Rose : 1

Qui n’a pas rêvé de pouvoir se dédoubler et de pouvoir ainsi découvrir l’intimité des  » autres  » ?… Mais pour Rose, ce n’est pas un rêve. Et cette réalité va peser lourd sur sa jeune existence.

« Je est un autre » (Rimbaud)

Voilà bien longtemps que la mère de Rose est morte, la laissant seule avec ce don étrange qui lui fait fuir, sur commande, le monde tangible de la réalité quotidienne pour celui de la vie de ceux qui l’entourent, de ceux qu’elle croise. Et voilà que son père, ancien policier, meurt aussi, assassiné, lui léguant un ancien collègue séduisant, des questions sans réponses, une maison et ses étranges locataires. Etranges, oui, puisqu’il s’agit de fantômes, des ombres perdues entre l’ici et l’ailleurs et que Rose, seule, peut voir, regarder, avec lesquels Rose, seule, peut parler, dialoguer.

Et puis il y a un tableau, ancien, dont la ressemblance avec la mort violente de son père est évidente…

J’ai épinglé, ainsi, une phrase de de livre, qui me semble résumer, ou en tout cas initialiser, tout le récit de cet album, toute sa trame narrative :  » ton fantôme vit déjà en toi « .

Parce que, pour devenir elle-même, pour se découvrir et s’accepter, Rose va n’avoir d’autre possibilité que d’utiliser ce don qu’elle appelle une maladie, que d’accepter l’aide et la compagnie des fantômes qui en savent bien plus qu’elle sur le passé de sa propre famille.

Il y a dans ce premier volume de ce qui doit être une série en trois épisodes tous les ingrédients de ce qui pourrait n’être qu’une aventure  » gore  » de plus : un meurtre, une enquête policière, une espèce de super-héroïne qui ne se veut pas telle, du fantastique entre Ray et King… Mais il n’en est rien, parce que les scénaristes nous emmènent à leur suite dans la construction d’une existence, une existence dans laquelle le fantastique, certes, est bien présent, mais comme révélateur plutôt que comme moteur. Plus qu’un livre fantastique, d’ailleurs, cet album me semble d’abord et avant tout poétique…

Denis Lapière, le scénariste

« Je parle à qui je fus et qui je fus me parle » (Michaux)

Le dessin aurait pu certainement se révéler, lui aussi, totalement immergé dans un univers somme toute glauque, celui de l’incompréhensible prenant place dans la vie de tous les jours, celui d’un meurtre à élucider, celui d’un passé que l’on devine lourd de conséquences actuelles. Mais Valérie Vernay, au travers de son graphisme, choisit la même voie que ses scénaristes : celle de l’humain, celle de la simplicité, aussi.

Simplicité de traits, de décors, d’expressions, de découpage. Elle démine ainsi, par un humour visuel, et par l’utilisation contrastée et lumineuse des couleurs, un propos qui pourrait sinon être pesant et angoissant.

Si Denis Lapière choisit une intrigue dans la lignée de Rimbaud, Valérie Vernay, elle, par son dessin, permet à ses protagonistes de dialoguer entre eux, bien sûr, mais aussi et surtout avec ce qu’ils furent et ce qui les a, même inconsciemment, créés.

Valérie Vernay, la dessinatrice

De cette collaboration entre deux scénaristes et une dessinatrice, une collaboration aux frontières de la poésie, du fantastique, du quotidien et du polar, il résulte un premier album qui parvient sans faiblesse et sans temps mort à mettre en place des personnages dont on devine les ambiguïtés, dont on devine l’importance qu’’ils occuperont dans les deux albums suivants.

Quête identitaire sur fonds de fantastique, Rose est d’ores et déjà une série attachante, intelligente, qui se lit avec plaisir. Et dont, je l’avoue, j’attends la suite avec une certaine impatience !

 

Jacques Schraûwen

Rose : 1 (dessin et couleur : Valarie Vernay – scénario : Emilie Albert et Denis Lapière – éditeur : Dupuis)