Constance et les ombres – tome 1

Constance et les ombres – tome 1

Une nouvelle série qui s’initie dans un album « tous publics » que les adolescents comme leurs parents aimeront…

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Une petite fille naît dans une demeure luxueuse du début du vingtième siècle. Et déjà l’accompagne, invisible pour tout le monde sauf pour elle, un monstre velu à la dentition terrible, aux mains ornées de griffes capables de lacérer n’importe qui, n’importe quoi… Mais ce monstre est gentil… Il est là pour aider cette enfant à grandir loin des dangers qui la menacent, comme ils menacent, finalement, toutes les enfances… Et la menace qui hante la petite Constance prend la forme, dans ses cauchemars, dans une forme rêvée de la réalité aussi, d’une meute de loups féroces, prêts à toutes les cruautés…

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Le scénario d’Ingrid Chabbert parvient, très vite, à faire monter une forme de tension… Et le récit qu’elle nous offre est tout à fait susceptible, c’est évident, de plaire à un large public, un public adolescent d’abord, de cet âge où l’existence, depuis toujours, se fait révolte contre un monde (trop) bien établi.

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Ce monde, dans cet album, est celui des parents de Constance. Toute adolescence ne se construit-elle pas, d’ailleurs, dans les affrontements qu’on peut avoir, qu’on doit avoir, avec ceux qui nous ont mis au monde ?… La famille proche de Constance est formée par une mère sans beaucoup de tendresse, par un père sérieux, sévère même, riche sans doute, travailleur efficace certainement, par une servante, Eugénie, qui est la seule à témoigner d’une véritable affection pour la petite fille, et par Louis, le grand frère de Constance.

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Constance est une petite fille qui grandit, une gamine qui glisse d’un monde à l’autre, de celui de l’enfance à celui d’un âge menant inexorablement à celui qu’on dit adulte. Son frère meurt… Et ce décès transforme la vie de Constance, qui ne peut plus sortir de chez elle, qui se sent prisonnière, qui est sans cesse rabrouée par sa mère, usant de laudanum, et par son père. Constance n’a de liberté qu’aux instants où elle peut lire, s’enfouir en d’autres vies que la sienne, terne malgré une maison somptueuse et des vêtements qui l’habillent de grâce et de printemps.

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Et reviennent dans sa vie de presque jeune femme ses cauchemars… Ses visions… Ces fameux loups… Et revient son adorable monstre prêt à tout pour l’aider, et sans doute pour la sauver… Le scénario est d’une belle efficacité. Il se fait linéaire, malgré les années qui passent au fil du récit… Il fait penser à toute cette littérature anglo-saxonne mettant en scène des enfants : Peter Pan, un peu, Alice beaucoup, et puis Dickens et Mark Twain… Ce sont, plus que des influences, des références à une façon universelle que les écrivains ont toujours eue d’approcher les univers perdus, et rarement paradisiaques, de l’enfance. Ingrid Chabbert use d’un langage simple sans jamais être simpliste, pour aborder, par petites touches, des réalités adolescentes et, ma foi, d’y mettre en évidences des « valeurs »… Grandir, vieillir, c’est le lot de chacune, de chacun. Et ce livre nous dit, calmement, et de façon tantôt symbolique tantôt bien réelle, que nul ne peut vieillir sans « quelqu’un » à ses côtés…

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Ce quelqu’un, c’est ce monstre… Ce quelqu’un, c’est aussi Tim, un garçon bien réel… Ce quelqu’un, c’est également les Loups, les parents, tous ces éléments négatifs qui construisent une vie sans idéalisation de son déroulement. Le talent de la scénariste, c’est de faire de tout cela une entité qui, bien plus que tenir la route, se fait passionnante, je dirais « tranquillement » passionnante… Et le talent de la dessinatrice Luisa Russo, dont le dessin, personnel pourtant, oscille entre les artifices mangas et ceux de Disney, son talent, oui, c’est de créer un monde réel, par un dessin non réaliste… Un univers qui n’est pas celui des Bisounours, mais qui, en faisant un peu peur, fait aussi sourire, réfléchir… Avancer dans la vie, sa propre vie, qu’on ait 7 ou 77 ans !….

Jacques et Josiane Schraûwen

Constance et les ombres – tome 1 (dessin : Luisa Russo – scénario : Ingrid Chabbert – éditeur : Dupuis – 2025 – 72 pages)

Les Combattantes – une histoire des violences sexistes et sexuelles

Les Combattantes – une histoire des violences sexistes et sexuelles

Puisque nous voici dans ce qu’on peut appeler le mois de la rentrée littéraire, je vais donc, pourquoi pas, sacrifier à cette mode éditoriale de mettre en avant un livre qui vient tout juste de sortir de presse.

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Une des nouveautés de cette rentrée littéraire, en bande dessinée, correspond à ce qu’on pourrait appeler l’air du temps… Cela veut dire que cet album, riche de quelque 400 pages, aborde un thème que l’actualité met de nos jours très souvent en évidence, et très souvent avec justesse, à défaut de justice, je veux parler des violences faites aux femmes.

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C’est donc un livre ancré dans l’actualité, un livre dans lequel les autrices, Géraldine Grenet au scénario et Marie-Ange Rousseau au dessin, dépassent le militantisme, pour nous parler de cette réalité inacceptable et, ce faisant, de chercher à en faire comprendre les rouages aux lecteurs que nous sommes. Ces violences, elles nous les racontent, elles nous les expliquent, elles nous disent ce qu’elles ont été, et la façon dont, au fil des ans, et depuis peu finalement, elles sont devenues une vérité tangible pour l’opinion publique, pour la justice aussi.

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Et ce livre, vous l’aurez compris, se veut d’abord et avant tout didactique. Et pour ce faire, les autrices l’ont construit en différents chapitres et sous-chapitres, particulièrement bien documentés, particulièrement bien ouverts à différents témoignages également. Cet album prend donc l’apparence d’une sorte d’encyclopédie, d’une sorte d’enquête plutôt autour d’une thématique dans laquelle, qu’on le veuille ou non, l’horreur est omniprésente.

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En premier lieu, les autrices s’intéressent à l’histoire de ces violences, en élargissant le propos, en s’intéressant à la réalité internationale, en définissant différents pôles de ces violences, qui peuvent être sexuelles, économiques, psychologiques, voire même institutionnelles. Ce premier chapitre se veut descriptif, explicatif, et permet au lecteur d’entrer ainsi de plain-pied dans le sujet qui va faire tout le contenu de ce livre.

Dans un deuxième chapitre, les autrices nous parlent des lieux de vie dans lesquels jaillissent ces violences, et abordent ainsi des réalités qui dépassent, et c’est tant mieux, le seul cadre d’une forme grave du sexisme. Il s’agit, par exemple, de rappeler que l’inceste, donc la violence dans le strict cadre familial, est sans doute un fléau que la justice n’a toujours pas pris profondément en compte. Il s’agit aussi de ce qu’on peut appeler, dans différents pays autour du monde, et parfois très proches du nôtre, de la violence faite aux femmes de façon institutionnelle, au travers d’un rapport de pouvoirs.

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Le troisième chapitre est celui de la santé, et de l’accueil hospitalier réservé aux femmes violentées. Là aussi, les deux autrices enfoncent quelques portes inattendues, grâce entre autres à des témoignages qui nous montrent, que l’accueil hospitalier n’est pas toujours meilleur que celui des commissariats.  Et, enfin, le dernier chapitre, lui, s’intéresse au système juridique et judiciaire… Et ce domaine-là n’est pas le plus reluisant, vous vous en doutez !

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C’est bien à un large panorama de ces violences que nous confronte ce livre… De manière féministe, militante, savante, donc parfois un peu pesante, c’est vrai. Mais le dessin, simple, sans fioritures, laisse la place aux mots… A un langage qui, passant par un média populaire, celui du neuvième art, devient lisible par tout un chacun, et s’éloigne de ce militantisme pour ouvrir un dialogue, une réflexion en tout cas, et en profondeur… La contextualisation du propos n’a rien de trop manichéen, et si on peut reprocher, ici et là, des propos sans doute trop définitifs, ce livre est important… Ce n’est pas de vulgarisation, qu’il s’agit, mais d’un désir de provoquer véritablement une prise de conscience ! Et à ce titre, comme je le disais plus haut, ce livre est plus qu’un objet de mode, un ouvrage important, qui a comme but de chasser le silence pour que les mots et les actes puissent prendre le pas sur une horreur souvent quotidienne.

Jacques Et Josiane Schraûwen

Les Combattantes (dessin : Marie-Ange Rousseau – scénario : Géraldine Grenet – éditeur : Delcourt – sortie le 3 septembre 2025 – 400 pages)

Attila (Les maîtres de guerre)

Attila (Les maîtres de guerre)

Les bandes dessinées « historiques » soufflent souvent, dans le monde du neuvième art, le chaud et le froid… Certains scénaristes, même à la mode, font parfois du n’importe quoi ! Avec cet album-ci, il n’en est rien…

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Non, je ne citerai pas ces scénaristes qui, avec l’alibi de la liberté de l’imagination, oublient la vérité historique élémentaire ! Mais il y en a, croyez-moi!… Et ce n’est pas le cas avec « Attila ». Mais n’allez cependant pas croire qu’on se trouve en présence d’un livre lourd, intello, fouillé, barbant en un mot ! (oui, il y a aussi des albums de ce genre en bd, tristement…) Jean-Pierre Pécau, le scénariste, fut prof d’histoire… Il fut aussi actif dans les jeux de rôle, dans les bd d’héroïc fantasy. Et avec ce livre-ci, il nous offre un récit à la fois fidèle à la grande histoire et puissamment « aventurier » dans son élaboration.

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Vous l’aurez compris, ce livre n’est pas une longue fresque biographique. Certes, on y raconte une partie de la vie d’Attila entre sa prise de pouvoir sur les Huns et leurs alliés, et sa mort sans doute assassiné et trahi… Et ce récit, concis, avec des raccourcis qui permettent de resserrer l’histoire sur son aspect visuel, guerrier, violent, spectaculaire, ce récit ne trahit rien de l’Histoire avec un H majuscule. Il nous montre ainsi une époque historique précise, celle de la décadence des deux empires romains, le byzantin et l’italien, celle, également, d’une forme de combat pratiquement idéologique, même inconsciemment, entre les peuples nomades et la civilisation sédentaire s’étendant au détriment des cultures plus dénaturées qu’assimilées…

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Dans la lignée des grandes bd historiques de ces dernières années (Murena, par exemple), ce « Attila », un one-shot lui, allie scénaristiquement parlant le sérieux de l’approche globale du récit et une passion presque cinématographique de la visualisation de ce récit. Dragan Paunovic a, graphiquement, un sens de la démesure absolument époustouflant… L’Histoire est d’une violence et d’une barbarie extrêmes, et le dessin de Paunovic ne cherche pas à estomper ces réalités quotidiennes d’une époque qu’il est grand temps, sans doute, d’arrêter de « magnifier » ! Je me dois de souligner l’apport tout aussi brutal et violent de la couleur, apport dû à Bertrand Denoulet, qui ne cherche nullement à cacher les horreurs de la guerre, des tueries, des luttes pour d’imbéciles pouvoirs… Là où les dessins passent des grandes scènes épiques à des cadrages plus intimes, la couleur de Denoulet reste, de par ses rouges puissants, rouge-sang, rouges ardents, le lien presque narratif de l’album…

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Je dois souligner aussi le petit dossier historique qui clôture l’album et permet encore mieux de comprendre cette époque lointaine qui ne fut, pour la plupart d’entre nous, que petite matière scolaire.

Ce livre est une fresque rapide, vive, puissante… L’image de ce que la guerre a toujours eu de répugnant. Attila fut maître de guerre, sans aucun doute… D’autres que lui ont, dans ce domaine, une sorte de sanctification qui fait oublier qu’ils ont été les auteurs de tueries absolument répugnantes (oui, je pense à Napoléon, entre autres).

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Et j’aime cet album-ci, parce qu’il montre, simplement, sans fioritures, mais avec un vrai talent à la fois de conteur et de dessinateur, la réalité, au-delà de toutes les politiques toujours innommables, de ce qu’est la guerre : une tuerie, rien de plus ! Et, de nos jours, je pense qu’il devient de plus en plus important de le dire et de le répéter !

Jacques et Josiane Schraûwen

Attila (Les maîtres de guerre) (dessin : Paunovic – scénario : Pecau – couleur : Denoulet – éditeur : Delcourt – août 2025 – 62 pages)