y a un tableau, ancien, dont la ressemblance avec la mort violente de son père est évidente…

J’ai épinglé, ainsi, une phrase de de livre, qui me semble résumer, ou en tout cas initialiser, tout le récit de cet album, toute sa trame narrative :  » ton fantôme vit déjà en toi « .

Parce que, pour devenir elle-même, pour se découvrir et s’accepter, Rose va n’avoir d’autre possibilité que d’utiliser ce don qu’elle appelle une maladie, que d’accepter l’aide et la compagnie des fantômes qui en savent bien plus qu’elle sur le passé de sa propre famille.

Il y a dans ce premier volume de ce qui doit être une série en trois épisodes tous les ingrédients de ce qui pourrait n’être qu’une aventure  » gore  » de plus : un meurtre, une enquête policière, une espèce de super-héroïne qui ne se veut pas telle, du fantastique entre Ray et King… Mais il n’en est rien, parce que les scénaristes nous emmènent à leur suite dans la construction d’une existence, une existence dans laquelle le fantastique, certes, est bien présent, mais comme révélateur plutôt que comme moteur. Plus qu’un livre fantastique, d’ailleurs, cet album me semble d’abord et avant tout poétique…

Denis Lapière, le scénariste

« Je parle à qui je fus et qui je fus me parle » (Michaux)

Le dessin aurait pu certainement se révéler, lui aussi, totalement immergé dans un univers somme toute glauque, celui de l’incompréhensible prenant place dans la vie de tous les jours, celui d’un meurtre à élucider, celui d’un passé que l’on devine lourd de conséquences actuelles. Mais Valérie Vernay, au travers de son graphisme, choisit la même voie que ses scénaristes : celle de l’humain, celle de la simplicité, aussi.

Simplicité de traits, de décors, d’expressions, de découpage. Elle démine ainsi, par un humour visuel, et par l’utilisation contrastée et lumineuse des couleurs, un propos qui pourrait sinon être pesant et angoissant.

Si Denis Lapière choisit une intrigue dans la lignée de Rimbaud, Valérie Vernay, elle, par son dessin, permet à ses protagonistes de dialoguer entre eux, bien sûr, mais aussi et surtout avec ce qu’ils furent et ce qui les a, même inconsciemment, créés.

Valérie Vernay, la dessinatrice

De cette collaboration entre deux scénaristes et une dessinatrice, une collaboration aux frontières de la poésie, du fantastique, du quotidien et du polar, il résulte un premier album qui parvient sans faiblesse et sans temps mort à mettre en place des personnages dont on devine les ambiguïtés, dont on devine l’importance qu’’ils occuperont dans les deux albums suivants.

Quête identitaire sur fonds de fantastique, Rose est d’ores et déjà une série attachante, intelligente, qui se lit avec plaisir. Et dont, je l’avoue, j’attends la suite avec une certaine impatience !

 

Jacques Schraûwen

Rose : 1 (dessin et couleur : Valarie Vernay – scénario : Emilie Albert et Denis Lapière – éditeur : Dupuis)

Andersen – Les Ombres d’un Conteur

Andersen – Les Ombres d’un Conteur

Plus qu’une biographie, voici un très beau voyage, à la fois dans l’œuvre, l’imaginaire et le vécu d’un auteur devenu icône de la littérature pour enfants.

Le personnage de Hans Christian Andersen appartient à la grande histoire de la littérature. Grâce aux studios Disney, même si leurs adaptations largement édulcorées de  » La Reine des Neiges  » ou de  » La petite Sirène  » sont pour le moins infidèles à l’œuvre originale, la renommée de cet écrivain reste aujourd’hui entière.

Cela dit, derrière les mots écrits de quelque auteur que ce soit se cachent des réalités souvent peu connues, méconnues ou totalement oubliées. Et la force et l’intelligence de Nathalie Ferlut sont de nous plonger, justement, dans toutes les ombres d’Andersen… Les ombres portées, d’abord, par tous les personnages qu’il a inventés, en s’inspirant souvent du folklore nordique. Les ombres de sa propre existence, ensuite, des ombres qu’il s’est amusé à créer pour masquer ses besoins viscéraux de notoriété. Les ombres, enfin, d’une personnalité hors du commun, à la fois publique et secrète. Les ombres, aussi, des dessins fantastiquement poétiques de Nathalie Ferlut…

Il en résulte une biographie qui n’en est pas vraiment une, une biographie qui devient un conte, elle aussi, grâce à un graphisme sans cesse changeant, grâce à un travail sur la couleur absolument phénoménal, grâce à une construction, tant graphique que littéraire, déroutante mais toujours envoûtante.

C’est, en fait, par des voies détournées, que Nathalie Ferlut nous fait découvrir les mille réalités mouvantes d’un auteur au génie universellement reconnu. Et cela fait de ce livre un bel album à lire, et un très bel objet, aussi, à regarder.

Nathalie Ferlut: les ombres
Nathalie Ferlut: une biographie faite d’écriture et de couleurs

J’ai toujours pensé qu’un artiste, pour exister, pour être profondément créateur, a besoin, avant tout, d’un tempérament fait de sensualité, de sentiments, d’amour et d’amitié. Et dans ce domaine-là, aussi et surtout peut-être, Andersen a toujours cultivé un secret opaque.

Pour en parler, Nathalie Ferlut fait preuve, donc, d’imagination, elle fait preuve aussi de pudeur, sans pour autant éviter de nous parler et de nous montrer les érotismes et les amours diffus de son héros.

Un héros qui semble avoir attaché plus d’importance aux soutiens qu’il pouvait obtenir pour arriver à ses fins, le succès et la notoriété, qu’à l’amour et l’amitié. Un personnage, pourtant, a occupé une place importante dans le tissu émotionnel d’Andersen, et c’est Edvard Collin, qui lui fut ami presque toute sa vie d’auteur durant.

Et ce personnage, essentiel dans l’existence d’Andersen, occupe dans ce livre une place réelle, un peu comme le miroir réaliste d’un écrivain presque exclusivement rêveur.

Nathalie Ferlut: amour, amitié…

Ce livre ne manque ni de références littéraires, ce qui est normal avec un tel sujet, ni de citations. C’est -aussi- ce qui en construit la trame et la véracité.

Mais sa construction est essentiellement axée autour de deux thèmes parallèles qui, finalement, ne peuvent que se confondre dans la réalisation d’une personnalité artistique : l’enfance et le sentiment.

Le sentiment, celui que tout lecteur ressent à la lecture ou à l’écoute d’un conte d’Andersen. Je devrais dire, d’ailleurs LES sentiments, toujours pluriels, et qui permettent à tout un chacun de voir son propre reflet dans les écrits d’Andersen.

Le second thème, encore plus essentiel, est celui de l’enfance. L’enfance à laquelle s’est adressé Andersen, mais également, et fondamentalement même, à l’enfance que l’auteur a cherché pendant toute son existence à conserver, sa propre enfance, ses propres rêves, ses propres rêveries en partage, une enfance faite sans cesse d’étonnements, une enfance faite de  » mal à l’aise  » dans le monde des adultes.

Et ce qui fait toute la richesse de ce livre-ci, c’est aussi que Nathalie Ferlut possède la même puissance évocatrice de l’enfance, la même nécessité à ne rien perdre de celle qui lui reste ancrée au bout du pinceau comme des mots.

Nathalie Ferlut: personnages et sentiments
Nathalie Ferlut: l’enfance

Ne devrions-nous pas tous rester les enfants que nous fûmes ?…. Ne devrions-nous pas ne jamais renier les rêves qui furent les nôtres ?…

Aucun homme ne peut, en tout cas, se résumer aux seules traces qu’il laisse derrière lui.

Et c’est bien ce qu’a compris Nathalie Ferlut, dans ce livre véritablement magique, dans lequel nostalgie, culture et (re)connaissance sont omniprésents.

Un livre au rythme extrêmement particulier, que j’ai tout aussi particulièrement aimé, et pour lequel je n’ai qu’une envie, qu’il soit lu par tous les amoureux de neuvième art, de bande dessinée, et surtout par tous les adultes cultivant sans cesse leur enfance, leurs enfances, même, tant il est vrai que toute enfance est toujours multiple !

 

 

Jacques Schraûwen

Andersen – Les Ombres d’un Conteur (auteure : Nathalie Ferlut – éditeur : Casterman)