Les héros ne cacheraient-ils pas quelques héroïnes essentielles ?
Voici un livre qui nous plonge dans les mythes et légendes grecques. Un univers dont la mémoire populaire retient les grands dieux, les grands héros !
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Mais Agamemnon comme Ulysse, Achille comme Narcisse, ces personnages auraient-il existé sans que des femmes interviennent avec une importance égale à la leur ? C’est ce que ce livre permet de comprendre et découvrir… Un livre-objet qui, grâce à un filtre rouge que l’on peut poser sur chaque page, montre à des lecteurs d’une dizaine d’années au moins les femmes « importantes » qui se cachent derrière les héros peut-être trop connus.
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On se trouve, en quelque sorte, en face d’un livre expérimental… Une œuvre réalisée par Ane Arzelus, queer et illustrateur-illustratrice. Un album qui, sans aucun doute, se révèle être d’une forme frontale de féminisme, loin de ce que fut ce mouvement jusqu’il y a peu, une forme de réécriture de l’histoire culturelle et donc patrimoniale qui est nôtre. On peut ne pas souscrire pleinement à cette démarche, c’est évident, et ce livre féministe, engagé, dont le but est de changer notre regard sur la mythologie, peut déranger ! Surtout, à mon humble avis, par la manière dont il oublie de remettre la mythologie dans sa perspective historique pour mieux la mettre dans une perspective uniquement féministe. Cela dit, et en toute objectivité, je pense que cet album est aussi très agréablement ludique, et je pense aussi qu’on ne peut, lecteurs que s’enrichir en s’intéressant à des opinions qui ne sont pas uniquement les nôtres.
Des milliers de dessins, des techniques très différentes les unes des autres, du réalisme puissant et de l’humour léger, de la poésie et de l’observation… C’est tout cela qui fait de Pierre Joubert un illustrateur qui a marqué de son talent le vingtième siècle !
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Un jour, il y a bien longtemps, je devais avoir onze ans… J’étais louveteau et, dans la bibliothèque de mon unité scoute, un livre a attiré mes regards, par sa couverture… Je l’ai emprunté… Il s’appelait « La mort d’Eric », était signé par Serge Dalens, et illustré par Pierre Joubert.
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En quelques pages à peine, je suis devenu accroché du cœur et du rêve à cette collection, « Signe de Piste », et à ce dessinateur qui, pour le gosse déraciné un peu paumé que j’étais, réussissait à créer des rêves d’aventure et d’amitié… Des rêves qui ne m’ont jamais abandonné, comme ne m’a jamais abandonné la passion que j’ai pour ce dessinateur exceptionnel !
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Et si j’ai lu, ensuite, les aventures de Bob Morane, c’était parce que les couvertures étaient dessinées par Joubert… Je me suis laissé dire qu’Henri Vernes, parfois, changeait un peu son texte pour qu’il corresponde au dessin de Joubert… Lorsque j’ai rencontré ce prolifique écrivain, il ne m’a pas contredit, il s’est contenté de sourire…
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Un jour, la commune d’habitation d’Henri Vernes, Saint-Gilles à Bruxelles, a annoncé en grandes pompes et en petits fours la décision de créer une fresque rendant hommage à cet écrivain au travers d’un dessin… Un dessin que les intellectuels fatigués de cette commune avaient attribué à Forton, chose imbécile que j’ai corrigée pendant ce petit pince-fesses, puisque c’était de Joubert qu’il s’agissait… Cette fresque murale et citadine n’a bien évidemment jamais vu le jour, la politique démontrant sa richesse par le nombre de ses promesses non tenues !
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J’ai, quelques années plus tard, passé une journée avec Pierre Joubert, pour la préparation, sous la houlette du journaliste Gérard Valet, d’un film documentaire qui aurait dû lui être consacré, ce que la triste frilosité des penseurs des médias télévisés n’a pas permis. J’ai rencontré là un homme souriant, intègre, humble aussi… Presque étonné du nombre de ses dessins mis en banc-titre par Gérard Valet…
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Vous me direz que Pierre Joubert n’a rien à voir avec la bande dessinée… Je lui avais demandé, d’ailleurs, à l’occasion de cette journée, pourquoi il n’avait jamais fait de bd… Il m’a répondu, simplement, le sourire au coin de l’œil : parce qu’on ne me l’a jamais demandé… Sans doute n’a-t-il jamais, en effet, dessiné une vraie bd, avec bulles, etc., mais, par contre, l’influence qu’il a eue auprès de bédéistes essentiels est indéniable ! Des artistes qui lui ont rendu hommage, en 1987, dans un superbe livre intitulé « Les Chemins De L’Aventure ».. Pleyers, De Moor, Mitacq, Juilliard, Piroton, Follet, Vandersteen : rien que du beau monde ! Auquel on peut rajouter Hermann, Lepage, Pellerin… Et d’autres encore! Jusqu’à Levis!
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Pierre Joubert a accompagné mon existence… Je partageais avec Josiane cette passion pour un artiste dont le talent était de parvenir, en un dessin, à raconter une histoire… Joubert ne se contentait pas d’illustrer un propos, un extrait… Il résumait en une couverture tout ce que le livre allait pouvoir offrir à ses lecteurs… Il exprimait, en une illustration intérieure des livres de la collection Signe de Piste, un moment du récit, certes, mais en y ajoutant, comme si de rien n’était, l’intensité des sentiments que ce moment racontait… Les illustrations de Joubert, à ce titre, n’ont jamais été un complément pour les livres qu’il a illustrés, mais bien plus une continuité, une envolée de l’imaginaire de Joubert face à l’imaginaire d’un écrivain…
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Et donc, voici, après bien des livres qui lui ont été consacrés, deux nouveaux albums à ne pas rater par tous les amoureux du dessin ! Deux volumes, pour une rétrospective chronologique de toutes les aventures éditoriales, mais surtout graphiques, de Pierre Joubert… Une rétrospective qui, en deux opus donc, nous conduit de l’année 1927 à l’année 2000. 73 années pendant lesquelles un homme a passionné des générations de lecteurs, en leur faisant partager ses propres passions! Et ces deux livres nous font ainsi entrer dans tous les univers de Joubert…
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Bien sûr, le scoutisme occupe une place prépondérante dans l’œuvre, et la vie, de Pierre Joubert. Le scoutisme, oui, et ses valeurs d’aventure, mais de solidarité, d’amitié, de résistance aussi à des normes sociétales et parentales trop pesantes parfois… Ce scoutisme qui évolue au fil du temps, parfois bien, parfois mal, mais qui reste accroché à l’âme de tous ceux qui y ont trouvé, non pas un idéal, mais une forme fondamentale de tolérance…
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Mais Pierre Joubert, c’est aussi de la publicité… Des couvertures de chez Marabout, du western extraordinaire de Pierre Pelot, Dylan Stark, entre autres… Des couvertures et des illustrations pour des tas de revues… Des calendriers scouts de Belgique… Des croquis de voyage… Des livres sur l’héraldique et sur la marine… Des couvertures pour des éditeurs comme « Presses de la Cité »… Oui, Pierre Joubert a même illustré des couvertures de romans de Konsalik ! Et c’est tout cela qu’on retrouve dans ses deux livres somptueux ! Avec, en point d’orgue, l’extraordinaire livre que Joubert a consacré aux ivresses de Rimbaud!
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J’ai adoré me perdre dans cette chronologie artistique… J’ai adoré sentir se réveiller bien de mes souvenirs qui m’ont permis, aujourd’hui, d’avoir la certitude de ne pas avoir trahi le gamin ébloui par Joubert que j’ai été. J’ai été heureux de ne pas trouver (mais peut-être est-ce une erreur de ma part) dans ce diptyque, deux « œuvres » de Joubert qui trônent sur une de mes bibliothèques : « Badge D’Or » et « Le Jeu des Ayacks » !
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J’ai adoré ces deux livres… Et j’ai la certitude que vous ne pourrez que faire de même ! En découvrant, par exemple, au détour d’une page, une couverture que Joubert, à la demande de Fromental, a un jour dessinée pour une revue qui, pourtant, n’appartenait vraiment pas à son univers, Metal Hurlant…
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Ne ratez pas ces livres… Ils rendent hommage, avec une iconographie impeccable, à un artiste complet, dont les chemins continuent et continueront pendant longtemps à s’offrir aux pas des amoureux du dessin !
La bande dessinée a comme qualité première de pouvoir librement (pour le moment, de moins en moins…) aborder mille et un sujets… C’est ce qui m’a attiré dans ce livre-ci, à découvrir, vraiment…
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C’est un livre lourd de quelque 350 pages, une forme d’autobiographie de son autrice, JJ Lee… Une autobiographie sans fioritures, qui ne cache pas la réalité d’une existence qui, pour jeune qu’elle soit, s’est enfouie dans les méandres de la douleur de vivre.
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L’héroïne de cet album est une jeune Coréenne du sud immigrée aux Etats-Unis avec ses parents. Une enfant encore qui ne parvient pas à se trouver sa place dans un monde qui n’est pas le sien, avec une langue qu’elle ne réussit pas à assimiler. Une jeune fille qui grandit, se choisit un prénom à l’américaine, mais continue à se sentir perdue, à se savoir emplie d’une absence qu’elle ne peut nommer. A n’avoir, finalement, qu’une identité égarée dans les limbes d’une existence de plus en plus lourde.
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Elle se sent, totalement, différente, tant vis-à-vis des Américains que des Coréens… Elle veut être normale, simplement, mais pour elle, cela signifie se battre avec elle-même, avec une mère créatrice de conflits, aussi… Avec qui elle est, surtout, avec qui elle a été, avec qui elle veut être… Cela la conduit à se coincer dans un néant auquel elle veut résister. Mais le combat contre soi-même n’a rien, jamais, de facile, et se révèle souvent destructeur… Cela la conduit à des troubles mentaux, mais physiques également, jusqu’à une tentative de suicide…
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Le dessin, en tonalités de gris, d’une réelle beauté formelle, crée de bout en bout une ambiance qui nous plonge, lecteurs, dans l’univers de cette jeune femme, tout en adoucissant, par la force de l’image, la tristesse fondamentale du récit. Ce n’est pas un livre « délassant », vous l’aurez compris ! Mais c’est un livre important, traité avec à la fois de la pudeur et une franchise immense… Un livre qui nous parle d’identité, et de nécessité à ne renier ni son passé ni son présent… Un livre qui nous révèle une face ignorée de l’immigration, aussi, et cette difficulté à réussir à se définir au-delà des exils, quels qu’ils soient ! Ne sommes-nous pas tous, finalement, des êtres exilés de nos enfances perdues ?
Jacques et Josiane Schraûwen
In Limbo (autrice : Deb JJ Lee – éditeur : Akileos – 352 pages)