Andersen – Les Ombres d’un Conteur

Plus qu’une biographie, voici un très beau voyage, à la fois dans l’œuvre, l’imaginaire et le vécu d’un auteur devenu icône de la littérature pour enfants.

Le personnage de Hans Christian Andersen appartient à la grande histoire de la littérature. Grâce aux studios Disney, même si leurs adaptations largement édulcorées de  » La Reine des Neiges  » ou de  » La petite Sirène  » sont pour le moins infidèles à l’œuvre originale, la renommée de cet écrivain reste aujourd’hui entière.

Cela dit, derrière les mots écrits de quelque auteur que ce soit se cachent des réalités souvent peu connues, méconnues ou totalement oubliées. Et la force et l’intelligence de Nathalie Ferlut sont de nous plonger, justement, dans toutes les ombres d’Andersen… Les ombres portées, d’abord, par tous les personnages qu’il a inventés, en s’inspirant souvent du folklore nordique. Les ombres de sa propre existence, ensuite, des ombres qu’il s’est amusé à créer pour masquer ses besoins viscéraux de notoriété. Les ombres, enfin, d’une personnalité hors du commun, à la fois publique et secrète. Les ombres, aussi, des dessins fantastiquement poétiques de Nathalie Ferlut…

Il en résulte une biographie qui n’en est pas vraiment une, une biographie qui devient un conte, elle aussi, grâce à un graphisme sans cesse changeant, grâce à un travail sur la couleur absolument phénoménal, grâce à une construction, tant graphique que littéraire, déroutante mais toujours envoûtante.

C’est, en fait, par des voies détournées, que Nathalie Ferlut nous fait découvrir les mille réalités mouvantes d’un auteur au génie universellement reconnu. Et cela fait de ce livre un bel album à lire, et un très bel objet, aussi, à regarder.

Nathalie Ferlut: les ombres
Nathalie Ferlut: une biographie faite d’écriture et de couleurs

J’ai toujours pensé qu’un artiste, pour exister, pour être profondément créateur, a besoin, avant tout, d’un tempérament fait de sensualité, de sentiments, d’amour et d’amitié. Et dans ce domaine-là, aussi et surtout peut-être, Andersen a toujours cultivé un secret opaque.

Pour en parler, Nathalie Ferlut fait preuve, donc, d’imagination, elle fait preuve aussi de pudeur, sans pour autant éviter de nous parler et de nous montrer les érotismes et les amours diffus de son héros.

Un héros qui semble avoir attaché plus d’importance aux soutiens qu’il pouvait obtenir pour arriver à ses fins, le succès et la notoriété, qu’à l’amour et l’amitié. Un personnage, pourtant, a occupé une place importante dans le tissu émotionnel d’Andersen, et c’est Edvard Collin, qui lui fut ami presque toute sa vie d’auteur durant.

Et ce personnage, essentiel dans l’existence d’Andersen, occupe dans ce livre une place réelle, un peu comme le miroir réaliste d’un écrivain presque exclusivement rêveur.

Nathalie Ferlut: amour, amitié…

Ce livre ne manque ni de références littéraires, ce qui est normal avec un tel sujet, ni de citations. C’est -aussi- ce qui en construit la trame et la véracité.

Mais sa construction est essentiellement axée autour de deux thèmes parallèles qui, finalement, ne peuvent que se confondre dans la réalisation d’une personnalité artistique : l’enfance et le sentiment.

Le sentiment, celui que tout lecteur ressent à la lecture ou à l’écoute d’un conte d’Andersen. Je devrais dire, d’ailleurs LES sentiments, toujours pluriels, et qui permettent à tout un chacun de voir son propre reflet dans les écrits d’Andersen.

Le second thème, encore plus essentiel, est celui de l’enfance. L’enfance à laquelle s’est adressé Andersen, mais également, et fondamentalement même, à l’enfance que l’auteur a cherché pendant toute son existence à conserver, sa propre enfance, ses propres rêves, ses propres rêveries en partage, une enfance faite sans cesse d’étonnements, une enfance faite de  » mal à l’aise  » dans le monde des adultes.

Et ce qui fait toute la richesse de ce livre-ci, c’est aussi que Nathalie Ferlut possède la même puissance évocatrice de l’enfance, la même nécessité à ne rien perdre de celle qui lui reste ancrée au bout du pinceau comme des mots.

Nathalie Ferlut: personnages et sentiments
Nathalie Ferlut: l’enfance

Ne devrions-nous pas tous rester les enfants que nous fûmes ?…. Ne devrions-nous pas ne jamais renier les rêves qui furent les nôtres ?…

Aucun homme ne peut, en tout cas, se résumer aux seules traces qu’il laisse derrière lui.

Et c’est bien ce qu’a compris Nathalie Ferlut, dans ce livre véritablement magique, dans lequel nostalgie, culture et (re)connaissance sont omniprésents.

Un livre au rythme extrêmement particulier, que j’ai tout aussi particulièrement aimé, et pour lequel je n’ai qu’une envie, qu’il soit lu par tous les amoureux de neuvième art, de bande dessinée, et surtout par tous les adultes cultivant sans cesse leur enfance, leurs enfances, même, tant il est vrai que toute enfance est toujours multiple !

 

 

Jacques Schraûwen

Andersen – Les Ombres d’un Conteur (auteure : Nathalie Ferlut – éditeur : Casterman)